Magasin d'éducation et de récréation (p. 166-183).
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XXVI

Personne ne veut quitter la place. – La nuit sur le plateau. – En marche vers le nord. – Le mât du pavillon. – Les couleurs britanniques. – Le rideau de brumes. – Un cri de Fritz.

Tous, immobiles, le cœur étreint par l’émotion, les regards dirigés vers l’horizon du nord, écoutaient, respiraient à peine. Qu’ils eussent été dupes d’une illusion… non… ce n’était pas admissible… Quelques décharges éloignées retentirent encore, apportées par les faibles souffles de la brise.

« C’est un bâtiment qui passe au large de cette côte !… dit enfin Harry Gould.

– Oui… ces détonations ne peuvent venir que d’un navire, répondit John Block, et, lorsque la nuit sera faite, qui sait si nous n’apercevrons pas ses feux…

– Cependant ces coups de canon… fit observer Jenny, pourquoi ne viendraient-ils pas de terre ?…

– De terre, ma chère Jenny ?… répondit Fritz. Il y aurait donc une terre voisine de cet îlot ?…

– Je crois plutôt qu’un bâtiment se trouve au large dans le nord… répéta le capitaine Gould.

– À quel propos aurait-il tiré le canon ?… demanda James.

– En effet… pourquoi ?… » répéta Jenny.

En acceptant cette dernière hypothèse, il fallait conclure que le navire ne devait pas être très éloigné du littoral. Peut-être, en pleines ténèbres, distinguerait-on la lueur des décharges d’artillerie, si elles reprenaient ?… Peut-être aussi ne tarderait-on pas à voir ses feux de position ?… Il est vrai, puisque les coups entendus arrivaient du nord, il se pouvait que ce bâtiment ne pût être aperçu, puisqu’on ne voyait pas la mer de ce côté.

Et maintenant, il n’était plus question ni de s’engager à travers le ravin, ni de regagner la baie des Tortues… Quelque temps qu’il fît, tous resteraient à cette place jusqu’au jour… Par malheur, en cas qu’un navire descendît par l’ouest ou par l’est, il ne serait pas possible, faute de bois, d’allumer un feu sur le sommet de la falaise afin de se mettre en communication avec lui…

Ce qui est certain, c’est que ces détonations lointaines avaient remué jusqu’au plus profond de leur être ceux qui venaient de les entendre. Il semblait qu’elles les eussent rattachés à leurs semblables, que cet îlot parût maintenant moins isolé sur ces parages…

Et alors un irrésistible besoin les prit de discuter les nouvelles chances qu’offrait cette éventualité dans laquelle ils voyaient leur salut… Ce qu’ils auraient voulu, sans attendre au lendemain, c’eût été de gagner l’extrémité du plateau, d’observer en direction du nord cette partie de mer d’où étaient partis les coups de canon… Mais le soir s’avançait, la nuit ne tarderait pas à tomber, – une nuit sans lune, sans étoiles, épaissie par les nuages bas que la brise chassait vers le sud… Puis, au milieu de l’ombre, comment se risquer entre les roches ?… Ce qui serait déjà bien difficile le jour était impossible au milieu des ténèbres.

Il y eut donc lieu de s’installer à cette place, et c’est ce dont chacun dut s’occuper. Après maintes recherches, le bosseman finit par découvrir une sorte de réduit, un entre-deux de blocs, où Jenny, Suzan, Doll et le petit garçon pourraient se blottir, à défaut de sable ou de varechs pour s’étendre. N’importe ! il y aurait là un abri contre le vent s’il fraîchissait, un abri contre la pluie même si les nuages crevaient sur ces hauteurs.

Et, tout d’abord, les provisions furent tirées des sacs, et chacun mangea du mieux qu’il put. Il y avait des vivres pour quelques jours, et peut-être ne serait-il pas nécessaire de retourner à la grotte pour les renouveler… Et puis toute appréhension ne devait-elle pas être bannie au sujet d’un hivernage sur la baie des Tortues ?…

La nuit était close, – une interminable nuit dont personne n’oublierait jamais les longues heures, si ce n’est le petit Bob qui s’endormit entre les bras de sa mère. Il régnait une profonde obscurité, et, du côté de la mer, le feu d’un navire eût été visible à plusieurs lieues au large.

Le capitaine Gould et les siens, pour la plupart, persistèrent à demeurer sur pied jusqu’au lever de l’aube. Leurs regards fouillaient incessamment l’est, l’ouest, le sud, dans l’espoir qu’un bâtiment vînt à passer au large de l’îlot, non sans la crainte qu’il le laissât en arrière pour n’y plus revenir. S’ils eussent été en ce moment à la baie des Tortues, ils auraient allumé un feu sur la pointe du promontoire… Ici c’était impossible.

Aucune lueur ne brilla avant le retour de l’aube, aucune détonation ne vint troubler le silence de cette nuit, aucun navire ne se montra en vue de l’îlot.

Aussi le capitaine Gould, Fritz, François, le bosseman se demandaient s’ils ne s’étaient pas trompés, s’ils n’avaient pas pris pour des décharges d’artillerie ce qui pouvait n’être qu’un bruit lointain d’orage…

« Non… non… assurait Fritz, nous n’avons point fait erreur !… C’est bien le canon qui a retenti dans la direction du nord, à une distance assez éloignée…

– J’en ai la conviction, répondait le bosseman.

– Mais à quel propos ces coups de canon ?… répétait James Wolston.

– Pour le salut ou pour la défense !… répliquait Fritz. Je ne connais pas d’autre circonstance où l’on ait à faire usage de l’artillerie…

– Peut-être, observa François, y a-t-il eu descente et attaque de sauvages sur cet îlot…

– En tout cas, répondit le bosseman, ce ne sont pas des sauvages qui ont tiré ces coups de canon.

– L’îlot serait donc habité par des Américains ou des Européens ?… dit James.

– D’abord… n’est-ce qu’un îlot ?… répondit le capitaine Gould. Savons-nous ce qu’il y a au delà de cette falaise ?… Ne sommes-nous point sur une île… une grande île…

– Une grande île dans ces parages du Pacifique ?… demanda Fritz. Laquelle ?… je ne vois pas…

– M’est avis, fit observer John Block, non sans quelque bon sens, qu’il est inutile de discuter là-dessus… La vérité est que nous ignorons si c’est un îlot ou une île du Pacifique ou de l’océan Indien !… Un peu de patience jusqu’au jour qui ne tardera pas à se lever, et nous irons voir ce qu’il y a du côté du nord…

– Peut-être tout… peut-être rien… dit James.

– Eh bien, repartit le bosseman, ce sera déjà quelque chose que de le savoir ! »

Vers cinq heures du matin, les premières lueurs de l’aube commencèrent à poindre. Le levant blanchit au ras de l’horizon. Le temps était très calme, le vent ayant tombé dans la seconde partie de la nuit. Aux nuages que poussait la brise s’était substitué un rideau de brumes que le soleil finit par percer. L’espace se dégagea peu à peu. La raie de feu, nettement tracée à l’est, s’étendit, s’arrondit sur la ligne du ciel et de l’eau. Le disque apparut, en projetant de longues traînées lumineuses à la surface de la mer.

Les regards se portèrent avidement sur toute la partie visible de l’Océan.

Aucun navire, immobilisé par le calme du matin, ne se montrait au large.

À cet instant, le capitaine Gould fut rejoint par Jenny, Doll et Suzan Wolston qui tenait la main de son enfant.

L’albatros, allant et venant, sautait d’une roche à l’autre, s’éloignait parfois dans la direction du nord, comme s’il indiquait la route…

« Il nous montre le chemin… semble-t-il… dit Jenny.

– Il faut le suivre… s’écria Doll.

– Pas avant d’avoir pris notre premier repas, répondit Harry Gould. Peut-être aurons-nous quelques heures de marche, et il convient de prendre des forces. »

On partagea rapidement les provisions, tant l’impatience était grande, et, avant sept heures, tous s’étaient mis en route en remontant vers le nord.

Le cheminement fut des plus pénibles entre les roches. On franchissait les petites, on contournait les grosses. En avant, le capitaine Gould et le bosseman indiquaient les passages praticables. Venaient ensuite Fritz aidant Jenny, François aidant Doll, James aidant Suzan et le petit Bob. Nulle part le pied ne rencontrait herbe ou sable. Il n’y avait là qu’un entassement chaotique, ce qu’eut été un vaste champ de blocs erratiques ou de moraines. Au-dessus passaient des oiseaux, frégates, mouettes, hirondelles de mer, auxquels l’albatros mêlait parfois son vol.

On marcha ainsi une heure au prix d’extrêmes fatigues, ayant à peine gagné une lieue toujours en montant. Ni l’aspect ni la nature du plateau ne se modifiaient.

Il fut indispensable de faire halte afin de prendre un peu de repos.

Fritz proposa alors de se porter en avant avec le capitaine Gould et John Block. Cela épargnerait aux autres de nouvelles fatigues si elles devaient être inutiles.
une sorte de cône montra sa cime. (Page 175.)

Cette proposition fut unanimement rejetée… On ne se séparerait pas… Tous voulaient être là au moment où la mer apparaîtrait au nord, si elle devait apparaître.

La marche reprit vers neuf heures. La brume tempérait les ardeurs du soleil. À cette époque de l’année, elles eussent été insoutenables à la surface de ce champ pierreux, que les rayons frapperaient presque perpendiculairement au moment de la méridienne.

Tout en se développant vers le nord, le plateau s’élargissait vers l’est et vers l’ouest, et la mer, qui jusqu’alors était restée visible en ces deux directions, finirait par n’être plus visible. Au surplus, pas un arbre, pas trace de végétation, même stérilité, même solitude. Quelques tumescences se dessinaient ça et là en avant.

À onze heures, une sorte de cône montra sa cime dénudée qui dominait cette partie du plateau de trois cents pieds environ.

« C’est ce sommet qu’il faut atteindre… dit Jenny.

– Oui… répondit Fritz, et de là, notre regard s’étendra sur un plus large horizon… Mais peut-être l’ascension sera-t-elle rude !… »

Oui, sans doute, mais tel était l’irrésistible désir d’être fixé sur la situation, que personne n’eût voulu demeurer en arrière, quelle que dût être la fatigue. Qui sait, cependant, si ces pauvres gens n’allaient pas à une dernière déception, où se dissiperait leur dernier espoir ?…

On reprit la route en gagnant vers le cône, distant alors de trois quarts de lieue. Que de difficultés à chaque pas et combien la marche fut lente à travers ces centaines de blocs qu’il fallait tourner ou franchir. Ce fut une escalade de chamois plutôt qu’un cheminement de piétons. Le bosseman voulut absolument se charger de Bob, que lui confia sa mère. Fritz et Jenny, François et Doll, James et Suzan se tenaient l’un près de l’autre afin de s’entr’aider dans les passages dangereux.

Bref, il était plus de deux heures de l’après-midi, lorsque la base du cône fut atteinte. Il y eut nécessité de se reposer, car on n’avait pas mis moins de trois heures à franchir quinze cents toises depuis la précédente halte. L’arrêt fut de courte durée, et, après vingt minutes l’ascension commença.

Assurément, le capitaine Gould avait eu la pensée de contourner le cône, afin d’éviter une montée très fatigante. Mais on reconnut que la base en était impraticable. Après tout, il ne s’agissait que de trois cents pieds à gravir.

Au début, entre les roches, le pied put prendre appui sur un sol où végétaient de maigres plantes, des touffes de pariétaires, auxquelles la main pouvait s’accrocher.

Une demi-heure suffit à gagner la moitié du cône. Mais alors Fritz, qui tenait la tête, laissa échapper un cri de surprise.

Tous s’arrêtèrent, les yeux tournés vers lui :

« Qu’y a-t-il donc là ?… » dit-il, en désignant de la main l’extrême pointe.

À cette place, en effet, se dressait un bâton, long de cinq à six pieds, entre les dernières roches.

« Serait-ce une branche d’arbre dépouillée de ses feuilles ?… dit François.

– Non… ce n’est pas une branche… déclara le capitaine Gould.

– C’est un bâton… un bâton de voyage… affirma Fritz… un bâton qui a été planté à cette place…

– Et auquel on a fixé un pavillon… ajouta le bosseman, et le pavillon y est encore ! »

Un pavillon à la cime de ce cône !…

Oui… et la brise commençait à développer ce pavillon, dont, de cette distance, on ne pouvait reconnaître les couleurs.

« Il y a donc des habitants sur cet îlot ?… s’écria François.

– Pas de doute… il est habité… affirma Jenny.

– Ou s’il ne l’est pas, déclara Fritz, il est certain, du moins, qu’on en a pris possession…

– Mais quel est donc cet îlot ?… demanda James Wolston.

– Ou plutôt quel est donc ce pavillon ?… ajouta Harry Gould.

– Pavillon anglais !… cria le bosseman. Voyez… l’étamine rouge avec le yacht au coin !… »

Le vent venait de le déployer, et c’était bien le pavillon de la Grande-Bretagne.

Et alors, tous de s’élancer de roches en roches ! Cent cinquante pieds les séparaient encore de la pointe, mais ils ne sentaient plus la fatigue, ils ne cherchaient même pas à reprendre haleine, ils montaient sans s’arrêter, entraînés par une force surhumaine…

Enfin, avant trois heures, le capitaine Gould et ses compagnons étaient réunis à la pointe du cône…

Quel désappointement ils éprouvèrent, lorsque leurs regards se portèrent dans la direction du nord !

Une épaisse brume s’étendait à perte de vue. Impossible de reconnaître si le plateau se terminait de ce côté par une falaise verticale comme à la baie des Tortues, ou s’il se prolongeait au delà. On n’apercevait rien à travers ce brouillard opaque. Au-dessus de la zone des vapeurs, le ciel s’éclairait encore des rayons du soleil qui déclinait vers l’ouest.

Eh bien, on ne quitterait pas cette place, fallût-il y rester jusqu’au lendemain, on y camperait, on attendrait que la brise eût chassé ce brouillard !… Non ! personne ne reviendrait en arrière, sans avoir observé l’îlot dans sa partie septentrionale !…

Le pavillon britannique n’était-il pas là, qui flottait au souffle de la brise ?… Ne disait-il pas que cette terre avait rang dans la nomenclature géographique, qu’elle devait maintenant figurer en latitude et en longitude sur les cartes anglaises ?…

Et ces coups de canon entendus la veille, qui sait s’ils ne provenaient pas de navires qui saluaient ce pavillon au passage ! Qui sait s’il n’existait pas un port de relâche sur cette portion du littoral, si quelques bâtiments n’y étaient pas au mouillage !…

Enfin, même en cas que cette terre ne fût qu’un îlot, y aurait-il lieu de s’étonner que la Grande-Bretagne en eût pris possession, puisque son gisement le plaçait sur les limites de l’océan Indien et de l’océan Pacifique ?… Et même, si c’était une terre, pourquoi n’appartiendrait-elle pas au continent australien dans cette partie peu connue qui se rattachait au domaine britannique ?…

Toutes ces hypothèses se présentaient à l’esprit, on les exposait, on les discutait, et avec quelle impatience chacun attendait le moment où la vérité se ferait jour !

À cet instant, un cri d’oiseau retentit, suivi d’un rapide battement d’ailes.

C’était l’albatros de Jenny, qui venait de s’envoler et filait au-dessus des brumes en se dirigeant vers le nord.

Où allait-il ainsi cet oiseau ?… Était-ce vers quelque rivage éloigné ?…

Son départ produisit un sentiment de tristesse et même d’angoisse…

Il semblait que ce fût comme un abandon…

Cependant l’heure s’avançait, et les souffles intermittents de la brise ne parvenaient pas à dissiper ce brouillard dont les grosses volutes roulaient au pied du cône. La nuit arriverait-elle avant que l’horizon du nord se fût révélé aux regards ?…

Non, tout espoir n’était pas perdu. Comme les vapeurs commençaient à s’abaisser, Fritz put constater que le cône dominait, non point une falaise, mais de longues pentes qui, probablement, se développaient jusqu’au niveau de la mer…

Puis le vent prit de la force, les plis du pavillon se raidirent et au ras des brumes chacun put observer le talus sur une centaine de pieds.

Ce n’était plus un amoncellement de roches, c’était un revers de montagnes, où réapparaissait une végétation que les yeux n’avaient pas aperçue depuis de longs mois…

Aussi, avec quelle avidité tous regardaient ces larges pans de verdure, ces arbustes, des aloès, des lentisques, des myrtes, qui poussaient ça et là ! Assurément, on n’attendrait pas que le brouillard se fût tout à fait dissipé, et il fallait avoir atteint la base de cette montagne avant que la nuit ne l’eût enveloppée d’ombres !…

Mais voici qu’à huit ou neuf cents pieds au-dessous, entre les déchirures des vapeurs, émergèrent les hautes frondaisons d’une forêt qui s’étendait sur plusieurs lieues ; puis, toute une plaine fertile, semée de bouquets et de massifs d’arbres avec de larges champs, de vastes prairies, traversés de cours d’eau dont le principal se dirigeait à l’est vers une baie du littoral…

En même temps, au levant et au couchant, la mer se continuait jusqu’à l’extrême périmètre de l’horizon. Elle ne manquait plus que vers le nord pour faire de cette terre, non un îlot, mais une île… une grande île !…

Enfin, à plus grande distance, se dessinaient les vagues linéaments d’un rempart rocheux qui courait de l’ouest à l’est. Était-ce la bordure d’une côte ?…

« Partons… partons !… s’écria Fritz.

– Oui… partons… répéta François. Nous serons en bas avant la nuit…

– Et nous la passerons à l’abri des arbres… » ajouta le capitaine Gould.

Jenny allait se joindre à Fritz et demander que l’on ne s’attardât pas plus longtemps, lorsque les dernières vapeurs se dissipèrent. L’Océan apparut alors dans toute son immensité à une distance qui pouvait être de sept à huit lieues.

Une île… c’était bien une île !

On vit alors que la côte septentrionale s’échancrait de trois baies d’étendue inégale, la plus considérable au nord-ouest, la moyenne au nord, la plus petite ouverte au nord-est, plus profondément entaillée que les deux autres. Le bras de mer qui y donnait accès se terminait par deux caps lointains, dont l’un s’appuyait à un promontoire assez élevé.

Au large, aucune autre terre… Pas une voile ne se gonflait à l’horizon.

En redescendant vers le sud, le regard était arrêté à deux lieues environ par l’extrême crête de cette falaise qui fermait la baie des Tortues.

Quel contraste entre l’aride région que le capitaine Gould et ses compagnons venaient de parcourir et celle qui s’étendait sous leurs yeux ! Ce qu’ils voyaient, c’était une campagne fertile et variée, ici en forêts, là en plaine, présentant partout cette végétation exubérante des zones tropicales !… D’ailleurs, nulle part, ni hameau, ni village, ni habitation…

Et alors, un cri… un cri de révélation soudaine qu’il n’aurait pu retenir, s’échappa de la poitrine de Fritz, tandis que ses bras se tendaient vers le nord :

« La Nouvelle-Suisse !…

– Oui… la Nouvelle-Suisse… s’écria François à son tour.

– La Nouvelle-Suisse ! » répétèrent d’une voix brisée par l’émotion Jenny et Doll.

Ainsi, devant eux, au delà de cette forêt, au delà de ces prairies, c’était la barrière rocheuse qu’ils apercevaient, le rempart où s’ouvrait le défilé de Cluse sur la vallée de Grünthal !… Au delà, c’était la Terre-Promise, ses bois, ses métairies, le ruisseau des Chacals !… C’était Falkenhorst au milieu de son massif de mangliers, puis Felsenheim, et les arbres de son enclos !… Cette baie, à gauche, c’était la baie de Perles, et, plus loin, comme un point noirâtre, la Roche-Fumante, couronnée de vapeurs volcaniques, puis la baie des Nautiles, d’où se projetait le cap de l’Espoir-Trompé, puis la baie du Salut, défendue par l’îlot du Requin !… Et pourquoi ne serait-ce pas sa batterie dont on avait entendu les détonations la veille, car il n’y avait aucun navire ni dans la baie ni au large ?…

Et, pénétrés d’une indicible joie, le cœur palpitant, les yeux mouillés des larmes de la reconnaissance, tous s’unirent à François dans la prière qui s’éleva vers le Ciel !