Scarron - Œuvres, par Bastien/Lettre de Balzac à Costar

LETTRE


DE


M. DE BALZAC


A


M.COSTAR,


SUR LES ŒUVRES


DE SCARRON.


Monsieur,


Le livre que vous m’avez fait tenir de la part de monsieur Scarron, est un présent qui m’est bien cher, et que j’ai sujet d’estimer bien fort. D’abord, il m’a servi de remède, et m’a soulagé d’une oppression de rate qui m’alloit étouffer, sans ce secours venu à propos. J’espère qu’il fera davantage, si j’en use plus souvent. Il se peut qu’il me guérira de mon chagrin sérieux, et de ma triste philosophie : peut-être que j’y apprendrai à rimer des requêtes et des légendes, et que je deviendrai gai par contagion. Voilà sans mentir un admirable malade ! Il a je ne sai quoi de meilleur que la santé : je parle de la santé stupide et matérielle ; car vous savez ce que les Arabes disent de la joie, que c’est la fleur et l’esprit de la santé vive et remuante. Puisque vous voulez savoir les différentes pensées que j’ai eues de ce malade, et que vous m’en demandez un chapitre, je dis, Monsieur, que c’est l’homme du monde le plus dissimulé, ou le plus constant. Je dis qu’il porte témoignage contre la mollesse du genre-humain, ou que la douleur le traite plus doucement qu’elle ne traite les autres hommes. Je dis qu’il y a de l'apparence que le bourreau flate le patient. Je dis qu’à le voir rire comme il fait, au milieu du mal, j’ai quelque opinion que le mal ne le pique pas, mais que seulement il le chatouille. Je dis enfin, que le Prométhée, l’Hercule, et le Philoctète des fables, sans parler du Job de la vérité, disent bien de grandes choses dans la violence de leurs tourmens, mais qu’ils n’en disent point de plaisantes ; que j'ai bien vu en plusieurs lieux de l’antiquité des douleurs constantes, des douleurs modestes, voir des douleurs sages, et des douleurs éloquentes ; mais que je n'en ai point vu de si joyeuses que celle-ci ; mais qu’il ne s’étoit point encore trouvé d’esprit qui sût danser la sarabande et les matassins dans un corps paralytique. Un si beau prodige mérite d’être considéré par les Philosophes curieux : l’histoire ne la doit pas oublier ; et s’il me prenoit fantaisie d’être historien, comme je suis historiographe, je ne le compterois pas pour le plus petit miracle de notre tems, qui a produit de si grands miracles. Ce n’est point mon dessein de diminuer la gloire des morts, avec lesquels même j’ai eu amitié : mais il y a differens degrés de gloire ; et quoique la qualité d’Apôtre ne soit pas un titre peu considérable dans une famille chrétienne, il faut avouer que le martyre du fils est quelque chose de plus rare que l’apostolat du père. Quels seroient là-dessus les sentimens de votre Séneque, qui a pris autrefois tant de plaisir à traiter semblables matières, et qui en a cherché si souvent les occasions ? N’est-il pas vrai que la fiére et orgueilleuse vertu, qu’il a tant louée, et qui se vantoit d’être a son aise dans le taureau de Phalaris, et de pouvoir dire qu’il y fait bon, n’a été que la simple figure de cette vertu si douce et si humble, qui sait mettre en œuvre les paradoxes de l’autre, et ne se vante de rien ? Concluons donc k l’honneur du malade de la reine, ou qu’il y a de l’extase et de la possession en sa maladie, et que l’ame fait ses affaires k part, sans être mêlée dans la matière ; ou qu’il y a de la fermeté et de la vigueur extraordinaire, et que Tame lutte contre le corps, avec tout l’avantage que le plus fort a sur le plus foible.

Aut cœleste aliquid, Cos tarde, astris que propinqum ;
Morbus hic est, superoque trahit de lumine lucem ;
Aut servant immota suum bona vera sereniim,
Statque super proprias virtus itlœsa ruinas.
Post tôt sœcla igitur tandem, gens Stdica regem
Cerne tuum : fasces tenero submittite vati,
Sublimes tragicique Sophi, Zenonia proies ;
Nec pudeat décréta humili postponere socco
Grandia, et ampullas verborum et nomen honesti
Magnificum, ac veras audire in carminé voces.
Scarro œger, Scarro infando dataprcsda dolori,
Non fatum crudele, Jovem non clamât iniquum ;
Iratis parcit superis, sortique malignœ,
Et patitur sœvos invicta mente labores,
Jucundumque effèrt dira inter spicula vultum ;
Nec simulate gerit personam indutus honestam,
Vel mis ta ridet, veluti Alèsent ius, ira :
Sed punim, sine fraude et laxis ridet habenis.
Dicam uterum, neque sat semel est dixissc triumphos,

Qui testa, zngeniosa, czgre de pectore promit,
Qid luditCœcum, Enccladum, vastumque Typhœa,
Terrigenasque alios jfcstivo carminé, fratres ;
Qui sedeat licêt œternum, mirabile dictu !
Perpétuos agitât Pindi per amœna choreas,
Proximus ille polo, fortunaque altior omni,
Scarro meus, mihi namque tuum, Costarde dedisti,
Magnus erit rex ille sui, quem prisca coronet
Porticus y et rigidi vox imperiosa Cleanthœ ;
Ni sœclo invideat nostro rigidusque CUanthes ;
Priscaque dis divûmquepatri, se porticus œquans.


Je ne sai si la bigarrure de ce chapitre vous plaira : pour le moins je ne veux pas que sa longueur vous déplaise. Je vous donne le bon soir, et suis, &c.