Scènes du jeune âge/Préface

Dumont, libraire-éditeur (volume 1p. i-viii).


PRÉFACE.


Mes jeunes lecteurs j’ai passé ma vie à vous étudier et à vous chérir. J’étais mère à seize ans, et ce bonheur a décidé de ma vocation : les soins que réclame le bien-être d’un enfant, ceux qu’exige le développement de son caractère, sont devenus mon occupation favorite. Après avoir médité sur cet important sujet, et consacré le fruit de mes observations à la direction de ma petite famille, j’ai voulu étendre cette observation sur toutes les classes d’enfants ; ceux du pauvre comme ceux riche m’ont paru mériter les leçons de mon expérience ; et j’ai pensé à les amuser en les racontant à eux-mêmes.

Chaque état a ses dangers, ses habitudes, ses vertus. Certainement la probité, l’honneur, sont indispensables dans toutes les conditions ; mais il en est pourtant où la moralité d’un enfant est plus exposée que dans une autre. Un petit commissionnaire, par exemple, doit être d’une fidélité, d’une exactitude à toute épreuve, sinon il perd la confiance de ceux qui lui font gagner sa vie. L’indiscrétion, chez une petite fille du grand monde, où le moindre mot peut avoir de graves conséquences par la nature des intérêts dont elle entend parler, a cent fois moins d’inconvénient que dans la bouche de la fille d’un paysan, dont l’existence est pour ainsi dire à jour, et qui a bien rarement sujet de cacher aucun de ses projets ni aucune de ses actions. La paresse du fils d’un grand seigneur en fait un ennuyeux ; tandis que la paresse du fils de l’ouvrier en fait souvent un criminel : donc l’importance de ce défaut, le plus commun, le plus dangereux de tous, augmente selon la condition du fainéant.

C’est par suite de cette remarque que je me suis appliquée à chercher les moyens d’instruire et d’intéresser les enfants de tous les rangs et de tout âge, depuis le gamin qui va à l’école jusqu’à la jeune fille à marier : car les défauts et les qualités des jeunes personnes fournissent assez d’incidents pour être le sujet de plusieurs nouvelles.

Enfin c’est un ouvrage de mœurs enfantines que j’offre à mes gentils lecteurs. Si ces Scènes du jeune âge sont bien accueillies d’eux, je poursuivrai le cours de mes études en ce genre. Je dirai leurs aventures, leurs chagrins, que l’âge mûr dédaigne, et qui ne sont pas moins cruels pour n’avoir point de causes graves. Je ne les ennuierai pas de longs discours de morale. Je leur montrerai simplement le profit qu’on trouve à être bon, noble et courageux dans toutes les conditions de la vie. Et peut-être me sauront-ils gré un jour de leur avoir appris, en jouant, cette grande vérité : Il n’y aurait pas de mérite à être le meilleur possible, qu’il faudrait encore être bon par intérêt.

S. G.