Scènes du jeune âge/Mouchardinet

Dumont, libraire-éditeur (volume 2p. 71-116).


MOUCHARDINET.




Et puis nous y pouvons apprendre
Que tel est pris qui croyait prendre.

Lafontaine, le Rat et l’Huître.

(Fable.)





MOUCHARDINET.




Le collége où vous êtes, où vous serez, mes enfants, c’est le monde en herbe, avec tous ses vices, ses défauts, son ironie, ses vertus et sa justice : car, si chaque homme en particulier se laisse diriger ou aveugler trop souvent par son propre intérêt, les hommes réunis sont justes, et savent punir le mal en rendant hommage au bien.

Les jugements de collége, comme tous ceux de la multitude, ont une grande influence sur le reste de la vie ; ils sont presque toujours sanctionnés par le temps. Au collége d’Harcourt, le jeune Boileau passait, en dépit de l’opinion de son père, pour un bon versificateur. Sa tragédie des Trois Géants, dans laquelle le roi Grisatar, autre géant, survenait, et disait pour les apaiser :

      Géants, apaisez-vous
Gardez pour l’ennemi la fureur de vos coups.

Cette tragédie, trouvée fort mauvaise par l’auteur lui même, avait pourtant donné à ses camarades l’idée du talent que Boileau aurait un jour. Tant il est vrai que dans l’enfance on juge bien des facultés d’un élève.

À l’âge de dix ans, Turenne, ayant entendu répéter plusieurs fois que sa constitution était trop faible pour qu’il pût jamais soutenir les travaux de la guerre, se détermina, pour faire tomber cette opinion, à passer une nuit d’hiver sur le rempart de Sedan. Commeil ne fit part de son projet à personne, on le chercha long-temps inutilement. Enfin on le trouva sur l’affût d’un canon, où il s’était endormi. Depuis ce jour, ses jeunes compagnons prédirent qu’il serait un grand capitaine. Et l’on sait s’il a bien réalisé la prédiction.

Le Brun, notre fameux peintre, dès l’âge de trois ans, dessinait des batailles, au charbon, sur les murs de l’atelier de son père ; douze ans, le portrait qu’il fit de son aïeul fut couronné par ses petits camarades ; ils avaient deviné le talent qui nous donnerait un jour les batailles d’Alexandre, et le beau portrait de madame de La Vallière. Ce n’est pas la connaissance des arts qui rend les enfants si habiles à prédire le talent, mais bien la connaissance des caractères. Ils savent qu’il n’y a rien à attendre de l’élève paresseux, menteur ou lâche : c’est pourquoi il faut se faire autant que possible une bonne réputation au collége ; car, si elle est mauvaise, on risque de la garder toute sa vie.

Il y avait dernièrement dans un collége dont nous tairons le nom, pour ne pas faire deviner celui du petit héros de cette aventure, un élève né de parents honnêtes, et doué d’assez d’intelligence pour faire des progrès dans tous les genres d’études. Malheureusement cette intelligence lui servait plus souvent à découvrir ce qui lui était inutile de savoir qu’à apprendre ce qui aurait formé son esprit et son goût.

Entendait-il un maître défendre la lecture d’un livre, c’était celui-là qu’il cherchait à se procurer ; deux amis causaient-ils dans un coin de la classe ou dans la cour, aux heures des récréations, il se glissait sous les tables pour écouter leur conversation, ou passait et repassait tant de fois près d’eux durant leur promenade, qu’il attrapait toujours quelques-uns des mots qu’ils disaient. Sur ce peu de mots il forgerait une histoire, moitié vraie, moitié fausse, selon que ses conjectures tombaient bien ou mal ; puis il allait en divertir le maître de la classe, qui, en retour des avis qu’il lui donnait souvent sur l’un ou sur l’autre, ne lui épargnait pas les exemptions.

Beaucoup de choses sont défendues au collége, et l’on a presque toujours raison de les défendre ; mais de ce nombre sont de petites gourmandises assez innocentes lorsqu’on n’en fait point abus. Ernest Langlois, par exemple, avait un goût très prononcé pour les cervelas de dix sous ; il en faisait provision les jours de sortie, et trouvait toujours moyen de les glisser dans de gros rouleaux de papier, qui faisaient l’effet de cahiers de verbes latins ou français. Son exactitude à prendre toujours sur lui un de ces rouleaux, quand la cloche appelait les élèves au dortoir, avait été remarquée par Hippolyte Vernaud. C’est ainsi que nous nommerons le petit favori du maître de classe.

— Est-ce pour étudier la nuit, pensa-t-il, que Langlois prend son cahier de verbes ? Non, cela est impossible : car il ne verrait pas clair ! et l’on nous éveille avant le jour.

Alors, animé par la curiosité, il attend que ses camarades voisins soient endormis, puis il se glisse à quatre pattes vers le lit d’Ernest ; là, il entend le bruit d’un papier qu’on déplie, et d’un couteau qu’on ouvre, puis deux voix qui chuchottaient tout bas, tout bas.

— Quel petit morceau… Tu m’en as donné un bien plus gros l’autre soir.

— Oui, dit l’autre, mais tu as manqué en crever ; et sans les tasses de thé du proviseur, Dieu sait ce qui serait arrivé.

— Parce que j’avais encore ces chiens de haricots du souper sur l’estomac ; mais aujourd’hui que je n’ai mangé que des pruneaux…

— Eh bien ! prends encore cela, et tais-toi.

— Bon ! n’aie pas peur, le lit du gardien est à l’autre bout du dortoir, et on l’entend ronfler d’ici.

— Ce n’est pas lui qui m’inquiète, c’est Mouchardinet : je crois qu’il m’a vu prendre le cervelas dans ma table ; et, bien qu’il fût joliment déguisé dans un rouleau de verbes, le pestard est capable de s’être douté de la frime et s’il nous entendait, il irait bien vite faire son calin à nos dépens.

— Ah ! si je savais qu’il nous fît encore ce tour-là, je lui donnerais un assortiment de calottes qui lui tiendrait chaud tout l’hiver.

— Belle avance ! si tu l’assommes à moitié, il te fera renvoyer du collége, voilà tout ce que tu y gagneras.


— C’est que je lui en dois déjà pour avoir été dire dimanche dernier que j’avais ri pendant la messe, que je m’étais moqué du vieux sacristain.

— Et moi, donc, crois-tu que je lui pardonne de m’avoir dénoncé comme ayant mis le feu au paquet de pétards qui a brûlé tout un pan de l’habit du nouveau professeur. Je connaissais bien, moi, celui qui avait glissé les pétards dans la poche de l’habit. Je lui avais bien dit que c’était un vilain tour, et qu’il avait tort de le faire ; mais je me suis laissé punir pour lui, plutôt que de le dénoncer. J’aurais eu trop peur qu’on me donnât aussi le nom de Mouchardinet ! comme toute la classe en a baptisé Vernaud.

On devine ce qu’éprouva Hippolyte en écoutant cette conversation, et le violent désir qu’il conçut de se venger de la justice qu’on lui rendait : car il avait bien mérité ce qu’on disait de lui.

— Mouchardinet, pensait-il en regagnant son lit à pas de loup ; ils m’appellent Mouchardinet ! Eh bien ! je me montrerai digne de ce beau nom, et ils paieront cher le plaisir de m’avoir donné ce charmant sobriquet.

Alors, repassant dans sa tête tous ses moyens de vengeance, il redoubla d’astuce et de perfidie. Les cervelas d’Ernest furent saisis, et les coupables qui s’en étaient régalés mis en retenue. Depuis ce temps, la moindre petite faute, la plus légère espièglerie, aussitôt dénoncée, subissait la pénitence requise par l’autorité ; et comme Hippolyte, heureux de faire gronder tous ses camarades, ne voulait point perdre de son crédit auprès du maître, il affectait de travailler avec zèle, et paraissait faire d’au tant plus de progrès qu’il donnait en cachette ses versions et ses thèmes à corriger à son frère ainé, qui était en seconde.

Mais, si prudente que soit la perfidie, elle finit toujours par se trahir. À force de mettre au jour les petites peccadilles des écoliers, qui n’en avaient tiré d’autre vengeance contre Vernaud que de le flétrir du nom de Mouchardinet, ils se réunirent pour chercher un moyen de prouver à leurs supérieurs la bassesse du caractère d’Hippolyte, et de confondre leur ennemi. Ernest, qui eut le premier cette bonne idée, fut choisi à l’unanimité pour mener à bien cette grande affaire. Le plus profond secret étant indispensable, il fit jurer jusqu’au plus petit de la classe de ne rien dire sur ce qu’il saurait, ou sur ce qu’il ne comprendrait pas relativement au complot.

D’abord chaque élève devait lui remettre ce qu’il avait d’argent, et celui qu’il pourrait obtenir de la générosité de sa famille. Cet impôt volontaire devait former une somme considérable dont l’emploi serait confié à Langlois, qui, sortant tous les quinze jours, avait plus qu’un autre la facilité de faire les démarches nécessaires. Malgré la discrétion observée religieusement, il y avait parmi les élèves un air de mystère qui parut suspect à Mouchardinet. Ne voyant plus acheter ni gâteaux, ni fruits, à aucun écolier les jours de promenade, il chercha ce qu’ils pouvaient faire de leur argent, et questionna à ce sujet un des plus jeunes.

— Je n’en sais rien, répondit l’enfant.

— Comment, tu ne sais pas ce que tu as fait de l’argent de ta semaine ? reprit-il ; tu l’as donc perdu ? On te l’a donc volé ?

— Je n’en sais rien, répétait le petit garçon.

Et Mouchardinet s’en allait en branlant la tête, tandis que le gamin lui faisait les cornes. Alors un éclat de rite général avertit Hippolyte de la niche. Il se retourne furieux, et se battrait volontiers pour soulager sa colère ; mais, seul contre tous, il faut qu’il se modère. Le soin de découvrir le mystère qui l’entoure l’aide à prendre patience : il sait déjà que l’argent de tous les écoliers a été mis en réquisition ; il ne doute pas qu’on n’en fasse un coupable usage, et c’est ce qu’il saura bientôt.

La nuit, faisant le guet, le jour, surveillant les groupes qui se forment dans la cour, il a déjà recueilli plusieurs phrases qui révèlent un complot.

— Nous ferons entrer la caisse de nuit, a dit l’un.

— Il est temps de nous venger, a dit un autre.

— J’ai promis cinq francs au portier, avait dit Ernest ; il est dans nos intérêts.

— Qu’est-ce qui donnera le signal ? avait demandé un grand.

— Moi, répondit Ernest ; mais silence, que les maîtres ne se doutent de rien.

— J’aurai une lanterne sourde.

— C’est bon, car le cabinet est bien noir.

— Et quand minuit sonnera…

— Chut ! Mouchardinet nous écoute, dit Langlois assez haut.

Et chacun alla reprendre sa balle pour la lancer sur le mur rebondissant.

Diable ! ceci ; est grave, pensa Mouchardinet ; une caisse qui entrera de nuit dans la maison, une lanterne sourde, un signal… Cela m’a bien l’air d’une sérieuse conspiration. Si tout cet argent, soutiré aux élèves, était employé à l’achat d’un baril de poudre, ou bien à quelque chose de semblable ! Oui, cela ne peut être que pour tramer quelque tour infâme, dont je serai la première victime, qu’ils se réunissent ainsi. Il faut les déjouer.

Et voilà Mouchardinet qui se décide à saisir la prochaine occasion de parler au proviseur : car l’affaire lui paraît trop importante pour être confiée à une autorité subalterne. D’ailleurs, les grâces, l’avancement, les prix, tout cela dépend beaucoup du proviseur. Il peut en acquérir la bienveillance par un éminent service ; c’est un coup de fortune.

Le proviseur du collége, homme d’esprit et de bon sens, reçut la déposition de Mouchardinet d’un air confiant ; puis, feignant d’être vivement alarmé sur ce qui pouvait résulter de ce complot :

— Quelle horreur ! s’écrie-t-il, comploter de nous tuer tous pour se venger de la justice d’un maître, cela ne sera point. Je vais à l’instant même requérir la force armée, pour arrêter les chefs de cette conspiration, et se saisir du corps de délit que vous prétendez être entré cette huit par les soins d’un domestiqué corrompu avec l’argent des rebelles.

Ah ! Monsieur, attendez encore dit Vernaud, effrayé des mesures qu’on allait prendre.

— Comment ? vous voulez que j’attende que la maison saute, que nous soyons tous écrasés sous ses débris, où qu’il soit arrivé un malheur à vous ou au maître de votre classe, pour faire justice d’un pareil délit ! ce serait trop risquer, vraiment ; et l’on m’accuserait à bon droit d’imprudence. Sans doute, vous ne portez une si grande accusation contre vos camarades qu’avec la certitude des faits que vous avancez ; vous êtes placé de manière à savoir mieux que nous leurs sentiments de haine et d’ingratitude envers leurs supérieurs, et nous devons vous en croire. Ainsi donc, il faut que justice se fasse. Asseyez-vous là ; je vais écrire au commandant du poste, et vous guiderez les soldats dans le cabinet noir où la caisse est cachée.

— Moi, Monsieur ? mais que dirons mes camarades.

— Monsieur, reprit le proviseur, d’un ton sévère, quand on fait une action louable, peu importe ce qu’en disent les mauvais sujets ; vous trouverez dans votre conscience de quoi leur répondre : c’est le calomniateur qu’un mot déconcerte, et qui fait bien d’avoir peur.

Ces mots, qui auraient dû le confondre, ranimèrent l’audace de Mouchardinet, et il fit assez bonne contenance pendant le temps que le domestique mit à porter la lettre du proviseur ; mais lorsqu’il vit revenir François accompagné d’un piquet de gardes, il lui prit un tremblement de la tête aux pieds. Sa pâleur fut remarquée par l’officier.

— Est-ce un des coupables ? demandait-il : Le pauvre diable a l’air bien abattu ; je crois qu’on peut lui faire grâce : il ne recommencera plus, j’en réponds.

— Non, c’est le délateur, dit le secrétaire du proviseur, qui écrivait près d’une fenêtre de la chambre.

À ce mots de délateur, un regard de mépris tomba de tous les yeux sur Mouchardinet.

— Allons, point de noms injurieux, dit le proviseur : il faut savoir avant s’ils sont mérités. Marchez, Vernaud ; guidez ces messieurs dans votre dortoir, je vous suis : c’est l’heure de la classe, et nous sommes sûrs de ne rencontrer aucun élève.

En effet, c’était le moment du travail pour tous les écoliers ; mais l’un d’eux venait de voir entrer les gendarmes, et tout était en rumeur. Nous sommes perdus, s’écriaient les camarades de Mouchardinet ; nous sommes vendus.

— Monsieur, disait Ernest au maître de la classe, laissez-moi aller me jeter aux pieds du proviseur, pour obtenir la grâce de tous ces malheureux : car c’est moi seul qui les ai entraînés.

— Et il courait comme un fou vers l’escalier du dortoir, et les grands et les petits camarades le suivaient, en dépit de ce que l’on faisait pour les retenir. Langlois arrive à la porte du dortoir comme le proviseur et la garde venaient d’y entrer ; il se fait jour à travers les soldats pour venir implorer la clémence du proviseur.

— On vous a dit vrai, s’écria-t-il avec l’accent du désespoir ; oui, il existe un complot, dont j’ai eu l’audace de vouloir être le chef ; il a été tramé dans le plus profond mystère ; et, sans la trahison de l’un de nous, il aurait eu un plein succès ce soir même.

— Vous ai-je menti ? dit alors Mouchardinet en s’adressant d’un air présomptueux au proviseur : car l’aveu d’Ernest lui ôtait une grande inquiétude. Il s’était trompé plus d’une fois en supposant le mal, et il jouissait en ce moment du plaisir d’avoir rencontré juste ; la vue du chagrin de ceux qui le méprisaient le comblait de joie. C’était une joie féroce, mais les méchants n’en connaissent pas de douce.

— Relevez-vous, dit le proviseur à Langlois, qui embrassait ses genoux ; je ne puis plus rien dans cette affaire : l’autorité en décidera, laissez-la agir.

— Qu’elle sévisse contre moi, reprenait Ernest avec l’accent du désespoir, je me soumettrai à toute la rigueur de la loi ; mais faites grâce à ces pauvres enfants qui, sans moi, n’auraient jamais eu l’idée d’une chose semblable ; ne réduisez pas à la misère ce malheureux François, qui ne sait pas le crime qu’il a commis en m’aidant à faire entrer la caisse, et qui nourrit sa femme et ses enfants avec ses gages de portier du collége.

— Tout cela est bel et bon, mon petit monsieur, dit l’officier, et nous y répondrons après avoir vu le contenu de cette caisse.

— Méchant ! disaient les plus petits de la classe à Mouchardinet, n’as-tu pas de honte de nous faire traiter ainsi ? Ah ! si l’on allait aussi rapporter à ton père tout le mal que tu fais, il te punirait comme tu le mérites ; mais il n’y a point un autre Mouchardinet parmi nous. Et les petits coquins faisaient semblant de pleurer.

Enfin on arrive à la porte du cabinet noir. Ernest en a la clé : il voudrait bien ne la remettre que sous condition d’amnistie pour tous, un seul excepté, et l’on devine que c’est lui qui veut porter tout le poids du crime et de la punition ; mais les soldats n’attendent point qu’il ait capitulé : un d’eux lui arrache la clé des mains, il ouvre la porte, et dès son premier pas dans le cabinet il heurte son pied contre un grand baquet plein d’eau, le renverse, inonde ses jambes, celles de toute la compagnie ; et, perdant l’équilibre, le soldat tombe le nez sur une caisse que l’obscurité du cabinet l’a empêché de voir.

— Peste soit des gamins ! dit-il en jurant, et en cherchant à se dégager des cerceaux du vieux baquet, qui ont abandonné leur poste. En tout cas, s’ils ont rempli cette caisse d’artifice, voilà de quoi noyer la poudre. Qu’est-ce que c’est que ces légumes-là ? ajouta-t-il en ramassant les paquets de giroflée et de réséda dont ses pieds étaient couverts.

— Laisse ces fleurs, et prends la caisse, dit l’officier : ces messieurs nous diront ensuite à quoi tout cela devait servir.

Alors deux soldats rangent le baquet, et bravent l’eau qui se répand de tous côtés, pour aller chercher la caisse. Elle leur paraît lourde ; ils la déposent sur une table au milieu du dortoir ; et le portier complice est chargé du marteau qui doit en faire céder les planches : car elle n’a point de serrure et n’est fermée que par de gros clous.

Ce moment est dramatique ; les coups de marteau retentissent dans le silence : car maîtres, élèves, délateur, coupables, simples témoins, tout le monde est ému. La première planche est soulevée : on aperçoit des morceaux de papier gris dont on entoure ordinairement les fusées.

— Prenez garde à vous, brave homme, dit le maître, dont l’habit porte encore la trace de l’explosion d’une douzaine de pétards ; prenez garde, ils sont capables d’avoir mis là-dedans des bombes qui partiraient dans vos mains ! Je connais ce qu’ils savent faire en ce genre ; prenez garde, vous dis-je.

Des rires étouffés répondirent à cette recommandation prudente.

Sur la planche qu’on venait de briser se trouvait l’adresse du père d’Ernest. On la remit au proviseur.

— Vous le voyez, dit Langlois, c’est moi qui ai tout conduit. Arrêtez, arrêtez, crie-t-il au portier.

Alors chacun recule d’effroi, et croit déjà entendre la détonation qu’il redoute.

— C’est au dénonciateur qu’appartient l’honneur de tout découvrir ; laissez-le fouiller la caisse.

— Oui, oui, s’écrient tous les élèves, à Mouchardinet l’honneur de découvrir la mèche.

Mais ce mot de mèche fait frémir Hippolyte ; il va se cacher derrière le proviseur.

— Ah ! vous n’êtes pas plus courageux que cela, dit le sergent : en ce cas vous ferez bien de ne pas porter d’épaulettes. Tenez, moi j’ai plus de confiance ; ces gaillards-là ne m’ont pas l’air si méchants qu’ils voudraient bien le faire croire. Allons, morbleu, je me risque !

Et voilà le soldat qui fouille la caisse, dont le portier a détaché tout le dessus.

— Mille tonnerres ! s’écrie le soldat, il n’y a pas d’artifice là-dedans. C’est bien de ce qu’il y a de plus vrai dans ce monde : voyez, ça reluit comme un soleil.

En disant ces mots, il tirait de la caisse un beau vase d’argent ciselé par notre meilleur orfèvre. D’un côte on voyait deux lettres gothiques ; de l’autre, on lisait cette inscription : Offert à notre bon proviseur par ses élèves.

— C’est fort bien, cela, dit le soldat aux jambes mouillées ; mais il n’était pas nécessaire de faire garder cette caisse par un baquet plein d’eau.

— Et nos bouquets donc, s’écrièrent les élèves, ne fallait-il pas les tenir au frais jusqu’à ce soir ? n’est-ce donc pas demain la Saint-François ?

Alors, petits et grands, tous passèrent sur les pieds des maîtres, des soldats, pour aller chercher une fleur échappée du baquet, et pour la porter au bon proviseur, qui pleurait comme un enfant, en recevant un si doux témoignage de l’amitié de ses élèves.

— Parlez-moi de ces sortes de complots, dit le sergent, et des émeutes qui s’ensuivent ; cela ne fait pas peur au gouvernement.

— Et cela venge des Mouchardinet, dit Langlois. Puis, se tournant vers le proviseur : Pardonnez-nous, ajouta-t-il, de vous avoir trompé ainsi ; mais il fallait bien nous donner un air coupable pour éprouver la manie du pestard, et lui faire la leçon. Celle-ci est bonne, n’est-ce pas ?

— J’espère qu’il en profitera, dit le proviseur en regardant Mouchardinet, et qu’il sentira ce qu’il y a d’infamie attachée au nom de délateur. Vous qui le savez, mes amis, gardez-lui le secret de cette mauvaise action, car vous connaîtrez un jour l’importance des réputations de collége.

— Allons, point de rancune, dit Langlois, en tendant la main à Hippolyte ; ce que tu souffres depuis une heure suffit bien pour commencer ta conversion, et si tu veux devenir bon garçon, notre amitié fera le reste.

— Congé pour aujourd’hui, dit le proviseur ; et ce soir à goûter chez moi, tous…, excepté…

En ce moment des sanglots se firent entendre.

— Point d’exception, grâce, point d’exception ! crièrent une foule de voix.

— Regardez comme il pleure, dit Ernest en montrant Hippolyte, qui suffoquait. Ah ! je réponds de lui maintenant. Il a senti la honte, il voit notre bonheur : comment ne choisirait-il pas ce qui rend le plus heureux !

— Vous le voulez, mes enfants, je ne puis rien vous refuser ce jour-ci, répondit le proviseur.

Et Vernaud reçût son pardon de chacun, excepté de lui-même.

Depuis ce jour, Vernaud n’a plus dénoncé personne : car, si la justice punit, c’est l’indulgence et la générosité qui corrigent.