Scènes de la vie privée et publique des animaux/01

J. Hetzel et Paulin (1p. préamb-iv).

SCÈNES

de la vie
PRIVÉE ET PUBLIQUE

DES ANIMAUX.

VIGNETTES

PAR GRANDVILLE,





ÉTUDES DE MŒURS CONTEMPORAINES
PUBLIÉES
SOUS LA DIRECTION DE M. P.-J. STAHL
avec la collaboration
de messieurs
De Balzac. — L. Baude. — E de la Bedolierre. — P. Bernard. — J. Janin — Ed. Lemoine — Ch. Nodier. — George Sand.



PARIS,

J. HETZEL ET PAULIN, ÉDITEURS,

RUE DE SEINE — SAINT-GERMAIN, 55

1842


Notre pensée, en publiant ce livre, a été d’ajouter la parole aux merveilleux Animaux de Grandville, et d’associer notre plume à son crayon, pour l’aider à critiquer les travers de notre époque, et, de préférence parmi ces travers, ceux qui sont de tous les temps et de tous les pays.

Nous avons cru que, sous le couvert des Animaux, cette critique à double sens, où l’Homme se trouve joint à l’Animal, sans perdre de sa justesse, de sa clarté et de son à-propos, perdrait tout au moins de cette âpreté et de ce fiel qui font de la plume du critique une arme si dangereuse et parfois si injuste dans les mains du mieux intentionné. Dieu nous garde d’avoir pu blesser qui que ce soit ; nous avons choisi cette forme plutôt que toute autre parce qu’elle nous permettait d’être franc sans être brutal, et de n’avoir affaire aux personnes ni aux faits directement, mais bien aux caractères seulement et aux types, si l’on veut bien nous permettre ce mot si fort en faveur de nos jours.

Notre critique a pu devenir ainsi plus générale, et, nous l’espérons, plus digne et moins blessante.

Nous nous applaudissons ici de n’avoir point cédé aux encouragements que quelques personnes bienveillantes avaient pu nous donner. Nous avons cru bien faire, et nous avons bien fait, de partager notre tâche, et d’en confier la partie la plus lourde et la plus difficile aux écrivains éminents qui ont bien voulu donner à ce livre l’appui de leurs noms et de leur talent.

S’il est vrai que l’ensemble ait pu perdre quelque chose à cette diversité de mains et de genres, nous sommes certain que les parties y ont gagné de quoi faire oublier ce tort fait à l’ensemble, tort bien léger, s’il existe.

Nous saisissons cette occasion de remercier nos obligeants collaborateurs d’avoir bien voulu venir en aide à notre début. Nous savons qu’en s’associant à notre idée, ils ont trouvé le moyen de se l’approprier, chacun à sa façon, et de la relever de toute la grandeur de leur talent : nous sommes heureux ici de le reconnaître.

Nous ne nous donnons certes pas pour avoir inventé de faire parler les Bêtes, mais nous croyons pourtant nous être écarté en un point de la route dans laquelle avait marché ceux qui, avant nous, ont écrit sur les Bêtes ou à propos des Bêtes en vue de l’Homme.

Jusqu’à présent, en effet, dans la fable, dans l’apologue, dans la comédie, l’Homme avait été toujours l’historien et le raconteur. Il s’était toujours chargé de se faire à lui-même la leçon, et ne s’était point effacé complètement sous l’Animal dont il empruntait le personnage. Il était toujours le principal, et la Bête l’accessoire et comme la doublure ; c’était l’homme enfin qui s’occupait de l’Animal ; ici c’est l’Animal qui s’inquiète de l’Homme, qui le juge en se jugeant lui-même. Le point de vue, comme on voit, est changé. Nous avons différé enfin en ceci, que l’Homme ne prend jamais la parole de lui-même, qu’il la reçoit au contraire de l’Animal devenu à son tour le juge, l’historien, le chroniqueur, et, si l’on veut, le chef d’emploi.

Nous ne prétendons pas dire que notre découverte soit une grande découverte, ni même une bonne découverte ; nous voulons seulement montrer en quoi nous avons différé.

Peut-être reconnaîtra-t-on que c’est à cette innovation, si frivole qu’elle paraisse, que nous avons dû de pouvoir marcher avec quelque nouveauté et quelque succès dans une voie qui pouvait paraître close jusqu’à un certain point.

Nous remercions le public de l’accueil que ce livre a reçu. Toute part faite, nous pensons qu’un succès aussi grand que celui qu’il a obtenu ne saurait être un succès illégitime, et nous croyons fermement que si nous avons été encouragés, c’est qu’on a vu qu’en nous le talent, sans doute, pouvait faillir, mais non les bonnes intentions et les bons sentiments.

Terminons en disant que ce livre, quel qu’il soit, n’était possible qu’avec la collaboration de M. Grandville, puisque ce grand artiste n’a eu, que nous sachions, ni modèles ni imitateurs. Disons encore que ce livre, n’eût-il eu qu’un but, celui d’offrir à ce crayon original un cadre dans lequel il pût enfin se donner une libre carrière, ce but eût suffi pour justifier son succès.

P.-J. Stahl