Savonarole et le radicalisme mystique

Revue des Deux Mondes2e série de la nouv. période, tome 6 (p. 815-831).

SAVONAROLE


ET


LE RADICALISME MYSTIQUE





Jérôme Savonarole, sa Vie, ses Prédications, ses Ecrits, d’après les documens originaux, par M. F.-T. Perrens ; Paris 1853, Hachette, 2 vol. In-8°.





Il y a dans l’histoire, quelques hommes dont la destinée posthume est d’échapper sans cesse à ce jugement définitif que la postérité ne manque jamais déporter tôt ou tard sur ceux qui ont laissé de leur passage dans ce monde une trace éclatante. Jérôme Savonarole est de ce nombre. Réformateur zélé des abus qui de son temps compromettaient la dignité du clergé, il est regardé par les uns comme le précurseur de Luther ; fondateur d’une république éphémère, il est resté pour les autres l’un des plus hardis représentans de la démocratie italienne. Pour ses contemporains de Florence, c’est un prophète ; pour quelques historiens modernes, c’est un fou. Quoi qu’il en soit, un intérêt douloureux s’attache à sa mémoire, parce que sa vie enthousiaste et agitée s’est terminée sur un bûcher au milieu de ce même peuple de Florence qu’il avait gouverné longtemps avec une autorité souveraine ; mais enfin, sur ce bûcher qui le dévore, est-ce l’imposteur qui meurt, est-ce l’illuminé ou le martyr d’une grande et généreuse pensée ? Il va là un curieux problème historique ; aussi les biographes n’ont-ils pas manqué à Savonarole. Pic de la Mirandole, Pacifico Burlamachi, ont écrit sa vie sous l’impression même des souvenirs contemporains. Au XVIIIe siècle, il fut vivement attaqué par Modeste Rastrelli et défendu avec non moins de vivacité par Vincente Barsanti, moine du couvent de Saint-Marc de Florence. En 1835, un Allemand, M. Rudelbach, lui a consacré une curieuse étude. L’Archivio storico Italiano a publié récemment sur ses écrits et sa personne une foule de documens intéressans. M. Rubieri l’a mis en scène dans le drame intitulé Francesco Valori, et un poème de Lenau sur Savonarole a obtenu en 1844 un grand succès au-delà du Rhin. Enfin M. l’abbé Carle a fait du moine florentin le sujet d’une compilation mystique et radicale, dans laquelle il a mêlé aux théories du moyen âge sur l’illuminisme les théories humanitaires du romantisme moderne.

Toutefois, par leur abondance même et leurs contradictions[1], ces divers travaux laissaient place encore à de nouvelles recherches, et M. Perrens vient de publier deux volumes dans lesquels il a étudié, en remontant aux sources mêmes, toutes les questions qui se rattachent à la biographie du célèbre prédicateur florentin, à l’influence qu’il a exercée sur son temps.

Le livre de M. Perrens s’ouvre par un tableau du XVe siècle ; c’est un morceau savant, mais nous regrettons qu’au lieu de présenter, comme introduction à la vie de Savonarole, le résumé synthétique de l’histoire de son époque, l’auteur n’ait point particularisé davantage son sujet, en lui donnant comme prolégomènes une rapide appréciation des divers personnages qui ont joué un rôle à peu près semblable. Placé de la sorte au milieu de ses précurseurs, le moine de Florence aurait résumé d’une manière frappante cette double tradition mystique et révolutionnaire qui se développe parallèlement à la tradition catholique, et dont les représentans font intervenir l’illuminisme dans la politique en même temps qu’ils s’annoncent comme les réformateurs des mœurs, et qu’ils engagent même quelquefois contre le saint-siège et le clergé une lutte à outrance.

Savonarole n’est point une exception, quoiqu’il ait poussé parfois l’excentricité à ses dernières limites. En se donnant pour un prophète, pour un révélateur des destinées futures du monde, il se rattache à l’abbé Joachim, à sainte Hildegarde, à sainte Brigitte, à sainte Catherine de Sienne. Fondatrice et abbesse du monastère de Saint-Rupert, près de Bingen, sur le Rhin, sainte Hildegarde, on le sait, entretint avec les archevêques de Mayence, de Trèves et de Cologne une correspondance active, dans laquelle elle fit de nombreuses prédictions sur les calamités qui devaient arriver dans le monde pour punir les hommes de leurs crimes. Elle eut aussi des visions prophétiques qui furent examinées et approuvées par le concile de Trèves en 1147, et dont le texte, fréquemment reproduit, acquit au moyen âge une grande autorité. Elle avait, entre autres, prédit la fondation de l’ordre des livres prêcheurs, la grandeur et la décadence de cet ordre, et l’abbé Fleury, dans son Histoire ecclésiastique[2], dit que les événemens, en ce qui touche les frères prêcheurs, ont complètement justifié ses prophéties. Comme sainte Hildegarde, sainte Brigitte fut emportée par l’extase sur les derniers degrés de l’échelle mystique. Née du sang royal de Suède, elle fonda l’ordre du Saint-Sauveur, qui fut approuvé en 1370 par le pape Urbain V, et, après avoir visité successivement Rome et Jérusalem, elle mourut en Italie, le 23 juillet 1373, en laissant un recueil de révélations qui, vivement attaquées par Gerson, mais approuvées par le cardinal Turreremata[3], furent traduites dans toutes les langues de l’Europe, et lui valurent d’être canonisée par Boniface IX, quoiqu’elle ait souvent attaqué la cour de Rome avec une violence qui faisait déjà pressentir les emportemens de Luther. Sainte Catherine de Sienne, est de la même famille, mais son rôle dans les affaires de son temps fut beaucoup plus direct et plus pratique. Elle entendait comme Jeanne d’Arc des voix célestes qui lui révélaient les mystères les plus profonds de la politique ; en s’appuyant sur l’autorité de ses visions, elle dirigea un moment, et toujours avec une grande sagesse, le pape Urbain VI au milieu des premiers embarras que fit naître pour le saint-siège le grand schisme d’Occident.

En s’annoncent comme un révélateur après Catherine, Hildegarde et Brigitte, Savonarole ne faisait que rentrer dans une voie depuis longtemps ouverte, et reprendre un rôle que d’autres avaient avant lui rempli avec éclat. Le savant travail de M. Perrens, par l’abondance des documens et le détail des faits, permet de préciser nettement la nature de ce rôle, l’un des plus bizarres de l’histoire.

Jérôme Savonarole naquit à Ferrare, le 21 septembre 1452, d’une famille qui existe encore aujourd’hui. Destiné d’abord à la médecine, il se livrait à l’étude de cette science tout en s’appliquant à la lecture d’Aristote et de saint Thomas, lorsqu’un jour, en se promenant à Faenza, il entra dans une église où prêchait un moine augustin. Quelques paroles du prédicateur le frappèrent vivement ; il crut entendre la voix même de Dieu qui le conviait à se faire moine, et dès ce moment il résolut de chercher dans le cloître un repos qu’il ne devait jamais y trouver. Le 23 avril 1475, il quitta furtivement sa famille, en laissant sur sa table de travail un traité du mépris du monde et une lettre par laquelle il expliquait à son père les motifs de sa résolution. Empreinte d’une foi ardente et d’une sombre colère contre la perversité du siècle, tendre, éloquente et triviale tout à la fois, cette lettre fait déjà pressentir le mystique exalté qui ne peut supporter la grande méchanceté de certains peuples d’Italie - et le moine enthousiaste qui « craint de voir le diable lui sauter sur les épaules, et qui refuserait de retourner dans le siècle lors même qu’il pourrait y devenir plus grand que César-Auguste. » Frère Jérôme, en quittant la maison paternelle, s’était retiré à Bologne, dans un couvent de l’ordre de saint Dominique. Il y remplit pendant un an les fonctions de tailleur et de jardinier, et prit l’habit en 1476. Ces premières années de sa vie claustrale ne sont marquées par aucun incident notable. Comme tous les autres moines, il étudie Aristote, saint Thomas, l’Écriture sainte ; il instruit les novices, il parcourt les villes et les campagnes pour prêcher et pour confesser, sans que rien le fasse encore distinguer, et il attend Jusqu’à l’âge de trente-quatre ans, c’est-à-dire jusqu’à l’année 1486, avant de commencer sa mission prophétique.

C’est un dogme inviolable du christianisme que la vie de l’homme, ce douloureux combat sur la terre, est tout à la fois une épreuve et une expiation. Or ce qui est vrai pour l’individu l’est également pour l’espèce, et c’est en se plaçant à ce point de vue supérieur que tous les orateurs sacrés, tous les grands écrivains de l’église, ont montré aux peuples, dans les calamités qui les affligent, la main de Dieu qui frappe et qui châtie. Au XVe siècle, cette pensée éclate avec une force nouvelle ; des voix puissantes s’élèvent de tous les points de la chrétienté pour demander la réforme des mœurs et de la discipline ecclésiastique. Au début munir de ce siècle orageux, l’Espagnol Vincent Ferrier se dévoua à des missions sans repos pour appeler les chrétiens à la pénitence, et cet éloquent apôtre exerça un tel ascendant, que le roi musulman de Grenade lui envoya, en 1408, des députés pour le prier de venir prêcher dans ses états. En 1429, le carme Thomas Connecte succède à Vincent Ferrier, et après avoir enivré la France d’un mysticisme ardent, il va mourir à Rome en 1434, sur les bûchers de l’inquisition, comme pour apprendre à ceux qui l’imiteront bientôt qu’en religion aussi bien qu’en politique, l’agitation révolutionnaire épargne rarement ceux qui l’ont provoquée. Tous ces hardis prêcheurs montrent toujours, à côté des peines éternelles, la main de Dieu prête à s’appesantir dès cette vie sur les peuples qui méconnaissent sa loi. Ils parlent de fléaux vengeurs, mais ils laissent pour ainsi dire la menace suspendue sans préciser quelle sera la vengeance. Savonarole au contraire, suivant la juste remarque de M. Perrens, se sépare de ses devanciers en indiquant d’une manière formelle ce que devait être la punition divine, en fixant l’heure du châtiment. Le réformateur s’appuie sur le prophète, et ce fut là pour lui le péril de la situation.

Savonarole commença officiellement ses prophéties à Brescia en 1486. Il annonça que bientôt cette ville serait ravagée, comme elle le fut en effet quatorze ans plus tard. Il s’emporta en invectives menaçantes contre la perversité du siècle, et ses auditeurs épouvantés et convaincus s’humilièrent devant lui comme devant l’envoyé de Dieu. On racontait que, pendant la nuit de Noël, un disque lumineux avait entouré sa tête, et que lors du voyage qu’il fit à pied en se rendant de Gênes à Florence, un ange était descendu du ciel pour lui servir de guide et faire apprêter son dîner dans les auberges. Ainsi, dès les premiers pas, il était entré de plain-pied dans le domaine du merveilleux. En 1490, il obtint l’autorisation de prêcher à Saint-Marc de Florence, et pendant toute une année il annonça aux Florentins, en prenant l’explication de l’Apocalypse pour texte de ses sermons, que la rénovation de l’église devait avoir lieu prochainement, et qu’avant cette rénovation Dieu frapperait l’Italie d’un grand désastre. La réputation de prophète qu’il s’était faite à Brescia ne farda point à l’environner à Florence ; mais comme il rencontrait encore autour de lui quelques incrédules, il insista plus vivement sur le côté surnaturel de sa mission, se déclara le porte-voix de Dieu, et envoya en enfer ceux qui refusaient d’ajouter foi à ses paroles ; puis, s’attachant aux faits qui se passaient sous ses yeux, il annonça la mort d’Innocent VIII, celle de Laurent le Magnifique, une révolution dans Florence, et l’invasion du roi de France en Italie. Or le pape était vieux et souffrant ; Laurent le Magnifique languissait d’un mal incurable ; les Médicis, divisés, sans argent et odieux aux Florentins, voyaient depuis longtemps déjà chanceler leur pouvoir ; Charles VIII faisait au grand jour les préparatifs de son expédition, et en donnant pour des prophéties des prévisions dont quelques-unes ne tardèrent point à se réaliser, Savonarole acquit sur ses compatriotes un irrésistible ascendant. Laurent de Médicis, effrayé de cette popularité, fit venir pour la combattre un prédicateur en renom, fra Mariano. Celui-ci soutint en chaire que Savonarole n’était point, comme il le disait, inspiré de Dieu, et pour le prouver il développa cette phrase des Actes des Apôtres : Non est vestrum nosse tempora vel momevta quae pater posuit ni sua potestate (il ne vous appartient pas de connaître le temps ni les heures dont Dieu dispose dans sa toute-puissance). Savonarole répondit en s’appuyant du même texte : l’honneur de la dispute lui resta tout entier, et à la suite de ce tournoi théologique les deux champions allèrent ensemble chanter la messe au couvent des Auguatins. Le pape Innocent VIII et Laurent de Médicis moururent dans la même année, et dès lors les plus incrédules ne doutèrent pas que Dieu n’eût soulevé pour frère Jérôme les voiles de l’avenir.

Une fois accepté comme prophète. Savonarole marche et ne s’arrête plus. Il a prédit à l’Italie des jours d’épreuves et de malheurs ; il va maintenant lui montrer les voies qu’elle doit suivre pour prévenir le châtiment. Elle s’est perdue par le luxe, par le désordre des mœurs, par la musique, par les arts ; elle doit se racheter par l’austérité, et c’est au clergé qu’il appartient de montrer l’exemple. Savonarole commence donc son œuvre de réparation par le couvent de Saint-Marc, dont il est le prieur. Il fait vendre les biens de la communauté ; il veut que les frères vivent de leur travail, qu’ils étudient le turc, le grec, le mauresque et le chaldéen, afin de pouvoir, conformément à l’esprit de leur ordre, annoncer l’Évangile par toute la terre. Il veut surtout qu’ils obéissent « comme l’âne qui se laisse mener à droite et à gauche, et qui reçoit des coups de bâton sans se plaindre. » Chaque jour, après le dîner, il les conduit dans les jardins de Saint-Marc, et là il leur fait chanter des psaumes ou danser des rondes, tantôt autour d’un enfant qui représente l’enfant Jésus, tantôt autour d’un novice qui représente la Vierge, et qu’ils appellent maman. Ces excentricités obtinrent le plus grand succès, et bientôt le couvent de Saint-Marc compta parmi ses moines les enfans des plus grandes familles.

Dans tout cela, il n’y avait de sérieux que l’intention, et le résultat fut non pas une réforme, mais un schisme dans l’ordre de saint Dominique. Le provincial de cet ordre prit l’alarme et voulut, mais en vain, ramener Savonarole à l’obéissance que celui-ci prêchait à ses moines. Alexandre VI à son tour essaya de lui imposer silence en lui offrant l’archevêché de Florence et le chapeau de cardinal ; frère Jérôme répondit qu’il ne voulait d’autre chapeau que celui du martyre, rougi de son propre sang, et il continua comme par le passé à déclamer contre Rome, et à prophétiser.

Rien de plus étrange que les sermons dans lesquels Savonarole annonce à l’Italie les maux qui la châtieront bientôt. Il représente les princes qui doivent l’envahir comme des barbiers armés de grands rasoirs, les désastres qui vont fondre sur elle comme une salade de bourrache amère à la bouche, la réforme des mœurs comme un moulin qui produit la farine de la sagesse. Il suit pas à pas les textes de l’Écriture pour y trouver des rapprochemens avec les hommes et les événemens de son époque. Il déclame contre la logique, la philosophie, les faux prophètes, et se laisse emporter au hasard par une imagination vagabonde et sans frein. En lisant aujourd’hui, à la distance de près de quatre siècles, ces harangues où la pensée indécise et vague reste toujours voilée sous les subtilités théologiques, où les aspirations du mysticisme se mêlent aux invectives les plus violentes contre la décadence du clergé, on se demande comment elles ont pu exercer une si grande puissance ; mais il faut toujours se rappeler qu’on est à Florence, c’est-à-dire dans la ville la plus impressionnable, et, qu’on nous pardonne le mot, la plus nerveuse de l’Italie, dans une ville féconde, pour parler comme Montaigne, « en toute sorte de magnificences et inventions voluptueuses de mollesse et de somptuosités » Habitués avant tout à vivre par l’imagination, les Florentins accueillirent avec une faveur extrême et comme un divertissement inattendu, il faut bien le dire, les sermens de ce moine qui, du haut de la chaire, venait chaque jour leur parler non plus seulement, comme les autres prédicateurs, de leurs devoirs de chrétiens, du salut et de la damnation, mais aussi de leurs affaires politiques, de leurs espérances ou de leurs craintes. Savonarole était à lui seul comme la gazette vivante de la cité, et si vagues qu’aient été ses théories, il fut amené bientôt, par la force des événemens et le caractère même des hommes auxquels il s’adressait, sur le terrain des affaires et de la réalité pratique.

En 1494, Charles VIII entra en Italie pour reconquérir le royaume de Naples qui avait appartenu à la maison d’Anjou, dont il réclamait l’héritage. Il envoya une ambassade aux Florentins pour leur rappeler l’antique amitié qui les unissait à la France, et leur demander en même temps pour son armée le passage dans leur ville. Pierre de Médicis répondit avec hauteur et d’une manière évasive. Charles VIII alors se mit en mesure de traverser la Toscane comme un pays ennemi. Les Florentins s’indignèrent contre le Médicis, parce qu’ils étaient partisans de l’alliance française, et que de plus ils craignaient de voir s’abattre sur leur ville, avec une armée étrangère, les maux dont Savonarole les avait menacés. Une révolte fut sur le point d’éclater, mais frère Jérôme calma les esprits en prêchant la pénitence, et bientôt une ambassade, à la tête de laquelle fut placé Pierre de Médicis, se rendit auprès de Charles VIII. Après avoir d’abord repoussé les avances de ; ce prince, le Médicis lui fit les plus larges concessions : il s’engagea à lui faire prêter par ses concitoyens deux cent nulle ducats, et concéda à l’armée française le droit d’occuper les forteresses de Pietra-Santa, de Sarzana, de Sarzanella, ainsi que Pise et Livourne, jusqu’au moment où Charles VIII aurait achevé la conquête du royaume de Naples. La nouvelle de cette convention, qui restait pourtant dans les limites des traités conclus entre deux puissances amies, excita au plus haut degré la colère des Florentins, et les mêmes hommes qui tout à l’heure avaient failli se soulever contre leur prince, parce qu’ils le croyaient hostile aux Français, se révoltèrent contre lui et le chassèrent, parce qu’il venait de traiter avec le roi de France.

Par une exception fort rare dans l’histoire d’Italie, cette révolution s’accomplit sans violence, et les Florentins étonnés se demandaient si les fléaux vengeurs qui leur avaient été annoncés se borneraient à ce changement politique. Savonarole monta en chaire pour défendre sa prophétie, en disant que si le sang n’avait point coulé à flots, c’est que Dieu s’était apaisé, « qu’il avait donné à Florence une première salade, mais qu’il l’avait assaisonnée de raisiné, » que du reste Charles VIII se chargerait bientôt du châtiment. Une terreur profonde se répandit dans la ville. On résolut d’envoyer une ambassade au roi de France, Savonarole en fit partie, et il fut amené, par la force de la situation, à supplier le prince qu’il ne cessait de représenter comme le ministre de la vengeance céleste de se montrer clément et miséricordieux. Sa prière fut favorablement accueillie, et Charles VIII, ayant fait son entrée solennelle à Florence le 17 novembre 1494, demanda que Pierre de Médicis fût rétabli avec tous ses privilèges, et que la suzeraineté de la ville lui fût donnée à lui-même. Les magistrats florentins repoussèrent ces prétentions. Après de vifs débats, on finit cependant par s’entendre ; mais comme on était impatient de voir partir les Français, on dépêcha une seconde, fois Savonarole vers Charles VIII, et ce prince, sur les instances de frère Jérôme, quitta la ville le 28 du même mois. Ainsi, dès le début même de sa vie politique, Savonarole se trouve arraché tout à coup à son premier rôle et jeté dans la contradiction la plus flagrante. Prophète, il annonce comme une chose infaillible que Charles VIII est ce fléau vengeur, ce rasoir dont il a parlé si souvent et qui doit régénérer l’Italie ; mais ambassadeur de Florence, il supplie ce prince de traiter en amie cette ville que Dieu même l’avait chargé de punir, et par cette démarche, très louable du reste, il en vient à protester contre ses propres prédictions.

Affranchis de la domination des Médicis et débarrassés de l’armée française, les Florentins songèrent à constituer un gouvernement nouveau. Ils s’adressèrent à Savonarole, pour lui demander ses conseils ; Savonarole répondit : 1° qu’il fallait sans retard rouvrir les boutiques fermées depuis les dernières agitations, ranimer le commerce et donner du travail aux ouvriers ; 2° faire des quêtes pour les malheureux, et, s’il en était besoin, convertir en monnaie l’or et l’argent des églises ; 3° alléger les impôts, surtout en faveur des classes pauvres ; 4° rendre à tous bonne justice ; 5° prier Dieu avec ferveur.

Ce programme laissait subsister toutes les difficultés, et, comme la plupart des programmes révolutionnaires, il était dominé par la situation du commerce, du travail et des finances. Il ne remédiait à rien, mais il n’en eut pas moins pour Savonarole, un résultat important ; il le rendit cher à la foule, parce qu’il semblait lui promettre quelque soulagement, et suspect au clergé, parce qu’il menaçait les biens de l’église. Il fallait cependant constituer un gouvernement, et comme les partis ne s’accordaient pas, on eut encore recours aux conseils du frère. Celui-ci pensait, comme tous les théologiens du moyen âge, que le gouvernement des états doit être réglé d’après le gouvernement de la Providence ; que de même qu’il n’y a qu’un seul Dieu, chaque peuple ne doit avoir qu’un seul maître, et que ce maître, image de la Divinité, doit réunir en lui toutes les perfections. Mais comment trouver dans Florence un citoyen parfait digne de remplir un si grand rôle ? Sûr d’avance que ce type accompli du pouvoir suprême ne se rencontrerait pas, Savonarole, par une évolution singulière ; se rejeta sur la théorie des majorités ; il proposa de réunir les seize compagnies, c’est-à-dire les principaux habitans des seize quartiers de Florence, sous leurs gonfaloniers. Chaque compagnie, dit-il, indiquera le système de gouvernement qui lui paraîtra le plus convenable, ou aura de la sorte seize systèmes différens. Les gonfaloniers, après les avoir examinés, choisiront à leur tour les quatre qui leur sembleront les meilleurs. Ils les soumettront ensuite à la seigneurie, et celle-ci, après avoir entendu la messe, adoptera définitivement, parmi ces quatre projets, celui qu’elle aura jugé le plus favorable au bien du pays. Après de longues discussions, il fut enfin décidé, et toujours d’après les conseils de Savonarole, que la seigneurie serait maintenue, et qu’on établirait à côté d’elle un conseil général, comme à Venise.

Par une de ces illusions singulières que produisent quelquefois les loinlaines perspectives de l’histoire, quelques écrivains ont regarde ce gouvernement comme un gouvernement démocratique, et ils ont même accusé frère Jérôme de démagogie. C’est là une grave erreur, car ce gouvernement prétendu populaire n’était en réalité qu’une véritable oligarchie. Il n’admettait à la participation des affaires publiques que ceux qui avaient eu parmi les seigneurs, les gonfaloniers des compagnies ou les douze buonomini, leur père, leur aïeul ou leur bisaïeul, et qui avaient acquis par là le titre de citoyens. Or ce titre de citoyens appartenait à trois mille deux cents personnes sur quatre cent mille, et Savonarole lui-même avait soin de dire que non-seulement la populace n’était point admise dans sa constitution, mais que les nobles en formaient la partie la plus nombreuse.

Un pareil gouvernement ne reposait en réalité sur aucun principe durable : il n’avait pour lui ni l’autorité de la tradition, ni l’autorité souveraine des majorités populaires, et tout était remis au hasard, car on tirait au sort les premiers magistrats. Aussi Savonarole sentit bientôt la nécessité d’en étayer la faiblesse, et au-dessus de la seigneurie, au-dessus de ce grand conseil qu’il venait de constituer et qui formait pour Florence ce que de nos jours on eût appelé le pays légal, il eut l’idée d’établir un maître tout-puissant, irresponsable, éternel et invisible. Prenant pour programme ces mots du psalmiste : ego autem constitutus sum rex, il demanda aux Florentins s’ils voulaient proclamer Jésus-Christ roi de leur république, et les Florentins répondirent : Vive notre roi Jésus ! Frère Jérôme, dans sa mystique utopie, organisa la hiérarchie des pouvoirs sur le plan de la Jérusalem céleste. Il déclara que les membres de la Seigneurie rempliraient le rôle des bons anges, et que de même que dans l’ancienne loi Dieu avait choisi pour intermédiaire entre sa toute-puissance et son peuple un prophète qu’on appelait juge, de même il choisirait à Florence un prophète pour ministre, et l’on devine quel était ce prophète.

Contrairement à ce qui s’était passé jusqu’alors dans les révolutions d’Italie, Savonarole, et c’est là un fait qui doit le faire absoudre de bien des inconséquences, Savonarole ; disons-nous, n’usa de son influence que pour prêcher la concorde, l’oubli du passé, la réconciliation entre les partis, la pratique de toutes les vertus chrétiennes ; mais il ne tarda point à reconnaître qu’on n’improvise pas la fraternité, et que pour faire régner la justice et la paix, il ne suffit point de changer les institutions, qu’il faut encore changer les hommes. Il travailla donc avec une nouvelle ardeur à la réforme des mœurs. C’était là, il faut en convenir, une lourde tache, car Florence était toujours la ville de Boccace, cette ville sensuelle pour laquelle Machiavel allait écrire la Mandragore, Frère Alberigo, et cette constitution satirique où il ordonnait aux hommes et aux femmes d’assister avec une grande ponctualité à tous les pardons, à toutes les fêtes, à toutes les cérémonies qui se célébraient dans les églises, et à tous les festins, collations, soupers, spectacles, veillées et autres divertissemens, sous peine, pour les femmes, d’être reléguées dans un couvent de moines, et, pour les hommes, d’être enfermés dans un couvent de religieuses[4].

Savonarole, dans ses prédications, ne ménageait point les reproches à ses contemporains. « Votre vie, leur disait-il, est une vie de porcs, » et quelque triviale que fut l’apostrophe, elle était en bien des points méritée ; car tandis qu’il s’efforçait de ramoner les Florentins aux mœurs austères des premiers âges chrétiens, un autre courant les emportait en sens contraire. Les vices du monde païen semblaient renaître avec les lettres antiques. Effrayé de cet enthousiasme pour les souvenirs les plus affligeans de la Grèce et de Rome, Savonarole poursuivit les classiques et les remplaça par les pères de l’église. Comme Thomas Connecte et Vincent Ferrier, il proscrivit les jeux de défi, les échecs, les damiers, et ordonna aux Florentins qui s’obstinaient à jouer encore, de ne jouer que des salades au lieu d’argent. C’est ici le lieu de remarquer une fois pour toutes que les salades tiennent une grande place dans les idées de Savonarole. Les divertissemens du carnaval, où des troupes de masques placées sur des chars de triomphe jouaient de petites comédies ou chantaient des chansons d’amour, furent remplacés par des processions. Les Florentins, charmés de la vie étrange et nouvelle que leur imposait le prédicateur, se jetèrent dans la pénitence avec la même ardeur qu’ils avaient portée dans le plaisir. Au lieu de courir, comme par le passé, les bals et les mascarades, ils se réunissaient dans de beaux jardins aux environs de la ville, et là, comme Les moines de Saint-Marc, ils chantaient des psaumes ou dansaient des rondes autour d’une jeune fille représentant la Vierge. L’usage de la viande diminua dans une telle proportion, qu’il fallut réduire les taxes sur les bouchers, menacés d’une ruine complète. Les femmes, simplement vêtues, marchaient les yeux baissés en répétant des prières ; les maris avaient établi de longues trêves dans le mariage, et les nouveaux époux, en quittant la table où ils venaient de célébrer leurs repas de noces, faisaient vœu de vivre dans l’affinité spirituelle des premiers âges chrétiens.

Cependant un changement aussi radical ne pouvait s’opérer sans résistance, et comme Savonarole triomphait plus difficilement des hommes d’un âge mûr, il conçut le projet de favoriser l’établissement de la future Jérusalem en donnant aux enfans une éducation nouvelle. Les bambins et les bambines, dont Fourier tire un si grand parti dans le phalanstère, furent organisés par compagnies dans chaque quartier de Florence, sous la direction d’un chef suprême, et les membres de cette république imberbe se divisèrent en officiers de paix, en juges qui administraient des corrections fraternelles, en quêteurs pour les pauvres et en inquisiteurs. Ces derniers étaient particulièrement chargés de parcourir les maisons, d’y enlever les cartes, les instrumens de musique, les objets de toilette, et de prêcher aux hommes et aux femmes la pratique de la religion. Au lieu d’honorer leurs parens, comme le veut la loi divine, ces réformateurs d’un nouveau genre se mirent à leur désobéir, à les censurer et à les dénoncer. Il en résulta une véritable anarchie, et bientôt les pères de famille contrariés dans leur autorité, les maris repoussés par leurs femmes, les femmes blessées dans leur coquetterie, les jeunes gens entravés dans leurs plaisirs, les marchands gênés dans leur commerce, s’ameutèrent contre Savonarole. Florence, tiraillée en sens divers, se trouva partagée entre les blancs, les gris, les pleureurs, les enragés et les tièdes, c’est-à-dire entre les partisans de la république et les partisans des Médicis, les amis de Savonarole et ses adversaires, et ceux qui se moquaient tout à la fois de Savonarole, de la république et des Médicis.

La seigneurie s’émut de cette agitation. Le gonfalonier de justice, Philippe Corbizzi, convoqua une assemblée de théologiens, et donna ordre à Savonarole de s’expliquer devant eux. Celui-ci eut encore tous les honneurs de la controverse ; mais ses adversaires n’en obtinrent pas moins un bref du pape pour le contraindre à prêcher dans tous les lieux qui lui seraient désignés par ses supérieurs ecclésiastiques. Bientôt un nouveau bref lui enjoignit de se rendre à Rome ; il refusa, et le pape menaça d’excommunier Florence. Charles VIII, pendant ce temps, avait conquis le royaume de Naples ; mais redoutant la ligue des principaux états d’Italie avec les rois d’Aragon et de Castille, affaibli par les garnisons qu’il avait été obligé d’établir dans les places fortes, et disposant à peine d’une armée de douze mille combattans, il résolut de rentrer en France. Les Florentins, craignant qu’à son retour il ne voulût s’arrêter dans leur ville, firent de grands préparatifs de défense, et se placèrent sous la protection d’une Vierge dont l’image, suivant une ancienne tradition, avait été peinte par l’apôtre saint Luc. Ne se trouvant point encore suffisamment rassurés par ces précautions, ils députèrent Savonarole vers le roi de France pour le prier de rendre à la république Pise et les autres places qu’il avait occupées. Ce prince répondit d’une manière évasive, et frère Jérôme le menaça des plus grands malheurs. Le dernier de ses enfans, l’héritier de la couronne étant mort peu de temps après, on ne douta point que ce ne fut là le châtiment prédit par Savonarole. Cet événement rendit quelque crédit au prophète, tout en lui suscitant des embarras nouveaux. Comment en effet cet homme qui lisait si clairement dans l’avenir et qui s’inspirait de l’esprit même de Dieu, comment cet homme n’avait-il point obtenu du roi de France, la restitution de la ville de Pise ? Cette restitution d’ailleurs, il l’avait souvent annoncée, dans les termes les plus formels. On réclamait donc avec instance l’accomplissement de cette prophétie, quand le gouverneur de la citadelle de Pise, le capitaine d’Entragues, remit cette forteresse aux Pisans, qui proclamèrent leur indépendance.

L’irritation fut poussée à ses extrêmes limites. Frère Jérôme ne sortait plus sans escorte, on tenta même de l’assassiner, et pour ressaisir son influence il eut recours à son expédient favori. Il annonça du haut de la chaire aux Florentins que l’événement qui les jetait dans une si grande colère n’était que la conséquence de leurs péchés, et comme toujours il leur prêcha la pénitence. Le jour des Rameaux 1496, il organisa une procession à laquelle Florence entière fut convoquée. Cette procession se fit avec une pompe extraordinaire. Les enfans, au nombre de huit mille, ouvraient la marche, et conduisaient un âne par la bride en souvenir de l’entrée de Jésus-Christ dans Jérusalem. Les moines, le clergé, les magistrats, les citoyens venaient ensuite ; les femmes fermaient la marche, et des hommes vêtus de blanc et couronnés de guirlandes de fleurs dansaient devant le tabernacle. Les blancs, les gris et les tièdes avaient annoncé qu’il pleuvrait ; mais il fit le plus beau temps du monde, et les enragés virent dans cette circonstance une intervention du ciel en leur faveur.

Les adversaires de Savonarole cependant ne se tenaient point pour battus. Ils s’adressèrent de nouveau à la cour de Rome, et le pape Alexandre VI déclara le réformateur hérétique, schismatique et rebelle au saint-siège ; celui-ci repoussa la censure, et lorsqu’en 1497 le renouvellement de la seigneurie fit arriver ses partisans au pouvoir, il reprit ses prédications et continua son œuvre de réforme. Les enfans, qu’il avait, comme nous l’avons vu, organisés en censeurs des mœurs publiques, furent chargés de parcourir les maisons, d’y enlever tous les objets d’art, de toilette, les cartes, les instrumens de musique, en un mot tous les outils avec lesquels Satan travaillait à la perte des âmes. Cette razzia fut opérée avec la dernière rigueur, et Savonarole ordonna que tous les objets proscrits seraient brûlés le jour du carnaval. « Un bûcher, dit M. Perrens, fut élevé en forme de pyramide sur la place de la Seigneurie, et l’on y déposa les objets destinés au feu, après les avoir classés. À la base, on mit les masques, les fausses barbes, les habits de matassins et autres nouveautés diaboliques ; au-dessus, les livres des poètes latins et italiens, le Morgante, les œuvres de Boccace, celles de Pétrarque, de Dante et autres semblables[5], puis les ornemens et les instrumens de toilette de femme, pommades, parfums, miroirs, voiles, cheveux postiches, etc. ; pardessus, les instrumens de musique de toute espèce, les échiquiers, les cartes, les trictracs ; enfin aux deux rangs supérieurs se trouvaient les tableaux, portraits de femmes peints par les plus grands maîtres, et autres sujets tenus pour déshonnêtes. Ce bûcher représentait une valeur si considérable, qu’un marchand vénitien, à la vue de tous les trésors qu’on allait livrer aux flammes, offrit à la seigneurie 20,000 écus, si on voulait les lui livrer. Loin d’accepter cette proposition, les magistrats eurent la plaisante idée de faire exécuter le portrait de ce marchand et de le placer parmi ceux qu’on allait brûler. »

Ce fut là le dernier triomphe de Savonarole. Une sentence d’excommunication fut lancée contre lui le 12 mai 1497, et le 16 octobre de la même année il fut sommé par un nouveau bref de se rendre à Rome et de prouver qu’il était réellement l’envoyé de Dieu ; mais il connaissait trop bien Alexandre VI pour obéir à cet ordre. Il se contenta donc de protester contre le saint-siège, et soutenu quelque temps par le gonfalonier de justice, il attaqua l’infaillibilité du pape, et soutint, comme Jean Huss, qu’un excommunié peut prêcher. Ses partisans les plus dévoues eux-mêmes s’effrayèrent de cette doctrine. La seigneurie lui ordonna de renoncer à la chaire, et le 18 mars 1498 il prit congé de ses auditeurs.

Quelques mois avant l’interdiction qui venait de le frapper, et au moment même où les franciscains, ses adversaires les plus obstinés, contestaient du haut de la chaire l’authenticité de sa mission, Savonarole leur avait offert de se rendre au sommet d’une colline, et là, le saint-sacrement dans les mains, de prier Dieu de foudroyer ceux- qui ne marcheraient pas dans les voies de la vérité. Il avait de plus écrit au pape qu’il le sommait de ressusciter un mort, en offrant pour sa part de rendre à la vie telle personne qu’on lui désignerait, et la confiance qu’il inspirait encore à quelques-uns de ses partisans était si grande, que le jeune Pic de la Mirandole lui adressa une lettre pressante pour le prier de ressusciter son oncle. Le défi n’avait point été accepté d’abord. Ceux même qui niaient la mission prophétique de Savonarole n’étaient point rassurés contre ces miracles ; mais quand ils le virent excommunié par le pape, abandonné par la seigneurie, menacé par le peuple, ils offrirent de tenter contre lui une épreuve décisive.

Frère Jérôme, dans un de ses sermons, avait raconté qu’Hélénus, évêque d’Héliopolis, avait dit à un hérétique insensible à ses exhortations : « Allumons un grand feu et entrons-y, les flammes brûleront celui qui sera dans l’erreur. » Le feu fut allumé. L’évêque monte sur le bûcher du même pas qu’il montait à l’autel ; il s’assit au milieu des brasiers ardens, et pendant une demi-heure il hanta des cantiques sans être touché par les flammes. « Quand la foi, dit Savanarole en racontant ce prodige, ne peut se défendre autrement, il faut en venir à ces jeux-là. — Défendez donc votre foi comme l’évêque Hélénus, lui répondirent ses adversaires, » et un frère mineur, Francisco di Publia, offrit de passer par le feu d’un bûcher, si frère Jérôme voulait le suivre. Celui-ci ne s’empressa point de répondre ; mais l’un de ses disciples les plus fervens, le père Buonvicini, déclara qu’il était prêt à tenter l’épreuve. Savonarole sentait que dans une affaire aussi grave il ne lui était point permis de se faire suppléer, et il offrit d’entrer lui-même dans les flammes, mais à la condition que les ambassadeurs de tous les princes chrétiens seraient invités à assister à ce jugement de Dieu, et qu’on lui permettrait, s’il en sortait intact, de commencer immédiatement la réforme de l’église universelle.

Florence entière était en émoi et attendait le miracle avec une vive impatience. L’un des membres de la seigneurie, pour hâter le dénoûment sans compromettre la vie de personne, proposa de remplacer le bûcher par un bain, d’y plonger les deux adversaires, et de déclarer vainqueur celui qui en sortirait sans être mouillé. Après bien des pourparlers, on convint que Francesco di Publia ne serait tenu de monter sur le bûcher que si Savonarole y montait lui-même, et que, dans tous les cas, les habitans qui voudraient passer dans les flammes et se présenter comme les champions de l’un ou de l’autre adversaire étaient invités à se faire inscrire. Une foule de citoyens répondirent à cette invitation, et, pour mettre un terme, à l’agitation qui régnait dans la ville, la seigneurie décida que l’épreuve aurait lieu dans le plus bref délai.

Le samedi, veille des Rameaux, on éleva sur la grande place de Florence un immense bûcher de quarante brasses de long, à travers lequel on avait ménagé un étroit sentier. Savonarole célébra la messe dans le couvent de Saint-Marc, en présence d’une grande foule, et quand l’ordre de partir fut arrivé, il se mit en marche au milieu d’une longue procession de moines. Il était revêtu de ses habits sacerdotaux, et portait le saint-sacrement. Son disciple Buonvicini, qui s’était offert de passer dans le feu à sa place. Rondinelli, le champion de Francesco di Puglia, arrivèrent en même temps en annonçant qu’ils étaient prêts. Un silence profond régnait parmi le peuple. On croyait toucher au dénoûment, quand tout à coup une difficulté fut soulevée : — les champions devaient-ils passer dans les flammes nus ou habillés ? N’avait-on pas lieu de craindre que les habits n’eussent été soumis à quelque opération magique, et qu’ainsi la victoire ne fût le pris d’un sortilège ? — Les deux moines furent donc sommés de quitter leurs habits ecclésiastiques, et Buonvicini s’avançait déjà vers le bûcher, lorsqu’on s’aperçut qu’il tenait une petite croix à la main. Une partie des assistans crièrent à la profanation, et Savonarole profita de cette circonstance pour soutenir que son champion Buonvicini devait entrer dans les flammes en portant le saint-sacrement, et il l’invita à prendre l’ostensoir qu’on avait placé sur l’autel élevé en face du bûcher.Cette proposition excita de nouveaux murmures : — c’était, disait-on, un horrible sacrilège, et si l’hostie brûlait, comme on avait lieu de le craindre, il en résulterait un grand scandale ; dans tous les cas, il fallait attendre l’autorisation du saint-siège. — On fit en vain des observations pressantes à Savonarole. Il persista obstinément dans sa demande. Une extrême agitation se manifesta dans la foule. Déjà quelques-uns des assistans tiraient leurs épées et menaçaient de se porter aux derniers excès, lorsque tout à coup des nuages noirs, qui s’étaient amoncelés à l’horizon, déversèrent une violente pluie d’orage. On en conclut que Dieu ne permettait pas l’épreuve, et Savonarole se retira dans le couvent de Saint-Marc, escorté d’une garde nombreuse qui fut forcée de le défendre contre les attaques de la populace. Dès ce moment le prestige fut détruit : le prophète, en reculant devant le miracle, s’était démenti lui-même Les Florentins criaient aux armes, et le lendemain ils se portèrent en masse contre le couvent pour s’emparer du frère.

Les moines s’étaient préparés depuis longtemps à cette attaque. Saint-Marc était défendu par une artillerie nombreuse ; mais les canons n’arrêtèrent point les assaillans. Les partisans de frère Jérôme, qui s’étaient rassemblés pour le défendre, furent égorgés sans pitié. Une populace avide de pillage se répandit dans les cuisines, fit main-basse sur les provisions, tandis que d’autres continuaient le massacre. Savonarole, pendant ce temps, s’était retiré dans l’église et priait à genoux devant l’autel, entouré de quelques moines courageux et dévoués, lorsque tout à coup il fit ouvrir les portes. Les moines se présentèrent, chacun une torche à la main, devant les assaillans, qui tombèrent épouvantés la face contre terre. On s’empara de leurs armes, et on les força de crier vive Jésus, roi de Florence ! mais bientôt de nouveaux combattans se présentèrent. Les moines continuèrent en vain la lutte avec des pertuisanes auxquelles ils avaient attaché des cierges ; il fallut céder au nombre. La seigneurie d’ailleurs envoya le capitaine Giovacchino sur la place Saint-Marc avec de l’artillerie pour réduire le couvent. Savonarole alors se retira suivi de toute la communauté dans la bibliothèque, et bientôt des commissaires apportèrent l’ordre de le livrer avec deux de ses disciples les plus dévoués, Buonvicini et Marufii, en promettant qu’ils seraient libres, après leur interrogatoire, de rentrer à Saint-Marc. Savonarole ne s’abusait point sur la valeur de cette promesse ; mais il n’en déclara pas moins qu’il était prêt à suivre les commissaires. Avant de se séparer de ses moines, il leur fit de touchans adieux, les engagea à vivre saintement, et rappela les actes trop nombreux d’ingratitude dont les Florentins s’étaient rendus coupables envers les hommes qui s’étaient dévoués pour eux ; puis il sortit du couvent, les mains liées derrière le dos, et, en traversant la place Saint-Marc, il fut assailli à coups de pierres par le peuple, qui l’insultait et menaçait de le mettre en pièces. Le lendemain, il fut conduit avec ses deux disciples devant la seigneurie ; et sommé de déclarer s’il était réellement inspiré de Dieu, il répondit affirmativement. En voyant cette obstination, la seigneurie, contrairement aux promesses qu’elle avait faites, résolut de le retenir prisonnier et de préparer de longue main sa condamnation. Elle nomma pour instruire le procès une commission de seize membres pris parmi ses adversaires les plus ardens. Deux commissaires du saint-siège, G. Turriano, général de l’ordre de saint Dominique, A. Romolino, docteur espagnol, arrivèrent bientôt pour presser la condamnation. « Nous allons faire un beau feu, disait Romolino, car je porte sur moi la sentence. Un mauvais moine de plus ou de moins, qu’importe ? » Pendant près de deux mois, Savonarole fut interrogé tous les jours et appliqué plusieurs fois à la question. La douleur lui arrachait des réponses qu’il rétractait aussitôt ; mais comme on ne pouvait lui reprocher aucun fait de nature à entraîner la peine capitale, on falsifia les interrogatoires, et ce fut sur des pièces dénaturées par la plus insigne mauvaise foi, qu’il fut condamné au dernier supplice avec ses deux disciples Buonvicini et Maruffi.

L’arrêt fut prononcé le 22 mai 1498, et le jour même on lui annonça qu’il devait s’apprêter à mourir. Il reçut cette nouvelle avec calme, resta longtemps en prières, et demanda au prêtre qui l’assistait à dormir sur ses genoux. Il s’endormit en effet, et l’on remarqua que pendant son sommeil il parlait et riait aux éclats. Le lendemain, il fut conduit sur la grande place, au milieu de laquelle s’élevait un immense échafaud, et sur cet échafaud se dressait une potence en forme de croix. Le condamné, dépouillé des vêtemens qu’il portait d’ordinaire, fut revêtu des habits sacerdotaux. On raconte qu’il prit dans ses mains sa robe de religieux, et l’arrosa de ses larmes en assurant qu’il l’avait toujours conservée sans tache. L’évêque de Vayson, délégué par le pape pour assister au supplice, le prit par la main et lui dit : « Je te sépare de l’église militante et de l’église triomphante. — De l’église triomphante, jamais, » répondit Savonarole. On lui lut ensuite sa sentence de mort, et au moment où il montait sur le bûcher, en suivant un escalier de bois qui conduisait au sommet, des enfans s’approchèrent avec des bâtons pointus et lui piquèrent les pieds. Le bourreau l’attacha au gibet, et les seuls mots qui tombèrent, dit-on, de sa bouche furent ceux-ci : « Ah ! Florence, que fais-tu ? » Lorsqu’il fut étranglé, on alluma le feu, et quand tout fut consumé, quelques-uns de ces hommes rares dans tous les temps qui s’attachent aux vaincus et aux victimes tentèrent de recueillir ses ossemens calcines ; mais la seigneurie ordonna de jeter ces tristes restes dans l’Arno, et Savonarole n’eut pas même une tombe dans cette ville qu’il avait gouvernée avec l’autorité d’un prophète et d’un roi. Buonvicini et Maruffi furent pendus à la même potence et brûlés dans les mêmes flammes.

Dans les premières années qui suivirent le supplice, une réaction violente s’opéra contre la mémoire de Savonarole. On insultait dans les rues les Ferrerais par cela seul qu’ils étaient ses compatriotes, on chantait dans les danses des chansons outrageantes ; mais bientôt, après s’être moqué du prophète, on s’attendrit sur le martyr[6]. Ces taches du sang versé par un arrêt injuste, qui s’attachent au pavé des villes comme le remords à la conscience, reparaissaient ineffaçables sur la grande place où le bûcher s’était dressé, et pendant trois siècles, le jour anniversaire du supplice, la foule venait y prier et y jeter des fleurs. On vendit à Rome des médailles où frère Jérôme était appelé bienheureux martyr. Sous le pontificat de Paul IV, une commission nommée par ce pape déclara ses œuvres irréprochables, et en 1751 Benoit XIV, dans son livre De Servorum Dei béatificatione, le plaça au nombre des serviteurs de Dieu.

La biographie dont nous venons de rappeler les incidens les plus remarquables occupe le premier volume du travail de M. Perrens, travail savant, mais dans lequel, nous le pensons, l’appréciation historique n’est point assez nettement dégagée des faits. Le second volume est consacré à l’examen des œuvres de Savonarole. Ces œuvres comprennent des sermons, des écrits politiques, mystiques et apologétiques, qui sont le commentaire des actes de l’auteur comme prophète, comme organisateur de la république de Florence et comme réformateur des mœurs publiques. Ainsi, dans l’Abrégé des Révélations, Compendium Revelationum, Savonarole donne ce qu’on pourrait appeler le manuel du prophétisme. Suivant lui, les révélations se manifestent sous l’inspiration directe de Dieu par l’intermédiaire des anges, qui tantôt agissent sous une forme sensible, tantôt restent invisibles et n’agissent que sur l’intelligence. On sent, en lisant ces pages étranges, que l’homme qui les a tracées était de bonne foi emporté par l’extase dans les plus hautes régions du mystère et de l’inconnu, et qu’il vivait sous le coup d’une hallucination perpétuelle. Il voyait des anges monter de la terre au ciel et descendre du ciel sur la terre, des épées nues traverser les nuages, des croix éclatantes briller dans la nuit, des mains sans bras s’étendre comme pour bénir ou menacer. Il raconte même, qu’un jour son âme abandonna son corps, et que, rendue à sa pureté première, comme si la mort avait brisé ses liens terrestres, elle parcourut les sphères infinies et fut initiée à tous les secrets du monde invisible. Après avoir cherché à démontrer la persistance du prophétisme dans l’élise, Savonarole composa un nouveau traité pour prouver qu’il était prophète ; puis, quand il crut avoir établi la réalité de sa mission, il voulut se réserver pour lui seul le droit de prédire, et afin de se débarrasser des concurrens, il publia en 1497 un traité contre les astrologues, traité dans lequel il déclara que leur science est mensongère et coupable, qu’elle est condamnée par l’église, et qu’on ne peut pas même la classer dans la philosophie, attendu qu’Aristote n’en a point parlé. Quant à ses propres prédictions, telles que l’unité de l’Italie avec Florence pour capitale et la conversion des Turcs, qui devaient bientôt devenir les plus ardens propagateurs de la loi, les événemens se sont chargés de lui répondre.

Dans le traité du Gouvernement de Florence, Savonarole défendit par la plume ses théories politiques, ainsi qu’il avait défendu sa mission prophétique dans l’Abrégé des Révélations ; et comme il donnait pour base à la réforme du gouvernement la réforme des mœurs, il composa divers opuscules philosophiques ou mystiques qu’il destinait à l’enseignement des chrétiens, tels que l’Abrégé de la Philosophie morale, les Traités de la Simplicité de la vie chrétienne, de l’Humilité, de la Prière, de l’Amour de Jésus-Christ, le Triomphe de la Croix, le Confessionnal, etc. En philosophie Comme en politique, Savonarole, suivant la juste remarque de M. Perrens, relève directement de saint Thomas ; dans ses écrits de piété, il est le disciple des écrivains mystique du moyen âge les plus orthodoxes : la preuve, c’est que le Triomphe de la Croix fut souvent réimprimé par la compagnie de Jésus dans les Annales de la propagation de la Foi.

Les détails qu’on vient de lire suffisent, nous le pensons, à faire apprécier nettement le rôle de Savonarole dans les diverses phases de sa vie. Prophète, il se rattache sincèrement à la tradition de l’illuminisme, et se croit autorisé à persévérer dans sa mission par des exemples que l’église elle-même à sanctionnés. Ce n’est donc ni un fourbe ni un ambitieux, comme Bayle, Naudé et d’autres encore l’ont insinué ou affirmé : c’est un homme profondément convaincu qui se laisse égarer par l’entraînement même de sa foi. Réformateur des mœurs de Florence, il ne fait que continuer l’œuvre des hommes les plus éminens du catholicisme, de saint Bernard, de Gerson, de Vincent Ferrier, et c’est à tort, quoi qu’on en ait dit, même dans ces derniers temps, que les protestans le réclament comme un des leurs, l’inscrivent sur leur martyrologe et le surnomment le Luther de l’Italie, c’est à tort que Luther lui-même, en commentant une de ses méditations, déclare que « le Christ l’a canonisé, attendu qu’il ne s’est point appuyé sur ses vœux, sur son capuchon, sur les messes, les statuts et les vieux de son ordre, mais sur la méditation de l’Évangile de la paix, et que, revêtu de la cuirasse de la justice, armé du bouclier de la foi et du casque du salut, il s’est enrôlé, non dans l’ordre des frères prédicans, mais dans la milice de l’église chrétienne. » Cette phrase a trompé Théodore de Bèze, Duplessis-Mornay, Cappet, qui proclament Savonarole le fléau de la grande Babylone, l’ennemi juré de l’antéchrist romain. Rien n’est moins exact Jamais en effet frère Jérôme n’a demandé autre chose que la réforme des mœurs, jamais il n’a attaqué un seul point des dogmes qui forment la tradition de l’église catholique romaine. Sa plus grande hardiesse a été de soutenir qu’un excommunié peut prêcher. Ce que le protestantisme a tenté de détruire, il l’a respecté, confessé, adoré même jusqu’au dernier moment de sa vie. Loin de proscrire, comme Luther, les ordres religieux, il a voulu au contraire leur donner une force nouvelle en les ramenant à l’austérité, à la pureté de leur institution primitive. Ce n’est point un homme de la renaissance, c’est un moine du moyen âge, et c’est là ce qui fait l’étrangeté de sa vie, l’étrangeté surtout de sa mort. Fondateur d’une république, il n’est ni démocrate ni démagogue. L’idéal de sa théorie politique, c’est le gouvernement d’un seul, image de cette monarchie du ciel qui, dans les idées de son temps, devait servir d’archétype à toutes les monarchies de la terre ; mais, par une inconséquence qui tenait autant à son caractère propre qu’à celui du peuple qu’il était appelé à gouverner quelques années, il passe brusquement de l’idée monarchique au gouvernement privilégié d’une caste, faute de pouvoir trouver un homme assez parfait pour réaliser sur la terre le gouvernement du ciel. À part la pensée mystique, il n’a aucune idée d’organisation sérieuse ; il veut, comme d’autres utopistes également impuissans dans la pratique, fonder la constitution de l’état sur la vertu ; il veut réformer Florence comme on réforme un couvent, et la terre manque sans cesse sous ses pas, parce qu’il s’adresse à un peuple inconséquent et sensuel, qui demande pour prix de cette vertu chrétienne qu’on lui impose la richesse, la paix, la puissance, toutes les douceurs du bien-être, en un mot tous les biens réprouvés par cette vertu même. Martyr d’un auto-da-fé cruel, il trace lui-même la voie qui doit le conduire au bûcher. En précisant les événemens qu’il annonce, il se condamne d’avance à se voir démenti par les faits ; puis, quand il est convaincu d’erreur, il invoque une épreuve suprême ; on le presse de la subir, et il se trouve placé fatalement entre un miracle ou la mort.

Ainsi, grâce aux recherches de M. Perrens, l’histoire, mieux informée, ne doit voir aujourd’hui dans cet homme célèbre qu’un illuminé sincère perdu au milieu d’une société sans principes et d’une dévotion tout extérieure. Or, suivant Machiavel, l’illuminé qui n’a d’autres armes que sa parole et l’enthousiasme passager des peuples est exposé à de grands revers, car s’il est facile de persuader la foule, il est difficile de la maintenir dans la persuasion, et tout législateur qui veut établir des institutions durables doit s’appuyer sur la force, parce que la force est la sauvegarde de la justice. Par malheur, Savonarole n’avait que sa foi : quand l’enthousiasme populaire lui fit défaut, il resta désarmé en face des partis, et ne tarda point à tomber sous leurs coups. Son œuvre politique ne lui survécut que peu de temps, et si grandes qu’aient été ses inconséquences et ses contradictions, la postérité doit l’absoudre, parce qu’il s’est distingué d’une façon extraordinaire, ainsi que le dit un de ses historiens, par l’austérité de sa vie et la ferveur éloquente avec laquelle il prêcha contre les mauvaises mœurs. L’Italie surtout doit le plaindre, parce que, chose rare dans les annales du moyen âge, il a donné l’exemple du dévouement et de l’abnégation, et tenté de fonder le gouvernement de son pays sur la morale chrétienne ; au moment même où Machiavel enseignait aux princes la politique de la ruse et de l’astuce, et ne demandait à l’histoire, en se plaçant dans l’athéisme du fait, qu’un seul enseignement, — le moyen de réussir, abstraction faite de toute idée morale.


CHARLES LOUANDRE.

  1. Pour juger combien ces contradictions sont extrêmes, on peut consulter le Dictionnaire de Bayle, l’Apologie pour tous les grands personnages qui ont été faussement accusez de magie, par Gabriel Naudé, et l’Histoire des hommes illustres de l’ordre de saint Dominique, du père Tornon. Naudé compare Savonarole à Arius et à Mahomet, et le père Touron l’appelle un homme envoyé de Dieu.
  2. Édit. de 1719, in-4o, t. XV, p. 458.
  3. S. Brigittoe Revelationes, olim a Turrecremata, nunc a Duranto recognioew. Autnerpiae, 1611, in-f°.
  4. Règlement pour une Société de plaisir. Oeuvres littéraires du Machiavel, Paris, 1851, in-18, p. 367.
  5. Il résulte d’une note de Sismondi que c’est cet auto-da-fé qui a été cause de la rareté des premières éditions de ces poètes, éditions tellement difficiles à rencontrer, que le Boccace de 1471, dont on croit qu’il n’existe plus que trois exemplaires, a été vendu 52,000 francs à la vente Boxburgh.
  6. Savonarole, à qui on attribua après sa mort le don des miracles, reçut l’hommage d’une foule de poètes. Voici un échantillon de ces hommages poétiques : c’est la traduction d’une épitaphe latine de Flaminius :

    Pendant qu’un feu cruel ton corps, père, consume.
    Religion pleurait ses cheveux arrachant ;
    Pleurait, las ! et disait : Pardon, brasier ardent,
    Pardon, las ! c’est mon cœur en ce brasier qui fume.