Savoir aimerPubliés par les amis de l’auteur (p. 29-31).


IMMENSITÉ



Voyez le ciel, la terre et toute la nature,
C’est le livre de Dieu, c’est sa grande écriture ;
L’homme le lit sans cesse et ne l’achève point.
Splendeur de la virgule, immensité du point,
Comètes et soleils, lettres de feu sans nombre,
Pages que la nuit pure éclaire avec son ombre,
Le jour est moins charmant que les yeux de la nuit !
C’est un astre en rumeur que tout astre qui luit,
Musique d’or des cieux faite avec leur silence,
Et tout astre immobile est l’astre qui s’élance.
Ah ! que Dieu qui vous fit, magnifiques rayons
Cils lointains qui battez lorsque nous sommeillons,
Longtemps, jusqu’à nos yeux, buvant votre énergie
Prolonge votre flamme et sa frêle magie !
La terre est notre mère au sein puissant et beau ;
Comme on ouvre son cœur, elle ouvre le tombeau
Faisant ce que lui dit le père qui regarde.
Dieu nous rend à la mère, et la mère nous garde,
Mais comme le sillon garde le grain de blé ;
Pour le crible sur l’aire où tout sera criblé ;

Récolte dont le fils a préparé les granges,
Et dont les moissonneurs vermeils seront les anges.
La nature nous aime, elle cause avec nous,
Les sages l’écoutaient, assis sur leurs genoux,
Parler avec la voix des eaux, le bruit des arbres.
Son cœur candide éclate au sein sacré des marbres.
Elle est la jeune aïeule ; elle est l’antique enfant !
Elle sait, elle dit tout ce que Dieu défend
À l’homme enfant qui rit comme au taureau qui beugle ;
Et le regard de Dieu s’ouvre dans cette aveugle.
Quiconque a le malheur de violer sa loi
A par enchantement soi-même contre soi.
N’opposant que le calme à notre turbulence,
Elle rend au besoin rigueur pour violence,
Terrible à l’insensé, docile à l’homme humain ;
Qui soufflette le mur se fait mal à la main.
La nature nous aime et donne ses merveilles.
Ouvrons notre âme, ouvrons nos yeux et nos oreilles,
Voyez la terre avec chaque printemps léger,
Ses verts juillets en flamme ainsi que l’oranger,
Ses automnes voilés de mousselines grises
Ses neiges de Noël tombant sur les églises
Et la paix de sa joie et le chant de ses pleurs,
Dans la saveur des fruits et la grâce des fleurs.
La vie aussi nous aime, elle a ses heures douces
Des baisers dans la brise et des lits dans les mousses
Jardin, connu très tard, sentier vite effacé,
Où s’égarait Virgile, où Jésus a passé.
Tout nous aime et sourit, jusqu’aux veines des pierres,
La forme de nos cœurs tremble aux feuilles des lierres,
L’arbre où le couteau grave un chiffre amer et blanc
Fait des lèvres d’amour de sa blessure au flanc,

L’aile des hirondelles annonce le nuage
Et le chemin nous aime : avec nous, il voyage.
La trace de nos pas sur le sable, elle aussi,
Nous suit ; elle nous aime et l’air dit : « me voici ! »
Rendons-leur cet amour, soyons plus doux aux choses.

Coupons moins le pain blanc, et cueillons moins les roses,

Nous parlons du caillou comme s’il était sourd
Mais il vit ; quand il chante une étincelle court…
Ne touchons rien, pas mal à la plus vile argile
Sans l’amour que l’on a pour le cristal fragile ;
La nature très sage est dure au maladroit
Elle dit : Le devoir est la borne du droit,
Elle sait le secret des choses que vous faites,
Elle bat notre orgueil en nous montrant les bêtes,
Humiliant les bons qui savent leur bonté,
Comme aussi les méchants qui voient leur cruauté.
Grâce à la bonté l’homme à sa place se range
Moins terre que la bête, il est moins ciel que l’ange,
Dont l’aile se devine à l’aile de l’air bleu.
Partout où l’homme écrit « Nature » ; lisez « Dieu ».