Savoir aimer/Cantique à la reine

Savoir aimerPubliés par les amis de l’auteur (p. 49-56).


CANTIQUE À LA REINE



Douce vierge Marie, humble mère de Dieu
Que tout le ciel contemple,
Vous qui fûtes un lys debout dans l’encens bleu
Sur les marches du temple ;

Épouse agenouillée à qui l’ange parla ;
Ô divine accouchée,
Que virent des bergers, qu’une voix appela
Sous la roche penchée,

Qui regardiez dormir, l’abreuvant d’un doux lait,
L’adorant la première,
Un enfant frêle et nu, mais qui la nuit semblait
Être fait de lumière ;

Ô morte, qu’enleva dans les plis des rideaux
À la nuit de la tombe,
L’essaim des chérubins qui portent à leur dos
Des ailes de colombe ;


Pour vous placer au bruit de leurs psaltérions
Dont tressaillent les cordes,
Au Ciel où vous régnez, les doigts pleins de rayons
Et de miséricordes ;

Vous, qu’un peuple sur qui votre bleu manteau pend
Doucement importune,
Vous qui foulez avec la tête du serpent
Le croissant de la lune ;

Vous, à qui Dieu donna les grands voiles d’azur,
Le cortège des Vierges,
La cathédrale immense au maître autel obscur
Étoilé par les cierges ;

La couronne, le sceptre, et les souliers bouffants,
Les cantiques enflammés,
Les baisers envoyés par la main des enfants,
Et les larmes des femmes ;

Vous, dont l’image aux jours gros d’orage et d’erreur
Luisait sous mes paupières,
Et qui m’avez tendu sur les flots en fureur
L’échelle des prières ;

Vous qui m’avez cherché, portant votre fanal,
Aux pentes du Parnasse ;
Vous, qui m’avez péché dans les filets du mal
Et mis dans votre nasse ;

Que n’ai-je pour le jour où votre fête aura
Mis les cloches en joie,
La règle du marchand qui pour vous aunera
Le velours et la soie ;


Que n’ai-je les ciseaux sonores du tailleur
Pour couper votre robe,
Et que n’ai-je le four qu’allume l’émailleur,
J’émaillerais le globe

Où votre pied se pose ainsi qu’un oiseau blanc
Planant sur nos désastres,
Globe d’azur et d’or, frêle univers roulant
Son soleil et ses astres ;

Que ne suis-je de ceux dont les rois font grand cas
Et qui sont des orfèvres,
Je vous cisèlerais des bijoux délicats
Moins vermeils que vos lèvres ;

Mais, puisque je ne suis ni l’émailleur plaisant,
Ni le marchand notable,
Ni l’orfèvre fameux, ni le tailleur croisant
Ses jambes sur sa table ;

Que je n’ai nul vaisseau sur les grands océans,
Nul trésor dans mon coffre,
J’ai rimé ce bouquet de vertus que céans
De bon cœur je vous offre.

Je vous offre humblement ce bouquet que voici :
La couleur en est franche,
Et le parfum sincère, et ce bouquet choisi,
C’est la chasteté blanche ;

C’est l’humilité bleue et douce, et c’est encor,
Fleur du cœur, non du bouge,
La pauvreté si riche et toute jaune d’or
Et la charité rouge ;


Ce n’est pas que je croie habiter les sommets
De la science avare,
Et je n’ai pas le fruit de la sagesse, mais
L’amour de ce fruit rare ;

Au surplus, je n’ai pas l’améthyste à mon doigt,
Je ne suis pas du temple,
Et je sais qu’un chrétien pur et simple ne doit
À tous que son exemple.

Je ne suis pas un prêtre arrachant au plaisir
Un peuple qu’il relève ;
Je ne suis qu’un rêveur et je n’ai qu’un désir :
Dire ce que je rêve.

Aimez : l’amour vous met au cœur un peu de jour
Aimez, l’amour allège ;
Aimez, car le bonheur est pétri dans l’amour
Comme un lys dans la neige !

L’amour n’est pas la fleur facile qu’au printemps
L’on cueille sous son aile,
Ce n’est pas un baiser sur les lèvres du temps,
C’est la fleur éternelle.

Nous faisons pour aimer d’inutiles efforts,
Pauvres cœurs que nous sommes,
Et nous cherchons l’amour dans l’étreinte des corps
Et l’amour fuit les hommes ;

Et c’est pourquoi l’on voit la haine dans nos yeux,
Et dans notre mémoire,
Et ce vautour ouvrir sur nos fronts soucieux
Son affreuse aile noire ;


Et c’est pourquoi l’on voit jaillir de leur étui
Tant de poignards avides,
Et c’est pourquoi l’on voit que les cœurs d’aujourd’hui
Sont des sépulcres vides ;

Voilà l’éternel cri que je sème au vent noir,
Sur la foule futile ;
Tel est le grain d’encens qui fume en l’encensoir
De ma vie inutile.

Cependant bien que j’eusse encore peu combattu
Pour sa sainte querelle,
Mes yeux, l’ayant fixée, ont vu que la vertu
Est étrangement belle ;

Que son corps s’enveloppe en de puissants contours,
Et que sa joue est pleine,
Qu’elle est comme une ville, assise avec ses tours,
Au milieu de la plaine ;

Que ses yeux sont sereins, ignorant l’éclair vil,
Ainsi que les pleurs lâches,
Que son sourire est gai comme une aube en avril,
Que, pour de nobles tâches,

Les muscles de ses bras entrent en mouvement
Comme un arc qui s’anime,
Pendant que son cou porte impérialement
Sa tête magnanime ;

Qu’un astre sur son front luit plus haut que le sort
Et que sa lèvre est grasse,
Et qu’elle est dans le calme enveloppant l’effort,
L’autre nom de la grâce ;


Qu’elle est comme le chêne en qui la sève bout
Jusqu’à rompre l’écorce,
Et qu’elle est dans l’orage, indomptable et debout,
L’autre nom de la force ;

Que sa mamelle est vaste et pleine d’un bon lait
Et que le mal recule
Comme une feuille au vent de son geste, et qu’elle est
La compagne d’Hercule,

Et je vous dis : ô vous, qui comme elle, régnez
Ô Vierge catholique !
Les saints joyeux sont morts, nos temps sont condamnés
Au mal mélancolique,

La joie et la vertu se sont voilé le front,
Ces sœurs sont exilées,
Et je ne vois pas ceux qui les rappelleront
Avec des voix ailées !

Ô Vierge ! Hâtez-vous ! Déjà l’ange s’enfuit
Sous le ciel noir qui gronde,
Et le monde déjà s’enfonce dans la nuit
Comme un noyé dans l’onde !

Tout ce qui fleurissait et parfumait l’été,
De la vie et de l’âme,
L’amour loyal de l’homme et la fidélité
Pieuse de la femme,

Ces choses ne sont plus ; l’haleine des antans
A balayé ces roses
Et l’homme a changé l’homme, et les gens de nos temps
Sont repus et moroses ;


Oui, c’est la nuit qui vient, la nuit qui filtre au fond
De l’âme qui décline,
Et grelotte déjà dans cet hiver profond
Comme une ombre orpheline ;

Aussi je crie : ô vous, n’aurez-vous pas pitié
De notre temps qui souffre,
Naufragé qui s’aveugle et qui chante, à moitié
Dévoré par le gouffre ?

Ô vite, envoyez-nous le cœur plein de pardons
Et les yeux pleins de flamme,
Celui qui doit venir, puisque nous l’attendons,
Lui seul prendra les âmes,

Sa main se lèvera seulement sur les fronts
Noirs de gloire usurpée,
Et les divins conseils de Dieu lui donneront
La parole et l’épée ;

Il sera le pasteur, il sera le nocher,
Il fera pour l’Église
Jaillir le sentiment comme l’eau du rocher
Sous la main de Moïse.

Car, rien ne sert d’avoir, pour fonder sur le cœur
Incertain de la foule
Un monument qui monte et qui sorte vainqueur
Du siècle qui s’écroule,

Une lyre géante et des lauriers autour
D’un front lourd de conquêtes,
Et les rimes du vers, dramatique tambour
Que frappent deux baguettes.


De mouvoir une lèvre allumée au soleil,
D’éloquence frottée,
D’où s’échappe un torrent de paroles, pareil
À la lave irritée,

Ni même de tenir à son poing souverain
Le glaive à lame amère
Qu’Achille ramassa sur l’enclume d’airain
Du forgeron Homère ;

Qu’Alexandre saisit, qui, le passe aux Césars,
Dont la gloire est jalouse,
Et que Napoléon cueille dans les hasards,
Aux pieds de Charles douze ;

Tandis qu’il suffira, sous le regard de feu
De l’amour qui féconde,
D’un seul Juste, sur qui souffle l’esprit de Dieu,
Pour transformer le monde.