Savoir aimerPubliés par les amis de l’auteur (p. 82-86).


AUX FEMMES !



Et vous l’ancienne esclave à la caresse amère
Vous, le bétail des temps antiques et charnels
Vous, femmes, dont Jésus fit la Vierge et la mère,
D’après celle qui porte en ses yeux maternels,
Le reflet le plus grand des rayons éternels ;

Aimez ces grands enfants pendus à votre robe
Les hommes dont la lèvre est ivre encore du lait
De vos mamelles d’or qu’un linge blanc dérobe ;
Aimez l’homme, il est bon ; aimez-le s’il est laid.
S’il est déshérité, c’est ainsi qu’il vous plaît.

Les hommes sont vos fruits ; partagez-leur votre âme
Votre âme est comme un lait qui ne doit pas tarir.
Ô femmes, pour ces fils douloureux de la femme
Que vous faites pour vivre, hélas ! et pour souffrir
Que seul le fils de l’homme empêche de mourir.


L’enfant, c’est le mystère avec lequel tu joues,
C’est l’inconnu sacré, que tu portes neuf mois
Pendant que la douleur te baise sur les joues,
Mère qui fait des gueux et toi qui fais des rois
Vous, qui tremblez toujours, qui mourez quelquefois

Comme autrefois les flancs d’Ève en pleurs sous les branches
Au jardin favorable où depuis l’amour dort,
Ton labeur est maudit ! Ceux sur qui tu te penches,
Vois, mère, le plus doux, le plus beau, le plus fort,
Il apprend l’amertume et connaîtra la mort.

C’est toi la source, ô femme, écoute, ô mère folle
D’Ésope qui boitait, de Caïn qui griffait,
Vois le fruit noir tombé de ton baiser frivole
Savoure-le pourtant, comme un divin effet,
En noyant dans l’amour, l’horreur de l’avoir fait.

Pour l’amour, tout s’enchante en sa clarté divine,
Aimez comme vos fils, les hommes ténébreux ;
Leur cœur si vous voulez, votre cœur le devine
Les plus graves au fond sont des enfants peureux ;
Le plus digne d’amour c’est le plus malheureux.

Éclairez ces savants, ô vous, les clairvoyantes,
Ne les avez-vous pas bercés sur vos genoux
Tout petits ? Vous savez leurs âmes défaillantes
Quand ils tombent, venez. Ils sont francs, ils sont doux ;
S’ils deviennent méchants, c’est à cause de vous.

C’est à cause de vous que la discorde allume
Leurs yeux, et c’est pour vous, pour vous plaire un moment

Qu’ils font couler une encre impure sous leur plume.
Cet homme si loyal, ce héros si charmant,
S’il vous adore, il tue et sur un signe il ment.

L’heure sonne, écoutez, c’est l’heure de la femme
Car les temps sont venus, où, tout vêtu de noir,
L’homme, funèbre, a l’air d’être en deuil de son âme,
Ah ! rendez-lui son âme, et comme en un miroir
Qu’il regarde en la vôtre et qu’il aime à s’y voir.

Au lieu de le tenter, comme un démon vous tente
Au lieu de garrotter ses membres las, au lieu
De tondre sur son front sa toison éclatante
Vous, qui foulez son cœur, et vous faites un jeu
De piétiner sa mère, et d’en dissiper Dieu,

Versez-lui le vin rouge où son orgueil se grise ;
Retirez-lui l’épée où se crispe sa main,
Montrez-lui les sentiers qui mènent à l’église,
Parmi l’œillet, le lys, la rose et le jasmin.
Faites-lui voir le vice un banal grand chemin.

Dites à ces enfants qu’il n’est pas raisonnable
De poursuivre le ciel ailleurs que dans les cieux.
De rêver d’un amour qui cesse d’être aimable,
De se rire du maître en s’appelant des dieux,
Et de nier l’enfer quand ils l’ont dans les yeux.

Cependant l’homme est roi ; s’il courbe son échine
Sur le sillon amer qu’il creuse avec ennui,
S’il traîne ses pieds lourds, le sceau de l’origine
Céleste à son front reste où l’amour même à lui.
Et comme il sort de Dieu, femme, tu sors de lui.


Cette paternité brille dans sa faiblesse
Autant que dans sa force ; il a l’autorité.
N’en faites pas un maître irrité qui vous blesse ;
Dans la sombre forêt de l’âpre humanité
L’homme est le chêne, et Dieu lui-même l’a planté.

Respectez ses rameaux, redoutez sa colère
Car Dieu mit votre sort aux mains de ce proscrit ;
Voyez d’abord ce blanc porteur de scapulaire,
Ce moine, votre père auprès de Jésus-Christ,
Il montre dans ses yeux, le feu du Saint-Esprit.

En faisant de l’amour, leur éternelle étude
Les moines sont heureux à l’ombre de la croix,
Ils peuplent avec Dieu leur claire solitude.
L’étang bleu qui se mêle à la paix des grands bois
Voilà leur cœur limpide où s’éveillent des voix.

Les apôtres menteurs et les faux capitaines
Qui soumettent les cœurs, mais que Satan soumet,
Vous les reconnaîtrez à des tares certaines :
La luxure à Luther ; l’orgueil tient Mahomet,
Saint Jean lui marchait pur, aussi Jésus l’aimait.

Plus haut que les guerriers, plus haut que les poètes
Peuple sur lequel souffle un vent mystérieux,
Dominant jusqu’au trône ébloui par les fêtes
Des empereurs blanchis aux regards soucieux,
Et par-dessus la mer des peuples furieux,

À l’ombre de sa belle et haute basilique,
Dans Rome, où vous vivez, cendres du souvenir,

Gouvernant avec fruit sa douce République
Qu’il mène vers le seul, vers l’unique avenir,
Jaloux de ne lever la main que pour bénir,

Le prêtre luit, vêtu de blanc, comme les marbres
Dédoublement sans fin du Christ mystérieux,
Berger, comme Abraham qui campe sous les arbres,
Toute la vérité veille au fond de ses yeux.
Et maintenant, paissez, long troupeau, sous les Cieux !