A. Méricant (p. 199-206).

CHAPITRE III

RETOUR DU MAL

Christian, certes, possédait dans le sang des germes morbides de démence. La lutte pour lui devait être constante, acharnée, et sa rencontre avec Nora n’était pas faite pour le guérir de ses secrètes épouvantes.

C’est en vain que la charmeuse après le départ de son vieil amant, l’avait serré sur son sein, en lui prodiguant ses caresses et ses baisers.

Ô mon cher aimé ! murmurait-elle, entre deux extases, crois-tu qu’il y ait un bonheur plus intense que celui que nous éprouvons à nous contempler les yeux sur les yeux, après l’échange de notre suprême amour ?… La vie vaut qu’on la savoure dans toutes ses joies et l’on est stupide de se créer de futiles soucis, quand il n’y a qu’à laisser couler les jours comme une eau limpide.

— Nora, pourtant…

— Nora ne reviendra plus. Je lui ai fait comprendre que son algarade m’avait déplu et que je ne tenais pas à la revoir.

— Elle se vengera.

Melcy leva les épaules avec insouciance.

— Que peut-elle contre moi ?…

— Je ne sais pas ; elle inventera des félonies… Une lettre anonyme dénoncera nos amours à Laroube ou à Sapho.

— Ils n’y croiront pas.

— Aussi, pourquoi gardes-tu ce vieil homme ridicule ?… Nous pourrions être heureux, tous les deux.

— Ta fortune ne suffirait pas à mon luxe. Déjà tu as dépensé pour moi une partie de ce que tu possédais ; Sapho n’a aucun bijou.

— Elle n’en désire pas.

— C’est par délicatesse, je la connais bien ; elle t’aime trop pour exiger de toi autre chose que des caresses… Ah ! si elle savait !…

— Chut ! fit Christian, en étouffant sur les lèvres de sa maîtresse la révolte de sa conscience.

La chambre à coucher de Melcy respirait d’enivrantes senteurs, sous ses tentures de velours et de soie. Elle était tendue d’une étoffe ancienne, bleu pâle, semée de fleurettes d’argent. Les rideaux des fenêtres, les portières, les sièges, les tapis étaient de la même teinte mourante. Des liserons bleus, au plafond, contenaient les pistils électriques ; d’énormes peaux d’ours blancs ouataient le sol ; le lit, élevé sur deux marches, était laqué de blanc avec des incrustations d’argent cabochées de turquoises ; une petite couronne de liserons bleus lumineux était tenue au-dessus du chef par deux faunesses de marbre blanc.

Le dessin des étoffes soyeuses s’arrondissait exquisement, et ce qui lui donnait surtout une originalité et une grâce particulières, c’étaient ces grands calices filigranes d’argent qui couraient en bordure et d’où semblaient émerger des bottes de clochettes bleues, en relief, si merveilleusement imitées qu’on eût presque été tenté de les cueillir. Deux vases de jade, incrustés de saphirs, flanquaient, sur la cheminée, une coupe ancienne d’ivoire, cerclée d’or, et garnie de sujets travaillés d’une infinie délicatesse. Quatre éléphants d’ivoire, harnachés de pierreries, la supportaient sur leurs trompes levées, et cette pièce, seule, valait une fortune.

Mais, ce qui prenait invinciblement aux sens, c’était cette fine odeur de jacinthe sauvage qui parfumait vaguement l’air, et que l’on sentait plus enivrante encore, dans les angles des meubles, dans les plis des étoffes, des linges, surtout dans les cheveux de lune et tout le long de la peau tiède de la charmeuse.

Sous la coloration bleuâtre des fleurs électriques, les chairs gagnaient des lueurs mates et nacrées d’une mystérieuse séduction. Melcy,
— Je t’attendais, dit la dompteuse.
sphynx déconcertant, inquiétant androgyne, aux formes sveltes, fines et harmonieuses, était bien l’idole de ce temple d’amour.

Christian sentait vibrer en lui l’écho des hantises perverses ; il se fondait en la douceur caressante de l’extase, fermait les yeux aux épouvantes prochaines, anxieusement pressenties.

— Pourquoi m’aimes-tu ? demanda-t-il, après un long silence… Qu’ai-je fait pour te plaire ?…

Melcy eut une moue malicieuse.

— Ma foi ! je n’en sais rien… Peut-être ai-je eu du plaisir à te prendre à Sapho ; peut-être m’as-tu intéressée parce que tu n’es pas semblable aux autres… Peut-être t’ai-je choisi parce que tu es fou !

« Fou ! »… Le mot terrible revenait au milieu des ivresses pour rappeler le jeune homme à la triste réalité… Fou ! l’affreuse accusation planerait donc toujours sur sa vie ?… Fou ! Fou !… Le serait-il donc, même pour ses maîtresses ?…

Avec brusquerie, il repoussa Melcy, se leva.

— Tu pars ? demanda-t-elle en bâillant.

— Oui, je veux te laisser reposer. Il fait jour, déjà.

Elle s’étira mollement.

— Je ne sais ce que j’ai fait de mon collier, dit-elle. Ne le vois-tu pas sur la cheminée ?

Christian regarda les perles rondes, énormes, superbes, sur le satin bleu où elles formaient un long serpent du plus pur orient.

— Elles sont là, fit-il.

— Ah ! bien, je croyais les avoir laissées dans le petit salon.

— Tu as tort de les oublier ainsi. Ce collier royal pourrait tenter un voleur.

— Un voleur ! s’écria-t-elle en riant. Je ne vois que toi et Laroube… Tu es incapable d’une semblable action, et pourquoi Laroube me reprendrait-il ce qu’il m’a donné ?

Elle s’étirait, se roulait, comme une chatte câline, lasse de tant de fêtes, de tant de joies, de tant d’amour.