A. Méricant (p. 55-58).

CHAPITRE IV

CE QUI EST ÉCRIT…

Sapho restait silencieuse ; il lui semblait qu’une expression cruelle animait les regards de Faustine, étrangement fixés sur elle.

Un nuage enveloppait les convives, et la lueur des tulipes électriques ne parvenait plus à corriger les effets étranges que son imagination prêtait aux choses.

Le café brûlait dans les tasses transparentes ; toutes les femmes fumaient avec frénésie des cigarettes de tabac blond, fortement opiacées.

Arlette, les yeux mi-clos, étendue sur le divan, semblait écouter la scie à la mode que fredonnait Melcy, pour prouver la sérénité de son âme, après la terrible prédiction qui lui avait été faite.

Malaga remuait les hanches dans une mimique orientale amusante, qui dégénérait vite en danse montmartroise épileptique. Puis, elle s’emparait des prunes et des abricots qu’elle lançait, en jonglant, par-dessus sa tête. Les couteaux, les assiettes suivaient, bientôt, décrivant des ellipses inquiétantes sur les convives.

Sapho s’était rapprochée de Ludovic.

— Alors, tu as connu mon ennemi ?…

— Oui, nous avons été au collège ensemble.

— Ah !…

— Ce n’était pas une mauvaise nature ; mais la folie le tenait déjà. Il était d’une tristesse que rien ne pouvait vaincre, parlait, sans cesse, d’un mystérieux danger qui se manifestait par une foule de sensations extra-naturelles. Privé des soins clairvoyants d’une mère, car il était orphelin, cette terreur anormale se manifestait dans ses moindres actions.

— Alors, il a tué sa maîtresse ?…

— On le dit.

— Que lui avait-elle fait ?

— Elle le trompait, chose banale… Mais, avec ces têtes exaltées, tout prend une importance singulière.

Sapho, les coudes sur la nappe, fumait sans discontinuer, et ses regards suivaient vaguement les spirales de la fumée bleuâtre.

— Ce garçon m’intéresse.

— Il y a mieux. Avec ta beauté, Sapho, tu pourrais t’offrir un type plus aimable.

— Non, ce Christian me plaît… Christian de Sazy, un joli nom.

— Peuh !…

— Invite-nous tous les deux, veux-tu ?…

— Ce serait une mauvaise action.

— Oh ! une de plus, une de moins… Et puis, tout cela dépend des appréciations. Demain, je me rendrai chez toi, à minuit, et tu prieras Christian de venir, également, sans lui dire que je serai de la fête… Ce sera une surprise.

— Tu me fais jouer un singulier rôle, Sapho et Faustine pourrait s’en plaindre.

Mais Faustine avait un sourire étrange.

— Fais ce qu’on te demande, dit-elle ; il est nécessaire que Christian et Sapho soient unis dans la vie ; tout ce qui doit arriver est écrit déjà au livre de la destinée !… D’ailleurs, je ne suis pas jalouse, puisqu’on n’en veut nullement à ton beau physique.

Ludovic fit la grimace.

— Précisément ; c’est humiliant.

— Bah ! je te reste ; cela doit suffire à ton bonheur.

Elle lui présentait ses lèvres rouges, et un long baiser fit taire les derniers scrupules du jeune homme.