Mame (p. 9-10).

PROLOGUE

Valérien et Gallien étant empereurs de Rome, Aspasius Paternus et Galerius Maximus proconsuls d’Afrique, Caius Macrinius Decianus légat impérial pour la Numidie, – les événements qu’on va lire se déroulèrent dans les mines de Sigus et sur le territoire de Cirta, de Lambèse et de Carthage, colonies très illustres.

Qu’on ne cherche point dans ce récit ce qu’on appelle une « résurrection historique », une œuvre de dilettante ou d’érudit, qui s’applique à faire revivre et à faire comprendre tout ce qui, dans l’héritage du passé, est décidément mort et inintelligible pour nous. Il ne s’agit ici que de ce qui vit toujours, de ce qui nous est éternellement contemporain dans la plus lointaine histoire. En un temps où l’héroïsme abonde, il n’est peut-être pas inutile de savoir quelle espèce de héros furent les saints et les martyrs, et, en nous demandant pour quoi ils sont morts, de dégager, avec le sens mystique, la signification humaine de leur sacrifice. Et ce récit de sanglantes horreurs est destiné encore à rappeler que les grands chocs de peuples, les misères, les dévastations, les atrocités les plus sauvages, les cruautés les plus savantes et les plus infernales, les pires retours à la barbarie ne sont point choses nouvelles qui doivent nous surprendre et affoler notre jugement ; enfin, qu’il n’est âge si sombre, terre si désolée, qui n’ait eu son rayon de joie, son petit jardin secret, plein d’ombrages et d’eaux vives.

Telle est la règle de l’humanité. Malgré l’effort obstiné des soldats du Bien, le Mal persiste invaincu. De là vient, avec la loi du sacrifice, la nécessité périodique du martyre, c’est-à-dire du témoignage en faveur de la justice et de la vérité. Le martyre n’est point de l’archéologie. Les martyrs ne sont point des ossements poudreux enfouis dans les niches des catacombes, ou dans les auges de pierre des nécropoles. Leur sang est une vivante semence qui doit fructifier jusqu’au dernier jour. Leur geste se renouvelle indéfiniment. Au temps de l’évêque Cyprien, après une longue paix de l’Église, on pouvait croire que l’ère des martyrs était close. Et voilà que Cyprien, lui aussi, comme autrefois Félicité et Perpétue et tous les confesseurs africains, dut quitter sa villa de Carthage et les doctes entretiens sous la treille, à l’époque des vendanges, pour s’en aller vers une vendange imprévue et terrible et jeter sa chair au pressoir de l’éternel Vendangeur…

10 juillet 1917.