tome 3 - Théâtre (2)
Œuvres complètes de VoltaireGarnier.




SAMSON

OPÉRA EN CINQ ACTES

NON REPRÉSENTÉ

(1732)

AVERTISSEMENT[1]

M. Rameau, le plus grand musicien de France, mit cet opéra en musique vers l’an 1732[2]. On était près de le jouer, lorsque la même cabale qui depuis fit suspendre les représentations de Mahomet ou du Fanatisme empêcha qu’on ne représentât l’opéra de Samson. Et tandis qu’on permettait que ce sujet parût sur le théâtre de la Comédie italienne[3], et que Samson y fît des miracles conjointement avec Arlequin[4], on ne permit pas que ce même sujet fût ennobli sur le théâtre de l’Académie de Musique.

Le musicien employa depuis presque tous les airs de Samson, dans d’autres compositions lyriques[5] que l’envie n’a pas pu supprimer.

On publie ce poëme dénué de son plus grand charme ; et on le donne seulement comme une esquisse d’un genre extraordinaire. C’est la seule excuse peut-être de l’impression d’un ouvrage fait plutôt pour être chanté que pour être lu. Les noms de Vénus et d’Adonis trouvent dans cette tragédie une place plus naturelle qu’on ne le croirait d’abord : c’est en effet sur leurs terres que l’action se passe.

Cicéron, dans son excellent livre De la Nature des Dieux[6] dit que la déesse Astarté, révérée des Syriens, était Vénus même, et qu’elle épousa Adonis, On sait de plus qu’on célébrait la fête d’Adonis chez les Philistins. Ainsi ce qui serait ailleurs un mélange absurde du profane et du sacré se place ici de soi-même.


SAMSON

PERSONNAGES DU PROLOGUE.


LA VOLUPTÉ.
plaisirs et amours.
BACCHUS.
HERCULE.
LA VERTU.
suivants de la vertu.


PROLOGUE.

(Le théâtre représente la salle de l’opéra.

LA VOLUPTÉ, sur son trône, entuinée des PLaISIUS ut dos AMOUKS.

LA VOLLPTt.

Sur les bords fortunés embellis par la Seine

Je règne dès longtemps. Je préside aux concerts charmants

Que donne Melpomène. Amours, Plaisirs, Jeux séducteurs, (jue le loisir fit naître au sein de la mollesse, Répandez vos douces erreurs ;

Versez dans tous les cœurs

Votre charmante ivresse ; Régnez, répandez mes faveurs.

CHOEUR à parodier.

Répandons, etc.

LA VOLUPTÉ.

Venez, mortels, accourez à mes yeux : Regardez, imitez les enfants de la gloire :

Ils m’ont tous cédé la victoire. Mars les rendit cruels, et je les rends heureux.

Entrée de héros armés et tenant dans leurs mains des guirlandes de fleursj BACCHUS, à Hercule.

Nous sommes les enfants du maître du tonnerre :

Notre nom jadis redouté

Ne périra point sur la terre ;

Mais parlons avec liberté : Parmi tant de lauriers qui ceignent votre tête.

Dites-moi quelle est la conquête Dont le grand cœur d’Alcide était le plus flatté.

HERCULE.

Ah ! ne me parlez plus de mes travaux pénibles, SAMSON.

Ni dos cioiix qiio j’ai souloniis : En CCS lieux je ne connais plus

Que la charmante lole et les Plaisirs paisibles. Mais vous, Racchus, dont la valeur

Fil du sang des liuniains rougir la terre et l’onde, Quel plaisir, quel barbare honneur Trouvez-vous à troubler le monde ?

BACCHUS.

Ariane m’ôte à jamais Le souvenir de mes brillants forfaits ;

Et par mes présents secourables Je ravis la raison aux mortels miséra])les, Pour leur faire oublier tous les maux que j’ai faits,

(Ensemble.)

Volupté, reçois nos hommages ;

Enchante dans ces lieux Les héros, les dieux, et les sages : Sans tes plaisirs, sans tes doux avantages. Est-il des sages et des dieux ?

UN AMOUR.

Jupiter n’est point heureux Par les coups de son tonnerre : Amour, il doit à tes feux Ces moments si précieux Qu’il vient goûter sur la terre.

Le dieu qui préside au jour. Et qui ranime le monde, Ferait-il son vaste tour S’il n’allait trouver l’Amour Qui l’attend au sein de l’onde ? Ici tous les conquérants Bornent leur grandeur à plaire ; Les sages sont des amants ; Ils cachent leurs cheveux blancs Sous les myrtes de Cythère. Mortels, suivez les Amours ; Toute sagesse est folie. Profitez de vos beaux jours : Les dieux aimeront toujours ; Soyez dieux dans votre vie. PROLOGUE.

LA VOLUPTÉ.

Ah ! quelle éclatante lumière Fait pâlir les clartés du Ijeau jour qui nous’^luit ? Quelle est cette nymphe sévère Que la sagesse conduit ?

CHOEUR.

Fuyons la Vertu cruelle ; Les Plaisirs sont hannis par elle.

LA VERTU.

Mère des Plaisirs et des Jeux, Nécessaire aux mortels, et souvent trop fatale,

Non, je ne suis point ta rivale ; Je viens m’unir à toi pour mieux régner sur eux. Sans moi, de tes plaisirs l’erreur est passagère ;

Sans toi, l’on ne m’écoute pas :

II faut que mon flamheau t’éclaire ;

Mais j’ai hesoin de tes appas.

Je veux instruire, et je dois plaire. Viens de ta main charmante orner la Vérité. Disparaissez, guerriers consacrés par la fahle :

Un Alcide véritable Va paraître en ce lieu, comme vous enchanté.

Chantons sa gloire et sa faiblesse, Et voyons ce héros, par l’amour abattu,

Adorer encor la Vertu,

Entre les bras de la iMollesse.

CHOEUR DES SUIVANTS DE LA VERTU.

Chantons, célébrons, en ce jour. Les dangers cruels de l’amour.

FIN DU PROLOGUE,
PERSONNAGES

SAMSON.

DALILA.

LE ROI DES PHILISTINS.

LE GRAND-PRÊTRE.

LES CHŒURS.

SAMSON
OPÉRA

ACTE PREMIER




Scène I.



Le théâtre représente une campagne. Les Israélites, couchés sur le bord du fleuve Adonis, déplorent leur captivité.)

DEUX CORYPHÉES.


Tribus captives,
Qui sur ces rives
Traînez vos fers ;
Tribus captives,
De qui les voix plaintives
Font retentir les airs.
Adorez dans vos maux le Dieu de l’univers.

CHOEUR.


Adorons dans nos maux le Dieu de l’univers.

UN CORYPHÉE.


Ainsi depuis quarante hivers
Des Philistins le pouvoir indomptable
Nous accable ;
Leur fureur est implacable,
Elle insulte aux tourments que nous avons soufferts.

CHOEUR.


Adorons dans nos maux le Dieu de l’univers.

UN CORYPHÉE.


Race malheureuse et divine.
Tristes Hébreux, frémissez tous :
Voici le jour affreux qu’im roi puissant destine
A placer ses dieux parmi nous.

’18 SAMSON.

Des prêtres mensoni^ers, ])leins de zèle et de rage, Vont nous forcer à plier les genoux Devant les dieux tie ce climat sauvage : Enfants du ciel, (|ue ferez-vous ?

CHOEUR.

Nous bravons leur courroux ; Le Seigneur seul a notre hommage.

CORYPHÉE.

Tant de fidélité sera chère à ses yeux. Descendez du trône des cieux, Fille de la Clémence, Douce Espérance Trésor des malheureux ; Venez tromper nos maux, venez remplir nos vœux. Descendez, douce Espérance.

SCENE IL

SECOND CORYPHÉE.

Ah ! déjà je les vois ces pontifes cruels.

Qui d’une idole horrible entourent les autels.

(Les prêtres des idoles dans l’enfoncement autour d’un autel couvert de leurs dieux.)

Ne souillons point nos yeux de ces vains sacrifices ;

Fuyons ces monstres adorés : De leurs prêtres sanglants ne soyons point complices.

CHOEUR.

Fuyons, éloignons-nous.

LE GRAND-PRÊTRE DES IDOLES.

Esclaves, demeurez, Demeurez : votre roi par ma voix vous l’ordonne. D’un pouvoir inconnu lâches adorateurs, Oubliez-le à jamais lorsqu’il vous abandonne ;

Adorez les dieux ses vainqueurs. Vous rampez dans nos fers, ainsi que vos ancêtres, Mutins toujours vaincus, et toujours insolents : Obéissez, il en est temps, Connaissez les dieux de vos maîtres.

CHOEUR.

Tombe plutôt sur nous la vengeance du ciel ! Plutôt l’enfer nous engloutisse ! ACTE I, SCÈNE III. -13

Périsse, périsse Ce temple et cet autel !

LE GUA.ND-PRÊTRE.

Rebut des nations, vous déclarez la guerre Aux dieux, aux pontifes, aux rois ?

CHOEUR.

Nous méprisons vos dieiiA, ot nous craignons les lois Du maître de la terre.

SCENE JII.

SAM SON entre, couvert d’une poau do liun ; LES PERSONNAGES DE LA SCÎiNE PRECEDENTE.

SAMSON.

Quel spectacle d’horreur !

Quoi ! ces fiers eidants de Terreur

Ont porté parmi vous ces monstres qu’ils adorent ?

Dieu des combats, regarde en ta fureur liCS indignes rivaux que nos tyrans implorent. Soutiens mon zèle, inspire-moi ; Venge ta cause, venge-toi.

LE GRAND-PRÊTRE.

Profane, impie, arrête !

SAMSON.

Lâches ! dérobez votre tête A mon juste courroux ; Pleurez vos dieux, craignez pour vous. Tombez, dieux ennemis ! soyez réduits en poudre. Vous ne méritez pas Que le dieu des combats Arme le ciel vengeur, et lance ici sa foudre ;

Il suffit de mon bras. Tombez, dieux ennemis ! soyez réduits en poudre.

( Il renverse les autels. ) LE GRAND-PRÊTRE.

Le ciel ne punit point ce sacrilège effort ? Le ciel se tait, vengeons sa querelle. Servons le ciel en donnant la mort A ce peuple rebelle. U SAMSON.

LE CHOEUR DES PRÊTRES.

Servons le ciel en donnant la mort A ce peuple rebelle.

SCENE IV.

SA.MSON, LES ISRAÉLITES.

SAMSON,

Vos esprits étonnés sont encore incertains ? Redontez-vous ces dieux renversés par mes mains ?

CHOEUR DES FILLES ISRAÉLITES.

Mais qui nous défendra du courroux effroyable D’un roi, le tyran des Hébreux ?

SAMSON.

Le Dieu dont la main favorable

A conduit ce bras belliqueux Ne craint point de ces rois la grandeur périssable. Faibles tribus, demandez son appui ;

Il VOUS armera du tonnerre ; Vous serez redoutés du reste de la terre,

Si vous ne redoutez que lui.

CHOEUR, /

Mais nous sommes, liélas ! sans armes, sans défense.,^

SAMSON. J

Vous m’avez, c’est assez ; tous vos maux vont finir. i

Dieu m’a prêté sa force, sa puissance : Le fer est inutile au bras qu’il veut choisir ; En dom])tant les lions, j’appris à vous servir. Leur dépouille sanglante est le noble présage

Des coups dont je ferai périr

Les tyrans qui sont leur image,

AIR.

l^euple, éveille-toi, romps tes fers, Remonte à ta grandeur première, Comme un jour Dieu du haut des airs Rappellera les morts à la lumière Du sein de la poussière, El ranimera l’univers. Peuple, éveille-loi, romps tes fers.

5

I ACTE I, SCÈNE [V. ’ 15

La liberté t’appelle ; Tu naquis pour elle ; Reprends tes concerts. Peuple, éveille-toi, romps tes fers’.

AUTRE AIR.

1/hiver détruit les fleurs et la verdure ; Mais du flambeau des jours la féconde clarté Ranime la nature, Et lui rend sa beauté ; L’affreux esclavage Flétrit le courage : Mais la liberté Relève sa grandeur, et nourrit sa fierté. Liberté ! liberté !

! . Lors de la translation des condrcs do Voltaire au Panthéon, le 10 juillet 1791, le cortège s’arrêta devant les Tuileries, et l’on y chanta ce chœur, mis en mu- sique par Gossec. (B.)

FIN DU PREMIER ACTE. ACTE DEUXIÈME.

SCENE I.

(Le théâtre représeate le péristyle du palais du roi : on voit à travers les colonnes des fv^rêts et des collines ; dans le fond de la perspective le roi est sur son trône, entouré de toute sa cour habillée à l’orientale. )

LE ROI.

Ainsi ce peuple esclave, oubliant son devoir,

Contre son roi lève un front indocile. Du sein de la poussière il brave mon pouvoir.

Sur quel roseau fragile

A-t-il mis son espoir ?

UN PHILISTIN.

Un imposteur, un vil esclave, Samson, les séduit et vous brave : Sans doute il est armé du secours des enfers.

LE ROI.

L’insolent vit encore ? Allez, quon le saisisse : Préparez tout pour son supplice : Courez, soldats : cliarqez de fers

Des coupables Hébreux la troupe vagabonde ;

Ils sont les ennemis et le rebut du monde,

Et, détestés partout, détestent l’univers.

CHOEUR DES PHILISTINS, derrière le théâtre.

Fuyons la mort, échappons au carnage ; Les enfers secondent sa rage.

LE ROI.

.J’entends encor les cris de ces peuples mutins : De leur chef odieux va-t-on punir l’audace ?

UN PHILISTIN, entrant sur la scè : ;e.

Il est vainqueur, il nous menace ; Il commande aux destins ; ACTE II, SCENE II. 47

Il ressemble au dieu de la guerre ; La mort est dans ses mains. Vos soldats renversés ensanglantent la terre ; Le peuple fuit devant ses pas.

LE ROI.

Que dites-vous ? un seul homme, un barbare, Fait fuir mes indignes soldats ? Quel démon pour lui se déclare ?

SCENE II.

LE ROI, LES PHILISTINS autour de lui ; SAMSON, suivi des Hébreux, portant dar.s une main une massue, et de Tautre une branche d’olivier.

SAMSON.

Uoi, prêtres ennemis, que mon Dieu fait trembler. Voyez ce signe heureux de la paix bienfaisante,

Dans cette main sanglante

Qui vous peut immoler.

CHOEUR DES PHILISTINS.

Quel mortel orgueilleux peut tenir ce langage ? Contre un roi si puissant quel bras peut s’élever ?

LE ROI.

Si vous êtes un dieu, je vous dois mon hommage ; Si vous êtes un homme, osez-vous me braver ?

SAMSON.

Je ne suis qu’un mortel ; mais le Dieu de la terre, Qui commande aux rois, Qui souffle h son choix Et la mort et la guerre, Qui vous tient sous ses lois, Qui lance le tonnerre. Vous parle par ma voix.

LE ROI.

Eh bien ! quel est ce dieu ? quel est le témoignage Qu’il daigne m annoncer par vous ?

SAMSON.

Vos soldats mourant sous mes coups, La crainte où je vous vois, mes exploits, mon courage. Au nom de ma patrie, au nom de l’Éternel, Respectez désormais les enfants d’Israël,

Théâtre. II. 2 18 SAMSON.

Et finissez leur esclavage.

lAÙ ROI.

Moi, (lu’aii sang philistin je fasse un tel outrage I Moi, mettre en liberté ces |)euples odieux ! Votre dieu serail-il plus puissant (pie mes dieux ?

SAMSON.

Vous allez IN’prouver ; voyez si la nature l ? econnaît ses commandements. Marbres, obéissez ; que l’onde la pins pure Sorte de ces rochers, et retombe en torrents,

^0n voit dos fontaines jaillir dans l’enfoncement. > CHOEUR.

Ciel ! ô ciel ! à sa voix on voit jaillir cette onde

Des marbres amollis !

Les éléments lui sont soumis !

Est-il le souverain du monde ?

LE ROI.

N’importe ; quel qu’il soit, je ne puis m’avilir A recevoir des lois de qui doit me servir.

SAMSON.

Eh bien ! vous avez vu quelle était sa puissance, Connaissez quelle est sa vengeance.

Descendez, feux des cieux, ravagez ces climats : Que la foudre tombe en éclats ;

De ces fertiles champs détruisez l’espérance.

’ (.Tout lo tli(Ati-o paraît emlirasc.)

Brûlez, moissons ; séchez, guérets ; Embrasez-vous, vastes forêts.

(Au roi.)

Connaissez quelle est sa vengeance,

CHOEUR.

Tout s’embrase, tout se détruit ; Un dieu terrible nous poursuit. Brillante flamme, affreux tonnerre, Terribles coups ! Ciel ! ô ciel ! sommes-nous Au jour où doit périr la terre ?

LE ROI.

Suspends, suspends cette rigueur, Ministre impérieux d’un dieu ])lein de fureur !

Je commence à reconnaître Le pouvoir dangereux de ton superbe maître ; ACTE II, SCKNE III. 49

Mes dieux longtoin|)s vaiiufiieurs commencent à céder, C’est à leur \()ix à me résoudre.

SAMSON.

C’est à la sienne à commander. Il nous avait punis, il m’arme de sa foudre : A tes dieux infernaux va porter ton effroi ; Pour la dernière fois peut-être tu contemples Et ton trône et leurs temples : Tremble pour eux et pour toi !

SCENE III.

SAMSON, CHOEUR d’iSRAÉ LITES. SAMSON.

Vous que le ciel console après des maux si grands, Peuples, osez paraître aux palais des tyrans : Sonnez, trompette, organe de la gloire ; Sonnez, annoncez ma victoire.

LES HÉBREUX.

Chantons tous ce héros, l’arbitre des combats : Il est le seul dont le courage

Jamais ne partage La victoire avec les soldats. Il va finir notre esclavage. Pour nous est l’avantage ; La gloire est à son bras ; Il fait trembler sur leur trône Les rois maîtres de l’univers, Les guerriers au champ de Bellone, Les faux dieux au fond des enfers.

CHOEUH.

Sonnez, trompette, organe de sa gloire ; Sonnez, annoncez sa victoire.

LES HÉBREUX.

Le défenseur intrépide D’un troupeau faible et timide Garde leurs paisibles jours Contre le peuple homicide Qui rugit dans les antres sourds : 20 SAMSON.

Le borp ; er se repose, et sa flûte soupire Sous ses doigts le teudre délire De ses innocentes amours.

CHOECH.

Sonnez, trompette, organe de sa gloire Sonnez, annoncez sa victoire.

FIN DU DEUXIEME ACTE. ACTE TROISIEME.

SCENE I.

(I.c théâtre représente un bocage et un autel, où sont Mars, Vénus, et les dieui de Syrie.

LE IlOI. LE GRAND-PRÊTRE DE MARS. DALILA,

prêtresse de Vénus ; CHOEUR. LE ROI.

Dieux de Syrie, Dieux immortels, Écoutez, protégez un peuple qui s’écrie Au pied de vos autels, Kveillez-vous, punissez la furie De vos esclaves criminels. Votre peuple vous prie :

Livrez en nos mains Le plus fier des humains.

CHOEUR.

Livrez en nos mains Le plus fier des humains.

LE GRAND-PRÊTRE,

Mars terrible,

Mars invincible,

Protège nos climats ;

Prépare

A ce barbare

Les fers et le trépas.

DALILA.

Vénus ! déesse charmante. Ne permets pas que ces beaux jours Destinés aux amours Soient profanés par la guerre sanglante. fi SAM SON.

CHOEUR,

Livrez en nos mains Le plus fier des huniains.

ORACI.K l)i ; S DIKIX l)K SYRIE.

u Samson nous a domptés ; ce glorieux empire

Touche à son dernier jour ; Fléchissez ce héros ; qu’il aime, (|u"il soupire : \ous n’avez d’espoir (|u’en l’Amour, n

u ALI LA.

Dieu des plaisirs, daigne ici nous instruire Dans l’art charmant de plaire et de séduire ; Prête à nos yeux tes traits toujours vainqueurs.

Apprends-nous à semer de fleurs Le piège aimable où tu veux qu’on l’attire.

CHOEUR.

Dieu des plaisirs, daigne ici nous instruire Dans l’art charmant de plaire et de séduire,

DALILA.

D’Adonis c’est aujourd’hui la fête ; Pour ses jeux la jeunesse s’apprête. Amour, voici le temps heureux Pour inspirer et pour sentir tes feux.

CHOEUR DES FILLES.

Amour, voici le temps, etc. Dieu des plaisirs, etc.

DALILA.

Il vient plein de colère, et la terreur le suit ; Hetirons-nous sous cet épais feuillage.

(Elle so retire avec les filles de Gaza et les prêtresses.)

Implorons le dieu qui séduit Le plus ferme courage.

SCENE IL SAMSON.

Le dieu des combats m’a conduit

Au milieu du carnage ; Devant lui tout tremble et tout fuit. Le tonnerre, l’affreux orage, Dans les champs font moins de ravage ACTE III, SCtîNH III. 23

Que son nom seul n’en a produit Chez le Pliilistiii plein de rage. Tous ceux (|ui voulaient arr^fcr Ce fier torrent dans son passage N’ont lait (jue l’irriter : Ils sent tombés : la mort est leur partage.

(On entend une harmonie douce.)

Ces sons harmonieux, ces murmures des eaux,

Send)lent amollir mon conrage. Asile de la i)aix, lieux charmants, doux ombrage, \ous m’invitez au repos.

(Il s’endort sur un lit de gaion.)

SCENE III.

DALILA, SAMSON.

CIIOELR DES PRÈ TRESSES DE VÉNUS, revenant sur la scène.

Plaisirs flatteurs, amollissez son Ame, Songes cliannants, enchantez son sommeil.

FILLES DE GAZA.

Tendre Amonr, éclaire son réveil. Mets dans nos yenx ton pouvoir et ta flamme.

DALILA.

Vénus, inspire-nous, préside à ce beau jour. Est-ce Ici ce cruel, ce vainqueur homicide ? Vénus, il semble né pour embellir ta cour. Armé, c’est le dieu Mars ; désarmé, c’est l’Amour. Mon cœur, mon faible cœur devant lui s’intimide. Enchaînons de fleurs Ce guerrier terrible ; Que ce cœur farouche, invincible, Se rende h tes douceurs.

CHOEUR.

Enchaînons de fleurs Ce héros terrible.

SAMSON se réveille, entouré des filles de Gaza.

OÙ suis-je ? en quels climats me vois-je transporté ?

Quels doux concerts se font entendre ! Quels ravissants objets viennent de me surprendre ! Est-ce ici le séjour de la félicité ? DALILA, à Samson.

Du charmant Adonis nous céli’brons la fêto :
L’Amour (Ml ordonna les joux ;
C’est rVniour qui les apprête :
Puissent-ils niériler un regard de vos ymix !

SAMSON.

Quel est co\ Adonis dont votre ^■oi\ aimable
Fait rehMilir ce Uonu s(’jour ?

DALILA.

(Vétail un héros indomptable,
Qui fut aimé de la mère d’Amour.
Nous ciiantons tous les ans cette aini ; ible aventure.

SAM SON.

Parlez, vous m’allez enchanter : Les vents viennent do s’arrêter ; Ces forêts, ces oiseaux, et toute la uatui-e. Se taisent i>oui" vous e(’{Miter.

DALILA se met A cOté do Samson. Lo duvur se range autour d’eux. Dalila chante cette cautatillo, accompagnée do peu d’instruments qui sont sur le théâtre.

Vénus dans nos climats souvent daigne se rendre :
C’est dans nos bois ([u’oii \itMit ; ij)i)r(Mi(1re
De son culte charmant I(Mis U^s S(M■l•(M~^ (li\iiis.
Ce fut près de coWo (Uidc. en ("es rianls jardins.
Que Venus enchanta le plus beau des humains.
Alors tout fut heureux dans uu »^ paix profonde :
Tout l’univers aima dans le sein du loisir.
Venus donnait au monde
L’exemple du plaisir.

SAMSON.

Que ses traits ont d’appas : que sa voix m’intéresse !
Que je suis étonné de sentir la tendresse !
De quel poison charmant je me sens pénétré !

DALILA.

 
Sans Venus, sans l’Amour. qu’aurait-il pu prétendre ?
Oans nos bois il est adore.
Quand il (’ut redoutable, il était ii^nore :
11 devint dieu dès (pi’il fut tendre.
Depuis cet heureux jour
Ces prés, cette onde, cet ombrage.
Inspirent le plus tendre amour
Au cœur le plus sauvage.

SAMSON.

ciol, C\ Iroublos inroiimis ! JVIais ce cœnv sauvai,^, (M jo no lo suis plus. •Il’ suis chanm> ; jVprouNO uiio flauuuo naissante.

Ah ! s’il (Mail une Venus. Si (h’s Vniouis rolto roino oliarmaiilc \u\ uïoiiols (Ml (Ml’ot pouvait so pivsoulor. Je vous proudiais pour « ’llo, « M croirais la flalItM".

DALILA.

Je pourrais do \ouus iuiilor la loudrosso. Heureux qui peut hriller dos l’ouv (pTolJo a sonlis ! Mais j’eusse aime pout-(’lri> un aulro ([uVilouis, Si j"a\ais olo la doosso.

SCÈNE IV

I.KS pnKi.KOKNïs, l.i : S lIliniKl \.

l.KS HKIIUKI \.

\o lardez point. \ono/ ; loul un pon|>lo lidolo KsI prôl à niai’clior sons \os lois : So\oz le prenuor dt> nos rois ;

Conihalle/ el roi ::ne/, : la i^Hoire vous appel U-.

SAMSON.

Je \(>us suis, je le dois ; j"ac(’« »pl(> m^s prosonis.
Ml !… (|uol oliarnio puissant maiMÔto !
\li ! dilVoro/ du moins, dilloro/. (|uol(|U(> tonips
Ces honneurs brillants qu’on m’apprête.

CHOEUR DES FILLES DE GAZA.

Demeurez, présidez jà nos fêtes :
Que nos cœurs soient ici vos conquetes.

DALILA.

Oubliez les combats ;
que la paix vous attire.
Vénus vient vous sourire,
L’amour vous tend les bras.

LES HÉBREUX.

Craii^noz N » plaisir <loc(>\ant
Où votre L’rand co’iir s’abandonne ;

i6 SAMSON.

L’Vnioiir nous drroho souvent

Los hioiis (]ue la gloire nous donne.

ClIOELll DES FILLES.

Demeurez, présidez à nos fêtes ;

Que nos cœurs soient vos tendres conquêtes.

DEUX HÉBREUX.

\enez, venez, ne tardez pas : ^os cruels ennemis sont j^rêfs à nous surprendre ; Hien n( ; peut nous défendre Que votre invincible bras.

CHOEUR DES FILLES.

Demeurez, présidez à nos fêtes.

Que nos cœurs soient vos tendres conquêtes.

SAMSON.

Je marraclie à ces lieux… Allons, je suis vos pas. Prêtresse de Vénus, vous, sa brillante image,

Je ne quitte point vos appas Pour le trône des rois, pour ce grand esclavage ;

Je les quitte pour les combats.

DALILA.

Me faudra-t-il longtemps gémir de votre absence ?

SAMSON.

Fiez-vous à vos yeux de mon impatience. Est-il un plus grand bien que celui de vous voir ? Les Hébreux n’ont que moi pour unique espérance, Et vous êtes mon seul espoir.

SCENE y.

DALILA.

Jl s’éloigne, il me fuit, il emporte mon âme ; Partout il est vaincjueur : Le feu que j’allumais m’enflamme ; J’ai voulu l’enchaîner, il enchaîne mon cœur. mère des Plaisirs, le CŒ’ur de ta prêtresse Doit être plein de toi, doit toujours s’enflammer !

Vénus ! ma seule déesse, La tendresse est ma loi, mon devoir est d’aimer. Écho, voix errante, Légère habitante ACTl- 111. SCKNE V.

De co l)oau sôjoiir, Écho, moDumcnt de l’amour, Parle de ma faildesse au liéros qui m’enchante. Favoris du printemps, de l’amour et des airs, Oiseaux dont j’entends les concerts, (liiers confidents de ma tendresse extrême, Doux ramaj^e des oiseaux, \ oix fidèle des échos, itépétez à jamais : Je l’aime, je l’aime.

FI\ nu TROISIKME ACTE, ACTE QUATRIEME.

SCENE I.

LE GRAND-PRÊTRE, DALILA.

LE GRAND-PRÊTRE.

Oui, le roi vous accorde à ce héros terrible ;

Mais vous entendez à quel prix : Découvrez le secret de sa force invincible,

Qui commande au monde surpris ;

Un tendre hymen, un sort paisible, Dépendront du secret que vous aurez appris.

DALILA.

Que peut-il me cacher ? il m’aime : L’indifl’érent seul est discret ; Sarason me parlera, j’en juge par moi-même L’amour n’a point de secret.

SCENE II.

DALILA.

Secourez-moi, tendres Amours, Amenez la paix sur la terre ; Cessez, trompettes et tambours, D’annoncer la funeste guerre ; Brillez, jour glorieux, le plus beau de mes jours.

Hymen, Amour, que ton flambeau l’éclairé ; Qu’à jamais je puisse plaire,

Puisque je sens que j’aimerai toujours ! Secondez-moi, tendres Amours, Amenez la paix sur la terre. ACTE IV, SCÈN1- : nr. 29

SCÈNE III.

SA.MSON, DALILA.

SA.MSO\.

Jai sauvé les Hébreux par l’effort de mon bras,

Et vous sauvez par vos appas

Votre peuple et votre roi même : C’est pour vous mériter que j’accorde la paix.

Le roi m’offre son diadème, Et je ne veux que vous pour prix de mes bienfaits.

DALILA.

Tout vous craint en ces lieux ; on s’empresse à vous plaire.

Vous régnez sur vos ennemis ; Mais de tous les sujets (|ue vous venez de faire,

Mon cœur vous est le plus soumis,

SAMSON ET DALILA, ensemble.

N’écoutons plus le bruit des armes ; Myrte amoureux, croissez près des lauriers ; L’amour est le prix des guerriers, Et la gloire en a plus de cliarmes.

SAMSON.

L’hymen doit nous unir par des nœuds éternels.

Que tardez-vous encore ? Venez, qu’un pur amour vous amène aux autels Du dieu des combats que j’adore.

DALILA.

Ah ! formons ces doux nœuds au temple de Vénus.

SAMSON.

Non, son culte est impie, et ma loi le condamne ; Non, je ne puis entrer dans ce temple profane.

DALILA.

Si vous m’aimez il ne l’est plus. Arrêtez, regardez cette aimable demeure.

C’est le temple de l’univers ; Tous les mortels, à tout âge, à toute heure,

Y viennent demander des fers. Arrêtez, regardez cette aimable demeure,

C’est le temple de l’univers.

Scène IV.



SAMSON, DALILA, cnoE.UR m : différents peuples.

I)E GUERRIERS, DE PASTEURS.

(Le temple de Vénus paraît dans toute sa splendeur, i

D.\LIL.\.
AIR.

Amour, volupté pure,
Anio de la nature,
Maître des éléments,
L’univers n’est formé, ne s’anime et ne dure
Que par tes regards bienfaisants.
Tendre Vénus, tout l’univers t’implore,
Tout n’est rien sans tes feux !
On craint les autres dieux, c’est Vénus qu’on adore :
Ils régnent sur le monde, et tu régnes sur eux.

GUERRIERS,

Vénus, notre fier courage,
Dans le sang, dans le carnage.
Vainement s’endurcit ;
Tu nous désarmes ;
Nous rendons les armes :
L’horreur à ta voix s’adoucit.

UNE PRÊTRESSE.

Chantez, oiseaux, chantez ; votre ramage tendre
Est la voix des plaisirs.
Chantez ; Vénus doit vous entendre ;
Portez-lui nos soupirs.
Les filles de Flore
S’empressent d’éclore

Dans ce séjour ;
La fraîcheur brillante
De la fleur naissante
Se passe en un jour :
Mais une plus belle
Naît auprès d’elle.
Plaît à son tour ;
Sensible image

ACTE IV, SCKN’E IV. 3-1

Des plaisirs du bel âge, Sensible image Du charmant Amour !

s A M s N.

Je n’y résiste plus : le charme qui m’obsède Tyrannise mon cœur, enivre tous mes sens : Possédez à jamais ce cœur (jui vous possède,

Et gouvernez tous mes moments. Venez : vous vous troublez…

DALILA.

Ciel ! que vais-je lui dire ?

s A. M s ON.

D’où vient que votre cœur soupire ?

D A L 1 1. A.

Je crains de vous déplaire, et je dois vous parler.

SA.MSON,

Ah ! devant vous, c’est k moi de trembler. Parlez, que voulez-vous ?

DALILA.

Cet amour qui m’engage Fait ma gloire et mon honlieur ; Mais il me faut un nouveau gage Qui m’assure de votre cœur.

SAMSON.

Prononcez ; tout sera possible A ce cœur amoureux,

DALILA.

Dites-moi par quel charme heureux, Par quel pouvoir secret cette force invincible ?…

SAMSON.

Que me demandez-vous ? C’est un secret terrible Entre le ciel et moi.

DALILA.

Ainsi vous doutez de ma foi ? Vous doutez, et m’aimez !…

SAMSOX.

Mon cœur est trop sensible ; Mais ne m’imposez point cette funeste loi.

DALILA.

Ln cœur sans confiance est un cœur sans tendresse.

SAMSOX.

JN’abusez point de ma faiblesse. 32 SAM SON.

DALILA,

Cruel ! ([xw] injuste refus ! Notre hymen en dépend ; nos nœuds seraient rompus.

SAMSON.

Que dites-vous ?…

D A L I L A.

Parlez, c’est l’amour qui vous prie.

SAMSON.

Ah ! cessez d’écouter cette funeste envie.

DALILA,

Cessez de ni’accabler de refus outrageants.

SAMSON.

Eh bien ! vous le vouiez ; l’amour me justifie : Mes cheveux, à mon Dieu consacrés dès longtemps. De ses bontés pour moi sont les sacrés garants : Il voulut attacher ma force et mon courage A de si faibles oi"tiements : Ils sont h lui ; ma gloire est son ouvrage.

DALILA.

Ces cheveux, dites-vous ?

SAMSON.

Qu’ai-je dit ? malheureux ! Ma raison revient ; je frissonne De l’abîme où j’entraîne avec moi les Hébreux.

TOUS DEUX ensemble.

La terre mugit, le ciel tonne. Le temple disparaît, l’astre du jour s’enfuit, L’horreur épaisse de la nuit De son voile affreux m’environne.

SAMSON.

J’ai trahi de mon Dieu le secret formidable. Amour ! fatale volupté ! C’est toi qui m’as précipité

Dans un piège effroyable ; Et je sens que Dieu m’a quitté.

SCÈNE V.

LES PHILISTINS, SAMSON, DALILA.

LE GRAND-PRÊTRE DES PHILISTINS.

Venez ; ce bruit affreux, ces cris de la nature ACTE IV, SCÈNE VI. 33

Ce tonnerre, tout nous assure Que du dieu des combats il est abandonné.

DALILA.

Que faites-vous, peuple parjure ?

SAMSON.

Quoi ! de mes ennemis je suis environné !

(Il combat.)

Tombez, tyrans…

LES PHILISTINS.

Cédez, esclave.

( Ensemble. )

Frappons l’ennemi qui nous ])rave.

DALILA.

Arrêtez, cruels ! arrêtez ; Tournez sur moi vos cruautés.

SAMSON.

Tombez, tyrans…

LES PHILISTINS, combattant.

Cédez, esclave.

SAMSON.

Ah ! quelle mortelle langueur ! Ma main ne peut porter cette fatale épée, Ah, Dieu ! ma valeur est trompée ; Dieu retire son bras vainqueur,

LES PHILISTINS.

Frappons l’ennemi qui nous brave : Il est vaincu ; cédez, esclave.

SAMSON, entre leurs mains.

Non, lâches ! non, ce bras n’est point vaincu par vous ; C’est Dieu qui me livre à vos coups.

(On l’emmène.)

SCÈNE VI.

DALILA.

désespoir ! 6 tourments ! ô tendresse ! Roi cruel ! peuples inhumains ! Vénus, trompeuse déesse ! Vous abusiez de ma faiblesse. Vous avez préparé, par mes fatales mains, L’abîme horrible où je l’entraîne ;

Théâtre. II. 3 34 SAM SON.

Vous m’avez fait aiinor le plus grand des humains Pour lu\ter sa morl et la mienne. Trône, tombez ; brûlez, autels, Soyez réduits en poudre. Tyrans allVeux, dieux cruels. Puisse un dieu plus puissant écraser de sa foudre Vous et vos peuples criminels !

C n OE II R, derriùic le théâtre.

Qu’il périsse, Qu’il tombe en sacrifice A nos dieux.

DALILA.

Voix barbares ! cris odieux ! Allons partager son supplice.

FIN DU QUATRIÈME ACTE.

I ACTE CINQUIÈME.

SCÈNE I.

SAM SON, enchaîné ; GABDES.

Profonds abinies de la terre*, Enfer, ouvre-toi ! Frappez, tonnerre, Écrasez-moi ! Mon bras a refusé de servir mon courage ;

Je suis vaincu, je suis dans l’esclavage ; Je ne te verrai plus, flambeau sacré des cieux Lumière, tu fuis de mes yeux. Lumière, brillante image D’un Dieu ton auteur. Premier ouvrage Du créateur ; Douce lumière, Kature entière, Des voiles de la nuit l’impénétrable horreur Te cache à ma triste paupière. Profonds abîmes, etc.

SCÈNE II.

SAMSON, CHŒUR d’hébreux.

PERSONNAGES DU CHOEUR.

Hélas ! nous t’amenons nos tribus enchaînées, Compagnes infortunées De ton horrible douleur.

1. Ce morceau fut célèbre. 36 SAMSON.

SAMSON.

Peuple saint, malheureuse race, Mon bras relevait ta grandeur ; Ma faiblesse a fait ta disgrâce. Quoi ! Dalila nie fuit ! Chers amis, pardonnez A de si honteuses alarmes.

PERSONNAGES DU CHOEUR.

Elle a (lui ses jours infortunés. Oublions à jamais la cause de nos larmes.

SAMSON.

Quoi ! j’éprouve un malheur nouveau ! Ce que j’adore est au tombeau ! Profonds abîmes de la terre, Enfer, ouvre-toi !

Frappez, tonnerre,

Écrasez-moi !

SAMSON ET DEUX CORYPHÉES. TRIO.

Amour, tyran que je déteste, Tu détruis la vertu, tu traînes sur tes pas L’erreur, le crime, le trépas : Trop heureux qui ne connaît pas Ton pouvoir aimable et funeste !

UN CORYPHÉE.

Vos ennemis cruels s’avancent en ces lieux ; Ils viennent insulter au destin qui nous presse ; Ils osent imputer au pouvoir de leurs dieux

Les maux affreux où Dieu nous laisse.

SCÈNE III.

LE ROI, CHœuR de philistins, SA ! \ISON, chœur d’hébreux.

LE ROI.

Élevez vos accents vers vos dieux favorables ; Vengez leurs autels, vengez-nous.

CHOEUR DE PHILISTINS.

Élevons nos accents, etc.

CHOEUR d’iISRAÉLITES.

Terminons nos jours déplorables. ACTE y, SCÈNE IV. 37

SAMSON.

Dieu vengeur ! ils ne sont point coupables ; Tourne sur moi tes coups,

CHOEUR DE PHILISTINS.

Élevons nos accents vers nos dieux favorables ; Vengeons leurs autels, vengeons-nous.

SAMSON.

Dieu !… pardonne.

CHœUR DE PHILISTINS.

Vengeons-nous.

LE ROI.

Inventons, s’il se peut, un nouveau châtiment : Que le trait de la mort, suspendu sur sa tête,

Le menace encore et s’arrête ; Que Samson dans sa rage entende notre fête ;

Que nos plaisirs soient son tourment.

SCÈNE IV.

SAMSON, LES ISRAÉLITES, LE ROI, LES PRÊTRESSES DE VÉNUS, LES PRETRES DE MARS.

UNE PRÊTRESSE.

Tous nos dieux étonnés, et cachés dans les cieux, Ne pouvaient sauver notre empire :

Vénus avec un sourire Nous a rendus victorieux : Mars a volé, guidé par elle : Sur son char tout sanglant, La Victoire immortelle Tirait son glaive étincelant Contre tout un peuple infidèle, Et la nuit éternelle Va dévorer leur chef interdit et tremblant.

UNE AUTRE.

C’est Vénus qui défend aux tempêtes De gronder sur nos têtes. Notre ennemi cruel Entend encor nos fêtes. Tremble de nos conquêtes, Et tombe à son autel. 38 SAMSON.

LE ROI.

Eh bien ! qu’est devenu ce dieu si redoutable, Qui par tes mains devait nous foudroyer ? Une feinuK » a vaincu ce iantùme effroyable, Et son bras languissant ne peut se déployer. Il t’abandonne, il cède à ma puissance ; Et tandis qu’en ces lieux j’enchaîne les destins. Son tonnerre, étoude dans ses débiles mains, Se repose dans le silence.

SAMSON.

(irand Dieu ! j’ai soutenu cet horrible langage, Quand il n’offensait qu’un mortel ;

On insulte ton nom, ton culte, ton autel ; Lève-toi, venge ton outrage.

CHOEUR DES PHILISTINS.

Tes cris, tes cris ne sont point entendus. Malheureux, ton dieu n’est plus.

SAMSON.

Tu peux encore armer cette main malheureuse ; Accorde-moi du moins une mort glorieuse.

LE ROI.

Non, tu dois sentir à longs traits L’amertume de ton supplice. Qu’avec toi ton dieu périsse, Et qu’il soit comme toi méprisé pour jamais.

SAMSON.

Tu m’inspires enfin ; c’est sur toi que je fonde Mes superbes desseins ; Tu m’inspires ; ton bras seconde Mes languissantes mains.

LE ROI.

Vil esclave, qu’oses-tu dire ? Prêt à mourir dans les tourments. Peux-tu bien menacer ce formidable empire A tes derniers moments ? Qu’on l’immole, il est temps ; Frappez ; il faut qu’il expire.

SAMSON.

Arrêtez ; je dois vous instruire Des secrets de mon peuple, et du Dieu que je sers Ce moment doit servir d’exemple à l’univers. ACTE y, SCÈNE IV. 39

LE ROI.

Parle, apprends-nous tous tes crimes ; Livre-nous toutes nos victimes.

SAMSON.

Roi, commande que les Hébreux Sortent de ta présence et de ce temple affreux.

LE ROI.

Tu seras satisfait.

SAMSON.

La cour qui t’environne, Tes prêtres, tes guerriers, sont-ils autour de toi ?

LE ROI.

Ils y sont tous, explique-toi.

SAMSON.

Suis-je auprès de cette colonne Qui soutient ce séjour si cher aux Philistins ?

LE ROI.

Oui, tu la touches de tes mains.

SAMSON, ébranlant les colonnes.

Temple odieux ! que tes murs se renversent, Que tes débris se dispersent Sur moi, sur ce peuple en fureur !

CHOEUR.

Tout tombe, tout périt. ciel ! ô Dieu vengeur !

SAMSON. l’ai réparé ma honte, et j’expire en vainqueur.

1. J’ai cru inutile de rapporter ici les huit vers cités par Voltaire dans sa lettre à Thiériot, du l" décembre 1731, comme faisant partie de Samson ; je ne saurais indiquer à quelle scène ces vers appartenaient. (B.)

FIN DE SAMSON.

  1. Cet Averlissement, que je crois de Voltaire, est dans l’édition de 1752 de ses Œuvres. C’est dans l’édition de 1740 que Samson avait paru pour la première fois, avec une Préface qui commençait ainsi : « Cet opéra qu’on donne au public avait été mis en musique, il y a quelques années, par un homme reconnu pour un des plus habiles musiciens de l’Europe. Des intrigues, qui s’opposent quelquefois au progrès des arts comme à toutes les autres entreprises, privèrent Paris de cette musique. M On public le poëme dénué, etc. » (Le reste, comme dans l’Avertissement.) La Préface existe encore dans les éditions de 1748 et 1751. (B.)
  2. Samson était composé dès 1731. Voltaire, dans sa lettre à Thiériot, du 1" décembre 1731, cite un menuet de huit vers, qui devait s’y trouver. J’ai mis cet opéra on 1732 ; c’est la date que lui ont donnée les éditeurs de Kehl.
  3. Le 28 février 1717, on avait représenté, sur le théâtre italien, Samson, tragicomédie en cinq actes, do L. Riccoboni. Le 28 février 1730, on joua le Samson, tragi-comédie, mise en vers par Romagnesi. Voyez ce que Voltaire en a dit dans ses Questions sur l’Encyclopédie. (B.)
  4. Arlequin n’est pas nommé parmi les personnages de la pièce ; mais le valet d’Acab emploie l’expression d’Arlequin : ohimé ! C’est lui qui, dans le cinquième acte, se bat contre un poulet d’Inde ; et peut-être ce rôle se jouait-il avec le costume d’arlequin. (B.)
  5. Principalement dans son opéra de Zoroastre, joué en 1749.
  6. Livre III, 23.