SALON


DE 1833.

TROISIÈME ARTICLE.


§. II. — MM. INGRES ET CHAMPMARTIN. — Mme L. DE MIRBEL.


Depuis un mois, la foule des promeneurs, prenant exemple sur l’admiration des hommes sérieux, se presse autour du portrait de M. Bertin l’aîné. Sans savoir pourquoi, sans soupçonner, même lointainement, les questions sans nombre, d’histoire et de critique, qui se rattachent à cet ouvrage important, elle se laisse prendre au charme de la vérité. Elle étudie, selon ses forces, les détails de la tête, rendus avec une si prodigieuse conscience  ; elle examine attentivement, avec une joie presque puérile, la réalité des étoffes, la saillie du fauteuil ; elle s’extasie devant l’attitude, si simple et si puissante à la fois ; elle ne se lasse pas de contempler avidement les yeux et les lèvres si pleins de regard et de parole.

Et je veux croire, après mûre réflexion, qu’il y a dans cet enthousiasme deux parts, à peu près égales, d’imitation et d’entraînement. Ils ne savent pas la raison de leur joie, mais ils se livrent aveuglément, et cèdent à l’attrait, sans interroger leur conscience, sans essayer de pénétrer le secret de leurs impressions. Puis, comme en France les donneurs d’avis dominent d’ordinaire les battemens de mains, les accélèrent ou les ralentissent au gré de leur voix indulgente ou sévère, la foule, toute spontanée qu’elle soit, n’est pas fâchée d’avoir, pour se raffermir et prendre confiance dans son plaisir, l’approbation des connaisseurs. Si elle courait le danger de l’ignorance ou de la méprise, elle plierait, ferait retraite, éclaircirait ses rangs, et renierait, au besoin, ses premiers applaudissemens.

Le succès de ce portrait est donc incontestable. Il a pour lui la double épreuve de l’enthousiasme et de la réflexion ; il séduit et résiste à l’analyse : à ces deux conditions nous en pouvons proclamer la légitimité.

Est-ce à dire pourtant qu’il faille absoudre de tout point les différentes parties de cette composition ? N’y a-t-il rien à reprendre, rien à blâmer dans les lignes, le dessin, la couleur et l’expression des morceaux ?

Ces questions, qui semblent vulgaires au premier aspect, et qui se peuvent poser à propos de toutes les toiles du Louvre, acquièrent ici une importance toute spéciale, parce qu’il s’agit d’un maître, du chef d’une école aujourd’hui florissante et vénérée, parce qu’il s’agit de M. Ingres. Depuis vingt ans qu’il poursuit laborieusement une volonté une et immuable, il n’a guère varié dans ses doctrines ni dans ses œuvres. Son enseignement, révélé par la parole ou le pinceau, ne s’est jamais proposé qu’un but. L’Odalisque, l’apothéose d’Homère, Virgile, traduisent la même intention. Le portrait que nous avons sous les yeux, rapproché des ouvrages précédens, n’indique pas, dans la pensée de l’auteur, la déviation la plus légère.

C’est à cette intention que nous devons demander compte d’elle-même. Et d’abord quelle est-elle ? que signifie le système de rénovation proposé par M. Ingres ? Est-ce une méthode originale et personnelle, ou bien un ressouvenir du passé ? Est-ce une voie inconnue jusqu’ici, ou bien une voie couverte de ruines et de décombres, et qu’il a déblayée ! En la suivant, la peinture française est-elle assurée d’un avenir glorieux, ou bien ne doit-elle trouver au bout de ce courageux pèlerinage qu’une cité morte, des autels sans prêtres, des temples muets, des symboles dont le sens est aujourd’hui perdu ?

Je me livre bien volontiers, pieds et poings liés, aux railleries des parleurs. Je consens à subir toutes les accusations de pédantisme et d’ergoterie qu’il pourra plaire à ces messieurs de diriger contre moi. Comme depuis long-temps je suis habitué à ne pas voir dans la critique un délassement littéraire, une palœstre phraséologique, une logomachie de rhéteur ; comme je préfère de beaucoup une idée simplement vêtue aux fastueuses coquetteries d’une période sonore et vide, j’accepterai sans colère et sans chagrin toutes les récriminations que je soulève. Je n’attache pas grande importance à m’entendre appeler professeur d’esthétique ; car en parlant de peinture, selon ma pensée, en remontant de l’œuvre à l’artiste, je n’entends pas apprendre au lecteur les prouesses acrobatiques ou les parades militaires de trois épithètes acharnées sur un mot qu’elles étouffent.

Je dois donc le dire en toute sécurité, la rénovation tentée par M. Ingres, me semble contraire aux lois de la saine logique. Il a fait et fera sans doute encore d’admirables ouvrages. Mais il a contre lui, contre l’avenir et la fécondité de sa méthode, l’histoire tout entière, qui défend de recommencer le passé. Il aurait tort de prendre la peinture à la mort de Raphaël, puisque l’école romaine n’était pas le dernier mot du génie humain, et que l’auteur des loges a trouvé dans les maîtres de Venise, de Bruxelles, d’Amsterdam et de Madrid des rivaux et des héritiers dignes de lui. Il aurait tort d’oublier volontairement les deux siècles révolus qui ont mis au rang des demi-dieux l’amant de la Fornarina. Paul Véronèse, Rubens et Rembrandt ont trouvé et montré des ressources nouvelles ignorées de l’ami de Jules ii. Chercher personnellement les procédés consacrés par leur nom, ce serait folie pure. Remonter au-delà de ces rois, méconnaître les dynasties qu’ils ont fondées, vouloir immobiliser la pensée dans les galeries du Vatican, c’est protester contre les lois éternelles qui régissent le développement de l’humanité.

Si l’on découvre dans le passé une conception qui n’a pu se faire jour et se produire, un projet qui n’a pu mûrir, parce que l’air de son siècle ne lui était pas bon, qu’on s’en empare, qu’on le fasse dieu, qu’on le féconde, qu’on l’accouche et qu’on le baptise, à la bonne heure. Mais choisir dans les soixante siècles évanouis une idée venue à terme, qui a joué son rôle et fait son temps, fouiller les cendres des volontés éteintes pour les ranimer, prendre pour guides des yeux qui ne voient plus, c’est une erreur étrange et déplorable.

C’est pourquoi l’admiration sérieuse que je professe pour le portrait de M. Bertin ne trouble en rien mon opinion sur M. Ingres. C’est un chef-d’œuvre de vérité, j’en conviens. Si la main inconnue à qui nous devons la tête d’Ajax, voulait ciseler le marbre d’après un pareil modèle, elle n’aurait rien à regretter et se passerait de la nature. Les mains sont modelées avec une finesse inimaginable. Oui. Mais, après Velasquez et Vandyck, était-il permis de ne tenir aucun compte du ton chaud et vigoureux de la tête originale ? Je réponds hardiment : non.

Aux plus beaux ouvrages de M. Ingres, il manquera toujours une condition de popularité, le progrès. Ils auront une valeur savante. Mais, comme ils ne seront pas de leur temps, ils n’obtiendront que de rares suffrages, et le succès que nous constatons ne fait pas obstacle à la réalité de cette prophétie.

M. E. Champmartin conserve, comme nous l’avions prévu, la suprématie qu’il avait acquise, il y a deux ans, dans la peinture de portrait. Nos visites assidues dans la galerie des trois écoles n’ont pas altéré notre première conviction. Après lui, au-dessous de lui, il y a des talens estimables sans doute, engagés dans une route plus ou moins vraie, amoureux du naturel, attentifs à surprendre la réalité, assez habiles à la copier. Mais parmi tous les portraitistes, je ne vois que M. E. Champmartin, qui élève la réalité au rang de la poésie.

Ce serait de notre part une coupable faiblesse que d’accepter le succès unanime de ses portraits comme une amnistie pour les imperfections que nous y avons découvertes. Il est le premier, je ne le nie pas. Mais ne peut-il pas mieux faire, et ne l’a-t-il pas prouvé ?

L’examen successif de ses ouvrages de cette année répondra pour nous. Il en est deux surtout qui ont fixé l’attention, M. le baron Portal et madame la vicomtesse d’H. — Je ne partage pas absolument les prédilections du public. Mais il y a dans ces deux toiles tous les élémens d’une discussion nourrie.

J’ai retrouvé dans la tête du baron Portal les qualités précieuses que j’avais distinguées en 1831 dans celle de M. Desfontaines. Le caractère sénile des joues et du regard présentait de grandes difficultés ; il y avait un double écueil à éviter : ou bien en soutenant les plans, le pinceau pouvait rajeunir le visage, ou bien en les multipliant, il tombait dans le détail et appauvrissait la nature. M. Champmartin a vu ce qu’il fallait faire, et il l’a fait. La ligne du torse courbé par l’âge et luttant pour se redresser est bonne et vraie. Les jambes titubantes, amaigries, et distantes sont bien saisies et bien rendues. Peut-être le vêtement manque-t-il de relief. Le fauteuil et le meuble sont traités avec une adresse merveilleuse. Le défaut le plus grave de cette composition consiste dans l’absence de profondeur. L’Œuvre de Joshua fournit de bons modèles, et c’est là surtout qu’on peut apprendre l’art si difficile d’agrandir le fond d’une toile sans diminuer l’importance de la figure. Je crois que M. Champmartin doit comprendre lui-même ce qui manque au cabinet du baron Portal, et qu’il regrette, comme moi, la précision qui ajouterait au charme de son portrait, et le rendrait plus durable.

Le portrait de madame la vicomtesse d’H… réunit bien des conditions de succès. Il est plein de grâce et de coquetterie, de finesse et d’élévation. Les lignes du visage, la coiffure, l’étoffe des manches et du corsage, la pose des mains et le regard voilé, composent un type choisi, qui séduit les curieux et provoque d’abord l’indulgence de la critique. Mais après ce premier éblouissement la sévérité reprend ses droits, réduit à leur juste valeur toutes les qualités qui menaçaient de lui imposer silence ; elle oublie son plaisir pour n’écouter plus que la raison, et alors il arrive que le regard semble noyé dans une vapeur indéfinissable. Je sais bien que cet accident particulier qui échappe à toute description est un des plus grands charmes qui se puissent imaginer ; je sais bien que les yeux clairs et nets sont dépourvus de puissance. Oui ; mais ce charme lui-même est renfermé dans certaines limites. Il faut que l’œil soit humide, mais il faut aussi que la prunelle soit distincte et accentuée. Autrement l’œil est égaré et ne peut plus voir. C’est ce qu’on peut observer en présence d’une lumière abondante et diffuse. Les mains méritent un reproche pareil. L’effacement des phalanges est sans doute une qualité très digne d’estime. La sculpture du seizième siècle, et les mains d’Henriette de France sont là pour témoigner. Mais quand on déguise la réalité, il faut la faire deviner en exagérant un principe supérieur à la réalité, et capable de suppléer par le mouvement et l’animation à l’exactitude littérale des lignes et des plans. Ne copiez pas les saillies articulaires, mais allongez les phalanges que vous effacez, assouplissez les doigts que vous ne voulez pas traduire mesquinement. Dans le portrait que j’ai sous les yeux, les doigts sont mous, mais non pas souples ; ils sont arrondis, mais non pas élégans.

Je préfère de beaucoup à cette toile une tête de jeune fille, le portrait de mademoiselle de R…, que le public n’a pas remarqué, et qui, pour la solidité du modelé, la richesse de la pâte, et l’éclat de la couleur, se place à côté des meilleurs maîtres.

Si j’ai bonne mémoire, en 1831, dans les derniers jours du salon, M. Champmartin avait envoyé une tête d’enfant, comparable, comme celle-ci, aux chefs-d’œuvre de Lawrence. Pourquoi dépense-t-il donc la meilleure partie de son talent dans ses moindres ouvrages ?

N’est-ce pas que, n’ayant à peindre qu’une tête, il éprouve le besoin de lui donner toute l’importance et toute la valeur qu’elle mérite, ne se dissimule aucune des difficultés du sujet, et retrouve pour lutter avec la nature, toutes les hardiesses et toutes les franchises qu’il avait en 1824 et en 1827 ; qu’il est peintre à son aise et ne se préoccupe d’aucune coquetterie, d’aucune ruse étrangère à son art, tandis que sur une toile plus étendue, ayant à plaire par mille endroits, à satisfaire des exigences supérieures et fantasques, involontairement il se laisse aller à l’escamotage, au subterfuge, au charlatanisme. Il n’ignore pas, je m’assure, ce que valent ces faux semblans de grâce et de nature. Il se fait à lui-même des reproches impitoyables, mais rares ; l’enivrement de succès, la sécurité d’une habileté supérieure, endorment trop souvent les scrupules qu’il ne peut détruire. Il sait qu’il pourrait mieux faire, et il s’arrête là où nous le voyons, par insouciance, par paresse, ou peut-être même parce qu’il ne veut pas risquer pour l’approbation entière de quelques esprits difficiles les applaudissemens de la majorité.

Je comprends très bien les motifs qui expliquent la manière actuelle de M. Champmartin. Mais je suis loin de l’excuser, et j’espère qu’il ne persistera pas dans l’insuffisance de son travail. Aujourd’hui qu’il est assuré de la popularité, que l’attention et la déférence ne peuvent lui manquer, après le plaisir du succès, il voudra se donner la joie de la conscience. Il sera, malgré lui, ramené à traiter plus librement et plus vraiment les mains et les yeux, qu’il sait traiter selon le goût du public. Il est descendu vers la foule et s’est fait comprendre d’elle  ; il est temps qu’il s’en sépare, qu’il remonte à son isolement, à sa volonté personnelle et première, et qu’il la force de venir à lui.

Madame L. de Mirbel offre à la critique pittoresque un sujet d’études du plus haut intérêt. Depuis six ans surtout, elle n’a pas cessé un seul jour de chercher le mieux, et souvent ses efforts ont été couronnés de succès. À dater du salon de 1827, elle s’est bien nettement séparée, par la franchise et la hardiesse de sa manière, des traditions de la miniature. Elle a tenté dans son art, si étroit en apparence, une révolution complète et décisive. Elle a voulu élever au rang de la peinture ce qui jusqu’à elle n’était qu’un jeu d’adresse et de patience. Tout au plus estimait-on un portrait sur ivoire à l’égal d’un bracelet ou d’un collier habilement travaillé. On s’occupait puérilement de la ressemblance littérale de la tête, de la richesse de l’encadrement ; on avait grand soin de placer au-dessous une boucle de cheveux de la personne aimée. Mais de l’expression intime du regard et des lèvres, de la solidité de l’exécution, de la logique des lignes, de l’arrangement, du sacrifice des détails mesquins, de l’exagération préméditée des masses importantes et significatives, personne ne soupçonnait qu’on pût s’en occuper à propos de miniature. On ne croyait pas que dans une besogne de cette nature il pût être question d’art sérieux. C’est à madame L. de Mirbel qu’appartient l’honneur entier de cette rénovation. C’est à elle que nous devons le spectacle inattendu de ces cadres où la volonté semble se jouer de la difficulté, et tire de la limitation même des moyens un nouveau motif de courage et de persévérance.

Je choisis parmi des ouvrages de cette année deux aquarelles et deux ivoires, M. D…, une tête de jeune homme que je prends pour anglaise, madame la marquise de P…, et la fille du duc de F… Jamais, j’en suis sûr, on n’a rien fait de plus jeune, de plus fin, de plus transparent que ce dernier morceau : les cheveux blonds et légers sont un vrai chef-d’œuvre, les yeux sont vivans, l’accentuation des pommettes et des tempes est franche sans dureté, et l’âge du modèle présentait de grands obstacles. Madame de P… est, je crois, le masque le plus soutenu que madame L. de Mirbel nous ait encore donné. Il n’y a pas une partie du visage qui ne soit en parfaite harmonie avec les autres, et qui, par ses relations avec elles, ne les rende nécessaires. Or, si l’on y prend garde, la nécessité est un des caractères les plus élevés que l’artiste puisse imprimer à son œuvre. Quand vous apercevez quelque part, dans une création, quelle qu’elle soit, le cachet de la nécessité, gravé si profondément qu’on ne pourrait altérer un seul élément de la composition sans troubler la composition tout entière, assurez-vous que l’intelligence à laquelle vous avez à faire est tout simplement du premier ordre. Si au contraire les choses qui vous plaisent le plus vous semblent pouvoir être impunément remplacées, soyez en défiance, car vous êtes en présence d’un talent secondaire. Les créations qui se distinguent par l’élasticité, c’est-à-dire par un caractère muable à volonté, sans danger, sans inconvénient, accusent une pénétration incomplète. La beauté traduite parfaitement n’est autre chose que la vérité parfaitement comprise et révélée sous une forme tellement logique et harmonieuse qu’on ne saurait la supposer autrement.

C’est pourquoi je préfère le portrait de madame de P… aux précédens ouvrages de madame de L. de Mirbel. Je révère et j’admire dans ce masque si fin, si vivant et si jeune, le sceau de la nécessité.

Le portrait de M. D… est traité avec une grande simplicité, sans petitesse et sans mesquinerie. Les chairs sont pleines de souplesse, les yeux regardent sans affectation ; ce que j’en aime surtout, et ce n’était pas la moindre difficulté, c’est l’aspect des joues qui donnent à la figure une physionomie heureuse et calme. Il y avait à craindre que l’obésité n’arrondît les plans au point de les effacer. Il n’en est rien.

La tête de jeune homme dont j’ai parlé est d’une élégance digne des meilleurs maîtres. On y retrouve toutes les qualités de l’auteur appliquées à un type très heureux, à un costume dont les couleurs se détachent très bien.

À côté de mon admiration très sincère pour ces quatre têtes, il y a place encore dans mon esprit pour un regret et un vœu, et j’espère que madame L. de Mirbel pourra les prendre en considération. Après ce qu’elle a fait jusqu’ici, je ne doute pas qu’elle ne se résigne à de nouveaux efforts. Le passé nous répond de l’avenir. J’avouerai donc sans hésitation, et sans vouloir compenser mes éloges par des récriminations systématiques, que l’auteur me semble avoir quelque chose à gagner dans la peinture des vêtemens. Ce que je demande est bien peu de chose. Il s’agirait seulement de les accuser plus largement, de procéder plus souvent par masses et de négliger plus volontiers le détail. Ce que j’exige, on le voit, est plutôt un sacrifice qu’une tâche. Mais au point où madame de Mirbel est aujourd’hui parvenue, toutes les remarques, si puériles qu’elles soient en apparence, acquièrent un grand intérêt. En donnant au vêtement une moindre perfection, elle augmenterait fatalement la valeur de ses têtes ; l’attention serait plus concentrée, et les yeux ne verraient dans les accessoires indiqués sobrement que le cadre obligé d’une figure. Non pas au moins que je conseille de laisser l’étoffe en ébauche. Il y aurait dans cette méthode un charlatanisme trop visible, et auquel un talent élevé ne peut se résigner.

Mais l’étude assidue des grands maîtres révèle évidemment les avantages du sacrifice que je demande. Il y a deux ans, madame de Mirbel, dans le portrait des demoiselles de P…, avait fait un fond de paysage. La critique, sans blâmer le paysage pris en lui-même, puisqu’il était d’une extrême simplicité, y vit cependant une occasion de distraction. La conscience de l’artiste s’est probablement rangée au même avis, puisque cette année ses têtes sont placées sur des fonds nus. Aujourd’hui je profite librement du droit qui m’est assuré par le perfectionnement progressif, et, à ce qu’il semble, indéfini du peintre auquel je m’adresse, pour signaler à sa persévérance une ressource nouvelle et facile. Je ne soupçonne pas ce qu’elle pourra gagner dans l’exécution et l’expression des têtes. Elle possède un savoir si profond, une habileté si exquise et si docile à toutes ses intentions, qu’elle ne doit plus connaître dans cette voie d’obstacle insurmontable. Elle aurait tort de n’ajouter pas à cet élément de succès et de durée, le plus sérieux et le plus difficile de tous, un élément secondaire, qui ressemble presque à un enfantillage, mais qui, cependant, concourt pour sa part à l’unité de l’effet. La réflexion, qui depuis long-temps lui est familière, lui donnera, j’en suis sûr, des conseils impérieux qu’elle suivra. Alors il faudra que la critique se taise et se contente d’approuver.


gustave planche.