Sainte Lydwine de Schiedam/Chapitre IX

Plon-Nourrit (p. 183-200).

IX


Ces voyages auxquels la conviait son ange, ne se confinaient pas absolument dans les régions magnifiques ou hideuses de l’au-delà ; très souvent, sans lui faire quitter la terre, il la conduisait, au loin, dans les pays sanctifiés par la mort du Christ ou à Rome pour qu’elle visitât les sept églises, voire même simplement dans les couvents du Pays-plat.

Ainsi que la sœur Catherine Emmerich, elle suivait, en Palestine, l’itinéraire du Rédempteur pas à pas, de la crèche de Bethléem au sommet du Calvaire. Il n’y avait pas un endroit de la Judée qu’elle ignorât. Un jour que son confesseur, qu’elle obtint la permission d’emmener plus tard avec elle, manifestait quelques doutes à propos de la réalité de ces excursions, Jésus dit à Lydwine :

— Veux-tu venir avec moi sur le Golgotha ?

— Ô Seigneur, s’écria-t-elle, je suis prête à vous accompagner sur cette montagne et à y pâtir et à y mourir avec vous !

Il la prit donc avec Lui et lorsqu’elle retourna dans son lit qu’elle n’avait pas corporellement évacué, l’on aperçut des ulcères sur ses lèvres, des plaies sur ses bras, des déchirures d’épines sur son front, des échardes piquées dans tous ses membres qui exhalaient alors, la poitrine surtout, un parfum très prononcé d’épices.

En la ramenant chez elle, son ange lui avait dit :

— Le Seigneur veut que vous remportiez avec vous, ma sœur, des signes visibles et palpables, afin que votre directeur sache bien que votre excursion en Terre Sainte n’a pas été seulement imaginaire, mais bien réelle.

Dans une autre pérégrination, alors qu’elle grimpait derrière son guide dans un ravin, elle se démit le pied et, quand elle recouvra ses sens, son pied fut, en effet, luxé et elle en souffrit pendant longtemps.

Il y avait donc un côté matériel dans ces déplacements et elle pénétrait effectivement avec son ange dans les cloîtres, lorsque celui-ci l’y transportait.

Une fois, le prieur du monastère de sainte Élisabeth situé près de Brielle, dans l’île de Voorne, vint la voir et elle lui fit, en causant, une description si exacte et si détaillée des cellules, de la chapelle, de la salle du chapitre, du réfectoire, de la porterie, de toutes les pièces de sa maison, qu’il en béa.

— Mais enfin, s’exclama-t-il, lorsqu’il fut revenu de sa stupeur, vous n’avez jamais pourtant habité chez nous !

— Mon père, répondit-elle, en souriant, j’ai parcouru bien souvent lorsque j’étais en extase, votre couvent, et j’y ai connu tous les anges qui gardaient vos moines.

Ce pouvoir qui semble extravagant de se doubler ou de se dédoubler, d’être simultanément dans deux endroits différents, la faculté de la bilocation, en un mot, qui confondait les contemporains de Lydwine, a été cependant accordée, avant et après elle, à bien des saints.

Brigide d’Irlande, Marie d’Oignies, saint François d’Assise, saint Antoine de Padoue se géminèrent, apparurent en des corps tangibles, là où ils ne se trouvaient point ; la bénédictine Élisabeth de Schonau assista, bien qu’elle fût dans un bourg distant de seize lieues, à la consécration d’une église à Rome ; la présence de saint Martin de Porres fut constatée, en même temps, à Lima et à Manille ; saint Pierre Régalat adorait le Saint-Sacrement dans une ville, tandis qu’il priait, à la même minute, au vu et au su de tout le monde, dans une autre ; saint Joseph de Cupertino causait avec des gens divers, ensemble, à deux places différentes ; saint François Xavier se dimidiait pareillement, sur un navire et sur une chaloupe ; Marie d’Agréda convertissait les Indiens au Mexique tout en siégeant dans son monastère de l’Espagne ; la bienheureuse Passidée se tenait, conjointement, à Paris et à Sienne ; la mère Agnès de Jésus visitait, sans bouger de son couvent de Langeac, M. Olier, à Paris ; l’abbesse bénédictine sainte Jeanne Bonomi fut aperçue, pendant quatre jours, communiant à Jérusalem, alors qu’elle n’avait cependant pas quitté son abbaye de Bassano ; le bienheureux Angelo d’Acri soignait une agonisante chez elle et prêchait, au même instant, dans une église ; le don d’ubiquité fut également dévolu à un convers rédemptoriste, Gérard Majella ; saint Alphonse de Liguori, enfin, consolait les derniers moments du pape Clément XIV à Rome, tandis qu’il séjournait, en chair et en os, à Arinzo.

Et cette grâce du Seigneur ne s’est pas arrêtée aux âges révolus. Elle existe bel et bien de nos jours. Catherine Emmerich, décédée en 1824, en est un exemple et une stigmatisée encore plus près de nous, car celle-là n’est morte qu’en 1885, la visitandine Catherine Putigny, a été vue, doublée à la même seconde, dans son cloître à Metz.

Le cas de Lydwine n’est donc point un cas isolé ; il n’est pas plus surprenant, d’ailleurs, que les miracles d’autre sorte dont sa vie abonde.

En résumé, ses relations avec les anges furent continuelles ; elle vivait autant avec eux qu’avec les gens qui l’entouraient. Ses liaisons furent-elles aussi fréquentes avec les saintes et les saints ?

Évidemment, elle eut avec eux d’étroits rapports, pendant ses voyages dans l’Eden, mais elle ne semble pas, ainsi que tant d’autres déicoles, avoir entretenu sur la terre un commerce suivi avec tel ou tel saint déterminé ; du moins, ses chroniqueurs ne nous en avisent pas. Une fois, nous la rencontrons, contemplant plus spécialement au Paradis saint Paul, saint François d’Assise et les quatre précellents docteurs de l’église latine : saint Augustin, saint Jérôme, saint Ambroise et saint Grégoire ; une autre fois, nous la surprenons recevant la visite chez elle de ces mêmes quatre docteurs qui l’invitent à prévenir Jan Walter qu’il doit décider l’une de ses pénitentes d’Ouderschie, à se rendre chez l’évêque ou chez le grand pénitencier du diocèse, afin d’obtenir l’absolution d’un péché réservé qu’il ne peut personnellement lui remettre ; et c’est, je crois, tout.

Au fond, sans négliger le culte auxiliaire de dulie, Lydwine était surtout hantée et possédée par l’Époux qui, du reste, lorsqu’il n’intervenait pas en personne, employait, de préférence aux saints, les anges pour lui servir de truchements auprès d’elle.

Cette impatience qui la tenaillait d’aller rejoindre le Bien-aimé dans le ciel, ne l’empêchait cependant pas d’être la femme la plus attentive aux choses de la terre, la femme la plus charitable pour les pauvres et les affligés.

Elle était réduite à vivre d’aumônes et elle les distribuait ces aumônes aux indigents. Condamnée à ne pouvoir sortir de son lit, elle chargeait la veuve Catherine Simon et ses autres amies de les répartir et leur recommandait d’acheter les poissons les plus fins et de les accommoder avec de fringantes sauces pour réjouir un peu les membres souffrants du Christ.

La veuve Simon, qui s’occupait plus particulièrement de ces emplettes et de ces partages, s’en acquittait avec tant de dévouement qu’après avoir prié Jésus de la récompenser, Lydwine lui dit, un jour, avec un air de joie extraordinaire, lorsqu’elle revint du marché :

— Le Seigneur est content de vous, ma bien chère, désignez la grâce qui vous tient le plus au cœur et j’intercéderai pour qu’elle vous soit accordée.

— Si vous m’obtenez le pardon de mes péchés et la grâce de la persévérance finale, je vous regarderai comme la meilleure des sœurs et des mères, répondit la brave femme. Quant au reste, je l’abandonne à votre charité.

— Vous ne réclamez pas peu de chose, fit la sainte, en souriant, cependant je me charge de présenter votre supplique qui ne peut déplaire à Dieu. Quant au reste que vous abandonnez à ma charité, le Sauveur y pourvoira ; allez donc, de ce pas, à l’église, y prier pour moi.

Et cette femme, qui était entrée triste et préoccupée, partit joyeuse, sachant bien que l’exoration de son amie serait écoutée.

D’autres fois, la veuve Simon et ses compagnes s’ingéniaient, dans l’intérêt même de la malade, à ne pas strictement lui obéir ; navrées de son propre dénuement, elles s’arrangeaient de façon à prélever sur les sommes qu’elle leur confiait les quelques deniers nécessaires pour subvenir à ses besoins. Elle s’apercevait de ces amicales supercheries et se plaignait.

— Je sais, disait-elle, vos bonnes intentions, mais plût à Dieu que vous eussiez été plus dociles, car ces malheureux que vous avez frustrés seront, un jour, rois dans les cieux et c’est manquer au respect qui leur est dû, que de les faire ainsi attendre.

Elle était, du reste, sagace et prévoyante ; quand elle détenait un peu d’argent, l’hiver, elle salait des viandes et les envoyait, l’été, garnies de petits pois, avec sa bénédiction, aux gueux qu’elle assistait ; d’autres fois, elle offrait des œufs, de la bière, du beurre, du pain, des poissons grillés et, lorsque ses moyens le lui permettaient, elle ajoutait pour les enfants malades un peu de lait d’amande ou de vin. Cette charité si prévenante fut rémunérée par de nombreux miracles.

Un jour, quand on eut retiré de la marmite un quartier de vache salée et quand on l’eut divisé en trente parts pour autant de familles, le quartier se retrouva intact.

— Eh bien, dit-elle, à ses intimes ébahis, eh bien de quoi vous étonnez-vous, n’est-il pas écrit, dans les Évangiles, demandez et il vous sera donné ?

Ce prodige fut reconnu par toute la ville et des personnes même à l’aise voulurent par dévotion goûter à ce plat.

Un autre jour, Lydwine, qui manifestait une prédilection pour les gens autrefois riches et tombés, par suite de revers de fortune, dans l’indigence, pour les pauvres honteux, en un mot, chercha vainement comment elle parviendrait à secourir certaines de ces familles ; ses provisions étaient épuisées et sa bourse était vide ; ses protégés mouraient littéralement de faim ; le cas pressait ; elle fit appel à la générosité d’un brave homme et celui-ci mit aussitôt cuire une épaule de porc et la lui apporta.

Cet homme était vraiment miséricordieux, car il était, lui-même, dans le besoin et il se condamnait, en se privant du seul morceau qu’il possédait, à ne manger que du pain. Il ne fut pas peu stupéfié lorsque, retournant chez lui, il vit, pendue dans sa cuisine, une autre épaule de porc beaucoup plus forte que celle dont il s’était dessaisi ; et cependant il jugeait impossible que quelqu’un se fût pendant son absence introduit chez lui.

Une autre fois encore, une mendiante épileptique, dont les accès étaient fréquents, errait par la ville ; elle fut terrassée par une attaque, en pleine rue, et se traîna, quand elle fut un peu pacifiée, jusqu’à la demeure de Lydwine ; elle bramait de soif et elle but toute la réserve d’eau de la sainte ; mais sa soif n’était pas étanchée. Se souvenant alors qu’il y avait un peu de vin dans le fond d’un pot, Lydwine l’en avisa ; elle se jeta dessus, mais ce fut comme une goutte de liquide sur une pelle rouge. De plus en plus altérée, cette femme suppliait qu’on lui découvrît un breuvage quelconque ; dans l’impossibilité où elle était de la satisfaire, Lydwine lui alloua un denier et cette femme s’en fut, joyeuse, dans un cabaret où elle finit par éteindre, avec des rasades de bière, l’incendie qui la dévorait.

Quelque temps après, la sainte, consumée par la fièvre, voulut à son tour boire ; ne se rappelant plus que la mendiante avait avalé son vin, elle pria son père de lui passer le récipient qui le contenait et il fut aussitôt rempli d’un vin rouge exquis, si bien préparé qu’elle put se dispenser de le couper d’eau ; il dura, de la fête de saint Rémy jusqu’à la Conception de la Sainte Vierge, c’est-à-dire près de deux mois ; à cette époque, la veuve Simon, qui ne connaissait pas ce miracle, fit gracieusement cadeau à son amie d’une cruche de vin ; elle avait choisi le meilleur qui se débitait dans la ville, aussi n’hésita-t-elle pas pour le transvaser, à renverser le pot encore à moitié plein du suc du crû céleste ; et la source de ce précieux cordial fut tarie.

Mais Lydwine ne bornait pas sa charité à des envois d’indispensables mets ; elle veillait aussi à ce que ses clients ne fussent privés de rien et elle se dépensait pour les vêtir.

Un prêtre lui fut signalé qui était dénué d’habits ; malheureusement le drap nécessaire manquait chez tous les marchands de Schiedam. Voyant sa peine, une femme qui l’aimait lui dit :

— Écoutez, j’ai gardé les six aunes de l’étoffe noire que voici, pour tailler une robe à ma fille ; à la rigueur, elles peuvent convenir à l’usage que vous leur destinez, les voulez-vous ?

Lydwine accepta le présent, fit semblant de mesurer l’étoffe, en se servant pour cela de sa bouche et du bras qu’elle pouvait manier ; et le morceau qu’elle serrait entre ses dents s’allongea tant et si bien, qu’il y eut plus de tissu qu’il n’en fallait pour confectionner et le vêtement de l’ecclésiastique et la robe de la fille.

La charité, telle qu’elle la comprenait, devait s’étendre à tout, devancer les besoins, être active et sans réticences.

Un soir que son confesseur et que quelques-uns de ses amis festoyaient ensemble, une voix se leva soudain, une voix douloureuse qui implorait l’aumône. Le prêtre, sans se hâter, ouvrit la porte et ne vit rien. Il s’était à peine remis à table qu’il entendit la même voix. Il sortit derechef et parcourut la rue, elle était déserte ; il rentra et comme, pour la troisième fois, la voix continuait de gémir, il se glissa par une autre issue et s’élança pour surprendre la personne qui le dérangeait ainsi ; mais il eut beau sonder la route, elle était vide !

Troublé par cet événement, et convaincu qu’il n’était pas la victime d’une farce, il se rendit, après le dîner, avec ses convives chez Lydwine et la consulta.

— Ô hommes trop lents à écouter l’appel du pauvre, s’exclama-t-elle, c’était un de vos frères, les anges, qui proférait ces plaintes. Il est venu pour vous éprouver, et pour s’assurer si vous n’oubliiez pas le Seigneur dans vos réjouissances. Plût à Dieu que vous eussiez deviné qui il était !

Cette charité extraordinaire avivait encore sa passion des souffrances qui allait, d’années en années, en grandissant. Décharger le prochain de ses maux et les ressentir à sa place, lui paraissait une chose due et parfaitement juste ; si résolue, si impitoyable pour elle-même, elle ne pouvait voir pâtir les autres, sans vouloir aussitôt les soulager.

Elle accomplissait, sans faiblir, cette mission de la suppléance que le Sauveur lui avait confiée ; elle se substituait, ainsi qu’il fut narré, aux âmes du Purgatoire, pour achever de subir leur peine ; elle se subrogeait à la Hollande, à sa ville natale, pour expier par des châtiments leurs démérites.

À un moment une guerre civile éclata à Schiedam. Comme toujours, au lieu de se défendre, les gens pacifiques s’enfuirent ; la cité risquait fort d’être saccagée par les vainqueurs et cependant l’un des hommes qu’ils poursuivaient et qui s’était, au début des hostilités, réfugié dans un autre hameau, revint et dit à des amis le suppliant de repartir :

— Je n’ignore pas le danger que je cours, mais je sais aussi que les prières de Lydwine me protégeront moi et la ville.

Ces paroles ayant été rapportées à la sainte, elle soupira humblement : je rends grâce au Seigneur qui inspire aux âmes simples une telle confiance en les prières de sa petite servante.

Et elle parvint en effet, — Dieu seul connaît en échange de quels nouveaux tourments ! — à déjouer les brigues et à réconcilier tous ces gens.

Une autre fois, elle dut encore intervenir auprès du Sauveur pour préserver la ville de la destruction qui la menaçait.

Une flotte ennemie qui avait déjà ravagé le littoral des autres provinces parut en face de Schiedam. Lydwine s’offrit en otage à Jésus, le supplia d’assouvir sa colère sur elle et, tandis que tous les habitants s’attendaient à être égorgés, la flotte, malgré ses efforts, malgré le vent qui lui était favorable, reculait au lieu d’avancer et elle finit par disparaître, repoussée, en quelque sorte, par les exorations de la sainte.

Elle était donc le paratonnerre de sa patrie ; mais quand elle avait été crucifiée pour tous, elle souhaitait encore de l’être pour chacun ; elle allait du plus grand au plus petit, du général au particulier ; elle le montra dans une autre circonstance.

Entendant, une matinée, des gémissements dans la rue, elle invita un ecclésiastique assis à son chevet à vérifier qui pleurait ainsi, au dehors. C’est une de vos amies qui est torturée par une rage de dents atroce, dit-il, en rentrant. Lydwine envoya aussitôt ce prêtre la chercher et, du ton le plus naturel, lui proposa d’endurer sa rage de dents, à sa place.

— Vous avez assez d’infirmités, répliqua la brave femme, sans encore vous charger des miennes ; priez seulement Notre Seigneur qu’il me délivre de cette crise.

Lydwine pria ; son amie fut dégrevée sur-le-champ, mais elle, elle souffrit tellement pendant vingt-quatre heures, de la mâchoire, qu’elle en hurlait.

Ce transfèrement d’un mal d’une personne à une autre, par la voie de l’oraison, se complétait par un autre phénomène. De ces calamités corporelles accumulées sur une sainte émanaient de salutaires effluences, des propriétés célestes de guérison. Une vertu sortait d’elle, ainsi qu’il est dit du Christ dans les Évangiles ; sa pourriture engendrait la bonne santé pour les autres.

C’est ainsi qu’un jour, une femme dont l’enfant malade poussait des cris déchirants, vint le déposer sur le lit de Lydwine. À peine y fut-il placé que ses maux cessèrent. Elle lui sourit et lui vanta, en des termes qu’il ne pouvait encore saisir, les délices de la chasteté ; et il se remémora ces leçons lorsqu’il grandit ; il les comprit et dès qu’il eut atteint l’âge de raison, il se fit religieux, en souvenir d’elle.

C’est ainsi encore qu’en Angleterre, un marchand qui n’avait jamais entendu parler de la sainte, se lamentait d’être affligé d’un mal de jambe incurable ; une nuit, tandis qu’il se désespérait, il s’endormit et une voix, en songe, lui dit : envoie quelqu’un en Hollande, à Schiedam ; il se procurera de l’eau dans laquelle une vierge du nom de Lydwine se sera lavé les mains et, tu l’appliqueras en compresse sur ton mal qui aussitôt s’évanouira.

Il dépêcha, dès son réveil, un messager à la sainte ; elle lui donna l’eau qui avait servi à ses ablutions et le marchand, dès qu’il en eut imbibé sa jambe, fut, en effet, guéri.

Il convient de remarquer que, dans tous ces miracles, Lydwine eut seulement recours aux obsécrations, car il est bien probable qu’en confiant un peu d’eau à l’anglais chargé de la rapporter dans son pays, elle pria pour la personne qui devait se lotionner avec ; elle était, en somme, plus passive qu’active, c’est-à-dire qu’elle n’agissait pas, par elle-même, ainsi que beaucoup d’autres saints qui chassaient les infirmités, avec un signe de croix, un attouchement, une imposition des mains. Elle, s’en remettait à Dieu, le suppliait de l’exaucer ; elle jouait le rôle d’une intermédiaire entre les malades et Jésus et c’était tout.

Une seule exception apparaît dans sa biographie, à cette règle qu’elle semblait s’être tracée ; ce fut le jour où une femme qui lui était chère, la veuve Simon peut-être, fut atteinte d’une fistule.

Lydwine l’incita d’abord à visiter les praticiens les plus renommés du pays. Ils furent tous d’accord pour déclarer qu’aucun espoir d’amélioration n’était possible. — Allons au grand médecin, fit alors la sainte. Elle se mit en prières, puis elle toucha doucement avec son doigt la fistule qui disparut.

Son inlassable charité ne se borna pas à des actes matériels, à des aumônes, à des cures, voire même à la suppléance des misères d’autrui ; elle s’exerça aussi dans le domaine spirituel et, là, elle pratiqua, une fois, la substitution mystique à un degré inconnu jusqu’à elle et dont il n’existe pas, je crois, un second exemple, dans les annales postérieures des saints.

Le fait que voici n’est-il pas, en effet, unique ? Je me contente de le raconter, tel qu’il figure dans les vies recueillies par les Bollandistes.

Un homme qui était un vrai scélérat fut assailli de remords, mais il n’osait s’adresser à un prêtre pour renverser devant lui, sa vie. Un jour que la grâce le torturait, il arriva chez Lydwine et, malgré sa résistance, il lui fit un aveu complet et détaillé de ses crimes, en la priant de les endosser et de les confesser à sa place.

Et elle accepta cette substitution d’âme et de personne. Elle appela un prêtre auquel elle confessa les turpitudes de cet homme, comme si elle les avait, elle-même, commises et elle accomplit la pénitence que le ministre lui infligea.

Quelque temps après, le sacripant revint.

— Maintenant, dit-il, que vous avez confessé mes péchés, indiquez-moi la pénitence que je dois pratiquer ; je vous jure que je l’exécuterai.

— Votre pénitence, c’est moi qui l’ai effectuée, répliqua Lydwine ; je vous demande seulement, pour votre mortification, de passer une nuit entière, sans bouger, sur le dos.

Le pécheur sourit, jugeant la coulpe douce et facile ; le soir, il s’étendit dans la position désignée et résolut, ainsi qu’il avait été convenu avec la sainte, de ne se tourner, ni sur le côté droit, ni sur le côté gauche ; mais il ne put s’endormir et cette immobilité ne tarda pas à lui paraître insupportable. Alors il réfléchit et pensa : je me plains et pourtant mon lit est moelleux et je n’ai pas, ainsi que la pauvre Lydwine, les épaules sur de la paille, à vif ; et cependant, elle est innocente, tandis que moi !

Le remords qui l’avait tant angoissé l’étreignit à nouveau ; il se révisa, pleura ses méfaits, se reprocha sa lâcheté et quand le jour eut commencé de luire, il courut se confesser à un prêtre, cette fois, et ce chenapan fut désormais intègre et cet impie devint pieux.

La tâche de Lydwine était d’autres fois moins pénible ; au lieu d’écouter les aveux de débauchés et de gredins, elle recevait les confidences de bonnes et de naïves gens ; tel, un ecclésiastique d’une admirable candeur qui l’aborda pour être éclairé sur l’état de son âme et de celles que son ministère l’obligeait à diriger.

Lydwine l’accueillit aimablement mais elle refusa de répondre à certaines de ses questions qu’elle estimait indiscrètes ; persuadé qu’il lui avait déplu, il fut, en sortant de chez elle à l’église et s’agenouilla, en pleurant, devant l’autel de la Sainte Vierge.

Là, il tomba — ce qui ne lui était jamais arrivé — dans le ravissement et il vit une jeune fille s’avançant à sa rencontre, accompagnée de deux anges qui chantaient le « Salve Regina » et il fut empli d’une telle joie que son âme aurait éclaté, si l’extase n’avait aussitôt pris fin.

Dès qu’il eut ressaisi ses sens, il se précipita chez la bienheureuse.

— Eh bien, fit-elle, lorsqu’il entra, le beau temps succède à la pluie, mon père, n’est-ce pas ?

Surpris, il s’écria : c’était donc vous qui marchiez escortée de deux anges, alors que j’étais prosterné dans la chapelle de la Madone !

Elle sourit, mais se tut.

Telle encore une excellente femme qui, tentée par le démon, sombra, après s’être vainement débattue, dans le désespoir ; ses amis ne parvenant pas à la remonter l’emmenèrent chez la sainte qui lui dit tout bonnement : tenez-vous en paix et attendez.

Quelques jours après, cette femme, projetée hors d’elle-même, se promena, ainsi qu’en un rêve, avec Lydwine dans un fastueux palais et elle y fut saturée de si impérieux parfums qu’une fois de retour sur la terre, les odeurs même les plus délicates lui paraissaient nauséabondes et que le cœur lui levait ; mais ses peines s’étaient évaporées dans le céleste tourbillon de ces senteurs et lorsque l’Esprit de Malice essaya encore de l’investir, elle subit ses assauts, sans fléchir.

Telle enfin une autre femme qui était mariée à une sinistre brute dont les incessantes colères se résolvaient en des dégelées de coups. Patientez, lui répétait Lydwine, alors qu’elle la suppliait d’obtenir par ses prières que ce butor devînt moins rogue ; mais les semaines se succédaient et la malheureuse n’en continuait pas moins à être battue comme plâtre, au moindre mot. Lasse de cette existence elle résolut de se pendre ; des amis, qui survinrent à temps, l’en empêchèrent ; alors elle rumina de se noyer dans la Meuse et elle profita d’un moment où son mari était absent et où ses intimes ne la surveillaient pas, pour gagner le fleuve ; mais, chemin faisant, elle réfléchit : Lydwine a toujours été si dévouée pour moi que je ne veux pas cependant mourir sans lui dire adieu ; et elle se dirigea vers sa maison.

À cet instant, Lydwine, entourée de ses garde-malades, s’exclama : allez au plus vite ouvrir la porte à celle qui va frapper, car son cœur se fond d’amertume !

Et dès qu’elle eut pénétré dans la chambre de la sainte, cette malheureuse s’affaissa sur les genoux et sanglota.

— Allons, ma bien chère, fit Lydwine, ne songez plus au suicide et retournez chez vous ; le bourreau que vous redoutez s’est changé en le plus affable des époux, je vous l’affirme.

Confiante en cette promesse, la femme, après avoir imploré et reçu la bénédiction de la malade, se rendit chez elle.

Son mari était couché et il dormait ; elle se déshabilla, sans bruit, pour ne pas le réveiller et s’assoupit à son tour ; le lendemain matin, elle trouva un homme souriant qui ne l’injuriait et ne la cognait plus. — Pourvu que cela dure ! pensa-t-elle, mais cela dura. — Ce rustre devenu, par miracle, si débonnaire, ne dévia plus.