René Prud'homme (p. v-xi).

PRÉFACE DE LA SECONDE ÉDITION


Notre modeste travail sur saint Yves s’est écoulé rapidement, grâce sans doute à l’importance du sujet et à l’amour du peuple pour notre grand saint.

Il nous a valu bien des éloges et des témoignages d’autant plus précieux qu’ils émanent d’illustres prélats, d’ecclésiastiques distingués et d’hommes de lois d’une grande renommée. Nous ne voulons pas en les produisant, distraire le lecteur qui n’a pour but que de s’édifier et de s’instruire.

À la vue de l’éclat donné par Monseigneur Fallières, notre évêque déjà si breton, à l’inauguration du magnifique tombeau élevé par son prédécesseur à la mémoire de saint Yves, nous avons éprouvé une certaine satisfaction d’avoir eu la pensée d’écrire ce livre pour le faire connaître aux nombreux étrangers qui se sont pressés dans les rues de Tréguier, pendant ces fêtes à jamais inoubliables.

Il y a bien là, si l’on veut, un peu d’amour-propre national, mais c’est pour la gloire du saint breton dont le culte en a reçu un si grand accroissement.

Une nouvelle édition m’était demandée. Monseigneur Fallières, toujours si bon pour moi, m’ayant autorisé et la faire paraître, je n’y ai fait que de légers changements, à cause de l’accueil si bienveillant du public pour la première. Quelques illustrations que notre sympathique éditeur a bien voulu y ajouter, feront connaître en partie ce qu’il y a de beau et de séduisant ait pays de saint Yves.


PRÉFACE DE LA PREMIÈRE ÉDITION


Nous sommes trop éloignés du temps de saint Yves pour connaître les détails de sa vie. Il ne nous reste, pour cela, que les documents écrits et la tradition toujours vivace au pays de Tréguier, sur le saint qui en fait la principale gloire.

Le procès-verbal de sa canonisation, ou du moins une copie assez exacte, trouvée comme par miracle chez un libraire de Leipsick il y a une vingtaine d’années, quelques légendes de bréviaires présentées sous une forme ou une autre, suivant la piété ou le but proposé dans la composition de son office ; son testament, écrit sur la muraille d’abord, puis sur une toile dans l’église de Minihy-Tréguier ; quelques feuillets de son bréviaire avec les restes du manoir de Kermartin et ses reliques pieusement conservées dans le trésor de la cathédrale de Tréguier ; c’est à peu près ce qui nous reste de cet homme merveilleux dont la sainteté a jeté un si vif éclat sur le XIIIe et le XIVe siècle, au pays et dans la Bretagne tout entière. Rien, par ailleurs, de ses sermons ou de ses plaidoyers, à part deux ou trois causes, entre autres celle de la veuve de Tours, conservées dans le souvenir des hommes de lois, et qui dénotent une grande finesse d’esprit chez notre compatriote.

Nous savons peu de choses sur les rapports de l’humble prêtre avec les hommes de son temps, ou les seigneurs de son pays ; on n’est même pas d’accord sur les noms de ses parents, qu’on écrit de différentes manières, ni sur l’époque et le lieu de son ordination ; on l’est encore moins sur la partie de sa vie qui la précéda, et les différents changements par lesquels il passa depuis son sacerdoce.

L’homme disparaît devant le saint !

C’est la mémoire du saint qui couvre d’une brillante auréole tout le pays de Tréguier. Elle projette ses glorieux reflets sur la France tout entière, et la capitale du monde chrétien compte, parmi ses beaux monuments, l’église élevée par la piété des bretons, en l’honneur de saint Yves, non loin de celle de saint Louis, son illustre contemporain. Des fresques, des peintures, des sculptures plus ou moins variées nous le représentent partout, plaidant pour les malheureux ou rendant la justice au pauvre peuple, sans vouloir écouter les riches qui lui offrent de l’or et des présents.

De son bréviaire, conservé au presbytère de Minihy, il ne reste que quelques pages lacérées par les pèlerins trop peu scrupuleux, et qui donnent à peine une idée de cette précieuse relique. Sa chasuble à l’église de Louannec, paraît authentique ; il n’en est pas de même de son lit, au manoir renouvelé de Kermartin. Quant aux noms des familles qui ont déposé dans la procédure de sa canonisation, ils ont tellement été défigurés par la traduction latine et l’ignorance des copistes, qu’on les reconnaît à peine, bien que les représentants de ces familles existent encore dans la région de Tréguier qui a fourni le plus grand nombre de témoins.

Si les documents écrits sont relativement rares pour une vie aussi prodigieuse, le souvenir des faits qui l’ont occupée s’est conservé intact dans les traditions du pays. Nos pères n’avaient guère que ce moyen de passer les principaux événements de la vie de chacun, à leur postérité qui en a toujours précieusement conservé la mémoire. Ce sont ces légendes, naïves si l’on veut, mais importantes à étudier, que l’on se transmettait de pères en fils, et sont parvenues jusqu’à nous avec toute la fraîcheur des premières années. Nous y aurons souvent recours.

Après les traditions, viennent les usages que nous aurons aussi à consulter. Plus que tous les autres peuples, les Bretons les ont conservés avec une scrupuleuse fidélité. C’est à ces usages qu’il faut recourir quelquefois ; car à défaut de documents positifs, on peut, dit Dom Guéranger, découvrir la vérité en consultant ce qui se voit encore de nos jours. Tite-Live enseignait déjà que, dans les choses qui se sont passées aux siècles primitifs, on peut regarder comme vrais les faits qui nous apparaissent comme vraisemblables : In rebus tam antiquis quae similia veri sunt pro veris accipiantur (Hist. de sainte Cécile).

En fait de légendes, nous en avons recueilli le plus possible et visité les lieux qui furent témoins des principaux miracles de la vie de saint Yves et des autres faits qui s’y rattachent. Nous les relaterons ici pour l’instruction de nos compatriotes, notre propre édification et la gloire de ce grand saint, modèle du clergé breton, dont chaque membre, j’aime à le constater, cherche à imiter son zèle et ses vertus.

Ce modeste travail, il n’est pas besoin de le dire, n’a nullement la pensée de surpasser, ni même d’égaler ceux qui ont déjà été publiés sur saint Yves. Comme M. Ropartz, qui restera toujours le véritable historien de notre grand saint, nous puiserons, dans ce riche fonds de l’Enquête de canonisation qui n’était qu’imparfaitement connu de son temps ; et puisque la fin de ce siècle est comme une heureuse résurrection du culte de saint Yves, on me pardonnera, je l’espère, de donner au public une vie que j’ai étudiée sur les lieux mêmes, dans ce pays de Tréguier, où tout parle encore, même aux yeux, de sa science, de son zèle et de son ardente charité pour les pauvres, et que Dieu a illustré par les miracles les plus éclatants.

Il était réservé à Mgr Bouché, notre éminent Évêque, qui parle la langue de saint Yves, de réhabiliter son tombeau profané par des mains étrangères, dans nos jours de malheurs. Les Bretons lui en seront toujours reconnaissants.