Saint Louis et Alfonse de Poitiers (L’Épinois)

Saint Louis et Alfonse de Poitiers (L’Épinois)
Revue des questions historiquestome 10 (p. 602-609).
SAINT LOUIS ET ALFONSE DE POITIERS[1]


La Revue des questions historiques peut avec un certain orgueil faire l’éloge du nouvel et savant ouvrage de M. Boutaric, car ses lecteurs ne peuvent oublier que le troisième numéro de la Revue (janvier 1867) a donné une partie de ce travail, sous le titre de : La guerre des Albigeois et Alfonse de Poitiers. Chacun connaît le succès qu’avait obtenu la France sous Philippe le Bel de M. Boutaric ; Saint Louis et Alfonse de Poitiers trouvera, nous n’en doutons pas, la même fortune, car on y rencontre la même science dans la mise en œuvre, le même intérêt dans le sujet et une richesse plus grande encore de documents inédits. Alfonse de Poitiers est un personnage nouveau dans l’histoire, mais son nom est désormais placé à côté de celui de son frère saint Louis, dont il imita les actes et servit la politique.

Quelle idée faut-il se former de la royauté féodale sous saint Louis ? — car sous Philippe le Bel, ce n’est déjà plus la royauté féodale. Il est intéressant mais difficile de le savoir directement, puisque les documents font trop souvent défaut et qu’on n’a guère l’espérance d’en découvrir d’autres. À côté de la royauté, il serait donc utile de rencontrer un gouvernement analogue afin de reconstituer par comparaison celui de saint Louis et de faire ainsi, selon le mot de M. Boutaric, de l’histoire comparée, comme les naturalistes ont reconstitué des espèces perdues en faisant de l’anatomie comparée. Or, s’il y a pénurie de documents pour l’histoire du domaine royal, il en est de même, plus ou moins, pour l’histoire des grands feudataires, comtes de Flandre, de Champagne, etc… Seul, le gouvernement d’Alfonse, frère de saint Louis, nous a laissé un grand nombre de pièces — quatre mille environ — qui permettent de saisir parfaitement, non-seulement les faits politiques, mais encore les détails de l’organisation financière, judiciaire et administrative de ses États.

La connaissance du gouvernement d’Alfonse offre un intérêt particulier. Possesseur de nombreuses provinces, Poitou, Saintonge, Auvergne, Agenais, Albigeois, Languedoc, Venaissin, Alfonse sut y faire aimer la domination française, en sorte que l’histoire de son gouvernement est l’histoire de l’annexion à la couronne de France des provinces de l’Ouest et du Midi. Comment s’y prit-il pour se faire aimer des peuples, justement froissés par une conquête à main armée ? Il respecta leur autonomie et garda en tout une égale justice ; s’il prit dans sa main, sans les laisser jamais flotter, les rênes de l’administration, s’il fut centralisateur, il sut aussi accepter dans chaque province les institutions existantes, les modifier ou en créer d’autres, dont l’utilité était évidente pour mettre à la raison les seigneurs violents ou les officiers cupides. Assurément la liberté — en prenant ce mot dans son sens général — n’existait pas au moyen âge, mais, comme le dit très-bien M. Boutaric, il y avait des libertés, des droits et des devoirs reconnus et sanctionnés. Saint Louis, mourant, recommandait à son fils la règle qui avait guidé sa conduite : « A justices tenir et à droitures sois loyaux et roide. » Alfonse avait eu et pratiqué la même maxime. Le livre de M. Boutaric nous le prouve abondamment.

Le traité de 1229, qui termina la guerre des Albigeois, ayant donné à la France le Languedoc, qu’Alfonse reçut aussitôt de la reine Blanche, il était naturel de parler de cette guerre, de ses causes, de ses résultats, et avant tout des institutions qui régissaient le pays où cette guerre éclata. La maison de Saint-Gilles semblait devoir prendre au Midi le rôle que la royauté capétienne s’apprêtait à jouer dans le Nord, tant elle était puissante et dominait sur des peuples unis par la même langue et les mêmes intérêts. Toutefois, cette civilisation méridionale, qui de loin jette tant d’éclat, n’était, nous dit M. Boutaric, qu’une vaine apparence ; la puissance des comtes de Toulouse était illusoire. Leur capitale était une république quasi-indépendante ; le système féodal était peu développé, car le Midi avait été moins que le Nord pénétré par la conquête germaine ; il y avait encore beaucoup d’alleux, c’est-à-dire de terres libres, et un régime municipal puissant restreignait les droits du seigneur. Ici une question intéressante se présente. Ce régime municipal fut-il, comme plusieurs l’ont cru, une continuation du régime municipal romain, et les consuls du XIIIe siècle peuvent-ils être acceptés comme les héritiers des anciens duumvirs ? M. Boutaric répond négativement, et c’est là un point d’histoire tout à fait neuf. Aucun texte ne permet d’établir cette perpétuité de juridiction. L’établissement du régime municipal en Languedoc fut toute autre chose que la suite des traditions romaines ; il ne fut pas non plus aussi pacifique qu’on le croit communément. Il y eut parfois dans les villes des insurrections violentes, et la force présida souvent à la naissance des consulats méridionaux. Le tiers-état était puissant dans ces contrées, et avait un esprit municipal aussi vivace mais moins exclusif que celui du Nord, car il admettait dans la commune les trois ordres : clercs et nobles siégeaient dans les conseils populaires à côté des bourgeois. C’est au milieu de ce pays, de ce peuple ardent, que, sous les yeux d’un clergé généralement assez relâché, l’hérésie vient à s’implanter ; non une hérésie déterminée dans sa croyance, mais multiple en ses manifestations : autant d’hommes, autant d’hérétiques différents, qui tous poursuivaient, il est vrai, le même but : la ruine complète de l’Église. On chercha à les convertir, mais les armes de la persuasion furent vaines, et comme, non contents de porter atteinte au dogme, ces hérétiques traduisaient leurs croyances en actes coupables, — M. Boutaric ne le dit pas assez, — la croisade fut prêchée contre les hérétiques du Midi. Le caractère purement religieux de l’expédition ne saurait être méconnu, a dit l’auteur, et il a raison ; il faut donc réduire de beaucoup l’influence de ces prétendues inimitiés de race qui auraient conduit les compagnons de Montfort. M. Boutaric explique la conduite prudente, circonspecte de Philippe-Auguste, et montre ensuite comment Louis VIII, aidé par un puissant mouvement du clergé méridional, entreprit la conquête des États de Raymond VII, devenu en ses derniers jours le champion autour duquel se rallièrent les catholiques patriotes qui l’avaient d’abord combattu. Une transaction habilement ménagée donna à la royauté une partie du Languedoc, et lui assura le reste. Le traité de Meaux fut donc, comme le dit M. Boutaric, un des grands faits de l’histoire de France.

À la période de guerre succéda la période de réparation, et c’est celle-là que le savant auteur étudie longuement. On a accusé Alfonse d’avoir anéanti la littérature provençale, mais cette littérature s’éteignit d’elle-même, malgré les efforts d’un prince lettré et ami des lettrés. On lui a reproché d’avoir tué la liberté ; ce n’est pas exact. Alfonse n’était pas un despote, mais un administrateur éclairé, juste et prudent. Nous allons le voir, en relevant d’après M. Boutaric les principaux actes de ce prince dans les matières financières, judiciaires, administratives.

Pour faciliter les transactions et le commerce, Alfonse, sans interdire les autres monnaies caorsine, raymondine, arnaudine, etc., qui eurent cours simultanément avec les siennes, introduisit l’unité de monnaie avec la base du système tournois, d’après le type même des monnaies royales, jusqu’à ce que saint Louis, ayant réclamé contre l’espèce de contrefaçon de la monnaie, Alfonse, tout en gardant le système du tournois, prit de nouveaux types. M. Boutaric a traité cette partie un peu ardue de son sujet avec grand soin : il établit que c’est bien deux cent dix-sept deniers tournois que l’on taillait dans un marc d’argent fin ; et à l’aide des baux au sujet de la monnaie du Poitou, il fournit de curieux renseignements sur les règles suivies dans la fabrication des espèces.

Outre cette unité de monnaie, Alfonse établit une administration financière régulière. Ici M. Boutaric rejette cette classification arbitraire des feudistes modernes en domaine corporel, incorporel, muable, etc., et, documents en main, il établit le budget complet des États d’Alfonse, budget de recettes et de dépenses. Les recettes ordinaires des sénéchaussées viennent de trois sources différentes : les rachats, ou droits de mutation, payés par les feudataires ; les domaines, ou revenus des terres, moulins, rivières et de cens, qui n’étaient pas toujours le prix du loyer de la terre, mais se produisaient sous vingt formes diverses en signe seulement de vasselage, revenus très-variés, de perception difficile, affermés aux prévôts qui pressuraient leurs administrés pour rendre leurs baux plus productifs ; enfin, la troisième source de recettes était les exploits ou produits de justice, comprenant entre autres les amendes dont la moitié appartenait au comte. Les dépenses des sénéchaussées étaient rangées sous cinq chefs différents : les gages des sergents, châtelains, etc. ; — les aumônes et les fiefs ou pensions accordés à d’anciens officiers ; — les œuvres ou dépenses d’entretien des châteaux et autres édifices, comme ponts et routes ; — les menues dépenses, comme le payement des messagers, l’échange de monnaies ; — enfin les gages des sénéchaux. Cette comptabilité fut à coup sûr imitée de celle du roi de France, et on peut comprendre le haut intérêt des détails donnés sur tous ces points par M. Boutaric. En évaluant en monnaie moderne le produit des recettes nettes prélevées par le comte Alfonse et versées au Temple, on trouve d’après divers comptes que ces revenus ordinaires s’élevaient à trois millions environ[2]. Outre les revenus ordinaires il y en avait d’extraordinaires, aides, double cens, fouage, puis les sommes accordées par le Pape, comprenant, par exemple, le produit des rachats du vœu d’aller en Terre sainte, etc…, et les confiscations sur les juifs et les hérétiques, dont M. Boutaric aurait pu parler dans le même chapitre que celui des autres impôts extraordinaires, sans leur en accorder un spécial.

Les dépenses du comte se divisaient en ordinaires et extraordinaires. Les ordinaires se partageaient en deux sections : dépenses de l’hôtel et dépenses diverses. L’hôtel du comte et celui de la comtesse avaient chacun leur comptabilité séparée. L’hôtel comprenait les dépenses en pain, vin, cuisine, écurie, chambre ; puis les dons et aumônes, les dépenses pour le train de chasse, le jeu ; puis les sommes consacrées à l’habillement du comte et de la comtesse, et des gens de service, sommes au milieu desquelles on trouve des dépenses de toute nature, en sorte qu’il y a bien en cet endroit un certain désordre. Mais la comptabilité tenue au Temple était excellente, et, à n’importe quelle époque, on connaissait la situation pécuniaire et l’argent disponible.

L’organisation judiciaire comprenait trois degrés de juridiction. Il y avait des tribunaux de première instance, des prévôts, juges, bayles, comprenant des juridictions seigneuriales et des juridictions municipales, par suite de ce fait qui n’avait pas encore été signalé qu’à la suite de la révolution communale, chaque citoyen eut le droit de se plaindre à ses magistrats ou au tribunal du seigneur. Outre ces magistrats, il y avait les jurés qui, en matière criminelle, ne se bornaient pas à apprécier les questions de fait comme de nos jours, mais appliquaient la loi et prononçaient les sentences. M. Boutaric constate, d’après un document nouveau, l’assistance judiciaire dont des textes déjà connus apprenaient l’existence. Il y avait des tribunaux d’appel formés par les juges des sénéchaux, sans compter que les sénéchaux tenaient en personne des assises ambulatoires dans leur sénéchaussée plusieurs fois par an. En dernier appel on avait le parlement de Paris. Enfin, on rencontrait une juridiction supérieure dans le Parlement particulier d’Alfonse, qui ne jugeait jamais les appels, mais certaines causes particulières. M. Boutaric, à l’aide de documents inédits, fournit des détails intéressants sur ce parlement qui n’était pas une cour féodale, mais une sorte de conseil d’État, sous la dépendance du comte ; il le compare, ou plutôt il observe qu’il ne faut pas le comparer avec le parlement royal de Paris, son supérieur en principe.

Comme saint Louis, Alfonse eut des enquêteurs, et M. Boutaric, qui a trouvé aux archives une partie des procédures des enquêteurs, un des plus curieux monuments historiques qui existent, entre à ce sujet dans quelques détails, renvoyant pour le surplus à un mémoire qu’il a lu à l’Académie, et qui a été inséré dans la première partie du tome XXII des Mémoires présentés par divers savants. Dans le principe, les enquêteurs décidaient eux-mêmes les plaintes d’un objet peu important qui leur étaient soumises, mais ils furent ensuite uniquement chargés de recevoir les réclamations contre les abus de pouvoir des baillis et des sergents, d’en vérifier le fondement au moyen d’une enquête, et de rapporter le résultat de leurs recherches au Parlement et au comte lui-même qui, nous le savons, se réservait de décider en dernier ressort. Un fait qu’il ne faut pas perdre de vue, observe M. Boutaric, c’est que les enquêteurs ne recevaient pas l’appel des sentences régulièrement rendues : ils ne connaissaient que des abus de pouvoir et des extorsions qui n’avaient pas été l’objet d’un jugement. C’est un spectacle admirable, dit-il encore, que de voir le soin avec lequel ils allaient au-devant des plaintes du peuple, et avec quelle justice ils prononçaient, soit contre le Roi, soit contre ses officiers. Alfonse, après avoir emprunté à son frère cette institution si utile, l’améliora et la rendit permanente. Quelquefois, comme en 1254, en Languedoc, les enquêteurs eurent un but politique ; ici c’était celui d’étudier les réformes que réclamait l’administration des provinces méridionales et de proposer celles qui paraîtraient désirables. Nous sommes amenés ainsi à dire un mot des rapports administratifs du comte Alfonse avec le clergé, la noblesse et le tiers-État, vaste sujet sur lequel M. Boutaric apporte également de nombreuses lumières.

Un fait inconnu jusqu’à ce que M. Boutaric le consignât dans son article de la Revue des questions historiques, doit être signalé. Il se rencontra des officiers du comte qui, du mépris de toutes les lois, revenaient sur les sentences de l’Inquisiteur ecclésiastique pour les aggraver. Le fanatisme peut-être, mais à coup sûr la cupidité, excitaient ces agents, car c’est pour augmenter les revenus en obtenant une confiscation que la sentence régulière ne comportait pas, que les juges séculiers faisaient illégalement périr sur le bûcher ceux que les inquisiteurs avaient seulement condamnés à la prison. Un dominicain, Renaud de Chartres, constata ces faits et dénonça énergiquement au comte Alfonse ces coupables abus ; une autre fois le sénéchal de Rouergue se plaignit vivement que l’évêque de Rodez, au lieu de condamner à mort six hérétiques, les eût condamnés seulement à la pénitence pour éviter ainsi à ces malheureux la confiscation. Ces révélations sont très-importantes pour apprécier l’état de l’opinion publique ; il est intéressant de voir ce conflit entre l’Inquisition et le pouvoir laïque au sujet de la punition des hérétiques ; certes, dirons-nous avec M. Boutaric, le beau rôle n’est pas du côté des agents du comte.

Avec les nobles, Alfonse, comme son frère saint Louis, se montrait sévère, mais juste. Dans les diverses provinces soumises au pouvoir du comte, la féodalité n’avait pas les mêmes allures. Dans le Poitou et la Saintonge, les biens qui unissaient le comte à ses vassaux étaient très-étroits, et ces derniers avaient envers leur seigneur des devoirs fort onéreux ; dans le Midi, ces liens étaient assez relâchés et, sauf en quelques endroits du comté de Castres et de la sénéchaussée de Carcassonne, la conquête de Simon de Montfort ne modifia pas sensiblement les anciens usages. Dès le XIIIe siècle, on pouvait, M. Boutaric en donne de curieux exemples, devenir noble moyennant finance, et, comme le dit un compte cité par l’auteur, un « novel chevalier, por esparnier à prouver sa noblesse, » n’avait qu’à payer deux cents livres. Dans le Midi même, la classe bourgeoise était tellement rapprochée de la classe noble que souvent les lignes de démarcation se trouvaient effacées. Partout, du reste, les tribunaux du comte, fortement organisés, firent la guerre à la féodallité, car tout fonctionnaire haïssait la noblesse et cherchait à satisfaire sa haine. Alfonse maintint vigoureusement l’ordre public, les justices seigneuriales furent surveillées, et si les excès furent encore nombreux, ils attirèrent la punition de leurs auteurs.

Les relations d’Alfonse avec le tiers-État sont tout à l’avantage de ce dernier. En 1270, le comte octroya à la ville de Riom la charte dite Alfonsine, qui devint comme le code du droit public de l’Auvergne pendant tout le moyen âge ; dans le Midi, où le tiers-État possédait déjà des fiefs nobles, on peut signaler un singulier changement d’idées de la part de certaines villes où, comme à Castel-Sarrazin et Moissac, on abandonna au comte la juridiction municipale et le droit d’élection des consuls, actes qui paraissent se rattacher, dit M. Boutaric, à une sorte de révolution communale qui est restée ignorée, mais dont on trouve des traces authentiques.

Peu sympathique peut-être aux libertés communales, Alfonse, néanmoins, n’en viola aucune, et fonda un certain nombre de villages ou bourgs dont les habitants furent dotés de privilèges réels. M. Boutaric en donne l’analyse. Les privilèges politiques sont très-restreints, car c’est le bayle, non les habitants, qui choisit les consuls, après avoir consulté les notables. Cependant la répartition de l’impôt est faite par douze habitants élus par le peuple ; tout ce qui touche à la liberté civile est clair, précis et satisfaisant. N’oublions pas que le tiers-État était appelé à se prononcer sur les demandes des subsides qui étaient faites à chaque communauté en particulier, et que, dans le Midi, il y avait des assemblées composées de membres des trois ordres. La réunion du Languedoc à la couronne inspira, dit M. Boutaric, l’idée de généraliser ces assemblées, et donna certainement naissance aux États généraux.

Ici doit se terminer l’analyse de l’ouvrage du savant archiviste, dont nous avons relevé au courant de la plume les principaux traits ; beaucoup d’autres offrent un intérêt égal, si ce n’est supérieur. Ainsi M. Boutaric prouve, contre l’opinion de M. Beugnot et de M. Henri Martin, que le traité d’Abbeville, passé en 1258 entre saint Louis et le roi d’Angleterre, loin d’être désavantageux, fut au contraire un chef-d’œuvre politique, car il établit légalement la prédominance du Roi dans tout le royaume, en faisant reconnaître sa suzeraineté par un puissant roi ; ainsi M. Boutaric constate que la fameuse ordonnance de saint Louis pour la réformation du royaume, avant d’être générale pour tout le royaume, fut spécialement appliquée aux sénéchaussées royales du Midi ; ainsi il constate que le droit de régale n’était pas établi légalement en Languedoc au XIIIe siècle. Parmi toutes les pièces analysées ou publiées in extenso, je ne relèverai plus que l’instruction donnée par Urbain IV aux inquisiteurs dans les États d’Alfonse, « véritable code, dit M. Boutaric, qui mérite de fixer l’attention, parce qu’il détermine les modes de procéder de l’inquisition au milieu du XIIIe siècle et permet d’apprécier les adoucissements apportés. » On y voit, entre autres dispositions, ce point important d’une sorte de jury qui assiste les inquisiteurs pour recevoir les dispositions, et que les inquisiteurs doivent consulter.

Nous ne pouvons mentionner ici, on le comprend, tous les faits instructifs que contient le nouvel ouvrage de M. Boutaric. Ce que nous avons dit suffira cependant, nous l’espérons, pour montrer l’importance d’un travail qui devient absolument nécessaire pour connaître l’organisation et les idées de la société féodale au XIIIe siècle. Après avoir obtenu un prix à l’académie des Inscriptions dans sa première ébauche au concours de 1861, Saint Louis et Alfonse de Poitiers vient d’obtenir cette année de la même académie le grand prix Gobert.


Henri de L’Épinois.
  1. S. Louis et Alfonse de Poitiers. Étude sur la réunion des provinces du Midi et de l’Ouest à la couronne et sur les origines de la centralisation administrative, d’après des documents inédits, par Edgard Boutaric, sous-chef de section aux archives de l’Empire, professeur à l’école impériale des Chartes. Ouvrage couronné par l’Institut. Paris, Plon, 1870, in-8o de 550 pages.
  2. M. Boutaric donne les chiffres exacts.