Saint Hippolyte et la Société chrétienne de Rome au commencement du IIIe siècle

Saint Hippolyte et la Société chrétienne de Rome au commencement du IIIe siècle
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 57 (p. 892-924).

SAINT HIPPOLYTE
ET
LA SOCIÉTÉ CHRÉTIENNE DE ROME
AU COMMENCEMENT DU IIIe SIÈCLE.

I. Hippolyte, Réfutation de toutes les hérésies, édition de MM. L. Danckor et F. E. Schneidewin, avec variantes et version latine ; Gœttingue 1859. — II. Hippolylus und seine Zeit (Hippolyte et son temps), par le baron C. C. J. de Bunsen. — III. Hippolytus und Kallistus, par J. Dœllinger. — IV. Hippolytus und die römischen Zeitgenossen (Hippolyte et ses contemporains romains), par la docteur Volkmar.


I.

Il y a près de quatorze ans déjà que le livre retrouvé sur les hérésies fut publié pour la première fois, et on peut encore en parler comme d’une découverte récente. Ce livre, attribué à un saint, à cet Hippolyte que l’on connaissait vaguement comme un polémiste religieux de la première moitié du IIIe siècle, fit grande sensation dans le monde théologique. La vive controverse qu’il suscita, à peine apaisée aujourd’hui, a jeté assez de lumière sur les problèmes qu’il pose à la critique pour que le moment soit venu d’en parler à ces lecteurs toujours plus nombreux qui aiment à suivre la marche des sciences religieuses. C’est d’ailleurs une bonne occasion de montrer à l’œuvre cette critique historique dont on a tellement peur qu’on finira par en faire une puissance de premier ordre. Il y aurait d’abord à raconter l’histoire extérieure du livre, le genre d’intérêt qu’il éveille, les efforts de la science pour lui arracher le secret de Ses origines. On passerait ensuite à un examen plus spécial, aux intéressans détails que nous donne cet ouvrage sur les débats intérieurs de l’église de Rome au commencement du IIIe siècle, aux réflexions enfin qu’il suggère sur l’état des croyances chrétiennes à cette époque, encore si mal connue naguère, mais que l’érudition contemporaine éclaire désormais d’un jour, sinon complet, du moins suffisant pour avancer en toute sécurité.

C’est à M. E. Miller, de l’Institut de France, que l’Europe savante est redevable de la première publication du livre d’Hippolyte. Parmi les manuscrits grecs achetés au Mont-Athos en 1842, par ordre de M. Villemain, et déposés à la Bibliothèque royale, il s’en trouvait un, intitulé De toutes les hérésies, sans date et sans nom d’auteur. Cette anonymité, le mauvais état du texte, le préjugé inspiré par un titre qui est celui de nombreuses et misérables compilations, le peu d’ancienneté du manuscrit, qui ne doit guère remonter plus haut que le XIVe siècle, tout cela fit qu’on le laissa pendant assez longtemps aussi tranquille dans sa case parisienne qu’il l’avait été depuis des siècles dans le trésor du couvent grec d’où l’on venait de le tirer. Cependant, vers 1845, les yeux exercés de M. Miller furent frappés, en le parcourant comme par hasard, de certains mérites qui ne permettaient plus de le traiter en condamné à l’obscurité perpétuelle. Il y avait dans ce texte des fragmens de Pindare, de poètes grecs inconnus, de philosophes dont nous ne possédons rien ou presque rien. Cela seul suffisait pour affriander un fin connaisseur ; l’examen fut poursuivi, et le résultat fut qu’on avait entre les mains un document de première valeur pour l’histoire de l’église et du dogme chrétien au commencement du IIIe siècle. Il est à regretter qu’une prompte publication faite en France même n’ait pas assuré à notre pays l’honneur sans partage de la résurrection d’un pareil monument de l’antiquité chrétienne ; mais, pour des motifs qu’il est malaisé de discuter, il fallut attendre jusqu’en 1851 et s’adresser à l’étranger pour trouver un éditeur. C’est l’université d’Oxford qui reçut ce beau cadeau des mains de M. Miller. Déjà on s’était aperçu que l’ouvrage retrouvé était la continuation d’un livre inachevé ordinairement rangé parmi les œuvres d’Origène et connu sous le nom de Philosophoumena. M. Miller, qui avait remarqué cette connexion avec beaucoup de sagacité, crut que le tout devait être attribué au fameux théologien d’Alexandrie, et donna à son édition d’Oxford le titre de Philosophoumena d’Origène. On peut le dire en toute assurance aujourd’hui, ce titre reposait sur une erreur, du reste fort excusable chez un savant qui n’a pas fait son étude spéciale de l’histoire des dogmes. Le vrai titre à donner à l’ouvrage est celui de Réfutation de toutes les hérésies. Il est surprenant qu’à Oxford même on n’ait pas immédiatement réclamé contre le titre erroné ; mais ne soyons pas trop sévères et sachons gré seulement à la vieille université de n’avoir pas estimé trop dangereuse une publication portant un nom aussi mal noté que celui d’Origène dans les fastes de l’orthodoxie.

Malgré le bruit que faisait alors la grande exposition universelle, le livre fut remarqué. Non-seulement on y glanait des fragmens inédits d’anciens auteurs grecs, on y puisait de plus des données toutes nouvelles sur les divers mouvemens de la pensée religieuse au IIe siècle de notre ère. Le gnosticisme, cette effrayante fourmilière d’hérésies, dont nous avons tâché, dans un précédent travail[1], de décrire la nature et l’importance, s’y trouvait dépeint d’une main beaucoup plus ferme et savante que celle d’Irénée, beaucoup moins passionnée que celle de Tertullien. De là rectification de plus d’une idée qu’on s’était faite auparavant faute de renseignemens suffisamment clairs sur cette étrange foison de systèmes. On y trouvait des détails circonstanciés sur des sectes dont on connaissait à peine le nom, et qui cependant devaient avoir eu de l’importance. En particulier, une des branches principales de l’unitarisme chrétien des premiers temps, celle qui eut pour représentant classique Sabellius, cet unitarisme qui tend à confondre les deux personnes du Christ et de Dieu pour maintenir l’unité réelle de la Divinité, était l’objet d’une critique approfondie, jetant un jour tout nouveau sur son origine et son histoire. Chose étonnante, s’il fallait en croire le livre retrouvé, deux évêques de Rome dont on ne savait rien jusqu’ici, Zéphyrin (200-218) et Calliste (218-223), auraient ouvertement professé cette doctrine, si sévèrement condamnée plus tard. Enfin on pouvait y recueillir des détails pris sur le vif par un contemporain parfaitement renseigné sur la vie intime des chrétiens de Rome aux environs de l’an 200.

L’auteur annonce lui-même son dessein de réfuter péremptoirement les hérésies, qu’il a, dit-il, combattues auparavant sous une forme plus abrégée. Maintenant il veut les ruiner entièrement en exposant tout au long ces funestes doctrines, et surtout en montrant que les hérésies ne sont autre chose que des décalques des systèmes philosophiques du paganisme ou des doctrines sacerdotales de certaines corporations lointaines, telles que les druides gaulois et les brahmanes de l’Inde. Le premier livre est donc consacré à reproduire les principales doctrines philosophiques de la Grèce antique[2] ; le second et le troisième malheureusement nous manquent. Toutefois on peut deviner, en s’aidant des indications éparses dans le reste de l’ouvrage, que le second livre s’occupait des mystères païens, et le troisième des systèmes astrologiques. Le quatrième, continuation de celui-ci, est tout rempli de très curieux détails sur l’art des Chaldéens, devins et magiciens du temps. On voit que l’auteur s’est donné beaucoup de peine pour pénétrer le secret des jongleries dont les thaumaturges de l’époque éblouissaient leurs nombreuses dupes. Il paraît que certaines sectes s’étaient approprié ces moyens suspects d’exercer du prestige sur les âmes faibles. Parfois les explications que l’écrivain grec en donne auraient bien besoin d’être expliquées elles-mêmes ; parfois aussi on y trouve des recettes dont nos prestidigitateurs feraient peut-être leur profit. Il sait par exemple comment il faut s’y prendre pour que le foie encore palpitant d’une victime paraisse aux spectateurs empreint de lettres formant un mot fatidique. Il connaît des mélanges liquides dont il suffit de s’humecter les mains pour que l’on puisse impunément les plonger dans la poix bouillante ou manier des charbons ardens. Il prétend qu’une mixture de cire et de teinture d’orcanète posée sur de l’encens qui brûle se résout en une liqueur de sang. Il décrit et explique de véritables scènes de spiritisme, et ce qui prouve qu’il n’y a jamais rien de bien nouveau sous le soleil, c’est qu’il doit déjà combattre des exégètes complaisans qui voulaient à tout prix qu’Aratus et Moïse fussent parfaitement d’accord dans leur manière de raconter la création. C’est à partir du cinquième livre que l’auteur arrive enfin à ces hérésies qu’il a promis de démolir de telle façon qu’il n’en reste rien. Le gnosticisme et ses nombreuses variétés remplissent ce livre et les trois suivans. Au neuvième livre, il s’attaque à des doctrines moins éloignées de la sienne, mais qu’il déteste, dirait-on, plus encore, car son ton, relativement modéré jusqu’alors, devient âpre et violent. On serait tenté de croire que c’est surtout en vue de l’hérésie de Noet, de Sabellius, de Calliste, qu’il a rédigé son livre. C’est qu’il s’agit là d’une doctrine qui a triomphé longtemps sous ses yeux, dans sa propre église, malgré ses énergiques efforts : il s’agit de cette doctrine unitaire dont nous avons déjà parlé, et peut-être de secrètes blessures d’amour-propre se joignent-elles au zèle orthodoxe pour la lui rendre odieuse. C’est surtout dans ce livre que se trouvent de précieux renseignemens sur l’état intérieur de l’église chrétienne à Rome au commencement du IIIe siècle. S’il faut ajouter foi aux assertions de l’auteur, non-seulement les évêques de Rome Zéphyrin et Calliste auraient été hérétiques au premier chef, mais encore leur caractère moral aurait laissé énormément à désirer, et même le second ne serait arrivé à l’épiscopat qu’après une vie criminelle et des intrigues méprisables. L’auteur a vécu de leur temps, tout près d’eux, et c’est après la mort de Calliste qu’il écrit. Enfin le dixième et dernier livre résume tout l’ouvrage en reprenant une à une les hérésies déjà combattues, et se termine par une profession de foi où l’auteur oppose en toute sécurité son orthodoxie aux erreurs de tout genre qu’il croit avoir réfutées.

Qui donc peut avoir été l’auteur de cet ouvrage d’un contenu si remarquable ? Personne, parmi les théologiens de profession, ne voulut admettre que ce fût Origène. Déjà auparavant on avait de fortes raisons de douter de l’authenticité de ces Philosophoumena, ordinairement rangés parmi ses œuvres ; la découverte du livre qui les aurait continués ne fit qu’aggraver les soupçons. Ce n’est ni le style ni surtout la doctrine du grand Alexandrin. Par exemple, l’auteur se prononce, comme Tertullien, pour la théorie spéculative d’après laquelle le Verbe serait sorti de Dieu à un moment précis de la durée. D’après Origène au contraire, la génération du Verbe, comme celle de toutes les âmes rationnelles, est éternelle. Origène, nous le savons par Eusèbe, n’a passé à Rome qu’un court espace de temps antérieurement aux faits principaux relatés dans l’ouvrage découvert ; l’auteur de cet ouvrage au contraire a évidemment vécu longtemps à Rome, s’est trouvé mêlé personnellement aux dissensions religieuses de l’église de cette ville, et il a écrit sous l’impression encore toute fraîche de ces longs débats. La paternité de l’écrit fut donc d’une commune voix absolument refusée à Origène. Quel était alors le vrai père ?

La critique allemande se trouvait à son poste. MM. Jacobi, Duncker, de Bunsen, travaillaient chacun à la solution du problème et parvenaient à un résultat identique, du moins quant au nom de l’auteur. Comme on a pu s’en assurer, le livre sur les hérésies contient des indications qui limitent assez étroitement le champ de la recherche. Il a été écrit certainement, dans la première moitié du IIIe siècle, par un chrétien de Rome ayant voix dans les conseils de l’église, en possession d’une véritable éducation philosophique et littéraire, et il serait bien étrange que son nom eût complètement disparu de la mémoire de l’église, quand on pense surtout à l’extrême pénurie de l’église occidentale en fait de grands théologiens pendant les trois premiers siècles de notre ère. La question ainsi resserrée, il n’y a que deux noms parmi ceux dont la tradition historique ait souvenance qui puissent entrer ici en ligne de compte, — Caïus, un presbytre romain qui s’est signalé en écrivant contre les montanistes et contre le gnostique Cérinthe, — Hippolyte, auteur de nombreux écrits perdus pour la plupart, mais dont l’historien Eusèbe[3] nous a conservé une liste assez nombreuse, qu’il dit lui-même incomplète. Ce fut en faveur d’Hippolyte que MM. Jacobi, Duncker, de Bunsen, se prononcèrent, et ce dernier avec une verve, un éclat qui, joint à la haute position qu’il occupait alors, à Londres, prit les proportions d’un événement. Ce fut même quelque chose de très piquant.

M. de Bunsen, une des figures les plus originales et les plus respectables de notre siècle, était alors ambassadeur de Prusse en Angleterre. Homme d’état éminent, mais de plus érudit de premier ordre, il utilisait les loisirs que lui laissait sa mission pour faire l’éducation théologique de l’Angleterre. Auparavant il avait passé de longues années à Rome, d’abord en compagnie de l’illustre Niebuhr, puis comme représentant de son pays près du saint-siège. Là, il avait pu donner libre cours à sa passion pour les études d’archéologie religieuse ; il avait en particulier fait de véritables fouilles sur le terrain des anciennes liturgies, et même, obéissant à un penchant très prononcé pour le mysticisme, il avait fait usage de ses découvertes pour organiser un service liturgique assez compliqué dans la chapelle protestante qu’il avait ouverte à l’hôtel de l’ambassade prussienne. Ce goût des cérémonies ecclésiastiques et sa préférence marquée pour le système épiscopal l’avaient fait très bien accueillir à Londres par les partisans de la haute église. Les infortunés étaient bien loin de se douter que cet admirateur de l’épiscopat, cet ami intime du pieux roi qui venait de fonder l’évêché anglo-prussien de Jérusalem, ce parfait gentleman qui alliait la bonhomie, la rondeur allemande à la plus exquise amabilité de l’homme de cour, introduisait tout doucement le venin de la critique dans les veines vénérables de l’église établie. Ce n’est pourtant pas qu’il y mît la moindre malice. M. de Bunsen appartenait à cette génération allemande sortie des fortes commotions du commencement de ce siècle, qui eut l’art d’introduire le rationalisme à large dose dans les formules et les institutions religieuses en apparence les plus rebelles à une pareille opération. Plus il avança vers le terme de sa belle vie, plus il rompit avec ses velléités romantiques. Les excès de la réaction qui suivit les terreurs de 1848 firent même de lui un libéral déterminé : ses Signes des Temps furent le premier grand coup porté au système politico-religieux qui célébrait son triomphe dans la conclusion du concordat autrichien. Si j’ose ajouter un détail tout personnel, je dirai que, parmi mes papiers les plus précieux, je compte une lettre écrite peu de temps avant sa mort par le noble vieillard, lettre où il m’exprimait ses chaudes sympathies pour les idées religieuses énoncées par moi dans la Revue[4].

Toutefois en 1852 M. de Bunsen n’en était pas encore là, bien que sa seconde manière parût déjà dans les écrits qu’il composait en anglais et, chose assez bizarre, qu’il faisait traduire par d’autres dans sa langue maternelle. Il se déclarait incapable d’écrire un même livre dans les deux langues, bien qu’il les possédât parfaitement l’une et l’autre ; mais, je l’ai dit, il avait surtout à cœur de réformer la théologie anglaise, de la rendre moins routinière, moins défiante vis-à-vis de la critique allemande, moins contraire aussi à des évidences peut-être embarrassantes pour les théories du XVIIe siècle, mais auxquelles il faut pourtant se résigner, parce que ce sont des stubborn things, des choses têtues, comme le sont toujours des faits constatés et démontrés. Ce fut avec un enthousiasme vraiment juvénile qu’il s’empara de l’excellente occasion qui s’offrait à lui de donner une leçon de haute théologie à son aristocratique auditoire. Tout s’y prêtait. Il s’agissait d’un très ancien auteur chrétien imprimé aux frais de l’université d’Oxford et de son temps placé sur les sommets de la hiérarchie ecclésiastique, de plus orthodoxe zélé pour la conservation des saines doctrines, pénétré d’une sainte horreur de l’hérésie, et, pour combler la mesure, en guerre ouverte avec deux papes contemporains ! Si la haute église n’avait pas été contente, elle eût été bien difficile. Il est vrai que l’orthodoxie du vieux controversiste romain différait sensiblement de ce qu’on appelle de ce nom en Angleterre, et que, ne pouvant en conscience signer les trente-neuf articles, il eût couru grand risque d’être exclu des chaires de l’église anglicane : encore fallait-il voir ; on ne pouvait pas éconduire sans forme de procès un visiteur si bien présenté ! D’ailleurs son introducteur affirmait qu’il suffisait de parcourir son livre pour être en état de réfuter péremptoirement « le roman » élaboré à Tubingue sur les origines du christianisme, et cela n’était pas à dédaigner.

L’ouvrage en quatre volumes que M. de Bunsen publia en anglais sous le titre de Hippolytus and his Age fit donc grand bruit et éclipsa pour un temps les travaux moins brillans consacrés au même sujet. Voici en résumé comment M. de Bunsen établissait qu’Hippolyte, le saint canonisé dont la fête se célèbre chaque année le 13 août, est l’auteur du livre retrouvé par M. Miller. D’abord Eusèbe, Jérôme et la Chronique pascale font de lui un contemporain de l’évêque romain Zéphyrin, et affirment d’un commun accord qu’il a écrit un livre contre toutes les hérésies. Le patriarche Photius, qui notait chaque jour avec ses réflexions les lectures qu’il avait faites dans sa riche bibliothèque byzantine, dit qu’il a lu un traité d’Hippolyte où celui-ci combat trente-deux hérésies (dans notre livre, il y en a trente-quatre ; mais M. de Bunsen croyait pouvoir en retrancher deux et n’en être que plus exact). Ensuite l’auteur nous apprend lui-même, vers la fin de son ouvrage, qu’il a composé un traité philosophique sur l’essence de l’univers, et nous savons encore par le même Photius que ce traité s’intitulait aussi tout simplement : De l’Univers. C’est ici que l’archéologie vient en aide à la critique. Dans une salle du Vatican se trouve une statue de marbre déterrée au XVIe siècle, et qui représente un homme assis sur une cathèdre ou siège d’honneur. Cette statue passe pour celle d’Hippolyte, et non sans raison. Le dos du siège porte des inscriptions grecques dans lesquelles on reconnaît un catalogue d’ouvrages fort semblable à celui qu’Eusèbe et Jérôme nous ont transmis sous le nom d’Hippolyte, en particulier un canon pascal, c’est-à-dire un indicateur des jours sur lesquels doit tomber chaque année la fête de Pâques, embrassant une période de sept fois seize années, précisément comme celui que ces deux écrivains lui attribuent. Cette statue, qui doit être du IVe siècle, a été trouvée sur l’emplacement d’un ancien cimetière, tout près du tombeau de saint Laurent, au martyre duquel, selon la tradition, Hippolyte fut associé. Il n’est donc pas douteux que cette statue ait été sculptée en l’honneur d’Hippolyte, lors même qu’il serait difficile de penser qu’elle reproduit ses traits réels. Eh bien ! parmi les écrits dont les titres sont gravés sur le dos de la cathèdre s’en trouve un intitulé : De l’Univers.

Mais comment se fait-il, continue M. de Bunsen, qu’Hippolyte, puisque c’est lui, s’attribue la dignité épiscopale, écrive comme un habitant de Rome, fasse même partie du clergé chrétien de la capitale de l’empire, et que pourtant son nom n’apparaisse sur aucune liste pontificale ? — A cela le noble écrivain répondait par une hypothèse ingénieuse, mais un peu téméraire. D’après plusieurs anciens auteurs, disait-il, Hippolyte a été évêque de Porto, ce port de mer que Claude fit creuser à cause des ensablemens qui rendaient celui d’Ostie toujours moins accessible. Porto n’était qu’à quelques lieues de Rome, et très probablement son évêque était en même temps presbytre ou membre du presbytérat romain, où il siégeait comme si Porto eût été une paroisse de Rome.

Telle fut l’explication de M. de Bunsen, et l’on verra qu’il avait du premier coup serré d’assez près la vérité. Seulement, trop enchanté de sa découverte, il s’en exagéra la valeur. D’abord il présenta sa combinaison comme très solide, ce qu’elle n’était pas. Partant de là, il se mit à décrire, avec une prolixité parfois un peu fatigante, l’état des idées et des croyances au temps d’Hippolyte, de façon à bien montrer aux épiscopaux anglais ce qu’était, ce que croyait au IIIe siècle un évêque fidèle, en lutte avec des papes au nom de l’orthodoxie compromise. Hippolyte devint, sous sa plume enthousiaste, une sorte de théologien idéal, de chrétien modèle, qui avait tout bien dit et tout bien fait. Il y joignit des dissertations assez longues, avec documens à l’appui, sur les anciennes liturgies, et toute une exposition philosophique de la vérité religieuse telle qu’il la concevait. Enfin il eut l’idée bizarre de faire parler Hippolyte lui-même, il le ressuscita en idée, lui fit faire le voyage de Londres pour lui montrer la grande exposition, et mit dans la bouche du vieil évêque du IIIe siècle tout ce qu’un savant baron allemand peut avoir à dire au public anglais du XIXe. Tout cela, malgré le ton très religieux, très croyant, de tout l’ouvrage, malgré le soin que l’auteur avait pris de faire observer que, s’il fallait taxer de rationalisme toute immixtion de la raison dans l’ordre religieux, Dieu lui-même serait le premier des rationalistes, tout cela exhalait une si forte odeur d’hérésie que les nerfs, toujours facilement irritables, de l’orthodoxie britannique en furent tout en émoi. Seule parmi les organes notables de l’opinion, la Revue de Westminster osa émettre un jugement favorable à l’ensemble du livre, ce qui était tout le contraire d’une recommandation aux yeux du public bien pensant. La haute et la basse église murmurèrent, et plus d’une voix cria au blasphème.

Cependant, on ne peut le nier, c’est à partir du séjour de M. de Bunsen à Londres que s’est dessiné ce mouvement de réforme théologique dont les Essays and Reviews et les ouvrages de l’évêque Colenso ont été dans ces dernières années les manifestations les plus saillantes, et qui fait aujourd’hui le désespoir des conservateurs tenaces des vieilles traditions anglicanes. Ce mouvement sans doute est dû encore à d’autres causes ainsi qu’à d’autres hommes, mais il est de fait que la personnalité sympathique de l’homme d’état théologien que l’Allemagne avait envoyé à l’Angleterre a beaucoup contribué à l’accélérer et à le fortifier. Voyez donc à quoi servent les cordons sanitaires que les sociétés religieuses sont souvent trop enclines à dresser autour d’elles et par quels chemins impossibles à prévoir la contagion des idées peut se glisser dans les enceintes les mieux gardées ! C’était bien la peine d’élever les étudians en divinity d’Oxford et de Cambridge dans une sainte horreur ou, pour mieux dire, dans le suprême dédain des travaux critiques de l’Allemagne, pour qu’un baron allemand, grand amateur de liturgies et autres antiquités inoffensives, s’en vînt semer l’ivraie à pleines mains dans le champ du Seigneur !

L’Allemagne de son côté voulut savoir si le savant ambassadeur avait en réalité dénoué le nœud proposé à la critique. Plusieurs théologiens adoptèrent son explication dans ce qu’elle avait d’essentiel, mais trouvèrent qu’elle péchait par beaucoup de détails imaginaires et de preuves arbitrairement déduites. D’autres allèrent plus loin, et, comme on pouvait s’y attendre, l’opposition déclarée vint des deux côtés dont M. de Bunsen avait cru trop facilement triompher au moyen du livre récemment découvert, c’est-à-dire du côté de Tubingue et du côté catholique.

A Tubingue, MM. Baur et Zeller n’eurent pas de peine à faire ressortir l’aspect romanesque des combinaisons auxquelles M. de Bunsen avait dû recourir pour donner du corps à son explication. — Vous dites, lui fut-il objecté, qu’Hippolyte était sans doute à la fois évêque à Porto et presbytre à Rome ; mais c’est une monstruosité historique qu’une pareille hypothèse ! Jamais pareille chose ne s’est vue, n’a pu se voir au IIIe siècle. Vous prétendez que les descriptions qu’il fait des systèmes gnostiques, les citations qu’il emprunte aux ouvrages composés par les chefs d’écoles hérétiques démontrent que le quatrième évangile était écrit depuis longtemps quand ceux-ci commencèrent à enseigner ; mais comment n’avez-vous pas vu que votre auteur ne sait pas distinguer entre les chefs d’école et leurs disciples, qu’à chaque instant il cite textuellement des passages d’autrui avec le mot sacramentel φησί, dit-il, sans qu’il soit possible de déterminer quel est cet autrui ? Vous affirmez que Photius a lu cette réfutation des hérésies en dix livres et qu’il l’attribue à Hippolyte ; mais Photius nous dit que ce qu’il a lu est un petit livre, βιβλιδάριος, dans lequel on comptait trente-deux hérésies, commençant par celle du faux messie Dosithée, se terminant par celle de Noet, et dont l’auteur n’admettait pas que l’épître aux Hébreux fût de l’apôtre Paul ; or le livre retrouvé est considérable, il réfute trente-quatre hérésies, ne commence pas par Dosithée, ne finit pas par Noet et ne dit rien de l’épître aux Hébreux. Et quant à la fameuse statue, quel fond voulez-vous faire d’un pareil témoignage ? Est-ce qu’au IIIe siècle on élevait des statues de marbre aux auteurs chrétiens ? D’ailleurs, parmi les ouvrages dont le nom est gravé sur la base, il n’y a rien qui ressemble à la Réfutation de toutes les hérésies. Vous croyez parvenir à votre but par un détour, vous relevez sur le dos de la cathèdre le traité De l’Univers que Photius a connu aussi ; mais Photius dit en toutes lettres que ce traité est l’œuvre de celui qui a composé un autre écrit anti-hérétique intitulé le Labyrinthe, et que l’auteur du Labyrinthe est Caïus, contemporain, lui aussi, de Zéphyrin et connu comme adversaire en titre de plusieurs hérésies de la même époque. C’est lui, c’est Caïus qui est le véritable auteur du livre découvert, et il est inutile d’en chercher d’autres. Tel fut en gros le langage que l’on tint à Tubingue ; mais s’il fallut avouer que les objections alléguées contre le système de M. de Bunsen étaient très fortes, on dut pourtant reprocher aux célèbres critiques des bords du Neckar d’avoir conclu un peu trop hâtivement du passage de Photius que Caïus était l’auteur du traité intitulé le Labyrinthe. Examiné de près, ce passage signifie seulement que l’auteur du Labyrinthe est aussi celui du traité De l’Univers, que le Labyrinthe a été attribué à Caïus, mais que Photius lui-même ne se porte en aucune façon garant de cette opinion, qui lui paraît douteuse. Malgré les objections de Tubingue, la balance ne cessa donc pas de pencher en faveur d’Hippolyte, bien que plus d’un nuage planât sur sa personne et son livre. Du reste, que l’auteur fût Hippolyte ou Caïus, les révélations à charge des deux évêques Zéphyrin et Calliste n’étaient pas moins accablantes. C’est au point qu’en France M. Lenormant essaya, avec plus de zèle que de bonheur, de reprendre pour son compte l’hypothèse qui attribuait le livre à Origène : on pouvait ne pas trop se soucier, pensait-il, des accusations d’un homme notoirement hostile à la doctrine de l’église. Cette tentative n’eut aucun succès, et du côté catholique on éprouva le besoin de compulser à nouveau les pièces du procès.

Celui qui s’en chargea, et qui s’acquitta de cette tâche avec beaucoup de talent, fut M. Dœllinger, théologien fort distingué de Munich, dont le nom a marqué, il y a quelques années, lors des premières discussions relatives au pouvoir temporel de la papauté. On sait que M. Dœllinger ne craignit pas d’envisager en face l’hypothèse de la disparition de ce pouvoir et même d’affirmer qu’elle n’aurait rien d’essentiellement fâcheux pour l’intérêt bien entendu de l’église romaine. Cette manière, hardie pour un prêtre, d’envisager la question lui valut à Rome de sévères réprimandes, et il dut se rétracter, disent ses adversaires, s’expliquer, disent ses amis, afin de ne plus porter ombrage à la susceptibilité ultramontaine. Toutefois il est douteux qu’il réussisse jamais à se laver entièrement des soupçons que son libéralisme relatif inspire aux absolutistes du Vatican. La théologie et la philosophie de Munich leur sont antipathiques. En peu d’années, on a vu des hommes tels que MM. Carrière, Huber, Froschammer, Lasaulx, Pichler, déférés l’un après l’autre aux censures pontificales. Nous n’avons pas à intervenir dans ce débat, si ce n’est pour regretter au nom de la science et du libéralisme européen qu’une telle pression soit exercée sur des savans et des écrivains qui font penser au vers virgilien :

Si Pergama dextra
Defendi possent…

Ce qui est certain, c’est que M. Dœllinger est un écrivain fort savant, d’une impartialité remarquable dans les limites que sa foi lui prescrit, et dont les ouvrages de controverse diffèrent essentiellement de ces élucubrations superficielles et injurieuses que les zélateurs de la tradition ecclésiastique opposent si souvent, avec une naïveté qui confond, aux travaux les plus sérieux de la critique. Il y a du plaisir et du profit-à discuter avec M. Dœllinger. On reste avec lui sur le terrain de la politesse, on trouve en lui un vrai connaisseur de l’antiquité chrétienne, comprenant la valeur des découvertes nouvelles et tout disposé à leur concéder beaucoup à la seule condition que les bases de la foi catholique resteront intactes. Quelle position prit-il dans le débat qui nous occupe ?

Au point de vue de l’anti-romanisme, M. de Bunsen avait fait coup double. Il avait à la fois démonétisé un saint et noté d’hérésie deux papes. Le saint Hippolyte du calendrier romain n’était plus qu’un rebelle, un ennemi déclaré de deux évêques romains, ses contemporains, et deux papes auraient professé de damnables erreurs sur la Trinité. M. Dœllinger tomba d’accord qu’il n’y avait pas moyen d’attribuer le livre à Origène ; il reconnut qu’il était bien d’Hippolyte, comme l’avait dit M. de Bunsen ; puis, forcé de faire un choix, des deux inconvéniens il choisit le moindre, il abandonna le saint pour sauver les deux papes, et il s’expliqua dans un ouvrage d’une lecture facile et instructive intitulé Hippolytus und Kallistus. La partie la mieux traitée de cet ouvrage est sans contredit celle où l’auteur porte le flambeau d’une fine et libre critique sur la légende de saint Hippolyte. Ce travail faisait défaut à l’œuvre de M. de Bunsen. Il en résulte qu’il faut distinguer au moins cinq Hippolytes qui sont venus se fondre dans une personnalité historique, en lui donnant, par cette fusion, les traits les plus incohérens. La tradition la plus ancienne, la seule qui puisse passer pour historique, parle simplement d’un presbytre Hippolyte qui fut exilé en Sardaigne en 235, en compagnie de l’évêque de Rome Pontien. — Puis il est un autre Hippolyte, officier de l’armée impériale, chargé de garder saint Laurent pendant les jours qui précédèrent le martyre de celui-ci, et qui, gagné à l’église chrétienne par son prisonnier, fut condamné à mort à son tour ; mais il dut à son nom et aux réminiscences mythologiques du magistrat qui avait prononcé l’arrêt d’être attaché à des chevaux sauvages qui le mirent en pièces. M. Dœllinger ne met pas en doute que cette légende ne soit née dans l’imagination populaire d’une confusion naïve entre le fils de Thésée et l’Hippolyte de la tradition chrétienne. Cette confusion put avoir pour cause première quelque peinture, quelque fresque représentant la mort d’Hippolyte, et que le poète Prudence (vers 400) paraît avoir vue dans le voisinage d’une église dédiée à saint Laurent, car il décrit quelque chose qui y ressemble beaucoup dans l’hymne qu’il composa en l’honneur de saint Hippolyte. Le nom de la compagne légendaire du martyr Hippolyte, Concordia, fait aussi penser à une peinture allégorique voisine de la première. — Un autre saint Hippolyte, d’origine orientale cette fois, sous le règne de Claude (c’est-à-dire dans un temps où tout au plus quelques chrétiens pouvaient se trouver dans Rome et où il n’était pas question de persécutions sanglantes), aurait joué un rôle saillant lors du supplice d’une princesse impériale non moins imaginaire, sainte Chryse ou sainte Aurée, horriblement martyrisée et finalement jetée à la mer près d’Ostie avec une pierre attachée à son cou. Le corps de Chryse surnagea miraculeusement, et le diacre Hippolyte, l’ayant retirée de l’eau, l’enterra pieusement devant les portes d’Ostie, après quoi, condamné à son tour, il aurait été noyé par ordre du préfet dans les fossés de la petite ville de Porto. M. Dœllinger n’a pas de peine à montrer combien toute cette légende est apocryphe. C’est elle pourtant, uniquement elle, qui a donné lieu à la tradition d’après laquelle saint Hippolyte aurait été évêque de Porto. — Il y a de plus un saint Hippolyte d’Antioche, un autre saint arabe du même nom (seulement ce nom se change en celui d’Abulides), d’autres encore, tous sans la moindre réalité historique. — Enfin il y a le saint Hippolyte du poète Prudence, qui n’est qu’une variante de celui que nous avons indiqué en second lieu. Seulement sa légende contient un trait remarquable, qui n’a pu être inventé pour glorifier le saint : Hippolyte, selon Prudence, aurait été novatien, c’est-à-dire partisan de l’évêque schismatique Novatianus, qui, vers l’an 250, se mit à la tête du parti de la rigidité disciplinaire et fut le rival du pape Corneille. Il y a là un anachronisme évident, le véritable Hippolyte ayant été déporté en Sardaigne quinze ans avant le schisme de Novatien ; mais il pourrait y avoir aussi le souvenir défiguré d’une réalité que M. Dœllinger se flatte d’avoir devinée.

En tout cas, il a atteint le but qu’il se proposait en démêlant si laborieusement le cycle de légendes formées autour du nom d’Hippolyte. Il en résulte que rien n’appuie historiquement les suppositions de M. de Bunsen sur sa dignité épiscopale à Porto jointe à son titre de membre du presbytérat romain. Comme pourtant l’auteur de la Réfutation des hérésies paraît s’attribuer le rang d’évêque et a certainement vécu à Rome, M. Dœllinger ne voit qu’un moyen de dissiper ces apparences contradictoires, c’est d’admettre qu’Hippolyte a été un évêque dissident, l’auteur d’un schisme qui aurait éclaté sous Calliste, probablement en suite du dépit que lui faisait éprouver l’élévation de ce dernier à l’épiscopat légitime par le suffrage du peuple chrétien de Rome. C’est ce qui explique la passion avec laquelle Hippolyte a cherché à discréditer son heureux rival, les accusations d’hérésie et d’immoralité qu’il lui jette à la face, ainsi qu’à son prédécesseur et patron Zéphyrin, le souvenir confus transmis au poète Prudence de sa position schismatique, enfin son exil en Sardaigne en compagnie de l’évêque Pontien, car le schisme aurait duré, après la mort de Calliste, jusqu’en 235, et l’autorité impériale aurait jugé à propos de mettre fin aux troubles en déportant les chefs des deux partis. Si donc la mémoire du saint, qui se repentit peut-être en Sardaigne, ressort gravement atteinte de cette explication, celle des deux papes calomniés se trouve lavée des reproches que faisait peser sur elle l’odium theologicum d’un compétiteur éconduit.

M. Dœllinger, contrairement à l’avis des théologiens de Tubingue, fait grand cas de la statue d’Hippolyte, conservée au Vatican, et même elle lui fournit la preuve principale que c’est bien Hippolyte qui a écrit la Réfutation des hérésies. Sans aller jusqu’à en faire le portrait en pied d’Hippolyte, il pense qu’elle fut sculptée en son honneur, peu d’années après sa mort, par un de ses chauds partisans, et qu’elle nous renseigne parfaitement sur le costume et l’attitude d’un évêque chrétien de la première moitié du IIIe siècle. Ce serait le plus ancien monument chrétien de ce genre.

Telles furent les trois hypothèses principales auxquelles donna lieu la découverte de M. Miller : le livre est d’Hippolyte, évêque de Porto et presbytre de Rome, dit M. de Bunsen ; il est de Caïus, dit-on à Tubingue ; il est d’Hippolyte, évêque schismatique et antipape, dit-on à Munich. Nous avons fait grâce au lecteur de mille détails subtils de la discussion qui avait précédé et qui suivit ces trois explications. Par exemple on devrait se demander pourquoi Théodoret, au Ve siècle, cite des fragmens entiers de l’œuvre d’Hippolyte sans le nommer, sans même accuser connaissance des autres parties de l’ouvrage ; pourquoi on avait attribué à Origène le premier des dix livres qui le composent ; quel rapport enfin il peut y avoir entre l’œuvre d’Hippolyte et un traité latin annexé à la Prescription de Tertullien, traite qui présente d’étroites analogies avec l’ouvrage du controversiste romain. Cherchons maintenant à résumer les résultats que l’on peut considérer comme acquis.

C’est bien Hippolyte qui est l’auteur de la Réfutation des hérésies ; mais ce livre, écrit en grec et d’une lecture laborieuse, fut assez négligé, vite oublié dans l’Occident latin, qui n’était pas grand clerc à cette époque et n’avait qu’un goût médiocre pour les recherches philosophiques. Le jour peu flatteur sous lequel il montrait deux évêques romains ne dut pas le recommander à leurs successeurs ; d’ailleurs il avait été précédé, Hippolyte le dit lui-même, par un exposé plus succinct, moins philosophique, moins compromettant aussi des différentes doctrines hérétiques. Ce petit ouvrage fut plus recherché en Occident. C’est là ce petit livre, combattant trente-deux hérésies, que Photius a lu, sachant bien qu’il était d’Hippolyte, et qui se retrouve dans le traité attribué à Tertullien. Quant à la grande Réfutation, en Orient même, où elle fut plus répandue qu’en Occident, il semble qu’une certaine défaveur l’ait suivie, comme si des bruits suspects en eussent rendu la lecture peu recommandable. Ce qui est certain, c’est qu’il s’en détacha des parties bonnes à consulter, formant un tout par elles-mêmes, et qui circulèrent anonymes. Ainsi le premier livre, qui offrait un tableau abrégé des divers systèmes philosophiques de la Grèce, fut recherché et désigné par le nom de Philosophoumena. C’est d’ailleurs par ce mot que l’auteur lui-même désignait le commencement de son ouvrage. Dans l’ignorance où l’on était de la véritable source de ces considérations, on les attribua au grand théologien philosophe d’Alexandrie, à Origène, à qui l’on prêtait aisément tout ce qui, dans la littérature chrétienne du IIIe siècle, dénotait une connaissance quelque peu approfondie de la philosophie grecque. Ainsi s’établit la coutume de reproduire les Philosophoumena dans ses œuvres complètes. De même le dixième livre, celui qui résume tout l’ouvrage, se détacha de l’ensemble, et c’est lui que Théodoret a reproduit en partie, sans savoir de qui il était ; c’est lui que Photius a lu sous le titre de Labyrinthe (ce dixième livre commence par ce mot, qui veut faire allusion au caractère obscur des doctrines hérétiques où l’on s’égare), et qu’on attribua à Caïus, à qui on trouvait aussi fort commode de faire remonter les compositions anti-hérétiques d’origine romaine. La Réfutation tout entière ne fut copiée que rarement, et c’est une merveille qu’on en ait découvert un manuscrit, d’ailleurs incomplet, et dont le texte, écrit par une main malhabile, réclame de nombreuses corrections.

Voilà donc l’histoire du livre énigmatique reconstituée avec bien de la peine, mais avec une vraisemblance qui satisfait l’esprit, car tous les termes de l’équation à résoudre se retrouvent dans la solution. Restent pourtant deux points sur lesquels la critique n’a peut-être pas dit son dernier mot : c’est la statue d’Hippolyte et la position qu’il prit à Rome vis-à-vis des évêques Zéphyrin et Calliste.

Quant à la statue, il faut reconnaître, avec MM. de Bunsen et Doellinger, qu’elle a bien certainement été consacrée à la mémoire d’Hippolyte par un chrétien ou des chrétiens de Rome qui l’avaient en grande vénération. La comparaison des titres d’ouvrages indiqués sur la base avec les listes reproduites par Eusèbe et Jérôme ne permet pas d’hésiter ; mais je ne saurais admettre avec l’honorable chanoine de Munich qu’elle ait reçu cette destination peu de temps après la mort de celui qu’elle est censée représenter. Le canon pascal gravé sur la base va jusqu’en 333 ; mais on a pu l’inscrire quand même il ne servait plus à rien, comme rappelant l’un des titres d’Hippolyte à la reconnaissance des chrétiens. M. Winckelmann, s’appuyant sur des raisons d’archéologie, pense, il est vrai, que la statue doit remonter au IIIe siècle, et je n’ai rien à objecter à cette opinion d’un juge fort compétent ; mais cela ne prouve nullement qu’elle ait été destinée dès l’origine à représenter un chrétien, ni surtout un ecclésiastique. La bonne gravure que M. de Bunsen a mise en tête de son ouvrage, Hippolyte et son temps, permet de s’en faire une idée exacte. C’est la représentation d’un rhéteur, ou d’un philosophe, ou d’un poète ; ce n’est ni celle d’un presbytre, ni celle d’un évêque. On sait que l’art chrétien, très simple à son origine, consista surtout en emblèmes, en symboles mystérieux, en hiéroglyphes qui n’étaient pas compris de la masse païenne. Pas un seul signe de ce genre ne se trouve sur la statue. Elle est d’un dessin pur et correct, la tête est belle et grave, la pose noble. Le personnage assis, comme s’il allait commencer un discours, porte le pallium grec et la toge romaine. La cathèdre sur laquelle il est assis a pour support apparent un sphynx de chaque côté. Où peut-on reconnaître dans tout cela le moindre signe, le moindre emblème chrétien ? Je faisais récemment part de mes doutes à un professeur de Leyde dont toute l’Europe savante connaît et admire l’érudition, M. le docteur Cobet : il les confirma de la manière la plus complète et me rendit attentif à un fait trop peu connu, dont l’ignorance ou l’oubli a été la cause de bien des erreurs dans le champ de l’archéologie ; je veux parler de la coutume, endémique depuis Constantin, de métamorphoser les anciennes statues par un simple changement d’inscription. Le savant professeur me citait à ce propos les très curieux détails que renferment plusieurs discours de Dion Chrysostôme, qui compare déjà les statues de son temps à des acteurs changeant de personnage et de caractère. On alla parfois jusqu’à inscrire les noms de Nestor et de Priam sur le socle de statues qui représentaient de jeunes hommes, et il semble bien que le fameux saint Pierre de Rome n’est pas autre chose qu’un Jupiter métamorphosé de la sorte. La conversion de la statue d’un philosophe païen en statue d’Hippolyte pourrait donc fort bien dater de l’époque de Constantin. C’est alors que le souvenir d’Hippolyte, à qui sa rigidité morale, son martyre, peut-être aussi son opposition à des pasteurs ne plaisant pas à toutes leurs brebis, avaient valu des admirateurs chaleureux au sein du peuple chrétien, prit peu à peu les proportions de l’apothéose que nous voyons s’accomplir dans l’hymne de Prudence à la fin du IVe siècle. Ce qui me confirme dans cette opinion, c’est l’observation même faite par M. Dœllinger qu’à partir de la translation du siège de l’empire à Byzance, le grec, jusqu’alors usité presque exclusivement dans l’église romaine, devint promptement hors d’usage dans la vieille capitale. Or, tandis que la statue dénote une main habile et soigneuse, l’inscription est mal gravée, présente des fautes grossières, et semble être l’œuvre d’un homme qui n’était pas familier avec les mots grecs qu’il voulait reproduire ; mais, si défectueuse que soit l’exécution matérielle, le catalogue d’ouvrages gravé sur la cathèdre n’en est pas moins celui que les admirateurs d’Hippolyte acceptaient comme exact au IVe siècle, et à ce point de vue la statue demeure un témoignage fort important, irréfragable même, en faveur de l’opinion qui fait de lui l’auteur de la Réfutation.

Quant à la position d’Hippolyte dans l’église romaine de son temps, M. Dœllinger et les critiques de Tubingue ont parfaitement raison de repousser l’hypothèse, trop facilement admise par M. de Bunsen, de son double titre d’évêque de Porto et de membre du presbytérat romain ; mais celle qu’adopte le savant chanoine de Munich, la supposition qu’Hippolyte aurait fait schisme à Rome, n’est pas plus solide. Ce schisme aurait duré longtemps, puisque, datant de l’élévation de Calliste à l’épiscopat, il se serait prolongé, après la mort de celui-ci, jusqu’au moment où Hippolyte et l’évêque Pontien furent déportés ensemble en Sardaigne (218-235). Comment donc se peut-il qu’aucune trace n’en perce dans l’histoire ? Comment le nom d’Hippolyte ne se rencontre-t-il dans aucun catalogue d’hérésies ? Comment Tertullien, qui aurait eu ses raisons de sympathiser avec un pareil schisme, n’en souffle-t-il pas un mot dans ses véhémentes objurgations contre les évêques romains ? Comment surtout le grand schisme novatien, qui éclate à Rome quinze ans après le départ d’Hippolyte et dont nous connaissons fort bien les particularités par les écrits de Cyprien et autres documens, peut-il donner lieu à des controverses, a des correspondances passionnées, sans que la moindre allusion soit faite de part ou d’autre à un mouvement qui dans l’hypothèse de M. Dœllinger aurait été tout semblable ? Dans l’un et l’autre cas en effet, il se serait agi d’une dissidence formée à Rome par les partisans de la rigidité disciplinaire. Tout cela dépasse les bornes du vraisemblable. Il est vrai que M.Dœllinger croit pouvoir appuyer son opinion sur les déclarations du livre lui-même. Hippolyte, dit-il, se décerne à lui-même la dignité épiscopale, car il s’attribue la succession apostolique, la sacrificature souveraine (άρΧιρατεία) dans l’église ; il parle de Calliste, non comme de l’évêque des chrétiens de Rome, mais comme d’un chef d’école (διδασχαλίον) ; il lui reproche d’avoir reçu à la communion de l’église des pécheurs scandaleux que lui et ses amis en avaient repoussés, etc. Seulement nous nous permettrons de demander à notre tour pourquoi Hippolyte ne déclare pas une bonne fois, en toutes lettres, qu’il est l’évêque, le seul véritable évêque de Rome, et que Calliste ne l’est pas. A quel titre se plaindrait-il, s’il a fait schisme, de ce que les excommuniés de son église sont accueillis dans une autre ? Pourquoi reproche-t-il simplement à son adversaire d’être un chef d’école, si à ses yeux il est un hérésiarque dans toute la force de ce terme ? Pourquoi enfin le chronographe de 354, cet annaliste sérieux qui nous apprend qu’Hippolyte et l’évêque Pontien partirent ensemble[5] pour l’exil meurtrier des mines de Sardaigne, désigne-t-il avec intention Hippolyte comme presbytre ? Aurait-il désigné de cette manière à côté d’un pape un évêque schismatique et hérétique ?

M. Dœllinger et M. de Bunsen ont donné chacun dans cette illusion qui consiste à reporter sur une époque d’organisation pénible et lente, où les institutions sont encore mal définies, les procédés d’un temps où les jurisprudences sont fixées, les titres et les pouvoirs qui en dérivent nettement déterminés. Certainement la dignité épiscopale au commencement du IIIe siècle était déjà fort élevée au-dessus du simple pouvoir presbytéral, avec lequel dans l’origine elle était confondue. Cela n’empêche pas qu’aux yeux d’Irénée il n’y a pas encore de différence spécifique entre les presbytres et les évêques, et Hippolyte, qui a lu Irénée, qui le cite, qu’on a même regardé comme son disciple, n’appelle jamais l’évêque de Lyon autrement que « le bienheureux presbytre Irénée. » L’opposition qu’il se voyait dans le cas de déclarer successivement à deux évêques ne pouvait faire de lui un partisan bien chaud de cette omnipotence épiscopale vers laquelle on marchait alors à grands pas, et ses expressions s’en ressentent, soit qu’il parle de lui-même, soit qu’il ait en vue ses adversaires. Bien loin d’exalter leur dignité, il tend à la restreindre. En revanche il aime à relever la sienne, profitant des libertés d’un temps où le membre d’un collège presbytéral pouvait encore se décerner ces attributions de haute sacrificature, de successeur des apôtres, qui furent plus tard exclusivement réservées à l’épiscopat. Plus de cent ans auparavant, la lettre de Clément de Rome aux Corinthiens assimilait les presbytres aux sacrificateurs de l’ordre lévitique. Disons plutôt qu’Hippolyte a été l’un de ces opposans systématiques, incommodes, avec lesquels il est difficile de vivre, mais qui ne sortent pas de la constitution. La manière dont il parle des montanistes est tout à fait celle d’un homme qui leur donne raison sous bien des rapports, mais qui n’aime pas leur tendance séparatiste. Si Hippolyte n’a pas été excommunié par Calliste, c’est sans doute que, tout en n’ayant pas pour lui la majorité, il était à la tête d’une minorité puissante qu’il fallait ménager. On peut avec M. Dœllinger penser que jusqu’à la fin son humeur resta la même, et j’admettrai volontiers avec lui que son exil en compagnie de l’évêque Pontien dans les premiers jours du règne de Maximin le Thrace, qui était encore fort occupé en Allemagne, exil par conséquent décrété par quelque magistrat urbain, fut un de ces moyens que l’administration césarienne aimait à employer quand elle espérait faire la paix en imposant le silence. C’est une erreur de croire qu’avant Constantin l’autorité temporelle ne se mêla jamais des débats intérieurs de l’église chrétienne : elle intervint pour forcer Paul de Samosate à quitter Antioche, et en 309 l’empereur Maxence exilait le pape Marcellus parce qu’il se montrait trop sévère pour ceux qui avaient faibli dans les persécutions.


II

Nous arrivons enfin aux renseignemens qu’Hippolyte nous offre sur l’état de l’église romaine de son temps, et qui, après avoir nui pendant des siècles à la propagation de son livre, sont aujourd’hui le principal attrait qui le fasse lire.

Après avoir décrit dans huit grands chapitres les systèmes des philosophes grecs et des gnostiques, Hippolyte s’attaque à des hérésies d’un genre particulier, car elles sont dans l’église, elles s’y prélassent en quelque sorte. Ce sont principalement celles qui concernent la personne du Christ, et pour représentans à Rome elles n’ont pas moins que des évêques. Calliste surtout doit être dénoncé à l’indignation de l’église chrétienne, tant pour son caractère, indigne de sa haute position, que pour les funestes erreurs qu’il a professées. Voici son histoire.

Sous le règne de Commode (180-193)[6], vivait un chrétien nommé Carpophore, attaché à la maison impériale. Parmi ses esclaves s’en trouvait un du nom de Calliste, qu’il croyait habile et fidèle, puisqu’il lui confia une somme d’argent importante avec l’ordre de la faire valoir dans des opérations de banque. Calliste s’établit au Marché-aux-Poissons (piscina publica), et devint au bout de quelque temps dépositaire de fonds que lui remettaient des chrétiens, particulièrement des veuves chrétiennes, à qui le nom de son maître inspirait, grande confiance ; mais il en abusa au point de gaspiller tout ce qu’on lui avait prêté. Bientôt Carpophore fut instruit des méfaits de Calliste. Le dépositaire infidèle, redoutant le courroux de son maître, s’enfuit précipitamment vers Porto, où il trouva un navire prêt à prendre la mer, et sur lequel il s’embarqua sur-le-champ, décidé à fuir n’importe où, pourvu qu’il s’éloignât de Rome. Cependant Carpophore était déjà sur ses traces, et le navire était encore au milieu du port, que Calliste le reconnut, se dirigeant vers lui. Alors il se crut perdu et se jeta à la mer. Repêché par des matelots et ramené à Rome, il fut condamné par son maître au pistrinum, c’est-à-dire à tourner la meule. C’était, on le sait, une punition très redoutée des esclaves, et non sans cause, car ce genre de travail était un véritable supplice, peu même y résistaient longtemps ; mais Calliste eut l’art de se tirer de là. Il sut intéresser quelques chrétiens à son sort en leur laissant entendre qu’il avait caché de l’argent chez certaines personnes, et qu’il pourrait rembourser ses créanciers, s’il sortait jamais de cet enfer du pistrinum. Carpophore, à la prière instante des créanciers, qui lui représentaient qu’ils avaient confié leur argent à Calliste parce qu’ils le savaient son serviteur, consentit à l’élargissement du misérable et même se désista de toute revendication pour son propre compte. Le fait est que Calliste n’avait rien caché. Se voyant toujours gardé à vue, menacé d’être renvoyé à la meule, il revint à ses désirs de mort, et, sous prétexte de rencontrer ses débiteurs, il eut l’étrange idée d’aller faire du bruit au beau milieu d’une synagogue juive un jour de sabbat, s’écriant tout haut qu’il était chrétien. Les Juifs en colère le traduisirent devant le préfet de la ville, Fuscianus, requérant qu’il fût sévèrement châtié pour avoir ainsi troublé un culte reconnu par la loi romaine. Là-dessus Carpophore survint et tâcha d’éclairer Fuscianus sur le passé de son esclave et ses véritables intentions ; mais Fuscianus, cédant aux instances redoublées des Juifs, qui ne voulaient rien croire de tout cela, fit battre de verges Calliste et le condamna aux travaux forcés dans l’île de Sardaigne. Remarquons ici que, d’après la loi romaine, l’esclave condamné par l’autorité civile à une peine d’homme libre était émancipé par le fait même, si plus tard il rentrait dans la vie ordinaire : il avait cessé d’appartenir à son maître, étant devenu servus pœnœ.

En Sardaigne, Calliste se rencontra avec des chrétiens victimes des persécutions antérieures. Quelque temps après, la belle Marcia, favorite de Commode, fut saisie du désir de faire quelque bien à l’église chrétienne, dont elle aimait beaucoup les doctrines. Elle fit donc venir au palais l’évêque Victor et lui demanda une liste nominative des confesseurs relégués en Sardaigne. Celui-ci la lui donna, mais se garda bien d’y inscrire le nom de Calliste, dont il connaissait la vie antérieure, et qu’on ne pouvait, à aucun titre, ranger parmi les martyrs. Marcia, s’étant fait délivrer par Commode des lettres de grâce, en chargea l’eunuque Hyacinthe, chrétien lui-même et presbytre de l’église, qui passa en Sardaigne et fit mettre en liberté tous ceux qu’on avait désignés à sa maîtresse. Calliste alors se dit victime d’une erreur, pria, supplia et fit tant que Hyacinthe crut bien faire de prendre sur lui de le ramener avec les autres.

Le voilà donc de retour à Rome, le voilà libre. Victor, l’évêque romain, fut médiocrement charmé de le revoir, mais il eut pitié de lui, et comme l’ancien maître de Calliste paraissait fort peu disposé à supporter patiemment son séjour à Rome, l’évêque l’envoya demeurer à Antium en lui allouant pour vivre une petite rente mensuelle. C’est de là qu’après la mort de Victor, son successeur Zéphyrin, dont Calliste avait su capter la confiance, le fit venir à Rome, et, chose surprenante, lui confia des pouvoirs étendus dans l’église, en particulier la direction du cimetière qui plus tard porta son nom[7]. Sa fortune ecclésiastique marcha depuis lors d’un pas rapide.

Tel est le récit d’Hippolyte. En bonne justice, il faut accorder à M. Dœllinger qu’il y a plus d’une chose louche dans ce tissu d’événemens qui se pressent. Non-seulement le portrait de Calliste n’est évidemment pas flatté, mais encore tout ne s’explique pas très bien. Ce qu’on a surtout de la peine à comprendre, c’est que Calliste, voulant mourir, s’expose bénévolement au terrible supplice des esclaves, à la crucifixion, en allant faire du tapage au beau milieu d’une synagogue juive dans l’idée qu’on le traduira devant des juges et que ceux-ci le condamneront à mort. Si j’étais l’avocat chargé de sa défense, je chercherais et peut-être bien je réussirais à prouver qu’il avait réellement des débiteurs parmi les israélites, qu’il était allé les trouver à la synagogue pour être sûr de les rencontrer, et qu’il n’avait fait du bruit que parce qu’on refusait de le payer. Qui sait, après tout, entre quelles mains il était tombé dans ses premières spéculations ? Mais de là à blanchir complètement Calliste, comme le voudrait M. Dœllinger, il y a fort loin, et tout en me défiant des évidentes rancunes d’Hippolyte je ne puis oublier qu’il raconte des faits dont il a été témoin, dans un temps, dans une ville, dans une église où vivaient encore des hommes parfaitement en état de contrôler ses assertions. Si l’on se demande comment il se peut qu’un tel homme ait pu devenir par la suite l’alter ego d’un évêque romain qui devait le connaître, plus encore le favori du peuple chrétien, qui finit par le nommer son évêque, je répondrai d’abord que Calliste, d’après tout ce que nous en savons, devait être un homme très habile et un fort beau parleur, que probablement, quand il se peignait lui-même, sa palette n’était pas chargée précisément des mêmes couleurs que lorsque son adversaire tenait le pinceau, qu’enfin les évêques étaient alors nommés par le suffrage universel, et que, sans vouloir en médire, on doit bien avouer que ce genre de suffrage n’est pas toujours à l’abri des surprises.

Du reste Hippolyte n’y va point par deux chemins pour expliquer l’empire que Calliste sut acquérir sur l’esprit de Zéphyrin. Celui-ci, nous dit-il, était un ignorant, un illettré, peu au fait de la discipline ecclésiastique, et, qui plus est, un avare. Profitant adroitement de son faible, Calliste lui procurait de bonnes occasions, des cadeaux, des requêtes qu’il aurait dû repousser au nom des prescriptions disciplinaires, mais auxquelles il acquiesçait par cupidité. En même temps Calliste abusait de son ignorance théologique pour le pousser à des déclarations doctrinales qui semaient la zizanie dans la communauté ; puis il allait trouver les partis opposés, et, parlant à chacun d’eux un langage différent, il se faisait des partisans de tous les côtés, car il ambitionnait secrètement de succéder à Zéphyrin, et pour cela briguait la faveur générale. C’est ainsi que, selon ceux à qui il avait affaire, il était tantôt sabellien, tantôt de l’avis contraire.

Mais qu’était-ce donc qu’un sabellien ? Pour répondre à cette question, il faut interrompre un moment notre récit et remonter assez haut dans l’histoire du dogme de la divinité de Jésus-Christ.

Rien de moins arrêté, rien de moins formulé que les premières croyances chrétiennes au sujet de la personne de Jésus-Christ. Sans parler de l’idée que le Fils de l’homme se faisait de lui-même, il est visible que les divers auteurs du Nouveau Testament se rendent compte de différentes manières du divinum quid que tous reconnaissent en lui, et que toute conscience chrétienne, disons même religieuse, reconnaît avec eux ; mais sur cette base encore si peu définie quelle variété de points de vue ! Des trois premiers évangiles, l’un ignore la naissance miraculeuse et ne dépasse pas l’idée, qui paraît avoir été la plus ancienne, d’après laquelle la divine supériorité du Christ se rattache à la descente du Saint-Esprit sur lui lors de son baptême au Jourdain. Les deux autres, tout en portant encore plus, d’une trace de ce premier point de vue, présentent Jésus comme un homme miraculeusement conçu dans le sein de sa mère, mais ils n’ont pas encore la moindre notion de sa préexistence. L’Apocalypse divinise le Christ après sa mort en ce sens que, pour prix de sa parfaite obéissance, il reçoit de Dieu la participation aux attributs divins. Paul et son école font un grand pas de plus : le Christ pour eux est encore un homme, mais un homme à part, aussi unique dans sa spécialité qu’Adam l’a été dans la sienne. Lui et Adam forment en quelque sorte les deux pôles, l’un terrestre et animal, l’autre céleste et spirituel, du développement historique de l’humanité. De là ce parallélisme des deux Adams, qui tient une si grande place dans la théologie paulinienne, et qui engendre la belle théorie mystique d’après laquelle la même révolution qui s’accomplit dans l’histoire de l’humanité se répète ou doit se répéter en chacun de nous : chacun de nous en effet doit faire mourir le vieil Adam, son être charnel, égoïste, animal, pour qu’en lui naisse le Christ, l’homme céleste, l’homme de l’esprit. La personne du Christ tend donc désormais à planer au-dessus de l’humanité comme le principe de la vie morale et religieuse, et si Paul lui-même n’a pas positivement enseigné sa préexistence individuelle, il est certain que ses disciples n’ont pas tardé à la proclamer. Dès lors on peut suivre dans les écrits des premiers pères ce que j’appellerai les ondulations de cette théorie encore flottante, mais dont la tendance bien claire est de satisfaire le sentiment chrétien en divinisant autant que possible celui dont la grandeur spirituelle éblouit toujours plus ceux qui la contemplent.

Sur cette route, la pensée chrétienne se rencontra bientôt avec un courant de philosophie spéculative qui semblait fait tout exprès pour elle. Il avait sa source dans les hauteurs du platonisme, dans la théorie des idées ; puis, le judaïsme alexandrin, Philon en tête, avait systématiquement creusé son lit et aligné ses rives. Cette élévation continue de la personne du Christ vers la divinité absolue devait infailliblement l’amener au point où elle ne ferait plus qu’un avec ce Verbe alexandrin, cette Idée des idées, ce « second Dieu » personnel, sorti un jour du sein même de Dieu pour donner à la matière informe l’empreinte de l’esprit organisateur et à l’humanité, façonnée corporellement par lui, les facultés spirituelles qui font de l’homme, du moins de l’homme qui les cultive, une image de la Divinité. C’est dans le quatrième évangile que s’accomplit, pendant la première moitié du IIe siècle, cette évolution remarquable de la théologie chrétienne qui devait avoir de si graves conséquences. Ce furent les noces du platonisme et de l’église, et, si l’on ne peut dire que cette union ait été fort paisible, toujours est-il qu’elle a duré bien longtemps, qu’elle a été très féconde, et que le divorce n’est pas encore sorti des disputes fréquentes dont elle est la cause. Une étroite parenté rattacha aussi la théorie du Verbe au sentiment grandissant de la catholicité et au désir de lui donner une forme visible par la constitution d’une église catholique, une par la doctrine, la discipline et le culte. Au Verbe, seul parfait révélateur de Dieu, dont seul il connaît de près les secrets, correspond l’église catholique, seule dépositaire de son éternelle et immuable révélation. Ne l’oublions jamais pourtant, si nous voulons comprendre cette genèse historique de l’église et de l’orthodoxie dans les trois premiers siècles, ni les choses ni les hommes ne marchent comme un régiment. Le dogme est encore trop flottant, les autorités chargées de le maintenir ou de le décréter trop peu reconnues. A côté des idées et des institutions destinées à triompher plus tard, il faut s’attendre à ce que longtemps encore des points de vue très opposés, des manières fort peu orthodoxes d’entendre la vérité chrétienne s’affirment, se prolongent dans l’intérieur même de l’église, sans toujours qu’on ait une conscience claire de cet antagonisme et sans qu’il y ait rupture ecclésiastique, officielle, entre les partis en lutte.

Ainsi, tout le long du IIe et du IIIe siècle, l’unitarisme, c’est-à-dire l’opinion qui refuse de faire la moindre brèche à l’unité divine en stipulant l’existence d’un être distinct de Dieu et pourtant coessentiel avec Dieu, — l’unitarisme, dis-je, s’affiche dans l’église et même résiste parfois avec succès aux progrès du dogme contraire. Si d’une part, à mesure que l’église se recrutait parmi les païens, on voyait augmenter le nombre des chrétiens moins susceptibles que les Juifs à l’endroit des théories compromettantes pour le monothéisme rigide, de l’autre le principe de l’unité de Dieu était si souvent le motif déterminant de l’entrée dans l’église que beaucoup d’anciens polythéistes y regardaient à deux fois avant d’accepter un dogme qui ramenait en fait une pluralité de personnes divines, — d’autant plus que, si l’orthodoxie des futurs grands conciles avait trouvé sa pierre de fondation : Jésus est le Verbe personnel de Dieu, on était encore loin du temps où l’église affirmerait en outre que le Fils est égal au Père, et que le Fils et le Père, distincts quant aux personnes, ne sont pourtant qu’un seul Dieu. A la fin du IIe siècle, Irénée, Tertullien, Clément d’Alexandrie et Hippolyte, nous pouvons l’ajouter aujourd’hui, sont tous partisans déclarés de la théorie du Verbe personnel, mais non moins unanimes à proclamer sa subordination, son infériorité relativement au Père. C’est bien certainement pour eux un Dieu de second ordre.

La question de l’unitarisme nous ramène à cette société chrétienne du IIIe siècle à Rome où nous introduit le livre d’Hippolyte. À cette époque, l’unitarisme, d’après les déclarations formelles de Tertullien et d’Hippolyte, possédait encore les sympathies de la masse chrétienne ; mais il était loin d’être homogène, et il se partageait en deux branches bien distinctes. L’une, qui ressemble beaucoup à l’unitarisme moderne, voulait sauver l’unité divine en ne reconnaissant entre Jésus et Dieu qu’un rapport d’unité morale, d’amour et d’obéissance, dont l’expression théologique est fournie par l’idée chrétienne du Saint-Esprit communiqué par le Père céleste à son bien-aimé. C’est cette branche de l’unitarisme qui eut pour représentans Théodote de Byzance, Artémon, Bérylle de Bostra, et surtout, depuis 260, le brillant évêque d’Antioche, Paul de Samosate, l’ami de la reine Zénobie, grand homme calomnié dont la vie mériterait une étude à part. Ce genre d’unitarisme existait encore à Rome au temps d’Hippolyte, mais il avait déjà perdu du terrain. L’évêque Victor avait même excommunié Théodote. Il est visible que c’est l’autre branche de l’unitarisme primitif, celle qui se rattache aux noms de Praxéas, de Noet de Smyrne et surtout de Sabellius, qui, depuis Victor, jouit à Rome de la prépondérance, au point même que les évêques Zéphyrin et Calliste se déclarèrent publiquement en sa faveur. Cet unitarisme, qu’on a plus tard nommé sabellien, maintenait l’unité divine en supprimant autant que possible et même complètement toute distinction de personne entre Jésus et Dieu, entre le Fils et le Père, et réduisait leurs différences à de simples modes, manières d’être ou noms d’un seul et même être personnel. On peut s’apercevoir, en étudiant de près les représentans de cette tendance, qu’elle pouvait revêtir deux formes, l’une populaire, assez grossière, qui disait tout bonnement que Jésus était le Créateur lui-même apparu sous forme humaine, ayant souffert la douleur et la mort, l’autre plus philosophique et donnant aisément dans le panthéisme. Aussi Hippolyte, toujours empressé à rattacher chaque hérésie à une école philosophique déterminée, reproche-t-il à ces unitaires d’être des disciples d’Héraclite. On se rappelle sans doute que ce philosophe d’Éphèse enseignait déjà vers la 49e olympiade des principes qui ressemblent singulièrement à ceux du système hégélien. L’univers était, selon lui, l’unité générale dans laquelle se résolvent les oppositions simultanées ou successives, de sorte que la désharmonie est la condition de l’harmonie absolue, et qu’au fond les contraires ne sont que les modes passagers de manifestation de l’identité éternelle. Ainsi l’univers pouvait être à la fois périssable et impérissable, temporaire et éternel. De même Noet pensait que la même personne pouvait réunir des attributs contraires, — l’infini en tant que père, être invisible, sans commencement, immortel, et précisément le contraire en tant que fils. Sabellius avait donné au système une couleur encore plus philosophique. Il distinguait en Dieu une monade et une triade. Tout ce qui est n’avait, selon lui, d’existence que dans la triade, qui, du sein obscur de la monade, se déploie en Père, en Fils, en Saint-Esprit, selon le moment de l’histoire que l’on considère. La monade, c’est donc Dieu muet, inintelligible, inactif, purement abstrait. Le Verbe n’est autre chose que le principe de mouvement immanent à la Divinité et la faisant sortir du silence éternel. Par conséquent, l’existence réelle de Dieu se confond avec celle du monde, et l’histoire du monde se confond avec l’histoire de Dieu. La période du Père est celle de l’Ancien Testament, celle du Fils est l’incarnation ; dans la troisième, Dieu, comme Saint-Esprit, vit dans l’ensemble des fidèles. Chacune de ces modifications de l’essence divine, une fois son œuvre spéciale terminée, rentre et disparaît dans le sein de la monade.

La doctrine de Noet de Smyrne fut répandue à Rome par ses disciples Épigone et Cléomène avec l’approbation et le concours de l’évêque Zéphyrin. Sabellius, encore jeune, se trouvait en même temps à Rome, et c’est un détail intéressant dont nous devons la connaissance au livre d’Hippolyte. Les deux partis tâchaient d’attirer ce jeune homme, qui sans doute promettait beaucoup, et Hippolyte prétend que s’il avait été seul à l’entretenir, il l’eût dirigé dans la bonne voie. Malheureusement Calliste, encore coadjuteur de Zéphyrin, l’entraînait par ses mauvais conseils vers le parti de Cléomène. Quant au vieux Zéphyrin, il ne songeait guère à subtiliser sur le dogme ; il disait ingénument au peuple : « Je ne connais qu’un seul Dieu, Jésus-Christ, et nul autre que lui, un seul Dieu qui est né et qui a souffert. » Toutefois Calliste avait soin d’ajouter, en se retranchant derrière la distinction plus apparente que réelle autorisée par la théorie sabellienne : « Ce n’est pas le Père qui est mort, c’est le Fils. » Hippolyte et les siens luttaient tant qu’ils pouvaient contre cette doctrine, à leurs yeux pernicieuse ; mais Calliste, fort de l’assentiment populaire, « vomissant le venin qu’il avait au fond des entrailles, » disait publiquement aux partisans du Verbe personnel et Dieu subordonne : « Vous êtes des dithéistes ! »

Cependant Zéphyrin mourut, et au grand chagrin d’Hippolyte les suffrages du peuple élevèrent Calliste à la dignité épiscopale. Il est bien à croire que ce ne fut pas précisément sur la question dogmatique, mais bien plutôt sur la question disciplinaire que se fît l’élection, c’est-à-dire qu’on chercha moins à nommer un évêque orthodoxe qu’à nommer un évêque indulgent pour bien des fautes que la discipline primitive condamnait rigoureusement. Il paraît pourtant que l’opinion dogmatique d’Hippolyte gagnait du terrain à Rome, car, à peine évêque, Calliste, toujours fidèle à sa tactique, crut devoir faire une concession grave au parti de l’opposition en excommuniant Sabellius, qui se retira en Orient, où l’histoire ecclésiastique le retrouve, vers 250, presbytre à Ptolémaïs, prêchant sans obstacle et même avec beaucoup de succès sa doctrine particulière. Calliste avait trouvé un biais pour distinguer sa doctrine de celle de Sabellius. Le Père et le Fils, disait-il, sont, non pas deux personnes distinctes, comme le voudrait Hippolyte, ni deux modes successifs de la Divinité, comme l’entend Sabellius, mais deux déterminations d’un seul et même esprit, à la fois visible en tant que Fils et invisible en tant que Père, de sorte qu’il se croyait en état de repousser le reproche qu’on lui faisait d’enseigner que le Père avait souffert. « Non, disait-il, le Père n’a pas souffert, mais il a compati avec le Fils, » subtilité pure évidemment, car la question était toujours de savoir s’il y avait, oui ou non, deux êtres personnels et distincts dans le Père et dans le Fils. Si l’on disait oui, Calliste était dithéiste comme ses adversaires ; si l’on disait non, c’était une seule et même personne qui avait souffert ; mais cette subtilité lui permettait d’évincer Sabellius et de faire des avances à la doctrine encore populaire de Théodote, d’après laquelle la descente de l’Esprit au baptême du Jourdain avait fait de l’homme-Jésus l’incarnation du Fils. Du reste on peut voir ici, comme dans tout ce débat, combien la notion de personnalité était vague dans les intelligences.

Hippolyte n’en fut pas plus touché et reprocha à Calliste d’avoir accouplé les deux hérésies de Sabellius et de Théodote. En même temps il lui fait d’autres reproches plus graves encore. Il l’accuse de s’être mis en opposition avec l’église chrétienne par une indulgence immorale pour les pécheurs scandaleux. Il ne leur demandait, dit-il, que d’adhérer à son parti : à cette condition, tout leur était pardonné. Il cherchait de toutes manières à augmenter l’absolutisme épiscopal. Il répandait les plus funestes maximes, entre autres celles-ci : a un évêque ne peut jamais être déposé, quand même il commet un péché mortel ; on peut recevoir un évêque, un presbytre, un diacre, lors même qu’ils seraient mariés pour la seconde ou la troisième fois, » chose contraire à la règle antérieure qui interdisait les secondes noces aux fonctionnaires de l’église, comme fait encore aujourd’hui l’église d’Orient. Il comparait corn-plaisamment l’église au champ de la parabole, où l’ivraie doit pousser impunément, mêlée au bon grain, ou bien à l’arche de Noé, où les animaux purs et impurs avaient été également admis. Cette indulgence extrême fit que les mœurs chrétiennes se relâchèrent d’une façon déplorable. N’alla-t-il pas jusqu’à permettre aux patriciennes de vivre en concubinage avec des esclaves ou des hommes de condition inférieure, si, restées dans le célibat et ne voulant pas perdre leur rang par une mésalliance, elles ne pouvaient donner un autre cours à leur impudique ardeur ! Le résultat fut qu’on vit des femmes dites chrétiennes imiter les infâmes débordemens des matrones païennes et recourir à l’art des avortemens pour faire disparaître les suites de leurs honteuses faiblesses.

Telles sont les terribles accusations qu’Hippolyte ne craint pas de lancer contre l’évêque Calliste. Encore ne faudrait-il pas les admettre sans réserve ; mais il paraît difficile de croire qu’il aurait tout inventé. Laissons là les avortemens, dont après tout Calliste n’est pas responsable. L’indulgence accordée aux unions illicites est un fait bien précis et a, malheureusement pour la mémoire du trop complaisant évêque, un rapport étroit avec ce que nous savons par d’autres sources sur les mœurs de la société romaine à cette époque. C’est commettre un anachronisme évident que de s’imaginer qu’en autorisant de pareilles unions Calliste voulait combattre l’institution de l’esclavage. Au surplus, nous trouvons dans cette partie du livre d’Hippolyte la confirmation de ce que l’histoire du second siècle, étudiée de près comme elle l’a été ces dernières années, nous avait fait découvrir : c’est que l’autorité épiscopale n’a remporté sa victoire définitive qu’en se montrant plus indulgente que l’ancienne discipline ne l’eût permis et que les exaltés, montanistes et autres, ne l’eussent voulu. Voilà ce qui nous explique pourquoi le poète Prudence, recueillant sur Hippolyte des traditions déjà fort altérées, fit de lui un novalien, c’est-à-dire un adhérent d’une secte rigoriste qui ne se forma qu’après sa mort.

La suite donna tout à la fois tort et raison aux deux adversaires. Sous le rapport du dogme, Hippolyte est bien plus orthodoxe que Calliste. Il est évidemment dans le courant, dans la lignée orthodoxe. Il y est avec Tertullien, Irénée, Clément d’Alexandrie, car c’est leur doctrine, c’est la sienne qui, développée, corrigée et augmentée par Athanase, triomphera à Nicée ; mais sur le chapitre de la rigueur morale Hippolyte eut tort devant l’église. Celle-ci, et pour cause, se prononça toujours plus en faveur des pouvoirs indulgens. Il le fallait, sous peine de rester une minorité impuissante. On ne voit pas qu’après la mort de Calliste Hippolyte ait réussi à se concilier la faveur populaire. Pourtant ses vues dogmatiques durent gagner du terrain ; mais sa sévérité morale dut toujours éloigner les gens. Presbytre il avait vécu, presbytre il mourut dans cette île de Sardaigne, au climat meurtrier, où il fut déporté à un âge déjà avancé. Cela n’empêcha pas toutefois le peuple chrétien de Rome de garder pieusement la mémoire de cette figure austère qui a quelque chose d’un théologien de notre Port-Royal. Le peuple plus d’une fois a donné place dans son panthéon à ceux dont il ne voulait pas, de leur vivant, à cause de leur rigidité, et de même que les deux sœurs montanistes Perpétue et Félicité restèrent dans la mémoire des chrétiens d’Afrique, malgré leur hérésie, entourées d’une auréole de perfection qui en fit des saintes universellement reconnues, de même Hippolyte, malgré sa violente opposition à l’épiscopat de son temps, devint l’un des saints les plus honorés du calendrier romain.


III

Il est bien établi maintenant que les trois premiers siècles de l’église sont loin d’avoir été une période de pureté religieuse et morale immaculée. Il en est de cet âge d’or comme de tous les autres, c’est une illusion de l’âge mûr ayant oublié l’enfance. Le fait est qu’alors comme dans tous les temps les principes chrétiens durent plus à leur excellence interne qu’aux vertus de leurs représentans attitrés, Il se dégage de tous ces personnages qu’Hippolyte met en scène une atmosphère fort peu édifiante. Sans parler de la conduite équivoque de Zéphyrin et de Calliste, ce Carpophore qui se livre à des opérations de banque par l’intermédiaire de son esclave sans vouloir engager sa responsabilité, cette Marcia, favorite de Commode, qu’elle contribue à faire assassiner pour prévenir, il est vrai, son propre supplice, ces mœurs dissolues qui cherchent déjà des accommodemens avec le ciel, ces intrigues dont l’épiscopat est le but, tout cela révèle une situation morale qu’on ne saurait trouver bien réjouissante. Le malicieux raisonnement du Juif de Boccace, devenu chrétien à Rome à cause des abus qui tueraient le christianisme s’il n’était divin, avait son côté vrai bien avant le XIVe siècle. Du moment que l’église devenait grande puissance, il n’en pouvait guère être autrement. Il ne faut pas croire que le désintéressement seul inspirait dans un tel temps le désir de représenter une église qu’aucune loi ne protégeait encore, et qui souvent était la proie de l’intolérance païenne. D’abord la persécution fut loin d’être continue. Il y eut des périodes de calme profond à peine interrompu par quelques actes isolés de violence ou d’arbitraire ; mais, sous le régime impérial, toutes les classes de la population y étaient expansées, et on avait fini par s’y habituer. Parfois même on peut voir que l’église chrétienne était déjà fort bien en cour. Ce fut le cas sous Commode, sous Héliogabale, sous Alexandre Sévère. Les femmes surtout se montraient bien disposées pour elle, et sous un régime absolu ce n’est pas peu dire. Il est difficile de préciser la force numérique de la communauté chrétienne de Rome pendant le IIIe siècle ; nous savons seulement par une lettre de l’évêque Corneille, conservée par Eusèbe, qu’en 251 l’église de Rome était dirigée par quarante-six presbytres subordonnés à l’évêque, et qu’elle avait à sa charge au moins quinze cents assistés. Cela supposerait un chiffre approximatif de quarante à cinquante mille âmes, sans compter le nombre déjà grand de païens qui, sans renoncer encore à la religion traditionnelle, sympathisaient du dehors avec le christianisme. Devenir chef d’une telle communauté, ce n’était déjà plus se sacrifier par humilité ni renoncer aux grandeurs de la terre.

Il ne faut donc pas s’étonner de ce qu’au sein d’une église aussi importante, au centre même du luxe et du dévergondage païen, tes mœurs chrétiennes souffrissent déjà d’un relâchement regrettable. Calliste avait raison de s’appuyer sur la parabole de l’ivraie et du bon grain pour dire qu’un tel état de choses n’était nullement un motif de croire l’église perdue. Son tort était plutôt de présenter un malheur inévitable comme un état de choses normal. Rien de plus dangereux que de donner droit de cité à l’immoralité en la couvrant du manteau ecclésiastique. Hippolyte à son tour se méprenait sur les conditions du progrès de l’église quand, à l’exemple des montanistes avant lui et des novatiens qui lui devaient succéder, il prétendait renfermer l’église dans les étroites barrières de la discipline primitive. Le sens pratique a dû lui manquer, tandis que son heureux compétiteur Calliste doit l’avoir possédé à un degré remarquable. Son ouvrage, écrit d’un style correct, mais sans élégance, souvent lourd même, divisé d’une façon très méthodique, abondant en résumés, répétitions, récapitulations, etc., rappelle à s’y méprendre le cours d’un professeur allemand. C’est l’œuvre d’un homme consciencieux, mais étroit, dépourvu d’aisance, qui fait dépendre le salut de ses lecteurs du degré d’exactitude avec laquelle ils se rappelleront le cours en dix chapitres qu’il leur fait sur la vérité dogmatique. Pour donner une idée de sa manière et aussi du point de vue où en était alors ce qui fut plus tard l’orthodoxie, nous ne pouvons faire mieux que de reproduire la dernière page, de son livre, qui suit une sorte de confession de foi où il s’efforce d’opposer la vraie doctrine aux erreurs qu’il a décrites et combattues.

Après avoir proclamé l’unité de Dieu, créateur absolu des choses, dont il ramène les élémens à quatre, le feu et l’esprit, l’eau et la terre, il raconte comment Dieu promulgua ou proféra, à l’état de Verbe extérieur et personnel, la conception de l’univers qu’il possédait auparavant en lui-même, à l’état intérieur et impersonnel, puis comment ce Verbe, serviteur obéissant du Père, façonna tout ce qui existe au moyen des quatre élémens simples. La formation de l’homme être libre et moral couronna cette activité créatrice, et depuis lors le Verbe n’a cessé d’instruire l’humanité, d’abord obscurément par l’organe de Moïse et des prophètes, en dernier lieu clairement et complètement en se revêtant d’un corps dans le sein d’une vierge. C’est ainsi qu’il a régénéré la substance humaine, consentant à partager nos besoins, nos souffrances, et purifiant notre nature en la portant à travers tous les âges de la vie[8].


«….. Telle est, continue-t-il, la vraie doctrine de la Divinité, ô Grecs et Barbares, Chaldéens et Assyriens, Égyptiens et Libyens, Indiens et Éthiopiens, Celtes, et vous, Latins, qui commandez au monde, et vous tous, habitans de l’Europe, de l’Asie et de la Libye. Je suis votre conseiller à tous, en ce sens que, disciple du Verbe ami des hommes et ami moi-même des hommes, je vous invite à apprendre auprès de nous quel est le vrai Dieu, quelle est son œuvre bien ordonnée, à ne pas vous adonner aux sophismes des discoureurs artificieux ni aux vaines promesses des hérétiques trompeurs, mais à aimer la simplicité grave et concise de la vérité. En apprenant à la connaître, vous éviterez le feu du jugement qui vous menace et l’aspect effrayant de ce ténébreux Tartare où ne reluit pas la parole du Verbe. Vous éviterez l’ardeur éternelle de l’étang brûlant de la Géhenne, le visage toujours menaçant des anges maudits qui habitent les enfers, et le ver rongeur de la substance corporelle, s’attachant, comme à sa nourriture, au corps embrasé. Si tu apprends à connaître le vrai Dieu, tu fuiras toutes ces horreurs, tu auras un corps immortel, incorruptible, associé à ton âme, tu obtiendras le royaume des cieux. Ancien habitant de la terre, mais ayant connu le roi des cieux, tu participeras à la vie de Dieu, tu seras héritier avec Christ, tu ne seras plus exposé aux convoitises, aux souffrances, aux maladies, car tu seras devenu dieu. Les maux dont tu as souffert étant homme provenaient de ta nature humaine ; mais Dieu a promis que tu deviendrais possesseur de ce qui est conforme à la nature divine. Tu deviendras dieu en naissant à l’immortalité. Connaître le Dieu qui t’a fait, c’est là vraie mise en pratique du connais-toi toi-même !… Si tu obéis à ces augustes préceptes, et que, devenant bon, tu sois imitateur de celui qui est bon, tu lui seras fait semblable, et tu seras honoré par lui, car ce n’est pas un pauvre Dieu (ού γάρ πτωΧεύει θεύς) que celui qui t’a fait dieu à sa gloire. »


Ainsi se termine le livre d’Hippolyte, et je ne vois pas du tout pourquoi on a voulu que la fin réelle nous manquât. Que reste-t-il à promettre à l’homme devenu dieu ? On a pu remarquer, en parcourant cette profession de foi, qu’Hippolyte partage pleinement le point de vue orthodoxe pur d’après lequel il ne suffit pas pour le salut de réunir les dispositions du cœur auxquelles l’Évangile le promet, qu’il faut avant tout connaître la vérité dogmatique. Malheur à vous, si vous comprenez autrement qu’Hippolyte la vérité religieuse ! Vous n’avez pas d’autre perspective que le Tartare et son étang de feu. C’est au point qu’il n’envisage pas même la possibilité, pourtant démontrée par les faits, d’une vie sainte et pure associée en toute bonne foi à des erreurs théologiques. Cela se voit pourtant dans le monde.

C’est un argument bien dangereux que celui-là : « où tu seras orthodoxe, ou tu seras damné ! » Même abstraction faite de sa valeur logique, qui est mince, il faut toujours craindre, quand on est orthodoxe aujourd’hui, d’être hérétique demain. Ne parlons pas de tout ce qui, au point de vue de l’orthodoxie ultérieure, manquerait à la profession d’Hippolyte pour la mettre à l’abri de l’index. Bornons-nous à ses affirmations. On l’eût bien étonné, si on lui eût dit que cent ans après lui, aux yeux même de ses continuateurs, des idées pareilles aux siennes devaient mener droit en enfer ceux qui auraient l’impiété de les partager. Comment donc ! Un Verbe né dans le temps, inférieur au Père, simple exécuteur de ses ordres !… Mais dès le IVe siècle il n’en fallait pas tant pour faire bondir d’indignation un disciple d’Athanase, et si la prescription de la vénération populaire n’eût protégé son nom, Hippolyte eût été certainement rejoindre Calliste et Sabellius, Arius et Paul de Samosate, tous les hérésiarques passés et futurs, dans ces lieux terribles que chaque intolérance a successivement peuplés de tous ceux qui lui déplaisaient. A chaque pas de nos études sur l’antiquité chrétienne, nous retrouvons donc des preuves nouvelles de la fauté à jamais déplorable que commit l’église chrétienne du IIe siècle, lorsqu’elle donna au dogme, à l’expression intellectuelle de la vérité, une pareille prépondérance. Le temps, avec son inexorable logique, dissout l’un après l’autre les dogmes les plus résistans en apparence. Il n’y a que le christianisme intérieur, celui du cœur aimant Dieu, de la conscience vivifiée par l’exemple et l’esprit du Christ, il n’y a que ce christianisme qui défie le pouvoir dissolvant de la durée, et, disons-le à la gloire de Jésus, c’est bien là aussi qu’il a placé le centre de gravité de sa religion éternelle Il est certain que l’esprit de l’Évangile est infiniment plus original que le dogme chrétien, chose ondoyante et bien moins une qu’on ne le croit souvent. On ne peut s’empêcher de sourire quand, après avoir lu de longs chapitres destinés à écraser une foule d’hérésies en montrant que chacune d’elles n’est que l’écho d’une philosophie non chrétienne, on arrive à cette profession de foi qu’il faut adopter sous peine d’enfer, et qui elle-même est toute saturée d’idées, d’expressions, de points de vue fournis uniquement par la philosophie. Il est évident qu’une telle profession de foi n’a pu venir qu’après tout le travail du platonisme alexandrin et tout ce que celui-ci suppose. Je ne parle pas seulement de cette physique particulière, fille des rêveries antiques, d’après laquelle le monde serait formé tout entier des quatre substances simples, le feu et l’esprit, l’eau et la terre. Ceci pourrait disparaître sans dommage pour la théologie personnelle d’Hippolyte ; mais le mot et l’idée du Verbe, ce Verbe d’abord intérieur à Dieu et impersonnel, puis extérieur et personnel, ce Verbe qui contient les idées générales du monde et qui le façonne d’après elles, qui éclaire, moralise les hommes et les fait participer à la vie divine,… est-ce donc que tout cela n’a pas été enseigné avant l’Évangile ? Tout cela ne porte-t-il pas au front le cachet bien accusé d’un système, d’une école, et les vignerons de Capernaüm, les bateliers de Bethsaïda eussent-ils compris un mot à pareil langage ? O saint Hippolyte, que vous êtes platonicien ! Et comme vous nous avez bien montré, sans vous en douter, vous si désireux de séparer la doctrine révélée des pauvres tâtonnemens de la sagesse humaine, qu’en définitive le dogme et la dogmatique ne sont jamais, ne peuvent jamais être autre chose qu’une application plus ou moins heureuse de la pensée philosophique aux faits constitutifs de l’Évangile et de la vie chrétienne !

M. de Bunsen a trop facilement cru que le livre d’Hippolyte ferait des ravages, soit dans les consciences catholiques, soit parmi les adhérens de l’école de Tubingue. En fait, ce livre n’a, que je sache, ni converti ni perverti personne ; mais il est une tendance, une prétention, une œuvre de prédilection de notre siècle à laquelle il a donné raison de la manière la plus éclatante. En nous montrant une fois de plus les fluctuations et les variations du dogme au sein de l’église primitive, en nous les décrivant avec l’autorité du témoin oculaire, Hippolyte est venu consacrer, pour tout esprit impartial, le bon droit de la critique moderne, et quand il ne résulterait que cela de la découverte de M. Miller, ce serait déjà bien assez pour s’en applaudir.


ALBERT REVILLE.

  1. Voyez l’article sur Irénée dans la Revue du 15 février 1865.
  2. Entre autres données intéressantes, signalons le premier système cosmogonique fondé sur la découverte des fossiles. Xénophane de Colophon (vers le VIe siècle avant Jésus-Christ) savait qu’on trouvait des coquilles marines dans les entrailles de la terre et sur les hautes montagnes. On avait découvert de son temps des empreintes de poisson dans les pierres extraites des carrières de Sicile et au sommet d’un mont dans l’île de Paros. C’est sur de tels phénomènes qu’il basait sa théorie d’un mélange primitif de la terre et de la mer.
  3. Hist. eccl, VI, 22.
  4. Voyez dans la livraison du 1er novembre 1859 l’étude sur la renaissance des idées religieuses en France.
  5. Voici ce passage, d’un latin fort peu cicéronien : Eo tempore (a. 255) Pontianus episcopus et Hippolytus presbyter exoles sunt deportali in Sardinia in insula nociva Severo et Quintino cons. In eadem insula discinctus est IIII kl. oct. et loco ejus ordinatus est Anlheros XI kl. dec. cons., etc. C’est-à-dire : « En ce temps-là (235), sous le consulat de Severus et de Quintinus, Pontien, évêque, et Hippolyte, presbytre, furent exilés et déportés en Sardaigne, dans une île meurtrière. Dans la même île, Pontien fut déposé le 4e des kalendes d’octobre, et le 11e des kalendes de décembre Anthérus fut ordonné à sa place. » Au lieu de discinctus, dont le sens est fort obscur, M. Mommsen voudrait qu’on lût defunctus (il mourut), et ce serait beaucoup plus naturel.
  6. Pour aider le lecteur à s’orienter dans la suite de ce récit, je reproduis la liste des évêques de Rome parallèlement à celle dos empereurs — depuis Éleuthère, contemporain d’Irénée, jusqu’à Pontien, compagnon d’exil d’Hippolyte :
    177-190 Éleuthère 180-193 Commode.
    190-200 Victor 193 Pertinax.
    193-211 Septime Sévère.
    200-218 Zéphyrin 211-217 Caracalla.
    218-223 Calliste 217-218 Maccin.
    223-230 Urbain 218-222 Héliogabale.
    230-235 Pontien 222-235 Alexandre Sévère.
  7. C’est encore un de ces détails d’archéologie romaine dont nous devons l’explication au livre d’Hippolyte.
  8. Dans cette dernière idée, on reconnaît la prétention de l’école johannique, partagée par Irénée, et qu’un passage du quatrième évangile semble appuyer (Jean, VIII, 57). D’après cette école, Jésus aurait vécu beaucoup plus longtemps que les données des évangiles plus anciens ne permettent de le croire. Cette prétention, inadmissible historiquement, rentre dans la transfiguration idéaliste que l’école johannique fit subir à l’histoire évangélique.