Grasset (p. 49-65).

II

LES RAPPORTS : STYLE ET PROCÉDÉS

Ils parlaient comme la hache.


Telle fut l’âme qu’il eut charge d’exprimer, l’activité qu’il dut conduire parmi les événements humains. Pour cela il lui fallut des mots, des phrases, un style. Quel fut donc ce talent, outil principal de la Terreur, dont elle usa uniquement pour ses besognes spécifiques, car Barère ne fut jamais un suppléant et n’évita pas à son collègue un retour de la frontière. Comment s’y prenait Saint-Just pour formuler, présenter, obtenir, ce qu’il obtenait et faisait voter sans discussion, à l’unanimité ?

Ce qui frappe d’abord est l’autorité. Pas une phrase qui n’en soit revêtue et jamais cette allure n’a molli, fût-ce dans l’ambiguïté qui est menaçante, fût-ce dans l’image « forte et sombre, a dit Sainte-Beuve, trempée dans le Styx », autorité aussi remarquable et presque singulière qu’elle apparaisse naturelle ou voulue. On sait quel fut son premier discours et comme ce glaive jeté à la balance fit poids dans la discussion. Mais la violence de l’opinion sur le jugement de Louis XVI n’obtint pas seule ce résultat. Cette opinion « d’une férocité scandaleuse[1] » l’emporte par la majesté. Pas une autre ne sut pour s’exprimer trouver une telle certitude laconique et froide des mots :

Je ne perdrai jamais de vue, leur dit-il, que l’esprit avec lequel on jugera le roi sera le même que celui avec lequel on établira la République. La théorie de votre jugement sera celle de vos magistratures et la mesure de votre philosophie dans ce jugement sera celle de vos magistratures et la mesure de votre philosophie dans ce jugement sera aussi la mesure de votre liberté dans la constitution[2].

Surtout, quand une seconde fois, impatient de leurs lenteurs, il redresse de main de maître les voies de la discussion, il parle avec une supériorité consentie et presque reconnue :

Balancez, si vous le voulez, l’exemple que vous devez à la terre, l’impulsion que vous devez à la liberté, la justice inaltérable que vous devez au peuple, par la pitié criminelle envers celui qui n’en eut jamais ; dites à l’Europe appelée en témoignage : Sers-nous tes tyrans, nous étions des rebelles ; ayez le courage de prononcer la vérité car il semble qu’on craigne ici d’être sincère. La vérité brûle en silence dans tous les cœurs comme une lampe ardente dans un tombeau[3].

Soit dit en passant, voilà de ses images. L’année suivante les nécessités ayant grandi, il humiliera de nouveau leurs scrupules :

Je ne veux point traiter cette question devant vous comme si j’étais accusateur ou défenseur, ou comme si vous étiez juges ; car les détentions n’ont pas pris leur source dans les relations judiciaires, mais dans la sûreté du peuple et du gouvernement. Je ne veux point parler des orages d’une révolution comme d’une dispute de rhéteurs ; et vous n’êtes point juges, et vous n’avez point à vous déterminer par l’intérêt civil, mais par le salut du peuple placé au-dessus de nous.

La première loi de toutes les lois est la conservation de la République, et ce n’est point sous ce rapport que les questions les plus délicates sont souvent ici examinées[4].

Saint-Just avait posé ce principe « qu’on ne saurait gouverner sans laconisme » et observera, comme un vœu, cette recette du parfait tyran. Toutes ses phrases ont une ligne régulièrement scandée par la césure du point virgule, et le mouvement oratoire n’est chez lui que le coupé court des paroles brèves. Il était d’avis que « les longues lois sont des calamités publiques », aussi les axiomes abondent. « Tu n’es qu’une boîte à apophtegmes », lui disait Collot d’Herbois dans l’impatience des querelles finales.

Il est laconique, mais nullement obscur, ainsi qu’on le croit. Son cerveau, quoiqu’on ait dit, fonctionna toujours en clair. Les nuages furent un luxe d’orage, accessoire de Sinaï, souvent aussi, vers la fin, négligence et lassitude verbale d’un talent surmené. Sa recherche de la précision, idées et vocabulaire est, au contraire, frappante. Il a le goût, presque la pose et la pédanterie de l’exactitude : « Mettez donc la justice dans tous les cœurs et la justesse dans tous les esprits. » Il est incroyable comme il revient à ses définitions, les retouche en philologue ayant le souci d’une bonne langue révolutionnaire. La royauté, par exemple, l’adversaire, — personne, derrière le mot, n’aura davantage poursuivi la chose. Il n’accepte pas un conseil des ministres :


La royauté n’est pas le gouvernement d’un seul, elle est l’indépendance du pouvoir qui gouverne : Si ce pouvoir qui gouverne est indépendant de vous, il y a une royauté quelconque[5].

La royauté n’est pas le gouvernement d’un seul : elle est dans toute puissance qui délibère et qui gouverne[6].

N’est-ce pas inattendu qu’il nous ait fourni, lui, cet énonciateur d’oracles, une claire définition des préceptes et des lois :

La législation en préceptes n’est point durable ; les préceptes sont les préceptes des lois ; ils ne sont pas des lois ; lorsqu’on déplace de leur sens ces deux idées, les droits et les devoirs du peuple et du magistrat sont dénués de sanction ; les lois, qui doivent être des rapports, ne sont plus que des leçons isolées, auxquelles la violence, à défaut d’harmonie, oblige tôt ou tard à se conformer et c’est ainsi que les principes de la liberté autorisent l’excès du pouvoir, faute de lois et d’application.

Les droits de l’homme étaient dans la tête de Solon ; il ne les écrivit point ; mais il les consacra et les rendit pratiques[7].

Cette réflexion persistante, ce scrupule de l’attention ne le quitteront jamais : « Obéir aux lois, dira-t-il carrément, cela n’est pas clair, car la loi n’est souvent autre chose que la volonté de celui qui l’impose. On a le droit de résister aux lois oppressives… » Seulement la formule impérative n’est pas remplacée, sa définition lui manqua.

L’autorité, le laconisme et la précision ne rendent pas compte à eux seuls des moyens de Saint-Just. Il usa en maître d’une autre forme : la violence. Énergie péremptoire et stridente, choix furieux et cassant des expressions d’autorité, science, goût et prestige des voies irrésistibles, charmes pour infuser la dictature et rendre un mouton despote, joint à des étrangetés d’élocution, une recherche violente et précieuse et comme une élégance de la furie, qu’il prit on ne sait où, et demeure son originalité séduisante ou odieuse. Voici comment il préconise et dans quel esprit sera voté le gouvernement révolutionnaire.

Il est temps d’annoncer une vérité qui désormais ne doit plus sortir de la tête de ceux qui gouvernent : la République ne sera fondée que quand la volonté du souverain comprimera la minorité monarchique, et régnera sur elle par droit de conquête.

Vous n’avez plus rien à ménager contre les ennemis du nouvel ordre de choses et la liberté doit vaincre à tel prix que ce soit.

Il n’y a point de prospérité à espérer tant que le dernier ennemi de la liberté respirera ; vous avez à punir non seulement les traîtres, mais les indifférents mêmes ; vous avez à punir quiconque est passif dans la République et ne fait rien pour elle ; car, depuis que le peuple français a manifesté sa volonté, tout ce qui lui est opposé est hors le souverain, tout ce qui est hors le souverain est ennemi.

Si les conjurations n’avaient point troublé cet empire, si la patrie n’avait pas été mille fois victime des lois indulgentes, il serait doux de régir par des maximes de paix et de justice naturelle : ces maximes sont bonnes entre les amis et la liberté, mais entre le peuple et ses ennemis il n’y a plus rien de commun que le glaive. Il faut gouverner par le fer ceux qui ne peuvent l’être par la justice : il faut opprimer les tyrans[8].

Et ce n’est qu’un début. Ce rôle d’accumulateur de la force, il ne cessera de le remplir avec tout son être, tous ses nerfs et tout son talent. Organe du Comité, le lieu de l’énergie, il apporte avec lui la dictature dans ses vêtements :

Le législateur commande à l’avenir ; il ne lui sert à rien d’être faible. C’est à lui de rendre les hommes ce qu’il veut qu’ils soient.

De là un vocabulaire dont chaque terme violente. L’âpreté nécessaire y est une redite. Il rappellera ses collègues à « la véhémence d’un gouvernement pur, d’un gouvernement indomptable aux factions criminelles ». C’est ainsi qu’il dira : « Nous devons être en état de violence et de force contre un ennemi en état de ruse » ; qu’il répétera : « Nous devons donc rester continuellement en état de violence, afin de briser également les pièges connus et les pièges cachés ».

Venant aux détails, nous remarquons d’abord qu’il appelle la guillotine par son nom. Quand tous vont d’instinct aux métaphores, depuis les agents qui dénombrent ceux qui ont « passé sous le glaive de la loi » jusqu’aux députés qui brandissent leurs têtes et parlent de leur future « immolation », sa simplicité à l’égard de la mort est frappante. Il n’a pas fait une phrase sur son échafaud ou celui des autres. Sa langue, à la romaine, brave cette autre pudeur ; il dira nuement : « Lorsque vous fîtes périr un roi… Ce prêtre a été guillotiné depuis… N’espérez de repos dans l’État que lorsque tous ceux qui le troublent seront morts… Les factions criminelles ne sont point audacieuses parce qu’il existe un tribunal qui lance une mort prompte ». Alors que tant de voiles, tant d’euphémismes sont accueillis par les autres, qu’il a près de lui Barère avec ses trouvailles dans le genre, il a le goût invincible d’un réalisme simple, court, brut, un goût littéraire de la mort.

Cette brutalité frappe d’autant plus qu’elle n’a qu’un usage. Ailleurs nous trouvons une grande sélection des mots, des quintessences et des sinuosités. Tous les débuts de ses rapports annoncent des opérations d’analyses et des raffinements psychologiques.

Quel langage vais-je vous parler ? comment vous peindre les erreurs dont vous n’avez aucune idée et comment rendre sensible le mal qu’un mot décèle, qu’un mot corrige[9] ?

Il nous apprend avec l’étrangeté qui lui est chère « qu’il a été ourdi depuis six mois un plan de palpitation ». Cette recherche le mène très loin, il nous montre les Girondins « absorbant avec art l’essor des délibérations » et, chose plus incroyable, « on nous remplissait d’inertie avec impétuosité ! » C’est le chef-d’œuvre, on ne dira rien de plus étonnant. Ce goût très sincère de l’expression l’a parfois servi, surtout dans la violence : « Bronzez la liberté, » dit-il. Sont-ce les mots, cette fois, qui nous troublent, quand il s’écrie éloquemment : « Quel est donc cet art ou quel est ce prestige des grands événements qui fait respecter les grands coupables[10] ? » L’homme qui s’exprime et pense de la sorte n’est pas un rhéteur, si la langue peut déplaire, on reconnaîtra qu’elle ne doit rien au collège. Ce n’est pas à de telles fautes que Robespierre s’exposa.

« L’image est sombre et forte, a dit Sainte-Beuve, trempée dans le Styx ». Mais surtout elle est haute cette image et rien ne l’arrête : « Que les législateurs qui doivent éclairer le monde prennent leur course d’un pied hardi comme le soleil. »

Il y a des portraits dans Saint-Just. Il les aime et les soigne en artiste, en psychologue amateur. Mais ils ne sont pas qu’un luxe. Dans ces procédures interminables à l’usage de criminels sans crimes, il fallait bien trouver des charges et des preuves morales ; les psychologies douteuses prennent une valeur capitale dans l’accusation. Il est curieux de voir ces images de collègues se réfléchir dans les yeux sévères, mais intelligents de Saint-Just :

Danton riait avec Ducos, faisait le distrait près d’Orléans et le familier près de Marat qu’il détestait, mais qu’il craignait. Hérault était grave dans le sein de la Convention, bouffon ailleurs, et riait sans cesse pour s’excuser de ce qu’il ne disait rien[11].

C’est un furieux portrait que celui de Danton dans ce rapport du 11 Germinal. Calomnieuse en ses interprétations, l’éloquence de Saint-Just n’est pas sans finesse quand elle décrit seulement l’homme dont elle a horreur :

Tu recevais les compliments de Guadet et de Brissot et tu les leur rendais. Tu disais à Brissot : « Vous avez de l’esprit, mais vous avez des prétentions ». Voilà ton indignation contre les ennemis de la patrie !

Dans le même temps tu te déclarais pour des principes modelés et tes formes robustes semblaient déguiser la faiblesse de tes conseils ; tu disais que des maximes sévères feraient trop d’ennemis à la République. Conciliateur banal, tous tes exordes à la tribune commençaient comme le tonnerre, et tu finissais par faire transiger la vérité et le mensonge.

Enfin il a un don remarquable et qui fait la fortune des princes : le don des mots qu’on répète, des mots historiques. Ce ne sont pas les meilleurs qui fournirent la plus belle carrière, ainsi, après son rapport du 23 ventôse, on n’ouvre pas un journal, une lettre privée sans y lire que « la justice et la probité sont à l’ordre du jour dans la République française ». Mais quand il annonce que « le monde est vide depuis les Romains », quand il finit son projet de Constitution de cette manière : « Le peuple français vote la liberté du monde », et son préambule au décret du 13 ventôse, par ceci : « Le bonheur est une idée neuve en Europe », il prouve qu’il comprend assez le mot à retentissement.

L’instrument donné, comment en usait-il, comment se passait le travail des rapports ? Presque toujours ils sont improvisés. Celui du 9 thermidor, qui semblerait le plus réfléchi, est écrit en une nuit parmi les altercations. Pour l’affaire des Girondins, enquête et rapport lui prennent huit jours ; le 16 juin il est, avec Cambon, désigné rapporteur à la Convention sur ceux de ses membres qui sont en état d’arrestation. Le 19, arrêté que le rapport sera fait après-demain et que Saint-Just en est chargé. Le 24, ayant, il est vrai, doublé son délai de quarante-huit heures, Saint-Just est prêt et lit son rapport à la séance du soir, mais le Comité ajourne d’en accepter la rédaction[12]. La précipitation grandit encore quand il s’agit de Danton et la rapidité n’est pas la condition la moins favorable.

Les tâches acceptées par Saint-Just n’étaient jamais d’exécution toute simple. Non seulement y fallait-il une certaine détermination de la bonne foi, mais sans parler du courage personnel, un talent difficile autant qu’audacieux : faire quelque chose de rien. Au fond, que pouvaient être les éléments de son travail, quelles pièces pouvait-on apporter à Saint-Just et, s’il en a vu, à quel degré pouvait-il y croire ? Il dit une fois — 8 juillet 93 — qu’elles existent et qu’on les imprimera. Aux murmures du côté droit, c’est Couthon qui répond d’abord, l’orateur fléchissant peut-être : « Cette dénonciation a été signée au Comité de Salut public par des gens qui ne seront pas suspects à ces messieurs. » Et Saint-Just : « La dénonciation signée de ces faits et les pièces à l’appui seront livrées à l’impression. » Ces preuves de la conspiration royaliste, (les Girondins ne nous inquiètent guère), on voudrait savoir si le rapporteur a jugé nécessaire d’y croire. « J’aime assez Barbaroux, disait Robespierre, il ment avec une noble fierté. » Il faudrait convenir que Saint-Just mentait de plus haut encore. Il est impossible de penser de lui comme de Robespierre : « Tout ce qu’il dit, il le croit » ; au fond, il s’est peu soucié de ce qu’il eut à dire, la lecture de ses réquisitoires en témoigne bien, encore moins de ce qu’il eut à prouver. Les preuves et les pièces dont il s’appuie, généralement fausses il est vrai, sont présentées avec une grande légèreté, tout à fait en accessoires inutiles, et l’on aurait tort pour contrôler l’honnêteté du rapporteur, de rechercher quelle impression elles purent faire sur lui. Il est de toute évidence qu’il n’y prêta pas d’attention. Ses incriminations d’ordre moral sont les seules qu’il prépara longuement, qu’il approfondisse et qui prennent chez lui une réelle portée. Cette absence de faits et la longueur des imputations psychologiques font que Saint-Just semble moins rapporter au nom d’un comité que témoigner contre un parti au nom ses avertissements intérieurs.

Nous ne suivrons pas l’orateur dans ses interminables accusations, les procès faits par la Montagne à la Gironde et à Danton, n’étaient pas l’œuvre de Saint-Just et nous voulons seulement indiquer la manière, ce qui, en propre, est du rapporteur. Voici un échantillon :

En réfléchissant sur le passé, en comparant les hommes à eux-mêmes, en rapprochant les faits, en analysant vos délibérations et les intérêts qui les ont agitées sous le masque du bien public, on ne peut nier qu’il ne se soit tramé dans le sein de la Convention nationale, une conjuration pour rétablir la tyrannie de l’ancienne Constitution. Les principaux auteurs d’un dessein si funeste se sont enfin désignés eux-mêmes en prenant la fuite. Il n’était point permis autrefois de les soupçonner ; la défaite de tant de complots les avait instruits ; les périls qui pressent les pas des ennemis du peuple avaient nécessité plus de raffinement dans leur conduite ; ils n’étaient point ennemis audacieux de la liberté ; ils parlaient son langage ; ils paraissaient, comme vous, ses défenseurs ; ainsi deux armées ennemies combattaient sous l’aigle romaine[13].

Est-il volontairement insidieux ? ses rapports sont-ils des chefs-d’œuvre de la perfidie ?… « Le style de Saint-Just est clair et acéré », dit un historien de la Gironde. Celui qui a écrit à dix-neuf ans le poème d’Organt et à vingt-cinq l’Opinion sur la culpabilité de Louis XVI, savait dire ce qu’il voulait et s’exprimer avec précision. C’est donc très volontairement que, dans ce document célèbre, — rapport du 8 juillet 93 — il a enveloppé sa pensée de formes nébuleuses et d’un vague qui permettait tout à l’accusation, rien à la défense. C’est le prélude de cet autre réquisitoire que Saint-Just réservait contre Danton et qu’il sut entourer des mêmes ombres meurtrières. Y a-t-il mis tant de noirceur ? C’est l’affaire qui manquait de précision. L’orateur, ayant du talent, s’en est tiré le mieux possible, avec subtilité car il observait et réfléchissait, en élevant la question car il avait des idées générales. Un biographe que les rapports désolent revient toujours à ce mot : « Sa terrible bonne foi. » Ceci encore est exagéré. Il était bien intelligent pour tant de crédulité. Plus tard, en Alsace, ayant soulevé les Jacobins par des rigueurs collectives, il leur écrit : « Le temps démêlera peut-être un jour la vérité ; nous examinons tout avec sang-froid et nous avons acquis le droit d’être soupçonneux… nous persistons jusqu’après le péril dans notre arrêté. » Peut-être faut-il étendre très loin, à tous les procès de sa carrière, le terrorisme utilitaire et pyrrhonien de cet aveu.

Sans vouloir aborder les responsabilités, il est difficile d’étudier ces discours sans une répartition des initiatives. Le rapport du 11 germinal, par exemple, passe encore pour une dictée de Robespierre, et la volonté de sacrifier Danton pour une de ses décisions.

Il semble bien pourtant que Saint-Just l’ait voulu le premier et la chose apparaît bien sienne à travers ses trois grands discours, à travers ses notes, jusqu’à l’étonnante excitation qu’il garda toujours sur le sujet. Avant germinal, avant, semble-t-il, toute sanction de Robespierre et du Comité, dès son rapport du 8 ventôse, Saint-Just n’y tient pas et menace follement : « On s’exempte de probité ; on s’est engraissé des dépouilles du peuple ; on en regorge, et on l’insulte, et l’on marche en triomphe traîné par le crime, pour lequel on prétend exciter notre compassion ! Car enfin, l’on ne peut garder le silence sur l’impunité des plus grands coupables qui veulent briser l’échafaud parce qu’ils craignent d’y monter. »

Ce qu’il y a de certain, c’est que les notes de son ami qui servirent, dit-on, à Saint-Just, sont un « discours sur la faction Fabre d’Églantine » et que Danton n’y est jamais nommé. Quand on compare l’ennuyeuse élucubration de Robespierre, monotone jusque dans la violence et faible jusque dans la menace, à la forte, nerveuse, enragée performance de Saint-Just, on comprend mieux l’histoire de leurs rapports, ce qui est spontané chez le disciple, et combien le premier, malgré son fiel, eut été désarmé sans le talent d’agrandir la haine que l’autre a portée jusqu’aux nues.

  1. Lanjuinais : « Ayant tous ou presque tous ouvert votre opinion, l’ayant fait quelques-uns d’entre vous avec une férocité scandaleuse. »
  2. 13 nov. 93.
  3. 27 déc. 93.
  4. 8 ventôse. Sur les détentions.
  5. 28 janv. 93.
  6. 24 avr. 93.
  7. 24 avr. 93.
  8. 10 oct. 93.
  9. 9 thermidor.
  10. 27 déc. 93.
  11. 11 germinal.
  12. Aulard, Actes du Comité de Salut public.
  13. 8 juillet 93.