Saint-Domingue et les nouveaux intérêts maritimes de l’Espagne

Saint-Domingue et les nouveaux intérêts maritimes de l’Espagne
Revue des Deux Mondes, 2e périodetome 33 (p. 645-665).
SAINT-DOMINGUE
ET
LES NOUVEAUX INTERETS MARITIMES DE L'ESPAGNE

Aucune terre lointaine n’a peut-être le privilège d’occuper plus souvent l’attention de l’Europe que la belle île de la mer des Antilles qui dresse ses cimes verdoyantes entre Cuba et Porto-Rico, l’ancienne Hispaniola de Colomb, que nous ne pouvons nous déshabituer encore de nommer Saint-Domingue. Si confus et parfois si étranges que soient les événemens qui s’y accomplissent, jamais ils ne manquent d’exciter vivement notre sollicitude. C’est qu’indépendamment des souvenirs qui se rattachent à ce pays et qui vibrent encore dans les cœurs, indépendamment de cette curieuse tentative de civilisation africaine dont il est depuis longtemps le théâtre infécond, Saint-Domingue constitue un point maritime du premier ordre, que les nouvelles évolutions de la politique de l’Europe peuvent, dans un temps donné, replacer à son rang. Chacun en a le sentiment, et voilà pourquoi toute révolution haïtienne ou dominicaine a pour nous un degré particulier d’intérêt au milieu des crises relativement plus graves qu’on voit se succéder dans les républiques hispano-américaines. Ce sentiment est encore bien peu raisonné toutefois, s’il faut en juger par les impressions qui se manifestent au sujet du retour à son ancienne métropole de la partie espagnole de l’île, connue depuis ces dix-huit dernières années sous le nom de République-Dominicaine[1]. N’avons-nous pas entendu invoquer le droit international de l’Europe aussi bien que la doctrine de Monroë contre cet acte si simple et si simplement accompli, hautement comparé aux attentats de Walker contre le Nicaragua et de Lopez contre Cuba ! L’Espagne n’a-t-elle pas été dûment avertie de s’arrêter à ce premier pas, qui semble la ramener vers l’Amérique du Sud, sous peine de rappeler à la concorde et de coaliser contre elle les deux fractions aujourd’hui divisées de l’Union américaine ? Quant aux appréciations de la partie qui se croit le plus directement intéressée dans la question, c’est-à-dire de l’ancienne colonie française devenue république haïtienne, elles ne pouvaient certes moins faire que de se tenir à cette hauteur. Les plus vieilles dynasties de l’Europe succombant sous les coups de l’usurpation n’emploient pas une phraséologie plus solennelle et plus véhémente pour réserver leurs droits devant Dieu et devant les hommes que ne le fait le président Geffrard en cette circonstance. Après avoir exposé à sa manière l’annexion de la partie espagnole à la république haïtienne sous le gouvernement de Boyer et la scission de 1844 « qui n’a jamais été au fond qu’une querelle sur la forme du gouvernement, » la chancellerie de Port-au-Prince pose la question de la souveraineté du but avec une assurance qui révèle au moins une certaine étude de l’histoire contemporaine. Pour elle, « nul ne saurait contester qu’Haïti n’ait un intérêt majeur à ce qu’aucune puissance étrangère ne s’établisse dans la partie de l’est. Du moment que deux peuples habitent une même île, leurs destinées par rapport aux tentatives de l’étranger sont solidaires. L’existence politique de l’un est intimement liée à celle de l’autre, et ils sont tenus de se garantir l’un à l’autre leur mutuelle sûreté… » À cette déclaration de principes se joint une sorte de déclaration d’hostilités, car le gouvernement haïtien proclame que cette annexion, « trahison envers la patrie, œuvre du général Santana et de ses conseillers, rompt par le fait la trêve de cinq ans par laquelle la république de l’ouest venait de se lier à l’égard de celle de l’est, que le gouvernement haïtien se trouve affranchi par là de tout engagement et recouvre son ancienne liberté d’action, se réservant l’emploi de tous les moyens qui, suivant les circonstances, pourront être propres à sauvegarder et à garantir son plus précieux intérêt… » Cette protestation, qui conserve une certaine dignité dans son exagération, est accompagnée d’une adresse aux habitans de l’est conçue dans le langage le plus violent, et renfermant les imputations les plus injurieuses contre le président Pedro Santana, qui a dirigé ses compatriotes dans leur mouvement de retour vers l’ancienne métropole.

Une étude constamment suivie des faits qui se sont produits depuis ces dix-huit dernières années, tant à Saint-Domingue que dans les états du golfe, comme on dit de plus en plus depuis la scission anglo-américaine, nous autorisera peut-être à envisager la question sous un tout autre jour que celui qui vient d’être indiqué. À nos yeux ce n’est pas seulement au point de vue du droit international que le retour à l’Espagne de son ancienne colonie peut être défendu, c’est encore dans l’intérêt des populations qui l’ont accompli aussi bien que dans celui de l’ancienne partie française, qui pour le moment proteste officiellement contre cet acte. Enfin, à qui voudra sortir de la sphère purement locale et rattacher à la politique générale de l’Europe le fait d’histoire contemporaine dont nous venons d’être témoins, nous espérons faire comprendre que ce fait doit être accueilli avec satisfaction, et maintenu précisément parce qu’il est en harmonie avec les véritables tendances de cette politique.

Personne n’ignore, mais tout le monde a peut-être oublié que le célèbre établissement français de la seconde des Antilles s’est formé tout seul, et constitue ainsi la plus belle manifestation de l’initiative individuelle des temps modernes. Lorsqu’on jette les yeux sur une carte de l’ancienne Hispaniola, on suit pour ainsi dire de l’œil le travail d’envahissemens successifs des aventuriers français qui, descendant de la petite île de la Tortue, placée au nord-ouest, sur une terre occupée par la plus puissante nation du temps, ne purent se développer que sur une zone relativement étroite. N’avançant que la dague au poing et par voie de refoulement, pour employer une expression longtemps usitée dans notre Afrique française, ils aimaient mieux suivre le littoral que pénétrer trop avant dans l’intérieur. C’est ce qui explique la configuration topographique si particulière de l’ancienne colonie française : un long ruban maritime s’étendant du nord-ouest au sud-ouest et n’embrassant certainement pas le tiers du territoire total de l’île. Cette marche usurpatrice dura de 1630 à 1697, date du traité de Ryswick, qui reconnut enfin les droits de la France, et la rendit souveraine régulière de sa colonie de Saint-Domingue. Jusqu’alors, à chaque changement de gouverneur, les colons espagnols montaient à cheval et interrompaient la prescription en faisant une charge à fond sur les établissemens français les plus voisins de la frontière. Sans la reconnaissance accomplie par le traité de Ryswick, qui délimita l’occupation française en la légitimant, il est bien probable que, se trouvant trop à l’étroit sur le littoral, elle se fût peu à peu étendue en profondeur, et aurait fini par arriver jusqu’à Santo-Domingo.

On peut dire que les deux colonies, désormais, amies, marchèrent d’un pas égal, l’une vers la prospérité, l’autre vers la déchéance. Il serait trop long d’énumérer les causes de cette diversité de fortune. Il suffira d’indiquer la principale, qui n’est autre que la fascination exercée sur tout Espagnol par la conquête du continent voisin. Cortez avait été greffier de la municipalité d’Azua, petite ville voisine de Santo-Domingo. La merveilleuse fortune du grand conquistador fut un irrésistible aiguillon pour ceux qu’il avait laissés derrière lui, et l’immense empire continental aspira en quelque sorte les habitans de la colonie, comme il aspirait d’ailleurs ceux de la mère-patrie elle-même. L’atonie et la décadence succédèrent rapidement à une vitalité qui, moins de quatorze ans après l’occupation de Colomb, avait fondé quinze villes toutes peuplées de Castillans, ayant leurs privilèges et leurs armoiries, que l’historien. Herrera nous a précieusement conservés.

Ce contraste si frappant dut naturellement faire naître l’idée de fusionner les deux colonies, dont l’une se fût ranimée au contact vivifiant de l’autre. Dès 1698, des ouvertures furent faites en ce sens à l’Espagne et reprises plusieurs fois à différentes époques ; mais, dit un document qui en présente l’historique, « c’était la première conquête de l’Espagne dans le Nouveau-Monde : les cendres de Colomb y reposaient. Ferdinand s’était formellement engagé pour lui et ses successeurs à ne jamais la détacher de la couronne de Castille. L’amour-propre national attachait un grand prix à sa conservation, et la faisait regarder comme la pierre fondamentale de l’immense édifice de la puissance espagnole en Amérique… » Aussi ce ne fut qu’en 1795 que la république française, reprenant la pensée de Louis XIV, fit comprendre la cession de ce territoire dans le traité de Bâle, dont l’article 9 dispose qu’en échange des places prises par la France en Europe, et qu’elle restitue à l’Espagne, a le roi d’Espagne, pour lui et ses successeurs, cède et abandonne en toute propriété à la république française toute la partie espagnole de l’île de Saint-Domingue aux Antilles. » La clause relative à l’exécution de cette disposition du traité de Bâle disait que les généraux et commandans respectifs des deux territoires auraient à prendre les mesures nécessaires pour l’accomplissement de l’occupation française.

Cette dernière stipulation recelait, dans la simplicité de sa forme, l’épisode le plus curieux et le plus dramatique de cette période de notre histoire coloniale. Ce fut en effet le terrain où se livra la dernière lutte entre la légalité expirante du pouvoir métropolitain et la dictature envahissante de Toussaint-Louverture. Ce noir audacieux, qui, n’ayant pas encore levé ostensiblement l’étendard de la révolte, prétendait exercer son pouvoir au nom de la France, entreprit de mettre immédiatement à exécution la clause de cession et de prendre possession pour la république française… L’agent politique du directoire, qui comprit le but de cette comédie, voulut, d’accord avec l’Espagne, en prévenir le dénoûment. Il y dépensa les derniers restes de son pouvoir expirant, et ne put que prolonger un provisoire dont la France ne sut pas profiter. En 1801, Toussaint prit possession de Santo-Domingo au milieu d’une consternation et d’une panique que quelques Français fidèles à la mère-patrie et dirigés par l’héroïque mulâtre Chanlatte s’efforcèrent en vain de dominer. Ce fut le 22 février que le représentant du roi d’Espagne, don Joachim Garcia, dernier gouverneur de la colonie, quitta cette terre que la politique de deux grands peuples n’avait pas su défendre contre les ruses d’un vieil Africain. Déjà précédemment une vague appréhension avait fait transférer le siège de l’audience royale à La Havane, et le peuple avait remarqué avec un certain effroi que le jour même où la justice, ce premier attribut de la domination européenne, s’exilait de cette terre, la charpente du vieux palais de Colomb s’écroulait avec fracas[2].

Lors de l’expédition du général Leclerc, en 1803, l’ancienne partie espagnole fut reprise sur Toussaint comme la partie française. Quand survinrent les désastres de cette expédition, dont les débuts avaient été si brillans, l’adjudant-général Ferrand, qui commandait la circonscription du nord, en apprenant la capitulation de Rochambeau dans Port-au-Prince, leva ses postes, encloua ses canons, et, par une marche rapide, se porta sur Santo-Domingo, où il s’enferma, après avoir dépossédé le général Kerverseau, qui y commandait. L’administration du général Ferrand, habile et paternelle, a laissé des souvenirs durables dans l’ancienne possession espagnole, Il eût certainement rallié tous les esprits à la domination française, si les deux nationalités coloniales eussent pu demeurer indifférentes aux grands démêlés qui divisaient leurs métropoles. En 1808, la junte de Séville, qui avait pris la direction du mouvement contre la France, fit signifier au gouverneur de Porto-Rico la déclaration de guerre qu’elle venait de lancer audacieusement à Napoléon, et lui ordonna d’agir en conséquence. L’ardente nationalité du peuple espagnol, sa haine vigoureuse de l’étranger, éclatèrent à Saint-Domingue comme dans les sierras de la Péninsule. L’insurrection, dirigée par un créole de vieille race espagnole, don Juan-Sanchez Ramirez, se répandit promptement. Vaincu par ce chef, au-devant duquel il s’était porté avec une poignée d’hommes, Ferrand se donna la mort, et laissa le commandement au général de brigade Barquier.

Alors commença, sous cet officier obscur et demeuré ignoré, cet héroïque siège de Santo-Domingo, qui serait certainement devenu mémorable s’il avait eu pour théâtre une ville de l’Europe. Bloquée par les populations insurgées et par la flotte anglaise, qui vint leur prêter assistance, la ville succomba à la famine après des prodiges de courage. C’est par les nobles paroles du général anglais qui en prit possession que la France, absorbée dans sa grande lutte continentale, connut pour la première fois cet héroïsme lointain de ses enfans. Ce fut en 1809 que s’accomplit cet événement militaire, qui, grâce au concours de l’Angleterre son alliée d’alors, remit l’Espagne en possession de son ancienne colonie.

L’occupation espagnole à l’état de conquête dura jusqu’en 1814, époque où elle se trouva légalisée par l’article 8 du traité de Paris, dont la clause finale dispose que « sa majesté très chrétienne rétrocède en toute propriété et souveraineté à sa majesté très catholique la partie de Saint-Domingue cédée à la France par le traité de Bâle. » Cette reprise de possession n’entraîna aucun changement, aucune modification, qui fussent de nature à modifier l’état du pays : la mutuelle léthargie de la métropole et de la colonie (on sait ce qu’était alors l’Espagne) dura jusqu’à la plus prochaine révolution. Commencée en 1821, à l’exemple de ce qui se passait sur le continent voisin, où s’écroulait de toutes parts l’empire colonial de l’Espagne, elle se termina par l’annexion qu’accomplit l’année suivante le président Boyer, qui avait succédé à Pétion dans le gouvernement de l’ancienne partie française. Les écrivains haïtiens ont appelé cette prise de possession une conquête des cœurs, et la protestation du président Geffrard parle de « la libre et propre volonté des populations de l’est, qui ont, pendant vingt-deux ans, vécu de la même vie politique et sociale que celles de l’est… » Ce n’est là qu’une phraséologie de convention. La vérité est que l’occupation de la partie orientale s’accomplit alors par des procédés d’intimidation et de corruption qui ne différaient guère de ceux de Toussaint.

L’élite de la population émigra, dépouillée de ses biens par cette simple et commode mesure de la vérification des titres de propriété exigée de personnes qui n’en avaient jamais eu. L’Espagne en prit occasion de faire une démonstration conservatrice de ses droits. En 1830, un envoyé du roi Ferdinand, don Felipe de Castro, vint réclamer du gouvernement de Boyer une indemnité pour les colons expropriés, offrant de reconnaître à cette condition l’indépendance du territoire de l’est, comme la France avait reconnu, cinq années auparavant, celle du territoire de l’ouest ; mais la mission que le cabinet de Madrid avait confiée à don Felipe de Castro n’était pas appuyée de toute une escadre comme celle dont le cabinet des Tuileries avait chargé le baron de Mackau : elle échoua. On s’y attendait certainement, et elle n’était évidemment qu’un prétexte et une occasion de protester diplomatiquement contre cette prise de possession, vainement déguisée sous l’apparence d’un acte d’initiative nationale.

Pendant les vingt-deux ans que dura l’administration du général Boyer, la fusion put paraître réelle entre les deux anciennes colonies européennes de Saint-Domingue ; mais elles ne faisaient que dormir de la même léthargie. On en eut la preuve lorsqu’en 1843 éclatèrent dans l’ouest contre le gouvernement présidentiel du successeur de Pétion les premiers mouvemens insurrectionnels qui déterminèrent sa chute. On vit alors en effet les habitans de l’ancienne audience espagnole se mettre en révolution pour leur propre compte sous la direction de l’un des grands propriétaires du pays, le même Pedro Santana qui achève aujourd’hui son œuvre intelligente et patriotique. C’est au cri caractéristique de viva la virgen Maria ! que se levèrent les populations, et c’est dans leur langue reconquise (car elle avait fini par être proscrite) que fut publié le manifeste constitutif de la République-Dominicaine[3]. Il faut lire ce document, longue énumération des violences commises, des spoliations subies, pour apprécier quel fut le caractère de la lutte où l’on ne veut voir aujourd’hui qu’une simple « querelle sur la forme du gouvernement. »

Nous ne retracerons pas l’historique des efforts incessans que firent les successeurs de Boyer pour reconquérir le territoire de l’est. Son éphémère vainqueur, le mulâtre Hérard Rivière, y devait succomber après quelques jours de gouvernement, comme vient d’y succomber l’Africain Soulouque après un véritable règne[4], et malgré l’intelligence et les sentimens de modération du titulaire actuel la concession d’une trêve de cinq ans est tout ce que « les conseils des puissances médiatrices » ont pu obtenir de son gouvernement en faveur de l’état voisin. C’est lui-même qui prend la peine de nous le dire dans sa protestation. Cet antagonisme se dessina comme spontanément dès l’origine, et dès l’origine, ce qu’on ne sait pas généralement, la faible population de l’est dut reconnaître son impuissance à constituer une nationalité véritablement indépendante. Il est d’abord constant qu’aussitôt après la révolution accomplie, des ouvertures furent portées à Cuba, et plus tard jusqu’à Madrid, et nous ne croyons pas nous tromper en avançant que celui que l’on appelle un peu naïvement aujourd’hui le chef du parti français, l’ancien président Baëz, fut, conjointement avec Santana, chargé de cette négociation. Personne n’a oublié quel était alors l’affaiblissement de l’Espagne : absorbée dans les luttes intestines, elle ne pouvait songer à se créer de lointaines affaires. Éconduits de ce côté, les Dominicains se tournèrent vers la France, représentée dans ces parages par deux hommes entreprenans et énergiques, l’amiral de Mosges et le consul-général Levasseur, dont l’intervention n’avait jamais fait défaut dans les momens critiques. Alors se produisit un épisode assez curieux de notre histoire diplomatique. De véritables négociations, toujours conduites par Santana et Baëz, s’ouvrirent avec le consulat français de Port-au-Prince. Non-seulement elles furent accueillies par notre agent, mais, avec une intelligence qui l’honore, il comprit que la plus saine condition de succès était l’accession du président haïtien. Le vieux noir Guerrier venait d’être proclamé. Notre consul parvint à obtenir sa secrète adhésion sous la seule condition que l’esclavage ne serait jamais rétabli dans la partie qu’il s’agissait d’annexer. Il est certain que l’initiative prise par le consul-général de France fut approuvée par son gouvernement, que des ordres furent donnés à l’amiral de Mosges de rallier Saint-Domingue avec toute la station navale du golfe du Mexique, et de proclamer l’annexion de la partie espagnole à la France. Ce qui est non moins certain, c’est que ce mouvement fut effectué, et que nos deux agens arrêtaient entre eux les dernières dispositions d’exécution lorsque des contre-ordres leur arrivèrent. L’affaire s’était ébruitée, et avait pris aussitôt un caractère international qui n’avait pas permis d’aller plus avant sans compromettre de plus graves intérêts. Plusieurs fois depuis lors cette idée fut reprise, et notamment, croyons-nous, en 1848, par l’ex-président Baëz, qui se trouvait à Paris et se mit en rapport avec le gouvernement français ; mais les préoccupations intérieures étaient évidemment trop grandes. La France se contenta de reconnaître la nouvelle république et de donner l’exequatur à son consul.

Désespérant de l’Espagne et de la France, la population de l’est finit par songer, aux États-Unis. Son antipathie de race latine pour l’Anglo-Saxon se trouvait comme tempérée par le voisinage, les relations de chaque jour. C’était au moment où la politique de la Maison-Blanche proclamait ses étranges doctrines sur l’utilité et la convenance de l’annexion de Cuba. L’heure était propice. Il y eut des menées vivement conduites par un agent habile. Abandonnées, reprises, poussées même jusqu’à la signature d’un traité heureusement non ratifié, le tout au milieu de luttes, de compétitions personnelles, elles eussent infailliblement abouti sans la mémorable diversion que vint créer la rupture de l’union américaine.

On assure que Santana fut lui-même le promoteur originaire de ce mouvement nouveau, et on lui reproche en termes injurieux la versatilité que ce revirement semble révéler. Il suffit de soumettre à un examen impartial les faits aujourd’hui connus pour sainement juger sa conduite et comprendre que, toute la pensée politique du libertador de 1843 se résumant dans la résolution bien arrêtée de soustraire son pays au joug haïtien, il a dû chercher à faire non pas le mieux, mais le moins mal possible dans cette voie. Repoussé par l’Espagne et la France, il se tourne vers l’Union américaine ; mais à peine a-t-il la révélation qu’un changement dans les circonstances politiques a rendu l’ancienne métropole accessible, qu’il fait une volte subite et revient à elle. Cette prétendue versatilité est donc au contraire la manifestation d’une volonté des plus persistantes. Il faut d’ailleurs constater un fait significatif qui a dû donner à penser au président Santana. En 1856 (nous aurons à revenir sur ce point), l’Espagne avait reconnu à certaines conditions l’indépendance de son ancienne colonie. L’une de ces conditions était ce qu’on a nommé la clause de l’immatriculation, qui permettait aux natifs d’origine espagnole de recouvrer leur nationalité castillane moyennant certaine déclaration à faire sur des registres spéciaux. L’élite de la population s’empressa de se faire immatriculer, manifestant ainsi hautement sa sympathie pour son ancienne métropole. Cette sorte de rapatriement alla si loin que le gouvernement se vit un moment obligé de choisir pour ministres de la république ces matriculados qui avaient perdu leur nationalité dominicaine. Il paraît hors de doute que c’est ce mouvement qui, après avoir vivement froissé d’abord Santana, a fini par le convaincre et l’entraîner. Est-il rien de plus légitime dans nos idées actuelles qu’un revirement ainsi motivé ? Malgré la mobilité trop habituelle à cette population, elle nous montre par sa conduite actuelle qu’elle est du moins restée fidèle à l’esprit de cette première manifestation. Jamais en effet révolution n’a été plus pacifiquement accomplie que celle qui vient de réincorporer la colonie à sa métropole. Une simple proclamation a suffi pour faire arborer partout le drapeau de Castille[5], et les forces militaires ultérieurement arrivées de. La Havane n’ont eu jusqu’ici à le défendre contre aucune agression.

En présence d’une pareille unanimité, le gouvernement espagnol n’avait évidemment pas deux partis à prendre : il a fait diplomatiquement connaître qu’il acceptait cette demande générale d’annexion, et la Gazette officielle de Madrid vient de publier, précédé d’un rapport étendu signé du président du conseil, le décret qui proclame la prise de possession. On peut relever dans ce rapport plus d’une témérité de langage, — par exemple une île espagnole venant déposer aux pieds du trône la souveraineté que la reine lui a reconnue il y a quelques années, puis la plaie de l’esclavage présentée « comme indispensable aux autres colonies, etc. ; » mais on ne saurait lui contester ces deux qualités : qu’il présente un exact exposé des faits, et qu’il est par cet exposé même un éclatant hommage rendu aux principes de droit international que l’on reproche à l’Espagne de violer en cette circonstance.

Tels sont les faits qui ont précédé la situation actuelle dans la partie espagnole de l’île. C’est cette situation même qu’il faut maintenant examiner de plus près, en complétant notre résumé par le tableau de l’ancienne partie française.

En Haïti, le noir règne et ne gouverne pas… Pour qui sait la comprendre, cette saillie de l’un de nos consuls renferme toute la situation : c’est l’antagonisme des Africains et des sang-mêlé, antagonisme qui, dès les premiers jours de l’expulsion des blancs, s’est personnifié dans le noir Toussaint et dans le mulâtre Rigaud, lutte parfois terrible et sanglante, parfois dissimulée et latente, mais toujours réelle, toujours vivace. « Le noir règne et ne gouverne pas, » cela signifie que l’oligarchie mulâtre, qui comprend qu’elle ne peut monter au pouvoir sans être brisée par la démocratie noire, s’épuise en combinaisons pour gouverner par elle et derrière elle. Dès que le mulâtre se révèle, dès qu’il donne signe de vie politique, les prisons s’ouvrent, les hécatombes commencent. On ne saurait croire tout ce que le président Boyer, homme d’une véritable intelligence, déploya de talent, de ruse, nous dirions presque de génie, pour se faire oublier, en un mot pour ne pas gouverner. C’est là le secret de cette léthargie de vingt-cinq ans que nous avons constatée.

Son vainqueur et successeur, Hérard-Rivière, ne put supporter le rôle au-delà de quelques mois. C’est surtout à partir de ce dernier et éclatant échec que se dessine plus nettement la politique d’effacement spirituellement résumée dans le mot de notre consul. Guerrier, Pierrot, Riche, vieux noirs abrutis, furent des choix excellens dans l’esprit de cette politique. Le dernier inspira sans doute un moment quelques inquiétudes ; mais il s’éteignit bientôt au milieu des sensuelles jouissances dont on avait pris soin d’enguirlander sa vie. Soulouque, son successeur, donna durant quelque temps les plus belles espérances : d’une ignorance enfantine, aimant la parade et les futilités du pouvoir, il semblait fait tout exprès pour le rôle qui lui était destiné. On sait comment ce Néron africain, répudiant tout à coup cette première partie de son règne, révéla au monde le terrible Faustin Ier en envoyant à la mort ses Sénèque et ses Burrhus mulâtres. La caste entière y eût passé, si l’un de ses derniers survivans n’eût renversé le tyran juste au moment où il venait de prononcer son arrêt de mort. La présidence de Geffrard est donc, par le fait, une nouvelle tentative de gouvernement direct que font les sang-mêlé, tentative évidemment imposée par des circonstances de force majeure, par un suprême effort du sentiment de conservation.

Comme toujours, ce gouvernement nouveau s’est inauguré par une foule de lois et de proclamations plus libérales les unes que les autres, et comme toujours l’Europe a battu des mains, à ces manifestations qui promettent de « faire entrer Haïti dans une voie nouvelle. » Le président Geffrard paraît être un homme intelligent ; il serait difficile de ne pas admirer l’énergie morale dont il a fait preuve dès son avènement au milieu des plus douloureuses circonstances ; enfin nous le croyons doué des meilleures intentions. Néanmoins, et plus de deux ans d’exercice du pouvoir ne le prouvent déjà que trop, Geffrard ne fera pas plus que ses prédécesseurs. On peut comparer son gouvernement à celui du sultan et dire de ses prescriptions libérales ce qu’on a dit ici même avec tant de justesse des réformes financières de la Turquie : le président mulâtre tapisse sur l’Europe. Il n’a rien fait et ne peut rien faire. Il est destiné à tourner dans ce cercle énervant et fatal où Pétion s’est éteint de consomption et de dégoût, où Boyer n’a pu se maintenir qu’à force d’effacement, et qu’Hérard a dû franchir au péril de sa vie après quelques mois d’étouffement et de lutte. — Oppression et impuissance", tel est le rôle de la démocratie noire à Haïti ; libéralisme et impuissance, tel est celui de l’oligarchie mulâtre. Il faut avoir le courage de le reconnaître aujourd’hui qu’on n’a plus aucune raison, philanthropique pour essayer de se le dissimuler, ce peuple n’a tenu aucune des promesses dont la France libérale s’était plu à entourer son berceau. Jamais nationalité naissante ne fut plus favorisée que la sienne. « Tout existait, dit un écrivain contemporain de sa première émancipation ; il n’y avait rien à créer, il ne s’agissait que de prendre… » Tout existait en effet, jusqu’au crédit extérieur, qui, au moment de la reconnaissance officielle de 1825, présenta cette singularité d’être coté à la Bourse de Paris au-dessus de celui de la France elle-même. Longtemps l’on prétendit que cette reconnaissance diplomatique manquait seule au développement de ces magnifiques élémens de prospérité. Plus tard, lorsque vinrent les premières déceptions, on les attribua à la compression morale qu’exerçait le caractère conditionnel que l’ordonnance de 1825 mettait à cette reconnaissance. La France, toujours faible ou toujours dupe, fit disparaître cette clause résolutoire par le traité de 1838, l’un des actes les moins heureux de la politique du dernier règne. Qu’est-il enfin sorti de cette autonomie définitive si ardemment et si habilement poursuivie ? On peut dire qu’il y a unanimité chez tous les écrivains qui se sont posé cette question, à quelque opinion qu’ils appartiennent : « Les campagnes d’Haïti sont mortes, lisons-nous dans un écrit publié en 1842 : Là où l’esclavage faisait des tonnes de sucre par milliers, on ne fait plus que quelques vivres et du sirop pour en fabriquer du tafia. Le vivace bois de bayaonde couvre de ses épines les carrés de cannes, les prés, les pâturages, désertés par la main de l’homme ; il envahit les bourgs et vient jusqu’au sein des villes croître au milieu des décombres comme pour insulter les citadins… » Une publication qui ne remonte qu’à l’année dernière, et qui sous une forme souvent bizarre présente un excellent aperçu de la situation politique et économique de la république, s’exprime absolument dans le même sens sur cet envahissement de la luxuriante végétation des tropiques, qui semble « un concert ironique de la nature célébrant l’absence du travail. » Mais les voyageurs européens ne sont pas les seuls à constater cette situation. « Qu’on observe bien les faits qui se passent chez nous, disait naguère un journal de Port-au-Prince dans un accès de franchise, et que l’on se demande si en raison de nos premiers pas dans la carrière notre marche ne s’est pas constamment ralentie ; que l’on se demande s’il ne ressort pas de l’état des choses les plus vitales de notre civilisation que le pays est frappé d’immobilité et même de déchéance. »

Si de l’ancienne colonie française on revient à la partie espagnole pour essayer de l’étudier au point de vue économique, on est également frappé de la grande tâche qui s’offre à l’activité humaine et qui attend encore qu’un pouvoir vigoureux sache la remplir. L’audiencia de Saint-Domingue, l’un des plus beaux territoires du Nouveau-Monde, présente une étendue de 3,200 lieues carrées, dont 2,700 de surface plane et 400 de montagnes. Tandis que, plus heureusement douées que celles de l’ouest, les montagnes de la partie orientale offrent presque partout un sol propre à la culture, ses plaines sont comme un magnifique appel jeté par la nature aux forces productives de l’homme. Depuis Colomb, qui, allant visiter les mines de Cibao, laissa dans son enthousiasme le nom de Vega real à l’immense nappe de verdure qu’il découvrit des hauteurs de Monte-Christo, il n’est pas un voyageur, pas un écrivain qui, en parlant de l’ancienne audience, ne se soit exprimé avec admiration sur l’étendue et la splendide fécondité de ses plaines. Autour du Cibao, dont le sombre groupe domine le pays, rayonnent jusqu’à quatorze chaînes distinctes qui courent dans toutes les directions. C’est entre ces montagnes, qui les abritent de leurs cimes et les fécondent de leurs eaux, que les vegas de l’est descendent en s’élargissant vers la mer, comme ces grands fleuves dont l’embouchure ressemble à un océan. Parmi ces plaines, les principales sont : celle que Colomb a si justement appelée royale, celle de Neybo, que traverse une rivière navigable, et qui, au dire, de Moreau de Saint-Méry, pourrait contenir cent cinquante sucreries ; celle d’Azua, qui offre une superficie de près de quatre-vingts lieues carrées ; celle de San-Raphael, dont les gras pâturages, élevés à cinq cents toises au-dessus du niveau de la mer, approvisionnaient de bestiaux presque toute la partie française ; celle de Santo-Domingo, qui entoure la capitale ; celle de la Zayna, qui, aux temps prospères de la première colonisation, rapportait plus à la métropole que la province entière n’a depuis rapporté, et tant d’autres dont l’étendue égale la fécondité.

Ce sol est propre à toutes ces riches cultures qui rendent les colonies intertropicales si précieuses à leur métropole. L’étendue de sa surface et la variété de ses zones permettent d’offrir les ressources de l’assolement à ces plantes délicates qui, après avoir précédé la Canne dans les petites Antilles, ont été comme étouffées par elle dans les limites trop resserrées de leur territoire. Tandis que dans les îles du Vent les arbres à épices ne sont plus que l’ornement de quelques jardins, que l’indigotier végète çà et là à l’état sauvage, que le cacaoyer suffit à peine à la consommation locale ; enfin tandis que le cotonnier y a presque entièrement disparu et que le cafier disparaît chaque jour, le voyageur qui traverse la partie orientale de Saint-Domingue est arrêté dans sa marche par les pousses vigoureuses et désordonnées de ces arbustes, qui se dressent comme des futaies sous l’action puissante d’une terre redevenue vierge. Nous avons à peine besoin de parler de ces bois d’ébénisterie dont’ les essences, si nombreuses et si belles, défraient depuis près d’un siècle le luxe du monde entier, en suffisant à toutes les fantaisies de la mode. Disons cependant que c’est de la partie espagnole que sortent les coupes, les plus riches et les plus recherchées de l’ouvrier européen. Aucun canton de l’île ne fournit un bois égal aux billes striées de l’acajou d’Azua, pas plus qu’aucune forêt n’égale celle d’Yuna pour la magnificence de ses cèdres et de ses ébéniers. Ce n’est pas seulement par les espèces propres aux fins ouvrages d’ameublement que se recommande cette terre privilégiée : on y trouve en abondance celles qu’exige la grande construction navale. C’est ce que constate, d’une manière aujourd’hui fort intéressante pour l’Espagne, une exploration exécutée par un ingénieur français au moment de la cession de 1795, et dont le récit se trouve dans les papiers du département de la marine.

Ce qui, au même point de vue, présente un intérêt encore supérieur pour l’Espagne, c’est l’importance maritime de certaines parties du littoral. Les ports sont à la vérité moins nombreux dans la colonie espagnole que dans l’ancienne province française, et ceux de la côte septentrionale, parmi lesquels sont Santiago et Puerto-Plate, n’offrent en général que des abris peu sûrs et des fonds de mauvaise tenue. C’est à l’est et au sud, c’est à Santo-Domingo et à Samana qu’il faut descendre pour trouver des ports véritablement dignes de ce nom. La capitale espagnole est assise au pied du delta que dessinent, en se joignant à une lieue de la mer, les deux grandes rivières Isabelle et Ozama. Ces deux courans principaux, que de nombreux affluens ont grossis dans leur cours, forment, en mêlant leurs eaux, une nappe immense qu’encaissent de chaque côté des roches perpendiculaires qui s’élèvent parfois jusqu’à une hauteur de vingt pieds. Lorsque seront faits certains travaux que réclame l’embouchure de l’Ozama, ce bassin naturel aura pris toute l’importance qu’il peut avoir dans le mouvement maritime de ces parages. C’est là que fut le secret de la splendeur de cette métropole espagnole du Nouveau-Monde, au temps où Fernandez Oviedo disait à Charles-Quint « qu’il n’y avait pas une ville en Espagne qui méritât de lui être préférée, soit pour le sol, soit pour l’agrément de sa situation, soit pour la beauté de ses rues et de ses places, soit enfin pour le charme de ses environs, et que sa majesté impériale logeait quelquefois dans des palais moins commodes, moins vastes et moins riches que plusieurs de ses édifices. »

La presqu’île de Samana, dont la côte sud forme, avec celle de Samana-la-Mare, la vaste baie qui porte son nom, s’étend de l’ouest à l’est sur une longueur de quinze lieues et une largeur qui varie de deux à cinq. Sa configuration est telle qu’elle fut longtemps prise pour une île. Aussi le bassin qu’elle forme est-il l’un des plus magnifiquement circonscrits qui existent dans le monde entier, et il suffit d’étudier un peu la carte pour comprendre comment et pourquoi Samana a été de tout temps l’objet de la convoitise de tous les hommes de mer qui ont navigué dans ces parages. Située à l’extrémité orientale de l’île et placée ainsi sous le souffle de l’est, qui est la brise régulière de ces latitudes, elle est au vent de Cuba, de la Jamaïque et de tout le golfe du Mexique. Ce qui est de plus infiniment remarquable et achève de déterminer en quelque sorte la prédestination maritime de ce beau centre, c’est la richesse de son territoire en matériaux propres à la construction navale. Non-seulement la presqu’île est dans toute son étendue splendidement boisée, mais l’Yuna, grande artère qui vient aboutir à la baie, et dont les eaux sont navigables à plus de vingt lieues dans les terres, offre son courant au transport des pins, des cèdres et des bois de toute sorte qui ombragent ses bords. Le gayac, les résines, le fer, dont cette partie de l’île abonde, le cuivre de la Mme de Maymon, le charbon de terre, dont des gisemens ont été découverts, peuvent également arriver par cette voie.

Ce beau et vaste pays n’est occupé que par une population de cent ou cent vingt mille âmes. C’est le résultat, non pas seulement de la cause originaire indiquée plus haut, mais encore des nombreuses perturbations subies depuis l’acte de cession à la France. La partie la plus saine de cette population, celle que le machiavélisme du gouvernement de Boyer ne poussa pas dans les colonies voisines lors de l’occupation de 1822, se retira dans l’intérieur des terres, surtout vers le nord-est, où s’étend le beau pays de Cibao. C’est dans ce noyau, d’environ cinquante mille individus, que se sont principalement concentrés l’énergie vitale du pays, le sentiment de la race, enfin la pureté de la race elle-même. Il ne faut d’ailleurs rien exagérer de ce côté : cette pureté est loin d’être générale, et c’est le sang métis qui domine, mais avec ce caractère particulier que dans la partie espagnole de Saint-Domingue, où l’élément aborigène se maintint assez longtemps et où l’élément africain fut toujours très faible, c’est entre Européens et Caraïbes que les croisemens eurent lieu. Or, le principe de la liberté originelle du Caraïbe se trouvant écrit et proclamé dans tous les actes de la colonisation, les familles qui descendent de ces unions, que la loi ne défendait pas de légitimer, sont très fières de leur double consanguinité. Pedro Santana se vante d’appartenir à cette descendance, dont le rôle est d’ailleurs aujourd’hui si marqué dans les républiques de l’Amérique du Sud. Il serait difficile de se faire une juste idée du degré de misère matérielle où est tombée une population si intéressante, sans cesse détournée de ses travaux pour courir à la frontière. Pas un mot n’est à retrancher de la partie du rapport du maréchal O’Donnell qui en fait le tableau ; Abîmée dans les luttes intestines, dévorée par la plaie du papier-monnaie, on n’a lieu de s’étonner que d’une chose : c’est qu’elle n’ait pas succombé avant d’être à même d’exécuter la résolution qui vient de la sauver.

Que diraient les publicistes qui attaquent si vivement aujourd’hui la population dominicaine pour avoir pris cette résolution, si un jour la partie française s’avisait de suivre son exemple ? Et pourquoi ne pas avouer que cette éventualité est une de celles qui frappent le plus particulièrement dans cette question ? Oui, nous sommes convaincu que la France recueillera un jour de ce côté ce que son généreux libéralisme a depuis longtemps semé. Ce n’est pas en vain qu’elle se montre de tous les pays le moins exempt du préjugé de la couleur ; ce n’est pas en vain que l’esclavage une fois aboli dans ses colonies, elle s’est empressée d’appeler à la dignité des fonctions publiques tous ceux de la race naguère avilie qui s’étaient d’avance émancipés par l’éducation. Il n’y a, croyons-nous, aucune témérité à prévoir qu’il arrivera un jour où, sans secousse, sans violence, l’ancienne colonie française de Saint-Domingue fera reparaître les couleurs de la mère-patrie sur le sommet de ses édifices et appellera dans ses rades la station navale des Antilles françaises. Supposons que ce double mouvement s’accomplisse : voilà les ressources financières et administratives de deux grands peuples rendues dans des conditions nouvelles à l’un des plus beaux pays du monde ; voilà la civilisation de l’Europe qui, amendée par la longue, mais juste expiation des fautes commises, reprend possession d’une terre que seule elle peut aujourd’hui féconder. Que l’on se place à ce point de vue, et on trouvera un double intérêt dans les dernières considérations qu’il reste à dégager de ce rapide exposé.

En quoi le retour du territoire oriental de Saint-Domingue à l’Espagne porte-t-il atteinte au droit international résultant des faits historiques qui viennent d’être résumés ? Nous comprendrions jusqu’à un certain point les protestations du gouvernement de Port-au-Prince, si ce retour à la mère-patrie s’était opéré durant la période d’annexion de vingt-deux ans dont nous avons parlé. Et encore, puisque cette annexion n’avait été qu’une « conquête des cœurs, » comme on l’a si heureusement dit, il y aurait lieu de se demander si elle constituait une union indissoluble, une union fédérale dans le sens que les déclarations de M. Lincoln précisent aujourd’hui pour le besoin de sa lutte avec les séparatistes du sud. Certes il serait possible d’établir dans les formes une différence bien Sensible entre les deux situations : d’un côté un lien de droit formulé dans une constitution célèbre, connue du monde entier, de l’autre un fait moitié violent, moitié dolosif, sourdement subi plutôt que constitutionnellement accepté ; mais cette discussion conduirait trop loin. Mieux vaut s’en tenir aux actes mêmes de la chancellerie de Port-au-Prince et lui dire que c’est précisément parce que les états de l’Europe ont reconnu l’indépendance de l’état dominicain qu’ils ne peuvent donner efficacement acte au président haïtien de sa protestation solennelle. Cette reconnaissance, faite en dépit des revendications armées de Soulouque, en dépit des réserves écrites de Geffrard, que prouve-t-elle sinon qu’aucun cabinet digne de ce nom n’a jamais admis la légitimité indissoluble du lien créé en 1822 ? Si, pour repousser les ouvertures faites par le cabinet de Madrid en 1830, on a excipé de l’indépendance de fait seulement qui existait depuis huit ans, comment ne comprend-on pas que l’indépendance de droit dont on prétend exciper aujourd’hui crée une situation diamétralement opposée et infiniment plus favorable ? Voilà une province qui a été libre de se donner à vous, qui s’en est ensuite séparée pour s’ériger en état indépendant. Elle s’est maintenue telle pendant dix-huit ans et a fait admettre son autonomie par les autres nations. En vertu de cette autonomie, elle se fond dans un autre état. Qui peut y trouver à redire ? Certes les règles du juste et de l’injuste sont les mêmes pour tous, pour les faibles comme pour les forts ; mais le droit international n’est pas un formulaire de juge de paix : il se compose de principes généraux dont la saine application ne peut se dégager que de la pondération des droits, des intérêts et des convenances du plus grand nombre. À quel esprit impartial fera-t-on jamais accepter cette exagération, que « la prise de possession de l’est par l’Espagne est un fait aussi énorme que si elle eût été effectuée par la France ou par l’Angleterre ? » N’est-ce donc rien que les liens d’une commune origine, que cette filiation qui se maintient peut-être plus vivace et plus marquée dans les populations que chez les individus, héroïque sentimentalité contre laquelle, Dieu merci ! ne prévaudront jamais tout à fait ni les roueries de la politique ni les violences de la conquête ? Vous dites que le fait est aussi énorme venant de l’Espagne que venant de la France ou de l’Angleterre : que les registres d’immatriculation s’ouvrent pour revendiquer la nationalité française ou anglaise, et vous verrez quel sera comparativement le nombre des inscrits !… Le fait auquel nous faisons allusion et les aspirations qu’il révèle seront certainement la vraie réponse de l’Europe en cette affaire, car enfin, il faut bien le dire puisqu’on paraît ne pas en avoir le sentiment à Port-au-Prince, les chancelleries européennes ne peuvent considérer l’unité de la république haïtienne comme indispensable à l’équilibre politique du monde. Toute cette doctrine de la solidarité des intérêts de deux peuples habitant la même île ne saurait sincèrement les toucher, lorsqu’elles n’ont qu’à se reporter vers le passé pour se rappeler que, la possession de la France une fois régularisée par le traité de Ryswick, les deux nationalités espagnole et française ont parfaitement vécu côte à côte sur cette même terre jusqu’aux grandes commotions de 93.

Quant aux chancelleries des deux républiques anglo-américaines, aujourd’hui armées l’une contre l’autre, il n’est que trop clair qu’elles ne peuvent guère envisager les choses ainsi. En effet, d’accord avec les publicistes qui le rappellent à la doctrine de Monroë, le cabinet de M. Lincoln a déjà protesté contre l’acte important qui vient de s’accomplir ; celui de M. Jefferson Davis, le président du sud, ne saurait manquer de l’imiter. Cette attitude des républiques anglo-américaines est l’un des côtés les plus intéressans de l’affaire, et cela précisément parce qu’elle met en relief le premier échec que va subir ce que l’on est convenu d’appeler la doctrine de Monroë. Ce prétendu droit international, qui n’a jamais été proclamé que par ceux qui l’ont inventé, se résume, comme on sait, dans cette pensée que l’Amérique doit être aux Américains. Tout donne à supposer que l’homme d’état qui la formula entendait seulement parler de l’agglomération anglo-américaine envisagée au point de vue de certaines éventualités ; mais l’esprit moderne n’a pas tardé à lui donner une tout autre portée. Or, quoi qu’on puisse penser de l’intervention de M. Lincoln, qui n’a sans doute pas voulu avoir l’air de déserter dès son avènement les traditions de la Maison-Blanche, cette portée se résume surtout dans l’extension de l’esclavage. Oui, M. A. de Gasparin vient de le démontrer clairement dans le généreux écrit qui jette une si triste lumière sur la situation et les tendances de la nouvelle fédération du sud, l’Amérique aux Américains n’a jamais signifié dans ces derniers temps que l’Amérique aux esclavagistes. C’est pour la doctrine de Monroë qu’on a fait la première guerre du Mexique, et indigné l’Europe en convertissant le libre Texas en état à esclaves ; c’est pour elle qu’on a lancé Lopez sur Cuba jusqu’à ce que mort s’ensuivît, Cuba pouvant faire un magnifique état à esclaves ; c’est pour elle et pour son plus grand honneur qu’on tient à ce que le Mexique soit laissé dans cette sanglante agonie, qui est la honte de notre époque, le Mexique pouvant former à un moment donné quatre magnifiques états à esclaves. C’est pour elle enfin, il n’en faut pas douter, que se sont nouées à Santo-Domingo les menées qui ont failli aboutir. Or il n’est pas démontré (et ici nous différons d’avis avec M. de Gasparin) que la fédération esclavagiste du sud soit mort-née. Il n’est pas démontré qu’une résipiscence plus ou moins prochaine doive être, pour elle la seule issue de la crise où elle s’est si aveuglément précipitée. L’audace de ses résolutions, l’habileté de sa conduite, ses premiers avantages, les ressources dont elle dispose, bien des causes enfin peuvent concourir à lui constituer au moins pour un temps une existence nationale. Eh bien ! que cette existence s’établisse, et la doctrine de Monroë va commencer avant longtemps son œuvre de propagande et de conquête. Pourrait-on admettre qu’une pareille éventualité ne dût pas préoccuper sérieusement l’Europe ? « Pour Dieu ! ne nous mêlons pas à tout cela ! » a dit lord John Russell. C’est là un conseil qui a pu être bon dans un moment donné ; mais qu’il nous soit permis de croire que lord John, en parlant ainsi, n’exprimait pas la véritable politique du peuple qui a offert au monde le mémorable exemple de l’abolition de l’esclavage africain. Il y a une grande lutte à engager maintenant contre l’esclavage. Dans cette lutte, l’Espagne ne peut-elle être opposée à la nouvelle fédération du sud ? L’Amérique espagnole même ne peut-elle être rouverte à son ancienne métropole ? Un jour ou l’autre, ces questions peuvent se poser, et il n’est plus permis d’en écarter la discussion comme inopportune.

Que l’on compare les situations, et, avec un léger effort de libre examen, on comprendra facilement que la séparation dont Bolivar s’est fait le héros n’a plus véritablement désormais raison d’être. À une Espagne absolutiste, affaiblie, croupissant dans les plus vieilles traditions de son passé colonial, a succédé une Espagne jeune, libérale, se fortifiant chaque jour dans la pratique généreuse des libertés constitutionnelles, une Espagne enfin qui se prépare à reprendre sa place parmi les grandes puissances européennes. Rappelons à la modestie nationale les écrivains français qui parlent du « joug colonial de l’Espagne » en leur disant que les colonies espagnoles sont depuis longtemps, sous le rapport économique, presque aussi libres que celles de la libre Angleterre, tandis que la France en est encore à dégager les siennes du cruel monopole imaginé par Colbert. Sincèrement, croit-on qu’il n’y aurait pas plus de dignité et de profit pour le Mexique à redevenir librement une province de l’Espagne constitutionnelle que d’achever de s’épuiser dans des luttes fratricides, le jouet des ambitions les plus subalternes, la proie des aventuriers les plus obscurs ?… Ce que nous disons pour le Mexique, pourquoi ne le dirait-on pas pour la Colombie, pour le Pérou, enfin pour toutes les républiques indépendantes d’Amérique, d’origine espagnole, dont prétend arguer le manifeste de Port-au-Prince ?… Qui peut dire s’il n’arrivera pas un temps, — et ce serait là une des belles œuvres de la liberté, — où ces filles prématurément émancipées d’une métropole alors impuissante rougiront de leur dépravante atonie, et, suivant l’exemple que vient de donner la plus chétive d’entre elles, réclameront spontanément les privilèges de leur vieille nationalité, redevenue forte et glorieuse ?

Sans doute, qui pourrait le méconnaître ? le temps de cette reconstitution nationale n’est pas arrivé. L’Espagne doit se préparer à la grande tâche qui paraît lui être dévolue, en se fortifiant chez elle par le développement de ses institutions, par la fécondation de son sol, par la solide constitution de son crédit. Elle doit s’y préparer à l’extérieur en améliorant le régime politique et social de ses colonies. Ce n’est pas assez de les avoir affranchies commercialement des traditions laissées par l’ancienne monarchie, il faut les faire sortir d’un ilotisme politique qui fait disparate avec le régime de leur métropole, en les dotant d’institutions analogues au moins à celles des colonies françaises. Il faut enfin que l’Espagne comprenne que l’esclavage ne saurait éternellement durer à Cuba et à Porto-Rico, et qu’éclairée par l’exemple menaçant des États-Unis, elle se dise qu’un ajournement systématique est la pire de toutes les tactiques en cette redoutable matière. Mais puisque ce grand intérêt d’humanité tient avec juste raison sa place dans la politique générale de l’Europe, le meilleur moyen d’amener l’Espagne à composition quant à l’esclavage ne serait-il pas de lui montrer la perspective qui peut s’ouvrir pour elle comme puissance anti-esclavagiste ? On en a chaque jour la preuve, tout se fait par transaction dans les hautes sphères de la politique. Certes, ce serait une bien belle et bien avouable transaction que celle qui laisserait les coudées franches à l’expansion coloniale de l’Espagne, moyennant l’adoption par elle de sérieuses mesures abolitionistes. En acceptant la réincorporation de l’ancienne colonie de Saint-Domingue, le cabinet de Madrid n’a-t-il pas été amené à déclarer que l’esclavage, qui a cessé d’y exister à peu près en même temps que dans la partie occidentale, n’y serait jamais rétabli ? Tout acte engage, et celui-ci est un acte implicite d’abolitionisme. Ils en ont eu le sentiment instinctif, les hommes d’état d’un cabinet européen qui, dans un document gouvernemental, n’ont pas reculé devant cette malheureuse alliance de mots qui qualifie l’esclavage « une plaie indispensable… » L’expérience nous l’a en effet révélé dans cette triste question : ces exagérations de langage sont les indices révélateurs d’une foi qui chancelle. C’est depuis la formation d’un puissant parti abolitioniste dans les états du nord de l’Union américaine que l’esclavage est devenu « l’institution patriarcale » pour les états du sud : il n’était auparavant que « l’institution particulière… » Gardons-nous d’en douter : il y a une opinion abolitioniste dans la Péninsule, il y en a même une à Cuba ; on en a comme la preuve vivante dans les quarante mille travailleurs libres introduits dans cette colonie durant ces dernières années.

L’Espagne est donc dans la voie beaucoup plus qu’on ne pourrait le supposer à première vue. Qu’on la laisse marcher sous l’impulsion de son intérêt, sous la pression bienfaisante des idées libérales, et nul ne peut dire quel glorieux rôle peut lui être rendu de l’autre côté des mers.

Le vieil esprit anglais, celui qui cherche aujourd’hui à faire échec au percement de l’isthme de Suez, se montrera sans doute hostile à ce mouvement ; mais cet antagonisme étroit faiblira au moment voulu devant l’idée de l’abolition de l’esclavage, qui tient une si grande et si belle place dans la politique générale de l’Angleterre. Pour la France, il n’y a point sans doute de témérité à soutenir qu’elle n’aura que sympathie pour ces aspirations nouvelles. Elle restera ainsi fidèle à la politique même qu’elle a fait triompher en Italie. Il est bon que l’Espagne redevienne puissance de premier ordre en même temps que l’Italie ; il est bon que les deux péninsules possèdent des marines assez fortes pour s’équilibrer au besoin, et au besoin équilibrer les autres. On semble ne l’avoir pas encore remarqué, la rupture de la fédération américaine peut jeter la perturbation la plus profonde dans ce que l’on appellerait volontiers l’assiette maritime du monde. Il s’était insensiblement créé un droit maritime nouveau à l’abri de ce tiers pavillon américain, toujours si fièrement jaloux de son indépendance. Pour la sauvegarde des neutres, aucun protocole ne vaudra jamais l’existence d’une grande puissance navale placée en dehors des belligérans. L’Europe n’eût point été affamée durant les luttes gigantesques entre la France et l’Angleterre, si l’Union américaine se fût dès lors trouvée dans la pleine expansion de sa force maritime. Or il est bien permis de se demander aujourd’hui si le développement de la marine américaine n’est pas pour longtemps compromis, si son existence même n’est pas menacée. Il y a donc un intérêt de premier ordre, non pas seulement pour la politique générale de la France, mais encore pour la politique générale du monde, à encourager l’essor de l’Espagne comme puissance maritime, et ce qui servira le mieux cet essor, c’est son extension comme puissance coloniale.

Ce sont là des rêves, on le dira peut-être, et nous l’accordons ; mais ne vaut-il pas mieux, au risque de passer pour aventureux, diriger ses regards vers un avenir un peu lointain que de se retourner toujours vers le passé ? Il fut un temps où tout déchirement entre colonie et métropole obtenait les applaudissemens du libéralisme européen. Aujourd’hui une politique plus vraiment libérale tend à prévaloir. Pour tout esprit qui veut être de son temps, la meilleure émancipation coloniale est celle du Canada et de l’Australie, jouissant d’une véritable autonomie à l’ombre du pavillon glorieux de leur métropole. Peut-être viendra-t-il un moment où, arrivés à la pleine virilité sociale ; ces grands feudataires trouveront encore trop lourd le dernier lien de suzeraineté qui les retient à la mère-patrie ; mais alors, soyons-en sûrs, c’est que les temps seront venus où la séparation pourra s’opérer sans déchiremens et sans violences, les temps prévus par l’un des hommes d’état les plus éminens de la Grande-Bretagne, lorsque, dans un exposé de politique coloniale resté célèbre, il a prononcé ces nobles et sages paroles : « Que nos colonies augmentent en richesses et en population, et quoi qu’il arrive de ce grand empire, nous aurons la consolation de dire que nous avons contribué à la civilisation et au bonheur du monde. »


R. LE PELLETIER DE SAINT-REMY.

  1. Le manifeste de l’indépendance porte la date du 16 janvier 1844.
  2. Les colonies espagnoles du Nouveau-Monde étaient partagées en grandes circonscriptions judiciaires qui constituaient chacune une audiencia. — Le château de Colomb, qui s’élevait à quelques lieues de Santo-Domingo, et dont les murs subsistent encore, était une vigoureuse construction du XVe siècle. le fait que nous venons de mentionner est confirmé par le témoignage de plusieurs écrivains et par le rapport du général Kerverseau au gouvernement français.
  3. L’origine du mot dominicaine est la même que celle de Santo-Domingo. Cette ville, bâtie en 1494, s’appela d’abord Nouvelle-Isabelle ; puis, en mémoire de Dominique Colomb (on espagnol Domingo), père du grand Christophe, elle fut appelée Santo-Domingo, et finit par donner son nom à l’île entière.
  4. Voyez, sur cette période de l’histoire haïtienne, la Revue du 15 novembre 1844, et sur l’invasion de Soulouque dans la République-Dominicaine, les études de M. d’Alaux, Revue du 15 avril et du 1er mai 1851.
  5. Il n’est pas sans intérêt de reproduire cette proclamation, dont le langage élevé prouve qu’il y a encore du pur sang castillan chez ces descendans des premiers colonisateurs du Nouveau-Monde :
    « Dans la très noble et très loyale cité de Santo-Domingo, le dix-huitième jour du mois de mars 1861, nous, soussignés, réunis dans la salle du palais de justice de cette capitale, déclarons que, par notre libre et spontanée volonté, en notre propre nom comme en celui de ceux qui nous ont conféré le pouvoir de le faire, nous proclamons solennellement pour notre reine et souveraine la très haute princesse doña Isabelle II, déposant entre ses mains la souveraineté que nous avons exercée jusqu’à ce jour en qualité de membres de la République-Dominicaine.
    « Nous déclarons en outre que c’est par notre libre et spontanée volonté, comme par celle du peuple dont nous sommes ici les représentans, que nous voulons que tout le territoire de la république soit annexé à la couronne de Castille, à laquelle il appartenait avant le traité du 18 février 1850, en vertu duquel sa majesté catholique reconnaissait comme indépendant l’état qui aujourd’hui, de sa propre volonté et spontanément, la reconnaît de nouveau comme sa souveraine légitime. En foi de quoi nous avons signé en due forme de nos propres mains.
    « PEDRO SANTANA, ANTONIO A. ALFAN, JACINTO DE CASTRO, FELIPE FEIINANDEZ D. DE CASTRO. »