SACS ET PARCHEMINS.

CINQUIÈME PARTIE.[1]


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XI.


La Bretagne avait tenu toutes ses promesses : Mlle Levrault était marquise. Quelques mois encore, et le grand industriel se présentait à la cour, appuyé fièrement sur le marquis, son gendre. Le roi l’embrassait et le faisait comte. Le titre de baron ne suffisait plus à l’ambition de M. Levrault. Le comte Levrault ! cela sonnait bien à l’oreille. D’ailleurs, c’était le moins que le beau-père d’un marquis fût comte. Quant à la pairie, ce n’était plus une question, le comte Levrault entrait au Luxembourg comme un âne dans un moulin. Le brave homme se disait bien parfois, en se grattant l’oreille, que le marquis, son gendre, lui coûtait un peu cher ; il se consolait en songeant que c’était de l’argent bien placé, sans compter le bonheur de pouvoir s’écrier chaque jour, à toute heure : La marquise, ma fille ! mon gendre, le marquis !

Si l’on veut avoir une idée du faste et de la magnificence que déploya M. Levrault à l’occasion du mariage de sa fille, qu’on se rappelle les noces de Gamache. La marquise et son fils avaient insisté vainement pour que tout se passât sans éclat et sans bruit. Les fêtes durèrent toute une semaine : il n’y manqua rien que l’amour. Ex- cepté le comte de Kerlandec et le chevalier de Barbanpré, à qui M. Levrault ne pardonnait pas d’avoir servi de compères à Gaspard, toute la noblesse des environs avait été conviée et s’était empressée d’accourir, pour observer l’attitude des La Rochelandier et en faire des gorges chaudes. L’humeur altière de la marquise était bien connue dans le pays ; on devinait sans peine tout ce qu’elle avait dû souffrir avant de se résigner à l’humiliation d’une pareille mésalliance. En flairant de près les millions de l’ancien marchand de drap, hobereaux et douairières comprirent qu’enveloppée dans un miel si doux, la pilule la plus amère vaut un bonbon du jour de l’an ; s’ils s’obstinèrent à rire, c’est qu’ils cherchaient à se consoler. Il n’en était pas un qui n’eût voulu se sentir dans la peau du jeune marquis, pas une qui n’enviât secrètement la mère de Gaston : tous auraient avalé le calice sans sourciller. La marquise, d’ailleurs, n’avait jamais porté si haut la tête, jamais elle n’avait montré à ses amis et à ses ennemis un visage plus radieux ou plus fier ; il est permis de supposer que le diable n’y perdit rien. Ce ne furent, pendant huit jours, que bals, festins, parties de chasse. M. Levrault courut un cerf avec le marquis, son gendre. Galaor, qui, par un rare privilège, joignait aux grâces de la cigale la prévoyance de la fourmi et s’occupait déjà de ses provisions d’hiver, ne cessa point, durant ces huit jours, de rôder autour de la Trélade et chipa plus d’un bon morceau, tandis que le chevalier de Barbanpré, assis tristement à une fenêtre de son petit castel, regardait d’un œil mélancolique, à travers le feuillage éclairci, l’Éden d’où il était exilé, où l’on faisait de si bons dîners. Donnons un souvenir à notre ami Gaspard. Victime d’une législation dont tous les débiteurs s’accordent à reconnaître les abus, Gaspard expiait dans les fers quelques étourderies de jeunesse, et charmait les ennuis de sa captivité en combinant de nouveaux coups de bouillotte et de lansquenet. Quant à maître Jolibois, ses trahisons et ses perfidies venaient de recevoir leur juste récompense : non-seulement il n’avait pas rédigé le contrat, mais encore M. Levrault, qui se défiait de lui depuis leur dernière entrevue et ne voulait plus d’un sans-culotte dans sa maison, ne l’avait pas invité à la noce et s’était contenté de lui adresser un billet de part. Le malheureux ne prévoyait pas la vengeance que maître Jolibois tirerait plus tard de ce procédé peu chevaleresque.

Pour peu qu’on ait su lire dans le cœur de nos personnages, on ne se berce pas du fol espoir que Laure et Gaston vont savourer à la Trélade les douceurs de la lune de miel. La saison était belle pourtant. Septembre s’achevait à peine ; octobre n’avait encore dépouillé ni les haies ni les bois. Les oiseaux chantaient comme au printemps et se poursuivaient dans la lande. Les bruyères étaient en fleurs ; la colchique étoilait les prés ; sur la marge des sentiers, l’or des ajoncs commençait à poindre. Comme une fiancée qui sent sa fin prochaine et veut mourir dans ses habits de fête, la nature, près de se voiler, se parait de ses plus riches couleurs et répondait par un dernier sourire aux derniers adieux du soleil. Pour de jeunes amans, il est doux alors d’aller à l’aventure, appuyés l’un sur l’autre, le long des coteaux jaunissans, dans le creux des vallées brumeuses, et de soulever en marchant les feuilles desséchées qui jonchent déjà le chemin. Dans l’ivresse même de la passion, il y a toujours quelque chose de triste, qui s’harmonise avec la mélancolie de l’automne ; mais tout cela n’importait guère à Laure, à Gaston. Que leur importaient en effet le silence des champs, le mystère des bois, la mousse au pied des chênes ? Quel attrait les eût retenus au fond de ces campagnes ? Qu’avaient-ils à se dire ? Quels secrets auraient-ils pu confier aux divinités de ces agrestes solitudes ? Ce n’étaient pas deux bergers d’Arcadie, deux ramiers roucoulans. Depuis près de trois ans qu’il se mourait d’ennui sous le toit de ses pères, Gaston avait eu tout le temps de se blaser sur la poésie de l’idylle ; sa pensée n’habitait pas les bocages ou le bord des ruisseaux. De son côté, Laure n’était pas venue en Bretagne pour respirer l’air embaumé des prairies, voir les feuilles jaunir, tremper ses cheveux dans les brouillards du soir ou du matin. Enfin, ils ne s’abusaient pas sur la valeur des sentimens qui les avaient poussés l’un vers l’autre. Gaston savait très bien ce que Laure épousait en lui ; Laure n’ignorait pas ce que Gaston épousait en elle. On se rappelle l’attitude froide et réservée qu’avait prise le jeune La Rochelandier vis-à-vis de Melle Levrault, dès leur première entrevue. Admis à faire sa cour, Gaston ne s’était montré ni plus empressé ni plus tendre ; il avait veillé scrupuleusement sur tous les mouvemens de son cœur. Il n’aimait pas sa fiancée ; l’eût-il aimée, l’orgueil lui aurait interdit d’en rien laisser paraître, la crainte de passer pour un courtisan de l’opulence aurait paralysé sa tendresse et mis un triple sceau sur ses lèvres. Quant à Laure, l’ami Gaspard l’avait guérie radicalement de ses velléités romanesques. Gaston était marquis ; elle se tenait pour satisfaite, et ne lui demandait rien de plus. Ainsi, pour ces deux enfans, le mariage n’était qu’une affaire, disons le mot, un échange, un troc ; les sacs et les parchemins avaient fait de part et d’autre toutes les avances, tous les frais de coquetterie et de séduction. Dieu juste ! et ils avaient vingt ans ! Vingt ans, et la beauté, et la grâce en partage ! Jeunes, charmans tous deux, on pouvait espérer qu’une fois unis, ils arriveraient, par une pente irrésistible, à rencontrer l’amour qu’ils ne cherchaient pas. Peut-être l’auraient-ils rencontré sous les ombrages de la Trélade ; mais déjà Gaston était impatient de réaliser les bénéfices de sa mésalliance, et Laure, échappée de sa chrysalide, dépouillée de ce nom de Levrault, qui avait enveloppé sa jeunesse comme un linceul, n’aspirait qu’à promener dans le monde sa brillante métamorphose. M. Levrault n’avait pas caché à sa fille que l’intention du marquis, son gendre, était de se présenter aux Tuileries, et, bien qu’elle se fût contentée d’être reçue chez les duchesses du faubourg Saint-Germain, la jeune marquise sentait son cœur palpiter d’allégresse à la pensée qu’elle irait à la cour.

M. Levrault n’était pas moins impatient que sa fille et son gendre de quitter la Trélade. Il brûlait d’aborder les hautes régions pour lesquelles il se sentait né. Déjà un magnifique hôtel, situé rue de Varennes, entre cour et jardin, l’attendait à Paris. M. Levrault avait hésité d’abord entre la Chaussée-d’Antin, le faubourg Saint-Honoré et le quartier de la Madeleine ; mais la marquise lui avait démontré victorieusement que c’était en plein faubourg Saint-Germain qu’il devait, par un trait d’audace et de génie, dresser sa tente et planter son drapeau. En effet, que voulait, que cherchait le grand industriel ? Quel était son rêve, sa pensée politique, le but de son ambition ? N’était-ce pas de rapprocher deux classes trop long-temps divisées, de donner lui-même l’exemple de l’oubli, du pardon, en un mot, de consommer l’union de la noblesse et de la bourgeoisie ? Eh bien ! c’était au cœur même de l’aristocratie qu’il fallait s’établir, c’était dans son dernier asile, dans ses derniers retranchemens qu’il fallait aller la surprendre. Il fallait que l’hôtel Levrault fût comme un filet tendu sur la rive gauche de la Seine, comme une cage dorée où chanteraient tôt ou tard les oiseaux boudeurs de la légitimité, comme un centre de conciliation, de fusion et de ralliement, où la noblesse et la bourgeoisie se rencontreraient chaque jour, et finiraient par s’embrasser. Ces considérations d’un ordre si élevé avaient frappé vivement l’imagination de M. Levrault. Si la marquise se plaisait à reconnaître en lui l’étoffe d’un homme d’état, il se plaisait à reconnaître en elle ce que les petites gens appellent une maîtresse femme. Il s’était laissé conter que tous les hommes politiques un peu éminens ont une Égérie dans leur manche. Quelle Égérie que la marquise ! Conseillé, dirigé par cette rare intelligence, à quelle position ne pourrait-il prétendre et s’élever ? Quelque chose lui disait qu’il avait sous la main une de ces puissances occultes, une de ces influences mystérieuses qui font et défont les ministres : l’eau lui en venait à la bouche. Seulement la marquise consentirait-elle à briser violemment ses habitudes sédentaires ? Se résignerait-elle à ne plus habiter le gothique manoir ? Renoncerait-elle à la tranquillité des champs, à la simplicité de ses goûts, à la modestie de ses désirs, à toutes les douces joies qu’appréciait si bien son ame rêveuse et tendre ? M. Levrault n’osait l’espérer.

— Le monde n’a plus rien qui m’attire, lui disait-elle avec mélancolie. Achever de vieillir en paix au fond de ma vallée solitaire, voilà toute mon ambition. Mes rêves ne vont pas au-delà des horizons qui bornent ces campagnes. Et pourtant je sens que ma présence à Paris ne vous serait pas tout-à-fait inutile, je sens qu’en plus d’une occasion je pourrais vous être de quelque secours. Il y a des instans où ma sollicitude s’effraie, où ma tendresse s’épouvante, des instans où je m’accuse d’égoïsme, où je me demande si ma place n’est pas auprès de vous. Notre adorable fille est bien jeune encore pour s’occuper d’administration domestique, gouverner une maison comme la vôtre et faire avec discernement les honneurs d’un salon où se presseront, où se coudoieront toutes les grandes figures, toutes les sommités de l’époque. Aux prises avec la vie publique, vous sentirez quel vide affreux la mort de Mme Levrault a laissé dans votre intérieur. Ne vous y trompez pas, mon aimable ami, c’est un rude sentier que celui qui s’ouvre devant vous, un sentier escarpé, bordé de précipices. Si je ne cherche pas à vous en détourner, c’est que ma raison respecte les desseins de la Providence, c’est qu’il faut ici-bas que toute destinée s’accomplisse : l’alouette cache son nid dans les sillons, l’aigle bâtit son aire sur la montagne. Allez donc où vos instincts vous poussent, où la voix de Dieu vous appelle, allez vous mêler aux luttes parlementaires pour lesquelles vous êtes taillé, et puissiez-vous n’avoir jamais besoin d’une main dévouée pour vous soutenir, pour essuyer la sueur de votre front !

Puis elle ajoutait d’une voix caressante :

— Au milieu de vos travaux, dans l’enivrement de vos triomphes, vous n’oublierez pas, vous n’oublierez jamais que vous avez une vieille amie sur le bord de la Sèvres. Tous les ans, après la clôture des chambres, vous viendrez près de moi vous reposer de vos nobles fatigues. Vous m’amènerez mes enfans ; nous passerons ensemble, à l’ombre de nos chênes, quelques mois enchantés. Vous aviez l’intention d’acheter un château en Bretagne ; vous en avez un qui ne vous coûte rien. Le château de La Rochelandier est à vous, à vous seul. C’est votre bien, votre propriété. J’entends, j’exige qu’il porte désormais le nom de château Levrault. Nous en restaurerons les créneaux et les tours ; nous y transporterons tout le luxe de la Trélade ; nous rachèterons les terres qui formaient autrefois le domaine des aïeux de Gaston ; enfin nous n’épargnerons rien pour relever, pour rajeunir l’éclat de l’antique manoir dont vous êtes le seigneur et maître.

Touché jusqu’aux larmes, le grand industriel, quelques jours avant son départ pour Paris, avait dirigé sur le château de La Rochelandier, devenu le château Levrault, ses meubles, ses tentures, ses équipages, ses chevaux et ses chiens. Le bruit, le mouvement, la vie de la Trélade avaient passé dans le château Levrault. Le grand fabricant, qui avait toujours reproché à la Trélade son architecture un peu bourgeoise, ne se lassait pas d’admirer les allures militaires et la physionomie féodale de sa nouvelle habitation ; seulement, il aurait voulu voir dans la cour et sur les plates-formes des archers, des arbalétriers, et, dans le vallon, la marquise, sa fille, chevauchant sur un palefroi, le faucon au poing. Il appelait vassaux les paysans, regrettait, en se caressant le menton, certain droit du seigneur, parlait de rétablir au-dessus des portes les armoiries de sa famille, et se demandait parfois s’il n’y avait pas quelque ressemblance entre son visage et les portraits qui décoraient les murs du salon ; je ne crois pas qu’on l’eût beaucoup surpris en lui disant que c’étaient les portraits de ses ancêtres. Cependant, comment décider la marquise à le suivre à Paris ? Un esprit vulgaire se fût effrayé d’une pareille tâche ; mais, pour M. Levrault, une pareille tâche n’était qu’un jeu. On se rappelle par quels détours ingénieux, par quelles ruses délicates il avait amené la marquise à lui jeter son fils à la tête ; eh bien ! lorsqu’il fut question d’emmener à Paris Mme de La Rochelandier, M. Levrault ne fut ni moins rusé ni moins adroit. Vainement la marquise se retrancha derrière sa passion pour la solitude, vainement elle objecta son amour pour la vie des champs ; cette fois encore l’éloquence entraînante de M. Levrault triompha de tous les obstacles, de toutes les résistances.

Quinze jours après le mariage, une chaise de poste attelée de quatre chevaux emportait à Paris Gaston et sa femme, M. Levrault et la marquise douairière de La Rochelandier.


XII.

D’abord tout alla bien. En voyant la marquise à l’œuvre, le grand industriel s’applaudissait de plus en plus de sa conquête et comprenait mieux que jamais tout le parti qu’il pourrait en tirer. La marquise était devenue, dès les premiers jours, l’ame et la vie de l’hôtel Levrault ; les bienfaits de sa présence se révélaient dans les moindres choses. Elle s’était emparée sur-le-champ des rênes de l’administration domestique ; Laure ne songeait guère à les lui disputer. Elle avait l’œil à tout ; rien ne se faisait que par elle. Comme elle ne faisait rien sans consulter son aimable ami et qu’elle paraissait n’avoir d’autre ambition que la bonne tenue et la gloire de sa maison, l’aimable ami ne craignait pas de lui laisser prendre trop d’autorité et trouvait bien fait tout ce qu’il lui plaisait de faire. Grâce à la marquise, il n’y avait pas dans tout le faubourg Saint-Germain un hôtel d’un plus grand air que l’hôtel Levrault. Elle avait déclaré, en entrant, qu’elle entendait que tout y respirât le faste et l’opulence, non pas ce faste de mauvais aloi que maître Jolibois avait introduit à la Trélade et qui sentait son parvenu d’une lieue, mais un luxe sévère, irréprochable, qui ne fût pas au-dessous du rang qu’occupait dans le monde le beau-père d’un La Rochelandier. S’il ne se fût agi que d’elle, ce n’eût pas été la peine de se mettre en frais. On connaissait la modestie et la simplicité de ses goûts. L’ostentation n’était pas son défaut. Elle avait de tout temps recherché l’ombre et le silence, comme d’autres l’éclat et le bruit. Elle était femme à vivre heureuse sous un toit de chaume ; mais, pour son aimable ami, elle ne pensait pas pouvoir trop exiger. Elle avait pour lui toutes les vanités, toutes les prétentions. Pour embellir la demeure d’un homme si éminent, réservé à de si hautes destinées, elle estimait qu’il n’y avait rien d’assez somptueux ni d’assez magnifique. Elle voulait que la cage fût digne de l’oiseau, le cadre du portrait, et regrettait parfois de n’avoir pas à sa disposition la baguette des fées, la lampe d’Aladin. À chacun de ces beaux discours, le grand fabricant ouvrait un large bec et laissait tomber beaucoup plus qu’un fromage. La marquise avait présidé elle-même à la décoration du fameux salon où devait se consommer l’union de la noblesse et de la bourgeoisie. Les gens de la Trélade, à galons pistache et à culotte de peluche jaune, avaient été remplacés par des valets vêtus de noir ; M. Levrault était toujours tenté de leur parler le chapeau à la main. Son cocher était poudré à blanc et coiffé d’un tricorne ; son chasseur avait six pieds de haut. Par une de ces attentions délicates que la marquise ne se lassait pas de prodiguer à son aimable ami, toute la vaisselle plate, toute l’argenterie de l’hôtel étaient marquées aux armes des La Rochelandier, qui se retrouvaient jusque sur les couteaux et les porcelaines. Le coupé même de M. Levrault était timbré d’une couronne de marquis. M. Levrault n’était pas insensible à des procédés si galans. La marquise le recevait à toute heure de la journée, sortait avec lui en voiture pour aller au bois, plus souvent encore pour visiter les magasins. Elle avait renoué d’anciennes amitiés, adressé çà et là quelques invitations auxquelles on s’était empressé de répondre ; déjà les salons de l’hôtel Levrault commençaient à se peupler de figures aristocratiques. L’œuvre de conciliation était en bonne voie ; l’hiver s’annonçait sous de favorables auspices. Quelques mois encore, et ce n’était plus seulement le marquis, son gendre, c’était le faubourg Saint-Germain en masse que l’ancien marchand de drap ralliait du même coup à la dynastie de 1830 ; encore quelques mois, et la légitimité ne comptait plus un seul partisan sur la rive gauche de la Seine. Qui serait bien attrapé ? M. de Chambord dans son castel allemand.

Pendant que la marquise et son aimable ami s’abandonnaient au charme de leur intimité, les deux jeunes époux vivaient, de leur côté, en parfaite intelligence. Les exigences de la passion, les inquiétudes de l’amour, les bouderies, les réconciliations, aucun de ces adorables petits drames qui se jouent entre deux baisers aux douces clartés de la lune de miel ne troublait l’union de leurs ames. Rien n’altérait la sérénité de leurs jours, brillans et froids comme les diamans dont Laure aimait à charger sa tête. N’étaient-ils pas heureux ? Que manquait-il à leur bonheur ? Laure avait un titre, et Gaston l’opulence ; elle était marquise, il était millionnaire : que pouvaient-ils souhaiter de plus ? À défaut d’amour, leurs vanités se caressaient, s’encourageaient mutuellement. En voyant son mari se parer de sa richesse, Laure pensait ne lui rien devoir ; en voyant sa femme se parer de son nom, Gaston se croyait quitte envers elle. Je n’ai pas besoin d’ajouter que l’attitude du marquis de La Rochelandier vis-à-vis de sa jeune épouse était celle d’un vrai gentilhomme ; sa courtoisie, l’exquise élégance de son langage et de ses manières flattaient Laure plus délicieusement que n’aurait pu le faire l’expression de la tendresse la plus vive, la plus exaltée. Ç’avait été de tout temps la conviction de Mme Levrault qu’entre gens de qualité les choses ne se passent pas autrement, et que l’amour dans le mariage ne convient qu’aux petits bourgeois. En attendant le retour de l’aristocratie qui s’attardait au fond de ses parcs effeuillés, Laure préparait ses toilettes et ses écrins ; Gaston achetait les plus beaux chevaux de Paris. La jeunesse de sa femme, sa grâce, sa jolie figure, le mettaient à l’abri de tout commentaire injurieux, et devaient lui servir d’excuse aux yeux du monde ; il se consolait de son beau-père en faisant sauter ses écus. Rendons-lui cette justice, que, sans être un héros, un poète, il n’était pourtant pas indigne de l’aubaine que lui avait envoyée le sort. Il aimait le luxe comme les fleurs aiment le soleil ; la fortune l’attirait surtout par son côté lumineux et charmant. Il comprenait, il adorait les arts. C’était un cœur honnête, un esprit généreux. S’il s’était consumé dans l’inaction, c’est qu’il avait dû subir les exigences de son nom, moins impérieuses encore que la volonté de sa mère. Plus d’une fois il avait rougi de sa faiblesse et de son inutilité ; plus d’une fois il s’était emporté contre des préjugés de caste, contre des traditions de famille, qui, prenant l’honneur et la dignité à l’envers, lui imposaient l’oisiveté comme le premier, comme le plus saint des devoirs. S’il avait accepté les profits d’une mésalliance, il ignorait par quels détours la marquise en était venue à ses fins ; bien qu’en réalité, il eût sacrifié son orgueil à son ambition, il n’avait point failli à l’antique loyauté de sa race. Tout en convoitant les millions, il ne s’était pas abaissé à les courtiser ; s’il avait, lui aussi, sacrifié au veau d’or, il l’avait fait sans incliner le front ni ployer le genou.

Ainsi tout allait bien ; rien ne semblait devoir interrompre le cours de tant de joies et de prospérités. Cependant, au bout de six semaines, de deux mois tout au plus, un œil exercé aurait pu découvrir dans l’intimité de la marquise et de son doux ami quelques-uns de ces nuages que les marins appellent fleurs de tempête. Trois mois à peine s’étaient écoulés, et déjà la tempête grondait sous le toit de l’hôtel Levrault. Que s’était-il passé ? que se passait-il ? Rien que n’eût prévu, trois mois auparavant, un esprit doué d’un peu de clairvoyance.

Une fois maîtresse de la place, la marquise, qui, pour y pénétrer, s’était faite humble, petite et caressante, avait relevé peu à peu la tête. Son orgueil s’était mis à l’aise ; tous ses instincts avaient repris insensiblement le dessus. M. Levrault cherchait la grande dame qu’il avait connue, souriante, bienveillante, sans morgue ni hauteur, d’un abord si facile, d’un commerce si doux, d’une humeur si affable ; il la cherchait et ne la trouvait plus. Tout en le ménageant, non par affection, mais parce qu’elle avait intérêt à ne pas le heurter de front, la marquise en était arrivée sans déchirement, sans secousse, à changer vis-à-vis de lui d’attitude, de ton et de manières. Le remettre délicatement à sa place, le reléguer sur le second plan, le pousser peu à peu de la scène dans les coulisses, tel était le but vers lequel tendaient désormais ses efforts. Peut-être lui eût-elle pardonné sa sottise et son origine ; mais les humiliations qu’elle avait dévorées en silence, les semblans d’amitié qu’elle avait eus pour lui, les manœuvres auxquelles elle était descendue pour capter sa confiance, voilà ce qu’elle ne lui pardonnait pas. Sa voix avait perdu ces inflexions câlines qui le remuaient jusqu’au fond de l’ame. L’aimable ami n’était plus que M. Levrault, tout sec et tout court. Elle avait de temps en temps une façon de prononcer ce nom de Levrault qui frappait de terreur l’ancien marchand de drap et le replongeait dans sa boutique. C’en était fait des tendres épanchemens et des entretiens familiers. Cette marquise, qui ne parlait autrefois que de la modestie de ses désirs, de la simplicité de ses goûts, et qu’il avait fallu arracher presque de force aux habitudes du paisible manoir, cette marquise, amoureuse naguère de l’ombre et du silence, ne vivait, ne respirait que pour les vanités du monde. Elle était rentrée en triomphe dans la société monarchique où elle avait brillé d’un vif éclat sous la restauration, et qui se montrait de moins en moins sévère sur l’article des mésalliances. Son grand nom, son attachement au parti de la légitimité, son zèle éprouvé pour la sainte cause lui avaient ouvert toutes les portes du noble faubourg. M. Levrault, bien entendu, ne l’accompagnait nulle part ; la marquise ne pensait pas pouvoir l’envelopper de trop de mystère. Elle allait, venait, sans plus se soucier de lui que s’il n’eût jamais existé. À vrai dire, ce n’était point là l’Égérie qu’il avait rêvée. Ce n’est pas tout. M. Levrault rappelait dans son hôtel les rois fainéans de notre histoire. Comme les anciens maires du palais, la marquise avait absorbé tous les pouvoirs et ne prenait plus conseil que d’elle-même. Elle gouvernait despotiquement, et, de régente, était passée reine. Elle se fût accommodée d’une cellule, eût vécu heureuse sous un toit de chaume ; en attendant, elle occupait le plus riche appartement du logis. Serviteurs, chevaux et voitures étaient à ses ordres ; elle disposait de tout comme de son bien, usait de tout selon sa fantaisie. C’était elle qui réglait chaque matin le programme de la journée, recevait, rendait les visites, dressait la liste des invitations. Sans être lettré, M. Levrault connaissait la fable de la lice et de sa compagne. Il s’était réjoui d’abord d’avoir tous les jours quinze ou vingt personnes à sa table ; il n’avait pas tardé à reconnaître que le véritable amphitryon n’est pas toujours celui chez qui l’on dîne. Il n’était lui-même qu’un convive de plus ; l’amphitryon, c’était la marquise. Le soir, la marquise trônait au salon, tandis que M. Levrault, à qui nul ne songeait, errait tristement à travers la foule. En rôdant inaperçu autour des groupes, il avait parfois la satisfaction d’entendre vanter le luxe et l’élégance de l’hôtel La Rochelandier. Il n’était pas rare pourtant qu’un gentilhomme l’abordât en souriant, lui tendît la main, et l’entraînât dans l’embrasure d’une fenêtre pour lui parler avec enthousiasme de son génie et de ses travaux ; cela se terminait toujours par la proposition de quelque entreprise, de quelque association industrielle dans laquelle le grand fabricant serait entré pour son argent et le grand seigneur pour son nom. En observant de près la plupart des gentilshommes que la marquise attirait chez lui, en étudiant leurs mœurs, qui étaient celles de l’aristocratie du jour, M. Levrault aurait pu croire qu’il n’avait pas quitté les affaires.

Il avait accepté sans dépit, sans murmure, l’étrange rôle auquel le condamnait la marquise ; le moment n’était pas éloigné où il prendrait sa revanche, une revanche éclatante et dont on parlerait. Une fois assis sur les bancs du Luxembourg, une fois revêtu du manteau d’hermine qu’on ne pouvait manquer de rétablir, il se relèverait, tout changerait de face, et la marquise, qui maintenant commandait chez lui sans contrôle, s’estimerait trop heureuse d’accepter dans son hôtel la splendide hospitalité qu’elle semblait lui accorder. Jusque-là il devait se taire et il se taisait. Elle était l’ame de sa maison, elle peuplait ses salons, qui, sans elle, fussent demeurés déserts ; elle attirait par sa grace, elle enchaînait par sa parole les hommes dont les familles avaient figuré glorieusement dans notre histoire, et qui, sans le charme de la sirène, n’auraient jamais franchi le seuil de l’hôtel Levrault. S’il eût connu la langue des poètes aussi bien que le prix courant des draps d’Elbeuf et de Louviers, M. Levrault eût volontiers comparé la marquise à l’alouette captive dont se sert l’oiseleur pour prendre ses crédules compagnes. Sans chercher pour sa pensée une forme si délicate, comme il s’applaudissait de sa finesse et de sa patience ! comme il admirait avec complaisance sa résignation et son humilité ! comme il riait dans sa barbe de voir la marquise lancer le gibier et l’amener au bout de son fusil !

Cependant les jours, les semaines s’écoulaient ; Gaston ne parlait pas d’aller aux Tuileries. En homme bien élevé, en bourgeois qui sait vivre et connaît toute la valeur des ménagemens dans les transactions humaines, M. Levrault n’avait jamais posé la question à son gendre en termes formels ; rassuré pleinement par le langage modéré de Gaston, par ses opinions libérales, par la sympathie qu’il montrait en toute occasion pour les jeunes princes de la famille régnante, M. Levrault n’avait pas douté un seul instant que le jeune marquis ne se prêtât docilement à tous ses projets. Gaston n’avait rien promis, mais la marquise avait engagé sa parole, et le fils, en accomplissant la promesse de sa mère, ne réaliserait que le vœu secret de sa conscience ; son intention avait toujours été de se rallier : à cet égard, le grand manufacturier n’avait aucune inquiétude. Chaque fois que, devant son gendre, il avait fait allusion à ses rêves, à ses espérances, Gaston, qui n’était pas dans le secret de l’ambition de son beau-père, avait répondu en souriant, et M. Levrault avait pris son sourire pour un acquiescement. Le digne homme était plein de sécurité ; il aurait eu dans sa poche son double brevet de comte et de pair, qu’il n’eût pas été plus tranquille. Un jour vint pourtant où cette sécurité fut ébranlée.

Enhardie par l’humilité du maître de la maison, la marquise, qui jusque-là n’avait jamais parlé de la nouvelle dynastie qu’avec déférence, prenait maintenant un ton moqueur, un accent dédaigneux, et plongeait M. Levrault dans une stupeur profonde. Cette femme, naguère si bienveillante, d’un caractère si affable et si conciliant, qui acceptait le présent sans colère, qui regrettait le passé sans amertume, raillait maintenant sans pitié la cour et les institutions nouvelles. Le salon où devait se consommer l’union de la noblesse et de la bourgeoisie n’entendait que des conversations boudeuses, mêlées de cruelles épigrammes. Après l’épigramme venait l’espérance hautement avouée. On ne s’entretenait plus du passé comme d’un édifice lézardé depuis long-temps, emporté sans retour par le flot de la révolution, mais comme d’un palais dont les pierres, un moment dispersées, allaient se réunir et reprendre leur place. Le présent allait s’effacer comme un songe, le trône de saint Louis allait se relever. À ces hardis propos, M. Levrault tressaillait, dressait l’oreille comme un mulet qui flaire l’orage, et se demandait avec effroi s’il avait bien entendu, s’il était bien chez lui, s’il n’était pas dupe de quelque hallucination. Plus d’une fois, il avait été tenté d’imposer silence à ces hôtes malencontreux, à ces parleurs impertinens ; la prudence avait toujours enchaîné l’indignation sur ses lèvres. Les contredire, leur fermer sa porte, n’était-ce pas compromettre, ruiner en un jour le fruit de sa longanimité ? Il se contenait donc ; mais, tout en se contenant, il se sentait dévoré de défiance. La marquise, qui, au château de La Rochelandier, dans les allées de la Trélade, caressait si complaisamment ses rêves ambitieux, ne les encourageait plus même par une allusion détournée. Agité par de sourds pressentimens, M. Levrault interrogeait d’un regard inquiet tout ce qui se passait autour de lui.

Bien qu’en apparence l’union de Laure et de Gaston fût toujours la même, leur intimité recelait déjà des germes de trouble et de discorde. Le faubourg Saint-Germain, où Laure avait espéré recueillir tant de joies et de triomphes, ne tenait pas toutes ses promesses. Cette société, dont les traditions et les grandes manières l’avaient d’abord éblouie, lui semblait maintenant un peu froide, un peu compassée. Plus d’une fois, à tort ou à raison, elle avait cru s’apercevoir qu’elle n’était pas complètement acceptée ; elle comprenait que ces grandes dames, tout en l’accueillant, n’oubliaient jamais la distance qui la séparait d’elles. Un imperceptible sourire, je ne sais quoi de hautain ou de distrait dans le regard disait clairement que la boutique de son père n’était un mystère pour personne. Chose étrange ! on pardonnait à Gaston d’avoir bien voulu descendre jusqu’à elle ; on ne pardonnait pas à Laure d’avoir voulu monter jusqu’à lui. Au milieu des fêtes les plus brillantes, elle se sentait isolée ; l’atmosphère qu’elle respirait était glacée. Un vague malaise pesait sur son cœur. Rentrée chez elle, seule avec elle-même, elle repassait dans sa mémoire toutes les paroles qu’elle avait entendues, tous les regards, tous les sourires qu’elle avait épiés, et les interprétait avec une cruauté ingénieuse. Gaston, tout entier à ses plaisirs, ne devinait pas les larmes de sa femme, et n’était pas là pour les essuyer. Laure se disait que la cour serait plus indulgente que la vieille aristocratie ; là, comme sur un terrain neutre, la noblesse et la bourgeoisie se coudoyaient, se donnaient la main ; jeune, belle, tout le monde à la cour lui tiendrait compte de son titre, et personne ne songerait à lui reprocher son origine. Bientôt Laure n’eut plus qu’une seule pensée, aller à la cour. Convaincue, comme son père, que Gaston avait l’intention de se rallier à la dynastie de 1830, elle se consolait des dédains qu’elle avait dévorés, en songeant à l’éclatante réparation qui l’attendait ; mais les semaines s’écoulaient, et toutes les fois que Laure parlait à Gaston d’aller aux Tuileries, Gaston, qui ne voyait dans ce désir qu’un pur enfantillage, un caprice sans importance, répondait en riant ou ne répondait pas. Plus clairvoyante que son père, elle ne s’était pas long-temps abusée sur l’attitude prise par la marquise, sur l’autorité souveraine qu’elle s’était attribuée et dont elle jouissait comme d’un droit légitime. Sa belle-mère se jouait de la crédulité de M. Levrault ; Gaston serait-il son complice ? Ce soupçon, une fois entré dans son esprit, grandit de jour en jour. Trop fière pour réclamer ce qu’elle regardait comme l’accomplissement d’un marché, Laure s’éloigna de plus en plus de son mari et se mit à douter de sa loyauté. Elle n’insista pas davantage, mais elle ne put se défendre d’un secret dépit, qui, s’aigrissant dans le silence, devint bientôt presque de la haine.

Dans son impatience, M. Levrault s’était adressé à sa fille pour savoir à quoi s’en tenir sur les projets de son gendre : la réponse de Laure, en redoublant son anxiété, avait achevé de l’exaspérer. Il résolut donc de s’adresser à son gendre en personne. Plus d’une fois déjà il avait été tenté de lui poser nettement la question ; mais, pour deux raisons, cette velléité de hardiesse était toujours demeurée sans résultat. Gaston avait arrangé sa vie de façon à ne rencontrer M. Levrault qu’aux heures des repas, souvent même il passait plusieurs jours sans le voir ; puis, par sa politesse constante, à toute heure, en tout lieu, il avait toujours su le tenir à distance. Vainement M. Levrault avait essayé de prendre un ton familier ; Gaston avait répondu à toutes ces avances de manière à le décourager.

Un matin pourtant, M. Levrault se présenta chez le jeune marquis. Gaston achevait de s’habiller, et n’attendait plus qu’un de ses amis pour aller au bois. Bien qu’on fût en février, il faisait une de ces tièdes journées qui semblent dérobées au printemps. À peine entré, M. Levrault s’établit dans un fauteuil, et, promenant autour de la chambre un regard curieux et satisfait :

— Eh bien ! monsieur le marquis, je vois avec plaisir que vous faites chaque jour de nouvelles et charmantes emplettes. Voilà des bronzes que je ne connaissais pas. Vive Dieu ! votre appartement est un véritable musée. On ne saurait mieux choisir. Votre bon goût se retrouve en toutes choses. Il n’est bruit partout que de l’élégance de vos équipages. Je viens d’admirer dans la cour le cheval arabe que vous avez acheté hier et qui va vous mener au bois. C’est à merveille, monsieur le marquis, vous dépensez gaiement votre jeunesse ; mais votre vie tout entière ne peut se passer ainsi. Vos écuries sont au complet, vous avez dans votre serre les plantes les plus rares de l’ancien et du nouveau monde, votre galerie de tableaux est fort belle, à ce qu’on dit ; mais enfin toute la vie n’est pas là. Maintenant que comptez-vous faire ?

À cette question, Gaston regarda son beau-père d’un air surpris.

— Ce que je compte faire, monsieur ? Ce que j’ai fait hier, ce que je fais aujourd’hui. Partager mon temps entre les exigences du monde et celles de l’amitié ; la matinée au bois, le soir à l’Opéra, au Théâtre-Italien ; chercher pour ma femme d’aimables distractions ; visiter les peintres, les sculpteurs en renom ; assister aux courses de Chantilly, parier, quelquefois courir, n’y a-t-il pas là de quoi remplir la vie ?

— Tout cela, monsieur le marquis, suffirait sans doute à remplir la vie d’un homme sans valeur, qui ne songerait qu’à manger ses revenus. Dieu merci, vous n’êtes pas un de ces hommes-là. Votre nom, votre éducation, votre alliance avec les Levrault, vous imposent des devoirs sérieux, et je sais que vous ne les ignorez pas ; vous êtes animé d’une noble ambition.

— De quelle ambition voulez-vous parler ? demanda Gaston de plus en plus surpris.

— Vous êtes un enfant du siècle, reprit M. Levrault, qui se rappelait les paroles de la marquise ; vous n’avez point d’engagemens avec le passé. Vous avez grandi librement, sans contrainte, dans l’atmosphère des idées libérales ; c’est à peine si vous vous souvenez de la tempête qui fracassa le trône de saint Louis. Je ne vous ai jamais entendu parler qu’avec déférence de la nouvelle dynastie ; vous aimez les jeunes princes.

— Je ne m’en défends pas, répondit Gaston, qui cherchait vainement à deviner où son beau-père voulait en venir. Je me suis assis avec les jeunes princes sur les bancs du collège. Plus tard, le hasard m’a placé sur leur route. Je les ai rencontrés à Fontainebleau, dans une partie de chasse, et je n’oublierai jamais la journée charmante que j’ai passée au milieu d’eux. Ce sont de braves jeunes gens qui servent loyalement leur pays.

— Eh bien ! qu’attendez-vous ? demanda M. Levrault d’un air victorieux.

— J’attends, monsieur, que vous vous expliquiez, répliqua le jeune marquis.

— Parbleu ! mon gendre, vos intentions ne sont un mystère pour personne. Vous avez compris les obligations que vous impose votre nom ; vous brûlez de prendre part au maniement des affaires publiques. Un La Rochelandier ne doit pas rester à l’écart et se croiser les bras. Le présent, l’avenir, vous réclament. Vous voulez vous rallier, et vous avez raison.

— Me rallier ! s’écria Gaston comme un homme réveillé en sursaut ; me rallier ! Qui donc m’a prêté de telles intentions ? Chacun comprend à sa manière les obligations que lui impose sa naissance. Je n’ai pas de haine contre les institutions nouvelles, j’aime les jeunes princes, mes regrets pour le passé sont sans amertume ; mais pense-t-on que j’oublie à quelle famille j’appartiens ? Mon père m’a laissé un noble exemple que je ne déserterai pas. Si je ne fais pas de grandes choses, du moins je ne renierai pas, je ne foulerai pas aux pieds les traditions de ma famille.

— Ainsi, monsieur le marquis, s’écria M. Levrault se dressant brusquement sur ses jambes, votre intention n’a jamais été de vous rallier ?

— Je n’y ai jamais songé, repartit tranquillement Gaston ; mais, encore un coup, qui donc, je vous prie, a pu vous conter une pareille fable ?

— Qui me l’a dit ? Votre mère, monsieur le marquis.

— Ma mère ! reprit Gaston avec hauteur ; ma mère ! Vous n’y songez pas, monsieur ; si je pensais à me rallier, si ma mère le savait, elle me donnerait sa malédiction.

En ce moment, la porte s’ouvrit, et un jeune homme élégant, en habit de cheval, la cravache à la main, frappa familièrement sur l’épaule de Gaston. Gaston, qui ne comprenait rien à l’insistance de son beau-père et ne devinait pas quelle importance M. Levrault pouvait attacher à de pareilles questions, s’excusa en deux mots, salua respectueusement et sortit. M. Levrault, pâle, muet, stupide, était retombé dans son fauteuil. En entendant crier sur ses gonds la porte de la cour, il se leva machinalement et se mit à la fenêtre : son gendre, fièrement campé sur un cheval pur-sang, partit au pas, et le salua du bout de sa cravache.

M. Levrault ne fit qu’un bond de l’appartement de Gaston à l’appartement de la marquise ; la marquise venait de sortir. Il demanda son coupé : la marquise l’avait pris. Pour la première fois, il comprit pourquoi elle avait fait peindre une couronne de marquis sur le panneau de sa voiture ; il comprit tout. Ce qui se passait en lui, on le devine, il n’est pas besoin de le dire. Mystifié, joué comme un petit bourgeois ! Il ne pouvait tenir en place ; il sortit à pied et se dirigea vers les Tuileries. Il avait compté sur le bruit et le mouvement pour calmer sa colère ; son attente fut déçue. À mesure qu’il marchait, son agitation redoublait. Il lui semblait que tous les visages avaient une expression moqueuse : tous les passans qu’il coudoyait le regardaient avec un sourire goguenard, comme s’ils eussent été dans le secret de sa mésaventure. Arrivé aux Tuileries, l’aspect du château l’irrita encore davantage. Le soleil resplendissait ; les vitres étincelaient ; l’architecture gracieuse et coquette de Philibert Delorme, baignée dans une lumière abondante, étalait aux yeux toute sa richesse. Adossé au groupe d’Arius et Peta, les bras croisés sur sa poitrine, M. Levrault demeura long-temps absorbé dans la contemplation du château, qui, par cette belle journée, avait un air de fête. Abîmé dans ses réflexions, il se demandait avec désespoir si les portes de ce palais ne s’ouvriraient jamais devant lui, s’il était condamné à ne jamais en franchir le seuil. Malgré les avertissemens de maître Jolibois, il était tombé de Charybde en Scylla, des griffes de Montflanquin entre celles de la marquise. La confusion, la rage, se disputaient son cœur. Après une heure d’immobilité, il fit à grands pas le tour du jardin, et, comme le soleil commençait à baisser, pensant que la marquise devait être rentrée, il franchit rapidement le Pont-Royal pour regagner la rue de Varennes. Comme il approchait de son hôtel, il aperçut au-dessus de la porte une inscription en lettres étincelantes. Quel ne fut pas son étonnement en lisant sur un fond de marbre noir : Hôtel La Rochelandier ! Ce fut la goutte d’eau qui fait déborder le vase déjà plein. La marquise venait de rentrer ; M. Levrault monta chez elle.

À la même heure, Gaston quittait le bois de Boulogne et brûlait la route de Paris. En partant de la rue de Varennes, il traitait de billevesées toutes les paroles de son beau-père qu’il n’avait jamais pris au sérieux. Comment croire, en effet, que sa mère eût fait une pareille promesse ? Peu à peu cependant, en parcourant les avenues du bois, il se rappela l’attitude de la marquise à la Trélade, son empressement auprès de M. Levrault, les cajoleries adressées à sa fille. Plus d’une fois il avait souffert en voyant sa mère caresser la sottise et la vanité de son hôte ; ces souffrances, inexpliquées jusqu’alors, prenaient maintenant un sens injurieux pour lui, pour sa famille. Il se rappelait aussi avec quelle insistance Laure l’avait pressé d’aller à la cour ; les bouderies de sa femme, qu’il avait à peine remarquées, lui revenaient en mémoire, et, rapprochées des entretiens de la Trélade, les éclairaient d’une lueur inattendue. En rassemblant tous ses souvenirs, Gaston sentait la rougeur lui monter au visage. En proie à des doutes cruels, ne pouvant plus contenir son impatience, il enfonça ses éperons dans les flancs de son cheval, et courut à Paris pour arracher à la marquise la vérité tout entière.


XIII.

En voyant entrer M. Levrault, Mme de La Rochelandier comprit sur-le-champ qu’une explication décisive allait s’engager ; elle y était préparée.

— Madame la marquise, dit M. Levrault sans autre préambule, je désire savoir si vous êtes chez moi ou si je suis chez vous, si l’hôtel où nous sommes est l’hôtel Levrault ou l’hôtel La Rochelandier ?

— Vous m’adressez une étrange question, répliqua Mme de La Rochelandier sans s’émouvoir. Je ne vous comprends pas ; que voulez-vous dire ?

— Vous allez me comprendre, madame la marquise. Je viens de lire sur la porte de l’hôtel l’inscription que vous y avez fait placer.

— Eh bien ! monsieur ?…

— Eh bien ! madame, j’ai lu de mes yeux : Hôtel La Rochelandier.

— Est-ce là ce qui vous fâche, mon ami ? reprit la marquise de la voix douce et caressante qu’elle avait sous les ombrages de la Trélade, et qu’elle venait de retrouver comme par enchantement. Quoi de plus simple et de plus naturel ? Le château de La Rochelandier ne s’appelle-t-il pas maintenant le château Levrault ? En mettant sur la porte de votre hôtel le nom de notre famille, j’ai cru vous être agréable. Je n’ai vu là qu’un moyen délicat de resserrer plus étroitement encore notre intimité.

— Ainsi, madame la marquise, je vous dois de la reconnaissance ? C’est à moi de vous remercier ?

— Entre nous, mon ami, vous le savez bien, il ne peut être question de reconnaissance ni de remerciement. Ce que j’ai fait pour vous, je l’ai fait avec bonheur. Bientôt, je l’espère, vous lirez en rentrant chez vous : Hôtel Levrault de La Rochelandier. J’en ai touché deux mots au garde des sceaux, et je crois pouvoir vous promettre qu’il vous sera permis d’ajouter à votre nom le nom de votre gendre.

— Mon nom, madame la marquise, mon nom, tel qu’il est, me suffit, répliqua M. Levrault en relevant la tête avec orgueil. Je n’ai pas de blason, mes aïeux n’étaient pas aux croisades ; mais, par mes travaux, par mon génie, j’ai enrichi mon pays, cette gloire en vaut bien une autre. Au reste, ajouta-t-il d’une voix plus calme, comme un homme satisfait de la réparation qu’il vient de s’accorder lui-même, l’inscription que j’ai lue tout à l’heure ne m’a rien appris ; madame la marquise, vous régnez ici en maîtresse absolue.

— Est-ce un reproche, monsieur ?

— C’est la vérité. Je ne m’abuse pas sur le rôle que vous m’avez fait, et je suis bien aise de vous le dire. Les convives qui s’asseoient à ma table, qui les choisit ? qui les invite ? N’est-ce pas vous ? Qui peuple mes salons ? N’est-ce pas votre seul caprice ?

— Mon ami, vous êtes un ingrat, répliqua la marquise avec une angélique douceur. Qu’attendiez-vous donc de moi en m’appelant auprès de vous ? Je vivais en paix dans mon château, au fond de ma vallée. Pour vous, je me suis décidée à rentrer dans le monde. Pour vous, pour vous seul, j’ai sacrifié mes goûts de retraite et de solitude. Depuis trois mois, pour vous plaire, je vis au milieu du bruit et des fêtes. Votre bonheur est mon seul souci, l’éclat de votre maison ma seule préoccupation. De quoi vous plaignez-vous ? N’ai-je pas réuni dans vos salons l’élite de la noblesse ?

— Oui, sans doute, madame la marquise. Votre parti, j’en conviens, est parfaitement représenté dans mon salon ; mais le mien ? mais la bourgeoisie ? Ne suis-je pas, chez moi, seul de mon opinion ? Vraiment, j’en entends de belles ! S’entretient-on de la nouvelle dynastie, c’est à qui donnera son coup de langue. Vos amis ne se gênent guère pour dire ce qu’ils pensent ; bien sot ou bien fou serait celui qui se méprendrait sur leurs vœux et leurs espérances. Vous me parliez, à la Trélade, de rapprocher, de réconcilier la noblesse et la bourgeoisie. On s’y prend, parbleu ! d’une étrange manière. Est-ce en glorifiant le passé, en insultant le présent, que vous comptez accomplir notre projet de fusion et de ralliement ?

— Dans l’accomplissement de notre projet, ne l’oubliez pas, mon ami, chacun de nous avait sa tâche. La mienne est remplie, la vôtre commence. Je m’étais engagée à réunir chez vous l’aristocratie ; n’ai-je pas tenu parole ? C’est à vous maintenant d’appeler la classe bourgeoise. Qui vous arrête ? Allons, mettons en présence bourgeoisie et noblesse ; qu’elles s’écoutent, qu’elles se comprennent mutuellement, et nous verrons se réaliser notre rêve.

— Eh bien ! madame la marquise, dit M. Levrault allant droit au but, si vous souhaitez sincèrement que notre rêve se réalise, pourquoi votre fils ne donne-t-il pas lui-même l’exemple de la réconciliation ? Qu’attend-il pour se rallier ?

— Mon fils est libre et ne prendra conseil que de sa conscience. Qu’il se décide à se rallier, je ne l’en détournerai pas ; mais vous comprenez bien, mon ami, que ce n’est pas moi qui dois l’y pousser.

— Ne m’avez-vous pas dit que c’était là son intention ?

— Oui, mon ami, je le croyais, et je vous l’ai dit.

— Vous le croyiez, madame la marquise ! s’écria M. Levrault qui se contenait à peine ; mais, à vous entendre, vous en étiez sûre, et j’y comptais.

— Je n’ai pas engagé ma parole pour mon fils, je n’ai pas pu vous répondre de ses intentions ; mais pourquoi tant insister sur ce point ? Quel intérêt si puissant attachez-vous à cette démarche ?

— Pourquoi ? Quel intérêt ? Vous le savez, madame ; vous connaissez mon ambition.

— Eh ! mon ami, pouvez-vous souhaiter une vie plus heureuse que la vôtre ? Que manque-t-il à votre félicité ? Entouré d’une famille qui vous aime, vous passez l’hiver au milieu des fêtes. Vienne le printemps, vous avez en Bretagne le château Levrault qui vous appelle, qui vous tend les bras. Ah ! mon ami, vous êtes bien injuste envers la Providence. Riche comme vous l’êtes, vous n’avez qu’un mot à dire pour rassembler les débris du patrimoine des La Rochelandier. Initié à toutes les découvertes de la science moderne, dans ce domaine reconstitué par vous, qui vous empêche de faire pour l’agriculture ce que vous avez fait pour la grande industrie ?

— Vous ne parliez pas ainsi à la Trélade, madame la marquise. Vous trouviez en moi l’étoffe d’un homme d’état, vous me rendiez justice. Ma place, disiez-vous, était à la tribune, dans le conseil. Loin de condamner mes espérances, vous les encouragiez. Vous vous étonniez qu’un homme de ma valeur se résignât à l’inaction, à l’obscurité, quand une foule de médiocrités se prélassaient dans les hautes sphères du pouvoir ; vous approuviez la pensée qui m’avait conduit en Bretagne.

— Eh bien ! mon ami, dit la marquise avec un geste de résignation, si vous ne sentez pas tout le prix de votre bonheur, si vous fuyez la paix, si la vie seigneuriale ne vous sourit pas, si l’ambition est votre marotte, si vous avez compté sur mon fils, adressez-vous à lui ; lui seul peut vous répondre.

Ici, M. Levrault se leva blême de colère.

— Madame la marquise, vous vous êtes jouée de moi. Aujourd’hui, ce matin même, j’ai vu votre fils, je lui ai posé nettement la question. L’intention que vous lui prêtiez, il ne l’a jamais eue. Il n’a rien fait, rien dit pour vous abuser. Vous n’ignorez pas ce qu’il veut, ce qu’il pense. Je sais maintenant ce que valent vos belles paroles. Vous périssiez d’ennui dans votre château en ruine. Pour relever votre maison, pour rentrer dans le monde, vous vous êtes abaissée jusqu’à courtiser, jusqu’à encenser le roturier que vous dédaignez à cette heure. Je hais votre parti, je n’en ai jamais fait mystère. J’ai toujours détesté votre caste ; entre les Levrault et M. de Chambord, rien de commun ne saurait exister. Si vous ne m’aviez pas dit, si je n’avais pas cru que votre fils se rallierait un jour, je ne lui aurais pas donné ma fille et le tiers de ma fortune. Je me fiais à votre loyauté, et vous m’avez indignement trompé.

Tandis que M. Levrault prononçait ces derniers mots, Gaston, qui venait d’entrer, se tenait debout à la porte du salon, pâle, immobile et muet. La marquise allait répliquer ; en apercevant son fils, elle demeura interdite.

— Ma mère, dit froidement Gaston après s’être avancé vers elle, je comprends tout : vous avez trafiqué de mon nom. Mieux eût valu cent fois accepter notre pauvreté, ou me permettre, m’enseigner le travail pour relever notre fortune. Vous avez passé un marché que je n’ai pas signé, mais que je tiendrai pourtant.

Puis, se tournant vers M. Levrault :

— Soyez satisfait, monsieur, nous irons à la cour.

Et Gaston se retira sans ajouter une parole, laissant la marquise atterrée, M. Levrault ivre de bonheur.


XIV.

Huit jours après la scène que nous venons de raconter, Laure préparait sa toilette de cour. M. Levrault, qui ne doutait pas que sa présentation ne suivît de près celle de son gendre, avait commandé un magnifique habit à la française. Il était bien décidé à ne se montrer au roi qu’en culotte courte, avec l’épée à poignée d’acier. La famille royale venait d’être cruellement éprouvée, et Gaston n’attendait, pour se présenter aux Tuileries, que la fin du grand deuil. Vainement la marquise l’avait menacé de sa malédiction, il était demeuré sourd à toutes les remontrances, inébranlable dans sa résolution. Furieuse, humiliée, prise dans ses propres filets, elle s’était retirée dans son appartement et ne paraissait plus même aux heures des repas. L’hôtel Levrault, naguère si bruyant, si animé, était devenu morne et presque désert. Plus de fêtes, plus de visites. Cependant le grand industriel nageait dans la joie, il étendait déjà la main pour saisir la pairie et son brevet de comte. Chaque jour, il travaillait avec délices à la composition de ses armoiries. Il assistait assidûment aux séances de la noble chambre, non plus en simple curieux, mais comme un acteur qui, avant ses débuts, va entendre ses camarades pour prendre l’air et le ton de la maison. Il avait déjà choisi sa place. Il se substituait par la pensée à chacun des orateurs qu’il entendait, jugeait sévèrement leur débit, leur action, et, quand les applaudissemens éclataient, il se troublait, et parfois même saluait comme pour remercier. Plus heureux encore pendant son sommeil, il était à la tribune, il récitait d’une voix sonore un discours écouté dans un religieux silence. Le banc des ministres lui souriait. Il retournait à sa place en distribuant des poignées de main. Une nuit, son valet de chambre, réveillé en sursaut, entra tout effaré dans son appartement et le trouva sur son séant, s’agitant, gesticulant, et criant d’une voix glapissante : Je demande la parole pour un fait personnel ! Homme digne d’envie, il avait tous les enivremens de l’ambition sans aucun de ses déboires. Son oisiveté ne connaissait pas l’ennui ; il n’avait pas une heure libre dans la journée. Chaque matin, pour délier sa langue, il déclamait dans son jardin quelques pages de Mirabeau ; puis, avant d’aller au Luxembourg, il se promenait devant le château des Tuileries, et l’étudiait sous toutes ses faces, comme un héritier avide rôde autour du domaine qui va lui échoir. Sa voiture, qui l’amenait à la grille du jardin, le reprenait à la grille du Carrousel, car il aimait à passer sous le vestibule, et s’arrêtait pour contempler le grand escalier qui mène à la salle des maréchaux. Quelques jours encore, se disait-il, et je franchirai à mon tour cet escalier qui a vu passer tant d’hommes illustres. L’heure de la justice s’est bien fait attendre ; que de soucis ! que de traverses ! mais mon génie a surmonté tous les obstacles. Je vais donc enfin prendre le rang qui m’appartient. Puis il se représentait la rage de la marquise ; ce n’était pas la moindre de ses joies. Pourtant son bonheur n’était pas complet. Il pensait à Timoléon, à ce fils perdu depuis tant d’années, et se disait parfois avec amertume que le nom de Levrault et son titre de comte périraient avec lui ; mais ce regret altérait à peine la sérénité de son ame et se dissipait bientôt comme un nuage.

Laure n’était pas moins joyeuse que son père. La cour avait été le rêve de toute sa jeunesse. C’était à la cour qu’elle voulait retrouver ses anciennes compagnes, qui l’avaient humiliée de leurs dédains et de leurs railleries ; c’était dans les salons des Tuileries qu’elle devait prendre sa revanche. Dans son ivresse, elle remarquait à peine l’air sombre de Gaston, et, s’il lui arrivait de le remarquer, elle ne prenait pas la peine d’en chercher la cause. Dans le monde où elle était née, où elle avait vécu, qui donc lui eût appris les devoirs qu’imposent une grande naissance et une longue tradition de fidélité ? Le jour où Gaston lui avait annoncé sa résolution, elle avait battu des mains et bondi comme un enfant, tandis que son mari l’observait avec une sourde colère, lui reprochait de comprendre si mal toute l’étendue du sacrifice auquel il se résignait, et l’accusait secrètement d’avoir, comme son père, spéculé sur le nom des La Rochelandier. Ainsi, les rôles étaient changés. Le ressentiment avait passé du cœur de Laure dans le cœur de Gaston. Plus le jour de la présentation approchait, plus le jeune marquis devenait irritable. La vue de son beau-père lui était odieuse ; la présence même de sa femme lui était insupportable ; la joie de Laure l’exaspérait. Il maudissait la sottise de M. Levrault, la vanité de sa fille, et ne songeait pas à maudire sa propre faiblesse, qui l’avait livré pieds et poings liés à la cupidité de sa mère.

Les brodeurs venaient de mettre la dernière main à l’habit de cour de M. Levrault. Un matin, en s’éveillant, M. Levrault l’aperçut étalé sur un fauteuil, avec la culotte courte de casimir blanc, le tout surmonté d’une épée à poignée d’acier, à fourreau de chagrin, et d’un chapeau à cornes, aux ailes tapissées de duvet de cygne. Il ne résista pas au désir de répéter son rôle en grand costume, et sauta à bas de son lit. Le futur législateur, debout devant une psyché, se contemplait depuis une heure et ne pouvait se rassasier de lui-même. Son valet de chambre entra et lui remit sur un plat d’argent le journal où le grand industriel puisait depuis trente ans ses convictions. M. Levrault s’assit en face de la psyché et parcourut d’un œil négligent les nouvelles du jour. Il avait entendu parler la veille de quelque agitation dans Paris, sans y attacher la moindre importance. Il comprit que l’agitation se propageait ; mais, plein de confiance, il haussa les épaules et n’acheva pas même sa lecture. Il était si content de se voir ainsi vêtu, qu’il garda son costume et passa la journée chez lui. Il arpentait à pas mesurés toutes les pièces de son appartement, et se caressait le menton chaque fois qu’il apercevait son image réfléchie par plusieurs glaces à la fois. Le soir venu, il s’habilla plus simplement et sortit à pied, pour juger par lui-même de la physionomie de Paris. Arrivé sur le boulevard, il vit défiler les troupes qui regagnaient leurs casernes, les maisons illuminées comme un soir de fête, les promeneurs qui se pressaient dans les allées ; en comparant le spectacle qu’il avait sous les yeux aux nouvelles qu’il avait lues le matin, pour la première fois de sa vie il se prit à douter de la sagacité de son journal. Ainsi cette émeute, qu’on disait si menaçante, n’était qu’un feu de paille. M. Levrault rentra chez lui joyeux et triomphant. Il se mit au lit, et s’endormit bercé par les songes les plus séduisans. La vue de son habit brodé avait subitement changé le cours de ses idées. Dans sa mobile imagination, aux triomphes de la tribune avaient succédé les triomphes de la salle de bal. Il se voyait l’épée au côté, figurant dans un quadrille en face des jeunes princesses. Les femmes chuchotaient en le regardant et demandaient son nom. Un aide-de-camp du roi répondait à voix basse : C’est le comte Levrault !

Le lendemain, il s’éveilla frais et dispos, le visage épanoui. En apercevant son journal, il le repoussa d’une main dédaigneuse, comme pour se venger d’avoir été abusé par un récit mensonger. Son valet de chambre s’étant permis de lui dire qu’on avait entendu pendant la nuit des bruits sinistres, M. Levrault le tança vertement et raconta ce qu’il avait vu la veille, en appuyant sur chaque mot d’un air d’importance, comme un homme qui n’a eu qu’à se montrer pour réduire l’émeute, comme un nouveau Neptune devant qui s’apaisent les flots irrités. Après avoir déjeuné seul, lentement, en vrai gourmet exempt de soucis, il descendit au jardin, et s’occupa d’improviser le discours qu’il se proposait d’adresser au roi le jour de sa réception. Comme M. Jourdain tournant un compliment à la belle marquise, il aurait eu besoin d’un maître de philosophie pour l’assister dans cette tâche laborieuse. Cependant, au bout de deux heures, il avait réussi à mettre debout, ferme sur ses jarrets, une phrase, une seule, mais qui en valait bien deux : « Sire, c’est mon gendre qui me présente à votre majesté, mais c’est à moi que votre majesté doit mon gendre. » Heureux et fier d’avoir mis au monde cette phrase éloquente, il courut à son bureau, se hâta de l’écrire, afin de n’avoir plus rien à redouter des caprices de sa mémoire, et la serra soigneusement dans son portefeuille, comme une perle dans son écrin.

Dans l’après-midi, il voulut revoir ses chères Tuileries, théâtre prédestiné de ses prochains triomphes. Il suivait la rue du Bac d’un air préoccupé, récitant à voix basse son improvisation de la matinée, consultant son portefeuille chaque fois que sa mémoire bronchait. Au moment même où, pour la trentième fois peut-être, il redisait, avec une satisfaction toujours croissante : « Sire, c’est mon gendre qui me présente à votre majesté, mais c’est à moi que votre majesté doit mon gendre, » comme il débouchait sur le quai, il aperçut au pavillon de Flore d’étranges personnages qui ne portaient pas d’habits brodés, et qui s’occupaient à jeter les meubles par les fenêtres.

En ce moment, les abords des Tuileries présentaient une scène de tumulte et de confusion impossible à décrire. Des bandes armées parcouraient le pont et le quai. Les coups de feu tirés en l’air ajoutaient à l’ivresse des vainqueurs. Des fenêtres du château envahi s’échappait le mugissement de la multitude, pareil au fracas de la mer. Des chevaux de cuirassiers, montés par des enfans, galopaient à travers la foule. Tout le peuple était en armes ; il n’y avait de désarmés que les soldats. Çà et là des groupes curieux, inquiets, effarés, colportaient les nouvelles : la famille royale venait de s’enfuir, et parmi tous les courtisans, tous les conseillers, tous les hommes de guerre qui l’entouraient, pas un n’avait tiré l’épée, pas un n’avait brûlé une amorce. M. Levrault regardait tout, écoutait tout d’un air hébété, quand il sentit une main qui s’appuyait sur son épaule : il se retourna brusquement, et se trouva en face de Jolibois. Maître Jolibois était armé jusqu’aux dents. Il avait à sa ceinture deux paires de pistolets d’arçon, un sabre de dragon qui traînait sur le pavé, sur l’épaule un fusil de chasse à deux coups. À voir sa figure barbouillée de poudre, on eût dit un soldat qui depuis une heure déchire la cartouche. Ses armes innocentes n’avaient pas un meurtre à se reprocher ; en guerrier prudent, il avait attendu que tout fût fini pour descendre dans la rue. Il marchait sur la chambre, à la tête d’une vingtaine d’hommes, accoutrés comme lui. En le reconnaissant, M. Levrault demeura frappé d’épouvante.

— Eh bien ! s’écria maître Jolibois, que vous disais-je ? N’avais-je pas raison ? Vous refusiez de me croire ; me croyez-vous maintenant ? J’ai le nez fin ; je flairais depuis long-temps ce qui arrive aujourd’hui. Le peuple triomphe, la monarchie est à bas, l’infâme bourgeoisie est morte. Moi et mes hommes, nous allons à la chambre proclamer la république.

— La république ! balbutia M. Levrault d’une voix étouffée.

— Oui, mon cher, la république ! Vous l’aurez dans une heure.

Et le prenant à part, comme s’il eût craint que sa voix ne fût entendue par sa troupe :

— Vous voilà dans de beaux draps, mon bon ami, continua-t-il ; je ne voudrais pas être dans votre peau. Vous n’avez pas voulu d’un notaire pour gendre ; il vous fallait un marquis. Ce n’était pas assez de vos millions pour vous désigner à la colère, à la justice du peuple. Votre hôtel est un foyer de chouannerie ; ce soir peut-être il ne sera qu’un monceau de cendres. Tenez-vous pour averti, et tirez-vous de là comme vous pourrez.

Là-dessus, Jolibois s’arracha des mains de M. Levrault, qui se cramponnait à ses vètemens, et courut vers la chambre. Il faut renoncer à peindre la consternation, la terreur de M. Levrault. Le seul mot de république aurait suffi pour égarer sa raison, pour glacer son sang dans ses veines. La république n’avait jamais représenté pour lui que l’incendie, le meurtre et le pillage. Qu’on ajoute à ce sujet d’effroi ses richesses, son gendre, ses relations avec le parti légitimiste. Éperdu, désespéré comme un homme qui se noie, il croyait entendre murmurer son nom, et lisait sur tous les visages la menace et la vengeance. Il lui semblait que le chiffre de sa fortune et le titre de son gendre étaient écrits sur son chapeau. Le malheureux n’osait pas rentrer chez lui, de peur d’être suivi. Il errait çà et là, pâle, tremblant, les yeux hagards, cherchant par quel moyen il pourrait mettre son hôtel à l’abri de la fureur populaire, lorsqu’il aperçut un ouvrier porté sur un brancard ; une pensée lumineuse traversa son cerveau. D’un geste, il arrêta le brancard, et d’une voix retentissante :

— Où portez-vous ce brave ?

— À l’hôpital.

— À l’hôpital ? un enfant du peuple, un héros qui a versé son sang pour la liberté, pour la république ! À l’hôpital ! Ce serait une honte pour nous, mes amis. Qu’il vienne chez moi, ma maison est à lui. Moi aussi, je suis un ouvrier. Qu’il vienne chez Guillaume Levrault. Suivez-moi, camarades ; soyez tranquilles, il ne manquera de rien.

— Vive Guillaume Levrault ! s’écria la foule en battant des mains.

— Mes enfans, criez : Vive la république !

Et, se mettant à la tête du cortège, au milieu des cris mille fois répétés de : Vive Guillaume Levrault ! vive la république ! il reprit bravement le chemin de son hôtel.

Les bruits du dehors avaient enfin pénétré jusqu’à l’hôtel Levrault. La marquise et Laure étaient réunies dans le salon. Laure, inquiète, agitée, se levait à chaque instant pour guetter à la fenêtre l’arrivée de son père ou de son mari. La marquise triomphait. À ses yeux, les événemens de la journée ne pouvaient avoir qu’un sens : le retour du comte de Chambord. La bourgeoisie était remise à sa place ; la noblesse rentrait en possession de ses privilèges. Il y avait dans la catastrophe qui venait de s’accomplir quelque chose de providentiel : Dieu n’avait pas voulu qu’un La Rochelandier se parjurât. Dans son ivresse, la marquise pardonnait à Laure, à M. Levrault ; elle oubliait son ressentiment pour ne songer qu’à sa prochaine fortune. Elle allait reprendre aux Tuileries le tabouret qu’elle avait sous la restauration.

— Calmez-vous, ma chère fille, disait-elle d’une voix affectueuse. Que craignez-vous ? Que perdez-vous ? Vous vouliez aller aux Tuileries, nous irons ensemble ; c’est moi qui vous présenterai. Quelle différence entre la cour où je vous mènerai et la cour où vous vouliez aller ! Dans le palais de notre jeune roi, vous ne serez pas exposée à rencontrer des intrus, des gens venus on ne sait d’où. Ce qui s’en va mérite-t-il un regret ? Qu’était-ce que cette cour ? Une cohue. Hier encore les Tuileries n’étaient qu’une hôtellerie. Bel honneur, vraiment, que d’entrer dans des salons où passait toute la rue ! Demain, Henri V fera maison nette et choisira ses hôtes. Consolez-vous donc, ma chère enfant, le jeune roi n’a rien à refuser aux La Rochelandier.

Gaston entra dans le salon.

— Eh bien ! mon fils, nous triomphons ! s’écria la marquise avec fierté.

— Qu’espérez-vous donc, ma mère ? demanda gravement Gaston.

— Nous allons revoir l’enfant du miracle ; notre cher Henri va remonter sur le trône du Béarnais.

— Mais, ma mère, vous ignorez donc ce qui se passe ?

— La France pousse un cri de délivrance et tend les bras vers son roi légitime, poursuivit la marquise avec exaltation. Qu’attendez-vous, mon fils ? Votre devoir n’est-il pas d’aller au-devant de lui ? Partez ; que ne puis-je vous donner des ailes !

— Ma mère, vous vous abusez étrangement, répondit Gaston en secouant la tête ; nous n’assistons pas à la résurrection de la monarchie de saint Louis, mais à l’avènement de la république.

— La république ! s’écria la marquise. Quel rêve insensé ! C’est impossible !

— La république ! s’écria Laure ; il n’y aura donc plus de cour ?

— C’est impossible ! répéta la marquise. Rassurez-vous, ma fille. Vous êtes fou, Gaston. La république ! Y pensez-vous, mon fils ? La France en a tâté et sait trop ce qu’elle vaut.

Comme elle achevait ces mots, la porte du salon s’ouvrit, et M. Levrault parut, soutenant de son bras la marche chancelante de l’ouvrier blessé qu’il avait recueilli, et suivi d’une douzaine d’hommes armés qui l’avaient escorté jusqu’à son hôtel. Gaston, Laure et la marquise contemplaient d’un œil étonné cette scène étrange. Le blessé était un homme de trente ans tout au plus. Atteint d’un coup de feu à l’épaule, malgré la souffrance, son visage, encadré entre des cheveux bruns et une barbe rousse, respirait encore toute l’ardeur du combat. C’était une de ces figures empreintes d’une énergie sauvage, qu’on voit paraître à point nommé dans tous les mouvemens populaires.

— Inclinez-vous, dit M. Levrault en entrant, saluez avec respect ce héros qui a donné son sang pour nous délivrer de la tyrannie.

Et s’adressant au blessé :

— Mon ami, vous êtes ici chez vous, et les braves qui vous ont accompagné ne vous quitteront pas. Mes enfans, cette maison est la vôtre. Tout ce qui est ici, tout ce que vous voyez, je l’ai gagné à la sueur de mon front. Je suis trop heureux de partager avec vous ma petite fortune, le fruit modeste de mon humble travail. Voici mon gendre, un ouvrier de la pensée, un républicain comme moi, comme vous.

— Dites le marquis de La Rochelandier, interrompit brusquement Gaston. Hier, je faisais bon marché de mon titre ; aujourd’hui que ce titre est proscrit, je le revendique hautement.

M. Levrault faisait en vain signe à Gaston de se taire ; Gaston acheva d’une voix ferme la phrase qu’il avait commencée, et sortit fièrement en jetant sur son beau-père un regard de pitié. La marquise, indignée, suivit son fils. Laure, à son tour, voulait se retirer ; un geste suppliant de son père la retint.

— Un marquis ! dit le blessé promenant autour du salon un regard défiant ; camarades, ne restons pas ici, portez-moi à l’hôpital.

— Mes amis, vous êtes chez Guillaume Levrault, ancien tisseur de laine à Elbeuf. Connaissez-vous Jolibois ? c’est mon meilleur ami. Je marchais avec lui sur la chambre, lorsque je vous ai rencontrés. Voici ma fille, une fille du peuple, un cœur d’or. Tout ici vous appartient. Vous vous êtes battus comme des lions ; nous allons trinquer ensemble.

En cet instant, le blessé fut saisi d’une soudaine défaillance, et répéta d’une voix éteinte : — Portez-moi à l’hôpital.

M. Levrault tira le cordon de la sonnette, un valet parut, et rentra bientôt avec un panier de vin. M. Levrault versa une rasade à ses nouveaux amis, offrit lui-même un verre plein au blessé, et d’une voix émue : — Buvons, mes enfans, à la grandeur, à l’affermissement de notre jeune république. Plus de rois, plus de noblesse, plus de bourgeoisie ! Buvons au nivellement de toutes les classes, ne formons plus qu’une seule famille, une famille d’ouvriers. Chacun pour tous, et tous pour chacun !

Tous les verres s’entrechoquèrent aux cris de : Vive Guillaume Levrault !

— Vive le peuple de Paris ! s’écria Guillaume Levrault en levant son verre.

— Mes amis, dit le blessé d’une voix sourde après avoir léché ses moustaches, méfiez-vous, c’est du vin de bourgeois.

Malgré ce sinistre avertissement, les camarades remplirent de nouveau leurs verres, les vidèrent d’un trait, et se regardèrent entre eux d’un air d’incrédulité. Le blessé s’évanouit. M. Levrault le fit porter dans une chambre bien chaude, le coucha lui-même dans un lit bassiné, envoya chercher un médecin pour panser sa blessure, et mit un corps de bâtiment à la disposition de ses nouveaux frères, qui ne se firent pas prier pour s’y installer. Il rentra au salon, et trouva sa fille pâle, consternée.

— Malheureuse, lui dit-il, tu vois où m’a conduit ta folle vanité. Je voulais te marier à Jolibois. Tu as voulu être marquise. Dieu seul sait maintenant ce que nous allons devenir !

Cela dit, il descendit à pas de loup, courut aux remises, badigeonna de sa main les armoiries des voitures, remonta du même pas, prit dans son buffet les boîtes d’argenterie, courut à la cave, enfouit son trésor dans une futaille, et sortit pour acheter quelques douzaines de couverts de la fabrique de Ruolz et Elkington.

Jules Sandeau.

(La sixième partie au prochain no.)

  1. Voyez les livraisons des 1er et 15 septembre et 1er et 15 octobre.