S’amoindrir (Verhaeren)

Poèmes (IIe série)Société du Mercure de France (p. 119-120).
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S’AMOINDRIR


 
En ce minuit de force à bas, combien j’envie
— Demain j’aurai changé — tout ce qui circonscrit :
Les pratiques toutes humbles de cette vie
Qu’on mène en des villes de simple et pauvre esprit.

Voici — me rabaisser à des niaiseries :
Petites croix, petits agneaux, petits Jésus,
Petite offrande douce aux petites Maries,
En des niches, avec des fleurs peintes dessus.


Prière, à jointes mains, en des recoins d’église ;
Et se recommencer enfant, avec calcul ;
Un mot ! qui dans son bruit, toujours le même, enlise
Et vous endorme, en un ronron pieux et nul.

Et les benoîts conseils savourés à confesse ;
Et les fermes propos de se garer en Dieu,
Contre toute surprise et contre toute adresse
Du rouge enfer, où les démons brassent du feu.

Et se sécher le cœur de soins et de scrupules
Et de soucis ; jeûnes furtifs, vœux aigrelets,
Et ce grignotement aux choses minuscules
Lèvres pour oraisons et doigts pour chapelets.

Et se blottir l’esprit, dans le damier des sectes,
Et se moisir toujours, en un coin plus dévot,
Jusqu’à miner enfin, avec des dents d’insectes,
Le vertical palais d’orgueil de son cerveau.