Séances de la Société agricole et scientifique de la Haute-Loire/3 août 1882

SÉANCE DU 3 AOÛT 1882.


Présidence de M. le Dr Langlois.

M. le Président annonce qu’il est invité par M. le Préfet à soumettre à la Société une question importante relative au plâtrage des vins. La Société, dit-il, à titre de Société agricole et scientifique, est appelée par le premier magistrat du département, en vertu d’une circulaire du ministre du commerce en date du 17 juillet 1882, à donner son avis sur la quantité de plâtre qu’on doit employer dans la fabrication des vins, à fournir des éléments d’appréciation dans une enquête officiellement ouverte, par suite de circonstances exposées dans deux circulaires dont deux copies sont sur le bureau.

L’une de ces circulaires adressée par M. le Ministre de la justice aux procureurs généraux, fait connaître qu’en 1880 le comité consultatif d’hygiène publique de France, saisi de la question du plâtrage des vins avait émis l’avis suivant :

1o Que l’immunité absolue dont jouissent les vins plâtrés en vertu de la circulaire du Ministre de la justice en date du 21 juillet 1858 ne doit plus être officiellement admise.

2o Que la présence du sulfate de potasse dans les vins de commerce résultant soit du plâtrage du mout, du mélange du plâtre ou de l’acide sulfurique au vin, soit du coupage du vin non plâtré avec du vin plâtré ne doit être tolérée que dans la limite maxima de 2 grammes par litre.

Cette même circulaire adressée aux procureurs généraux à la suite de cet avis les invite à poursuivre, en vertu des lois sur la falsification, la vente des vins contenant une quantité de sulfate de potasse supérieure à celle de 2 grammes par litre.

L’autre circulaire adresse par M. le Ministre du commerce à tous les préfets annonce que ces dispositions ont soulevé de si vives réclamations dans le commerce des vins, que M. le Ministre de la justice a cru devoir surseoir à l’application de la précédente circulaire jusqu’à ce que la question du plâtrage des vins ait fait l’objet d’une nouvelle enquête. Cette circulaire prie MM. les Préfets de demander l’avis : 1o des chambres de commerce, des chambres syndicales de marchands et de fabricants de vin du département ; 2o des sociétés scientifiques et agricoles et 3o enfin celui des conseils d’hygiène et de salubrité publiques.

M. le Président explique que l’addition du plâtre ou sulfate de chaux dans les vins produit, au contact du bitartrate de potasse naturellement contenu dans le mout du raisin, du sulfate de potasse, sel qui rend les vins purgatifs et qui, lorsque l’effet purgatif ou laxatif fait défaut, constitue un poison musculaire.

Un membre ajoute que les effets toxiques du sulfate de potasse sont bien connus, car ce sel, appelé autrefois sel de duobus, d’arcanum duplicatum a été employé comme purgatif et a produit fréquemment des empoisonnements surtout en Angleterre. Sans doute son administration aux doses de 13 à 20 grammes dans deux à trois verres d’eau peut produire des effets purgatifs au même titre que le sulfate de soude : mais si ces effets ne se manifestent pas, si le sel est porté par l’absorption dans l’économie, il agit alors comme un poison musculaire au même titre que le nitre. Les premiers symptômes produits par ce poison consistent en un ralentissement considérable de la circulation, des défaillances, des syncopes, en une paralysie des membres et surtout des membres abdominaux. « J’ai vu souvent, dit ce membre, des ouvriers se plaindre que le vin des auberges les rendait malades et leur coupait les jambes, il n’est pas rare malheureusement de voir dans notre département des hommes boire le dimanche, une demi douzaine de litres de vin et dans ce cas à la dose de 2 grammes par litre absorber 12 grammes de sulfate de potasse. »

M. Moullade lit la note suivante relative à la question du plâtrage des vins :

« L’administration de la guerre, sur l’avis de Poggiale, pharmacien, inspecteur militaire, avait fixé à 4 grammes par litre de sulfate de potasse la tolérance pour les achats de vin. En 1874, la même administration ayant reconnu que cette tolérance était trop grande, l’a abaissée à 2 grammes par litre. Cependant des réclamations ayant été faites par les négociants en vins du midi, la tolérance à 4 grammes a été maintenue jusqu’à ce que les viticulteurs aient pu, au moment d’une nouvelle récolte, diminuer de moitié la proportion de plâtre qu’ils emploient dans le but d’assurer la conservation de leurs vins, et de leur donner, comme ils le disent, une couleur plus vive, une couleur marchande.

Le plâtre est, on le sait, du sulfate de chaux anhydre mêlé au raisin au moment de la fermentation : il transforme par double décomposition le bitartrate de potasse contenu dans le raisin on tartrate de chaux insoluble, et en bisulfate de potasse, qui reste en dissolution dans le vin.

L’emploi du plâtre a donc pour effet d’enlever au vin tout ou partie de son acide tartrique et de le remplacer par une quantité équivalente d’acide sulfurique. Si cette substitution peut avoir des avantages pour le marchand, elle n’en a aucun pour le consommateur. Elle est sûrement nuisible à la santé des personnes dont l’estomac digère avec difficulté. Elle est surtout nuisible à la qualité du vin. En effet, ayant analysé un assez grand nombre d’échantillons de vins, j’ai pu m’assurer que les vins plâtrés et conservés en bouteilles cachetées pendant plusieurs années n’acquièrent pas de bouquet. Ils sont moins bons, quant au goût, qu’au moment de la mise en bouteilles.

Le bouquet est, en effet, le résultat de la combinaison lente des acides conservés dans le vin (acide lactique, succinique, butyrique, œnanthique, pelargonique, acétique, tartrique, etc.) acides de la série aromatique et de la série grasse, avec l’alcool. Il y a alors élimination d’eau et éthérification, d’où le bouquet qu’acquièrent les vins naturels en vieillissant.

Or, la presque totalité de ces acides étant devenue insoluble par leurs combinaisons avec la chaux et ayant été détruits lentement par faction du sulfate acide, ne peuvent plus donner le bouquet. Les vins, pour employer une expression comprise de toutes les personnes qui on font usage, les vins restent plats et se dépouillent très rapidement de leur matière colorante. Voilà ce que j’ai pu observer. En résumé, je crois que les consommateurs doivent protester contre le plâtrage des vins qui nuit de toutes les manières à leur qualité. À mon avis, il serait préférable d’alcooliser les vins dont la conservation est douteuse. »

Un membre fait remarquer que l’administration militaire n’a maintenu la tolérance maxima à 4 grammes de sulfate de potasse dans le vin que pour donner aux viticulteurs le temps de se débarrasser de leur récolte ancienne. Or il pense que l’exécution immédiate de la circulaire du ministre de la justice ne troublerait pas beaucoup le commerce des vins, car par le coupage des vins anciennement plâtrés avec des vins non plâtrés il est facile de mettre en circulation dans le commerce des vins réglementairement sulfatés. Plusieurs membres indignés du plâtrage des vins, demandent que la question d’hygiène prime toutes les autres et réclament la suppression de cette opération vinicole. Quelques-uns se plaignent de ne plus voir consommer dans le département ces vins de l’Ardèche jadis si appréciés des habitants de la Haute-Loire et ils sont portés à croire que l’opération du plâtrage n’est pas très ancienne dans les territoires voisins du département.

M. le Professeur d’agriculture assure qu’en Roussillon le plâtrage des vins remonte à une époque reculée. Dans cette opération, dit-il, on saupoudre dans la cuve les couches de raisins de façon à employer un kilogramme de plâtre pour un hectolitre de vin. Ce procédé donne une couleur plus brillante au vin, le rend plus limpide et facilite son transport. Cette opération, ajoute-t-il, n’a suscité dans son pays aucune plainte de la part des consommateurs, il termine en disant qu’avant de donner son avis, la Société devrait traiter la question à nouveau dans une séance ultérieure, que lui personnellement aurait besoin de consulter des ouvrages spéciaux pour se faire une opinion fondée sur cette question si importante.

Un membre objecte que les vins de Roussillon sont tellement alcooliques qu’ils constituent pour la plupart des vins de dessert. Or précisément la fermentation alcoolique qui se fait rapidement dans les pays chauds au contact du plâtre qui n’est soluble qu’à la dose de 3 grammes par litre d’eau doit moins se charger de bitartrate de potasse qui est insoluble dans l’alcool. En conséquence, malgré le plâtrage, les vins capiteux du Roussillon qui renferment peu de bitartrate doivent aussi au contact du plâtre se charger d’une moins grande quantité de bisulfate de potasse. Là, pense ce membre, est l’explication de l’innocuité du plâtrage dans les vins capiteux du Roussillon et les inconvénients pour la santé publique du plâtrage des vins récoltés aux environs du département dont plusieurs ne renferment que 5 à 6 % d’alcool.

À la suite de cette discussion, la presque unanimité des membres de la réunion a émis le vœu suivant :

Considérant : 1o que le plâtrage des vins est essentiellement nuisible à la santé ; 2o que l’addition du plâtre au vin, s’il facilite le transport des vins du midi, s’il leur donne une couleur dite marchande, ne permet pas chez eux le développement de l’arome dit bouquet du vin ; 3o que si cependant le transport des vins du midi n’est possible que par l’addition d’une certaine quantité de plâtre, bien que la Société préférât dans ce cas une addition d’alcool éthylique rectifié, émet le vœu que la présence du sulfate de potasse ne soit tolérée que dans la limite maxima de 2 grammes par litre.

M. Lascombe fait connaître à l’assemblée un document sur l’état des revenus du collège du Puy en 1792[1].

Le musée du Puy, grâce aux subventions municipales et départementales et à l’initiative de MM. les Conservateurs s’est récemment enrichi de collections d’oiseaux, de reptiles et de bois indigènes et exotiques. M. Hugon, conservateur du cabinet d’ornithologie et M. Alix, trésorier, ont apporté le plus grand zèle et le concours le plus actif dans les négociations qu’ont nécessitées l’acquisition des nouveaux objets dont le musée vient d’être doté. L’État, à son tour, a fait don à cet établissement d’une statue en marbre, le Soldat laboureur, œuvre du sculpteur Capellaro. Notre collègue, M. Badiou de la Tronchère, a bien voulu nous communiquer à ce sujet les renseignements suivants :

La statue en marbre (soldat romain du temps de Virgile), donnée par l’État, en 1881, au musée du Puy, est l’œuvre du sculpteur Capellaro (Charles-Romain).

Avant de parler de cette statue, disons un mot de l’auteur :

M. Capellaro est né à Paris de parents italiens, croyons-nous ; il fréquenta l’atelier de David d’Angers, et se livra surtout à la pratique des œuvres des grands maîtres de son temps ; il travailla notamment pour MM. Rude et Duret. C’est dans ses ateliers qu’ont été agrandis, pour la fonte, les petits modèles des statues de la fontaine monumentale du Puy, modelés par M. Bosio, neveu, sur les dessins de l’architecte Félix Pradier, notre regretté compatriote.

M. Capellaro n’est pas seulement un praticien habile, car il a fait admettre plusieurs fois, aux salons de Paris, des œuvres portant sa signature, et a même obtenu, à l’exposition de 1866, une médaille de troisième classe.

En 1870-1871, il prenait une part active à l’insurrection communale de Paris, et, pour ce fait, fut déporté à Nouméa. Après l’amnistie, il vint reprendre ses anciennes occupations artistiques.

La statue : Le laboureur du temps de Virgile a été inspirée au sculpteur par des vers du poète latin que l’on a traduits ainsi : Viendra un jour, où, dans ces tristes contrées, le laboureur, en ouvrant la terre avec le soc de la charrue, rencontrera des dards rongés par la rouille, ou, de son pesant rateau, heurtera des casques vides, et contemplera avec effroi, dans les tombeaux entr’ouverts, de gigantesques ossements[2].

La statue est assise sur un fragment de rocher recouvert d’une peau, le torse ployé en avant. Le bras droit, sur lequel s’appuie la tête, est accoudé sur la cuisse. Sur la jambe gauche, un peu allongée, repose le bras du même côté, tenant un crâne dans la main. La tête, couverte d’un pétasus à bords très étroits, est légèrement inclinée vers ce crâne qu’elle semble contempler.

Pour le torse de cette statue, l’artiste semble s’être rappelé le célèbre fragment de sculpture antique que possède le musée du Vatican, et que Michel-Ange, vieux et aveugle, palpait avec admiration ; mais le torse de notre statue est loin d’avoir le caractère de force et d’élégance de l’antique qui l’a inspiré ; en effet, bien que les muscles en soient saillants et fortement accusés, ils sont trop arrondis et manquent de méplats.

Les jambes et les bras, évidemment faits d’après un modèle vivant, ne sont pas en harmonie avec le tronc ; car tandis que celui-ci est épais et lourd, les membres sont grêles et appartiennent à un sujet déjà usé plutôt par les privations ou la débauche que par l’âge ; le dessin en est vulgaire et les formes veules. La tête est molle, et n’a pas le caractère énergique et fier qui conviendrait à celle d’un laboureur habitué aux durs travaux de l’agriculture. Le crâne, placé dans la main gauche, est beaucoup trop petit pour l’énorme casque qui gît sur le sol et qui a dû le contenir. En un mot, cette statue, exécutée, pour une loterie, sans soins, sans étude, et au point du vue de lucre seulement, fut gagnée par un officier ayant tenu garnison au Puy qui, fort embarrassé d’un lot si encombrant, s’empressa de le faire acheter par l’État. Cette œuvre est loin d’ajouter quelque chose à la réputation de son auteur, et est peu propre à former le goût de nos populations si bien douées cependant pour tout ce qui tient aux arts d’imitation.

M. Hérisson rend compte d’expériences qu’il a faites sur les engrais chimiques et les fumiers de ferme[3].


A. Lascombe.




  1. Voyez, t. III. Mémoires, page 327.
  2. Virgile. Géorgiques. Livre I.
  3. Voyez, IIIe volume, p. 361.