Séance de nuitLe Béliervolume 2 (p. 230-257).

Personnages

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Fauconnet : MM. Gobin

Gentillac : Lamy

Rigolin : Violette

Joseph : Deschamps

Le Chasseur : Déan

Artémise : Mmes J. Leriche

Clarisse : J. Cheirel

Emilie : Mary Gillet

Bamboche : Narlay

Scène première

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Un cabinet particulier au Café Anglais. Porte au fond donnant sur l’escalier du restaurant. Mobilier ordinaire des cabinets particuliers, glaces rayées, candélabres de cuivre sur la cheminée, piano fatigué et faux. Une table servie, fauteuil, canapé, etc. A droite, deuxième plan, porte donnant sur un cabinet de toilette.

Joseph, puis Rigolin et Emilie Bamboche

Au lever du rideau, Joseph achève de mettre le couvert. Par la porte du fond, qui est entr’ouverte, et donne sur le hall où est la caisse, on voit un va-et-vient de garçons faisant le service, portant des plats. Voix dans la coulisse : "Trois douzaine d’Ostende au 14. Sommelier, une veuve pour le 10, etc". Joseph, qui a essuyé les verres, ne sachant où mettre la serviette qu’il a salie, la fourre sans rien dire dans le piano et poursuit son ouvrage. Apparaît Rigolin, en par-dessus, collet relevé, la canne dans sa poche et le chapeau sur la tête, il est suivi d’Emilie Bamboche et tout en marchant, il cause avec elle, de sorte qu’il ne regarde pas devant lui. On n’entend pas leur conversation, mais ils rient tous les deux comme deux jeunes gens en fête. Un garçon qui porte un plateau chargé d’huîtres, et qui marche également en regardant en arrière, se cogne contre Rigolin et lui renverse son plateau sur lui.

Rigolin. — Merci, mon ami !

Le Garçon. — Oh ! pardon, Monsieur !

Rigolin. — Faudra pas les mettre sur l’addition, celles-là, garçon !

Le Garçon, ramassant ses huîtres. — Oh ! non, Monsieur, elles sont retenues par le 14.

Rigolin. — Eh ! bien, bon appétit au 14… (Sur le pas de la porte, s’arrêtant tandis qu’Emilie Bamboche passe sa tête par-dessus son épaule.) Eh ! Joseph !

Joseph. — Monsieur Rigolin ?

Rigolin. — Où est mon cabinet, mon vieux ?

Joseph. — Mais je n’en ai pas, Monsieur le marquis !… (Bamboche ouvre de grands yeux et regarde Rigolin avec une certaine déférence.) Monsieur le Marquis ne m’a pas dit de lui en retenir.

Rigolin, entrant. — Oh ! voyons, mon ami, je ne devrais pas avoir besoin de le demander, je suis de fondation. Allez demander à la caisse.

Joseph. — Oui, Monsieur, mais je crois bien que cela ne servira à rien ; les nuits de bal à l’Opéra, la maison regorge de monde.

Rigolin. — Allez toujours.

Joseph. — Oui, monsieur le Marquis.

Il sort.

Scène II

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Les Mêmes, puis Joseph

Bamboche. — Ah, çà ! comment est-ce qu’il t’appelle ? Tu es donc marquis, toi !

Rigolin. — Hein ! moi ? Je ne sais pas.

Bamboche. — Eh ! bien, alors ?

Rigolin. — Quoi, eh ! bien alors ? Tu veux que je lui fasse une scène parce qu’il m’appelle M. le Marquis ? Ca n’a rien de blessant ! Ah ! là, là ! Je suis au-dessus de ça ! (Voyant Joseph qui revient.) Ah ! le voilà, eh bien !

Joseph. — Rien, monsieur le Marquis, il ne reste plus rien ! Je le disais bien à Monsieur le Marquis, tout est pris !

Rigolin. — C’est agréable… Eh ! bien, et ce cabinet ?

Joseph. — Il est retenu par M. le comte de Gentillac.

Rigolin. — Le comte de Gentillac !… Où prenez-vous le Comte de Gentillac ?… Il n’est pas plus comte que vous !

Joseph. — C’est un si bon client, M. le Marquis !

Rigolin. — Voilà une raison !… Je ne suis peut-être pas un bon client, moi ?

Joseph. — Oh ! mais, je mets M. le Marquis encore au-dessus de monsieur le comte.

Rigolin. — A la bonne heure !… seulement tout en me mettant au-dessus vous me mettez dehors.

Joseph. — Oh ! M. le Marquis !

Rigolin. — Dame, puisqu’il n’y a plus de place pour moi ! Vous savez Joseph, si vous continuez comme cela à éloigner vos clients, parce que vos salons sont pleins, vous ne ferez pas longtemps vos affaires, c’est moi qui vous le dis !… Allons, viens, Bambochette, nous allons chercher l’hospitalité ailleurs.

Bamboche, gagnant la droite. — Oh ! bien non, redescendre comme ça tout de suite, on a l’air d’avoir soupé avec un cure-dent…

Rigolin, descendant. — Où vas-tu placer ton amour-propre ?

Scène III

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Les Mêmes, Gentillac

Gentillac. — Joseph, mon cabinet est prêt ?

Joseph. — Ah ! voici justement M. le Comte ! (A Gentillac.) Oui, M. le Comte !

Gentillac, descendant. — Rigolin !…

Joseph sort.

Rigolin. — Ah ! te voilà, toi !… Tu vas bien ?

Gentillac. — C’est toi qui vas bien… avec Emilie Bamboche… Mes compliments !… (Passant au deuxième plan.) Bonjour, Bamboche !

Bamboche, troisième plan. — Bonjour, mon gros !

Gentillac, deuxième plan, indiquant Bamboche. — Tu l’as donc soufflée à ce brave Hector Vatinel ?

Rigolin, premier plan. — Moi ? je n’ai rien soufflé !… J’ai pris une suite… la suite du banquier.

Bamboche, l’air navré. — Vous ne savez donc pas ce qui est arrivé à mon pauvre Totor ?

Gentillac. — Non ! Quoi donc ?

Bamboche. — Oh ! mais tout le monde sait ça ; il est à Mazas.

Gentillac. — Pas possible !… Comment, moi qui ai déjeuné avec lui il n’y a pas huit jours !…

Bamboche. — Eh ! bien, voilà !

Gentillac. — Ce que c’est que de nous ; on se quitte gai et bien portant, et, du jour au lendemain, crac… on se trouve à Mazas !… Ah ! c’est à dégoûter de tout !

Bamboche. — Un garçon qui était si bien dans ses affaires !

Rigolin. — Qui donnait cent vingt pour cent de leur argent à ses commanditaires !

Bamboche. — Oui ! Est-ce que ce n’est pas honnête, ça ?… Eh ! bien on a trouvé que c’était trop… Moi aussi, d’ailleurs, je lui avais dit : "C’est beaucoup trop !… Donne-moi donc plus et donne leur moins…" Ah ! bien oui !

Gentillac. — On n’écoute jamais les conseils désintéressés.

Bamboche. — Pauvre Totor !

Gentillac. — Ah ! c’est dur… parce qu’enfin, ça le retarde d’au moins deux ou trois ans… Je sais bien qu’après, il aura les débouchés plus faciles !

Bamboche. — Ah ! c’est égal, c’est bien triste !

Gentillac. — Ah ! oui, c’est triste !

Rigolin. — Oui, c’est triste !

Gentillac, à Rigolin. — Et à part çà, tu soupes ici ?

Joseph rentre.

Rigolin. — Eh ! non, je voulais, mais cet animal de Joseph…

Joseph, redescendant à l’appel de son nom. — Monsieur le Marquis ?

Rigolin. — Non, rien ; je ne vous ai pas appelé ! (Joseph remonte et sort.) Cet animal de Joseph ne m’a pas retenu de cabinet.

Gentillac. — Ah ! mon pauvre ami, je t’offrirais bien de partager celui-ci !…

Rigolin. — Ah ! bien, tu es bien gentil… Tu veux,… Emilie ?

Gentillac. — Non, non, mais attends donc ! Je t’offrirai bien, seulement je ne t’offre pas…

Rigolin. — Ah ! bon merci !

Gentillac. — Parce que je ne suis ici que comme invité… l’amphitryon, c’est Fauconnet, tu connais Fauconnet ?

Rigolin. — Qui ? le banquier ?… Ah bien, si je le connais !… Il m’a même mis dans une affaire il y a deux ans… l’affaire du phylloxérifuge… tu as peut-être entendu parler de ça… une machine pour détruire le phylloxera ?

Gentillac. — Non !… Ca a pris cette affaire-là ?

Rigolin. — Non !

Gentillac. — Ca ne détruisait pas le phylloxéra ?

Rigolin. — Si… seulement ça détruisait la vigne avec… Ca m’a coûté vingt-cinq mille francs !

Gentillac. — Vingt-cinq mille francs !… Et à Fauconnet alors ?

Rigolin. — Oh ! lui, ça lui a rapporté deux cent mille francs !

Gentillac. — C’est juste ! Je fais des questions naïves !

Il remonte à gauche.

Bamboche, assise sur le bord de la table. — Vingt-cinq mille francs ! Si tu n’aurais pas mieux fait de me les donner !

Rigolin, allant à elle. — Ah ! si j’avais pu prévoir !…

Bamboche, se levant. — Tu me les aurais donnés ?

Rigolin. — Non, mais je ne les aurais pas mis dans l’affaire (A Gentillac.) Tout ça c’est pour te dire qu’on ne peut pas être mieux avec Fauconnet que je ne suis.

Il s’asseoit.

Gentillac, premier plan. — Eh bien, mon cher, puisque tu le connais, c’est lui, le Fauconnet qui m’a invité ! C’est pour lui que j’ai retenu ce cabinet… C’est même assez drôle, parce qu’hier encore, je ne le connaissais que de réputation ; ce matin je vais le voir pour lui proposer une affaire du plus grand avenir… Tiens, même, si tu veux mettre de l’argent dedans, tu sais, voilà une occasion.

Bamboche, bas à Rigolin. — Ne fais pas ça !…

Rigolin, à Gentillac. — Non, merci !

Gentillac. — Tu as tort, c’est une affaire qui fera révolution. J’ai trouvé le moyen de supprimer les rails dans les chemins de fer ; tu vois l’immense importance !… Abolition des lignes ferrées et possibilités de voyager sur toutes les routes. C’est merveilleux… Enfin, ça ne te dit pas, passons ! J’arrive donc chez Fauconnet, il me reçoit d’une façon charmante, je lui expose mon affaire, et, dans le courant de la conversation, nous arrivons à reconnaître que nous sommes deux anciens camarades de collège, alors tu vois ça d’ici ! Et avec le tutoiement, les souvernirs d’enfance, les : "Te rappelles-tu ceci ? Te rappelles-tu cela ? " Et, un tel, qu’est-ce qu’il est devenu ? Enfin tout ce qui se dit dans ses cas là… nous parlons de nos maîtresses… il m’apprend qu’il est marié à une femme charmante et fidèle, mais que ça ne l’empêche pas, à l’occasion, de courir la blonde et la brune, bref, comme c’est ce soir bal à l’Opéra…

Rigolin. — Tu as débauché cet homme marié.

Gentillac, premier plan. — Au contraire, voyons, ce sont toujours les hommes mariés qui vous débauchent, pas vrai, Emilie ?

Bamboche, deuxième plan, assise sur le bord de la table. — Je ne sais pas ; moi, ça été un adjudant du train !

Gentillac. — Ah !… (Rigolin se lève en riant et gagne la droite. Donnant une poignée de main à Emilie.) Tous mes compliments à l’adjudant du train ! (Allant à Rigolin.) Non, c’est Fauconnet qui m’a proposé de passer la soirée ensemble ; il a prétexté, auprès de sa femme, une réunion aussi extraordinaire qu’invraisemblable, de son conseil d’administration, une séance de nuit !… Pendant ce temps-là, j’ai couru retenir ce cabinet au Café Anglican, et, comme il nous fallait du beau sexe pour égayer notre souper, nous sommes allés en recruter au bal de l’Opéra !…

Rigolin. — Et où est-il, ton beau sexe ?

Gentillac. — Oh ! il est encore là-bas… Fauconnet chasse. Il m’a dit : "Rapporte-t’en à moi, j’ai un flair d’artilleur !!! " Comme moi, je ne suis pas chasseur, je n’aime le gibier que quand on me l’apporte sur un plat, ma foi, j’ai laissé mon Fauconnet aux aguets !

Rigolin. — C’est drôle, cette chasse à la bécasse !

Bamboche. — Dis donc, tu es encore poli, toi !

Rigolin. — Qu’est-ce que ça te fait !…

Gentillac. — Tiens ! Elle a le sentiment de la solidarité.

Bamboche, se levant et allant à Gentillac. — Eh bien, dites donc, vous !…

Elle le bouscule, Rigolin les sépare.

Rigolin. — Allons, mon vieux, amuse-toi bien… moi je regrette… mais puisqu’il n’y a pas de place ici, je vais aller souper à la Maison d’Or… Viens-tu, Bambochette ?

Bamboche. — Caltons !…

Ils se dirigent vers la sortie.

Gentillac, les accompagnant. — Tu ne m’en veux pas, au moins !

Rigolin. — Allons donc !

Gentillac. — Tiens ! veux-tu dîner demain avec moi ?

Rigolin. — Ah ! impossible, demain je suis de corvée ; je dîne chez ma tante Marjevol ; le dîner du dimanche, le rasoir hebdomadaire… Plains-moi, mon ami !

Gentillac. — Ah ! la tante que tu soignes pour son héritage ?

Rigolin. — Et qui se soigne pour me le laisser le plus tard possible ! Et ennuyeuse ! oh ! ennuyeuse au point que, pour me la faire passer, je me répète tout le temps : "Quinze cent mille francs !… Quinze cent mille francs !!! "

Gentillac. — Oui, tu dores la pilule !

Rigolin. — Ca m’aide à l’avaler… Allons, viens, Emilie !

Joseph entre du fond.

Bamboche. — Voilà !

Rigolin. — Et toi, à une autre fois !

Gentillac. — C’est ça !…

Ils sortent, moins Gentillac.

Scène IV

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Joseph, Gentillac

Gentillac, premier plan. — Joseph !

Joseph, descendant à Gentillac. — Monsieur le Comte !…

Il prend le pardessus, la canne et le chapeau de Gentillac et porte le tout dans le cabinet de droite.

Gentillac, s’asseyant. — Vous nous donnerez encore de ce vin que vous m’avez fait boire l’autre jour… du… du comment donc ?

Joseph. — Du Pichon-Longueville ?

Gentillac. — Non, attendez ! C’était du Clos d’Estournel.

Joseph. — Oui, c’est la même chose… Nous avons comme cela plusieurs noms suivant le goût des clients !…

Gentillac. — Voyez-vous ça ! Ah ! bien, c’est pas à moi que vous pourriez la faire, celle-là !

Joseph, bon enfant. — Si, M. le Comte, je vous l’ai faite ce matin.

Gentillac. — Hein !

Joseph. — M. le Comte me demandait du Château-Lagrange, nous n’en avions plus en cave ; j’ai dit à M. le Comte : "Que M. le Comte goûte donc notre Pontet-Canet…"

Gentillac. — Eh bien ! j’y ai goûté, et qu’est-ce que je vous ai dit ? "Remportez-moi ça… je n’aime pas le Pontet Canet, et donnez-moi du Château-Lagrange ! "

Joseph. — Oui !

Gentillac. — Eh bien ?

Joseph. — Eh ! bien, j’ai rapporté à M. le Comte une autre bouteille de Pontet-Canet exactement pareille et après avoir goûté, M. le Comte m’a dit, avec son air connaisseur : "Ah ! pas comparable ! "

Gentillac. — Non ! Et vous venez m’avouer ?

Joseph. — Oh ! je l’avoue à M. le Comte, parce que je sais qu’il n’ira pas le répéter !

Gentillac. — Tiens ! je t’écoute !

Joseph. — M. le Comte ne veut pas commander tout de suite le menu ?

Gentillac. — Non, quand les personnes que j’attends seront là !

Joseph. — Monsieur le Comte sera combien ?

Gentillac. — Je serai trois… J’espère que vous nous soignerez ça comme pour vous, hein ?… quand vous vous payez une petite fête !…

Joseph, retirant un couvert. — Oh ! moi, Monsieur, quand je fais la fête, je dîne chez Duval !

Il porte le couvert au fond.

Gentillac, se levant et gagnant la droite. — Ah !

Joseph, qui est remonté. — Ah ! voici un monsieur avec une dame masquée, c’est peut-être les personnes que Monsieur attend !…

Gentillac. — Ah ! c’est possible !…

Scène V

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Les Mêmes, Fauconnet, Artémise, en domino et masquée.

Fauconnet, à un garçon. — Le cabinet retenu par M. Gentillac ?

Gentillac. — Oui, c’est ici, va, entre !…

Fauconnet. — Ah ! te voilà ! (A Artémise.) Tenez, entrez, mignonne !

Gentillac, saluant Artémise. — Joli masque, je me dépose à vos pieds !

Artemise. — Monsieur.

Fauconnet. — Hein !… Est-elle gentille ? Regarde-moi cette tournure… cette taille,… ce tout enfin !

Gentillac. — Un vrai petit Saxe !

Fauconnet. — Eh bien, c’est moi qui ai découvert cette perle, hein, quel flair !

Gentillac, passant à Artémise. — Voyons, laissez-moi vous regarder… Oh ! qu’il doit y avoir une jolie petite frimousse sous ce vilain masque !

Artémise rit.- Joseph débarrasse Fauconnet de son pardessus et de son chapeau et porte le tout à droite.

Fauconnet. — Parbleu ! Est-ce que je n’ai pas l’œil ?

Gentillac, lui prenant la taille. — Et une taille !… regarde-moi sa taille !

Artemise, se défendant en riant. — Allons ! voyons !

Gentillac. — Ouh ! le joli petit domino !

Fauconnet. — Hé là ! hé là ! Voyons, tu n’a pas fini ?

Gentillac. — Tu m’ennuies !… D’abord, il ne sera pas dit qu’un joli petit masque sera dans les bras de Gentillac sans qu’il l’ait embrassé !…

Artemise, à Fauconnet. — Oh ! Monsieur… à mon secours !

Fauconnet, cherchant à se mettre entre eux. — Allons, voyons, voyons ! Mais sapristi ! est-ce que tu crois que c’est pour toi que je l’ai amenée ?

Gentillac. — Mais parfaitement ! Toi, tu es un homme marié, tu dois être raisonnable.

Fauconnet. — Mais justement, quand un homme marié a une occasion, ce n’est pas pour l’abandonner à un célibataire. On est pour moi tout seul, n’est-ce pas, ma cocotte ?

Artemise. — Oh ! mais, Messieurs, mais en voilà des façons.

Fauconnet. — Bah ! aujourd’hui, j’ai vingt ans !

Il l’embrasse et passe au premier plan.

Scène VI

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Les Mêmes, Joseph

Joseph, rentrant de droite. — Ces messieurs ne veulent pas commander le menu ?

Fauconnet. — Mais parfaitement, nous voulons commander le menu… et un menu soigné. Qu’est-ce que vous voulez manger, ma cocotte ?

Artemise. — Oh ! ce que vous voudrez ! Je n’ai pas faim… des petites choses !

Fauconnet, à Joseph. — Eh ! bien, des petites choses !

Gentillac, assis au piano. — Autrement dit, des choses chères !…

Joseph. — Nous avons de cailles en bellevue à rehaut d’estragon.

Fauconnet. — Ca vous va, ça, des cailles en bellevue ?

Gentillac. -… A rehaut d’estragon ?…

Artemise. — Oui, c’est ça, des choses comme ça… et puis quelques asperges, par exemple.

Gentillac. — Qu’est-ce que je disais ! Des asperges au mois de janvier… Voilà les petites choses !

Artemise. — Enfin je m’en rapporte à vous ! (A Joseph.) Maître d’hôtel, où puis-je aller réparer le désordre de ma toilette ?

Joseph, indiquant la porte de droite. — Il y a un cabinet de toilette ici, Madame.

Artemise. — Merci !

Elle sort, suivie de Joseph.

Scène VII

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Joseph, Fauconnet, Gentillac

Fauconnet, qui est allé jusqu’à la porte. — Comment la trouves-tu, hein ?… Avoue que j’ai un flair de vieux limier !

Il s’asseoit.

Gentillac. — Pas mal ; par exemple, l’air un peu précieux… Tu as entendu cette façon de dire : "Maître d’hôtel, où puis-je aller réparer le désordre de ma toilette ? "

Fauconnet. — Laisse donc, elle est adorable… Parce qu’elle n’est pas tombée tout de suite dans tes bras… On t’en donnera des femmes comme ça ! (Joseph revient.) Mais tu ne l’as pas regardée… une taille exquise… un petit peton grand comme ça… des mains… une poitrine, des dents…

Joseph, qui attend, immobile, pour le menu. — Et… c’est tout, Monsieur ?

Fauconnet. — Ah ! mon ami, je n’ai pas vu le reste !

Joseph. — Oh ! Monsieur, je ne me permettrais pas… Je parle pour le menu, Monsieur !

Fauconnet, se levant. — Ah ! le menu ! Je n’y étais pas. Eh bien, mon Dieu, je ne sais pas !

Il s’asseoit dans le fauteuil.

Gentillac. — Ah ! Joseph, je vous recommande Monsieur… Monsieur Fauconnet…

Joseph, s’incliant. — Monsieur…

Gentillac. — Si vous voulez qu’il devienne un de vos bons clients, il faut le soigner…

Joseph. — Ah ! M. le Baron sera content !… (Fauconnet regarde à droite et à gauche, à qui s’adresse cette épithète.) Nous ferons tout pour satisfaire M. le Baron Fauconnet.

Fauconnet, à part. — Hein ?… Ah ! c’est moi !

Joseph. — Qu’est-ce que commande M. le Baron ?

Fauconnet. — Ce que je ?… (à part) Il est très bien ce garçon !

Joseph. — M. le Baron veut-il des huîtres ?

Fauconnet, écoutant avec complaisance, à part. — "Monsieur le Baron ! " (haut) Certainement.

Joseph. — M. le Baron prendra-t-il un consommé ?

Fauconnet, les yeux à demi-clos, se berçant aux paroles de Joseph - Oui !

Joseph. — Et alors, des cailles, M. le Baron !

Fauconnet, même jeu. — Oui !

Joseph. — Et puis quoi, après, Monsieur le Baron ?

Fauconnet, même jeu. — Oui !

Joseph. — Monsieur ?

Fauconnet. — Hein ? Non, ce que vous voudrez… des asperges… et de la tisane.

Joseph. — Saint-Marceau ?… Bien, M. le Baron.

Il sort.

Fauconnet, à part. — "M. le Baron." Il me le donne, lui, quand le pape me l’a refusé !…

Gentillac. — Eh ! bien, j’espère qu’il t’en a collé du M. le Baron.

Fauconnet. — Hein ? A moi ? Ah !

Gentillac, se levant. — Mâtin ! tu ne t’en es pas aperçu ?

Fauconnet, brusquement. — Pfeu ! Ca n’a pas d’importance !… Gentillac !…

Gentillac. — Quoi donc ?

Fauconnet. — Sommes-nous assez canailles, mon pauvre vieux ! Sommes-nous canailles !

Gentillac. — Pourquoi donc ça ?

Fauconnet. — Ma pauvre petite femme qui me croit à mon conseil d’administration !

Gentillac. — Eh bien, dis donc, parle pour toi ; moi je ne suis pas marié…

Fauconnet, se levant. — Oh ! C’est mal !

Gentillac. — Alors, tu as des remords ?

Fauconnet ; adossé à la cheminée. — Oui… Oui… j’en ai, mais… ça m’excite !

Gentillac. — Ah ! alors !…

Fauconnet. — Et puis, enfin, je ne sais qu’une chose… c’est que je suis là avec une femme adorable.

Gentillac. — Mon Dieu, je veux bien !

Fauconnet. — Comment, tu veux bien, c’est-à-dire que c’est une perle, mon ami, une perle !

Gentillac. — Une perle qui fait la noce !

Fauconnet. — Oui, oui, parce que je l’ai pêchée au bal de l’Opéra, naturellement, tu supposes !… Eh bien, pas du tout, je sais à quoi m’en tenir maintenant… En voiture, elle s’est ouverte à moi !…

Gentillac. — Ah ! mes compliments !

Fauconnet. — T’es bête !… moralement !…

Il quitte la cheminée.

Gentillac. — Tous mes regrets !

Fauconnet. — Non, tu ne sais pas à quel merle blanc nous avons à faire…

Ils gagnent la droite.

Gentillac. — Enfin, quoi ! quoi ! c’est une vierge ?…

Fauconnet. — Presque : une vierge de l’adultère…

Gentillac. — Il y a un mari ! Eh ! là, prends garde, Fauconnet.

Fauconnet. — Laisse donc, il ne me fait pas peur !

Gentillac. — Tu es épatant !

Fauconnet. — Non ! il est mort…

Gentillac. — Ah ! c’est une raison !…

Fauconnet. — Oui, c’est une veuve, mon ami, une délicieuse petite veuve ! Tous les attraits de la femme mariée sans les inconvénients du mari… c’est exquis. Figure-toi que c’était la plus honnête des épouses !…

Gentillac. — Qui est-ce qui te l’a dit ?

Fauconnet. — Elle !

Gentillac, s’inclinant. — Ah ! alors !…

Fauconnet. — Mais voilà-t-il pas que quand cet imbécile… je parle du mari…

Gentillac. — Va donc ! Il ne t’enverra pas ses témoins.

Fauconnet. -… est mort, sa femme a trouvé dans ses tiroirs un paquet de lettres l’édifiant sur sa fidélité relative !… Alors, tu vois ça fureur de la femme outragée !… serment de vengeance ! "Ah ! il m’a trompée, je le tromperai à mon tour ! "

Gentillac. — Je comprends, elle fait des cornes à sa mémoire !

Fauconnet. — Parfaitement, et allez donc ! œil pour œil, dent pour dent !

Gentillac. — C’est la veuve du Talion !

Fauconnet. — Parfaitement !… Et je perdais une occasions pareille ?… Je trouverais une veuve qui veut faire une bêtise et je ne m’y associerais pas ?… Allons donc !… et d’abord je vais écrire immédiatement à ma femme !

Il va à la table.

Gentillac. — Pourquoi faire ?

Fauconnet. — Parce que je n’ai que la permission de deux heures… je vais demander une prolongation, j’ai un prétexte tout trouvé : la débâcle du Crédit hypothécaire… toute la haute banque est en l’air… Je ne sais à quelle heure finira notre séance de nuit… Je dis à ma femme de se coucher et de ne pas m’attendre… et le tour est joué.

Gentillac. — Voilà !

Fauconnet. — Ah ! ça a quelquefois du bon, les catastrophes financières !

Gentillac. — Qu’est-ce que tu cherches ?

Fauconnet, qui a tiré son portefeuille. — Une carte pour écrire à ma femme ! Là ! (Il écrit.) "Chérie, notre conseil d’administration menace de se prolonger fort avant dans la nuit à cause du krach du Crédit hypothécaire."

Gentillac, apportant un buvard qu’il a pris sur la cheminée. — Tiens, il y a des enveloppes là dedans !

Il en sort deux ou trois.

Fauconnet. — Merci ! (Ecrivant.) "Ne m’attends pas, couche-toi, je ne sais pas à quelle heure je rentrerai."

Gentillac. — Ah ! dis donc, tu ne sais pas qui j’ai vu tout à l’heure ? Quelqu’un que tu connais !

Fauconnet. — Qui ?

Gentillac. — Jules Rigolin !

Fauconnet. — Le petit Rigolin, je crois bien que je le connais… un très gentil garçon (écrivant) "Madame Fauconnet." (parlé) Je l’ai même intéressé une ou deux fois dans les affaires…

Gentillac. — C’est ce qu’il m’a dit !

Fauconnet. — Il avait la manie de la spéculation, un moment ; alors, qu’est-ce que tu veux, je me suis dit : il se fera fourrer dedans par un autre…

Gentillac. — Autant que ce soit moi !

Fauconnet, tout en écrivant, sans comprendre l’intention de Gentillac. — Oui !…

Gentillac, à part. — Je ne le lui fais pas dire !

Fauconnet, écrivant. — "17, rue de Choiseul."

Gentillac, haut. — Je n’ai pas osé prendre sur moi de le garder à souper avec nous…

Fauconnet. — Tu as eu tort… il fallait !…

Gentillac. — Le pauvre garçon n’avait rien fait retenir ici ; naturellement il n’a pas trouvé où se mettre, il est allé souper à la Maison d’Or !…

Fauconnet. — Mais il fallait lui dire de rester… J’aurais été enchanté !… Veux-tu que je lui écrive un mot ?…

Gentillac. — C’est qu’il n’est pas seul… il est avec sa maîtresse, une charmante enfant !

Fauconnet. — Raison de plus ! Plus on est de fous, plus on rit… Qui est sa maîtresse ?

Gentillac. — Bambochette… la petite Emilie !

Fauconnet. — Emilie ?… Connais pas !… Vilain nom !

Gentillac. — Pourquoi vilain nom ?

Fauconnet. — Je ne sais pas, c’est peut-être parce que notre femme de chambre s’appelle comme ça !… Ils sont à la Maison d’Or, tu dis ?

Gentillac. — Oui !

Fauconnet, tout en écrivant sur une autre carte. — Attends !… Veux-tu sonner ?

Gentillac. — Oui !

Fauconnet. — Et maintenant l’adresse sur l’enveloppe. (Ecrivant.) "Monsieur Rigolin, à la Maison d’Or."

Il se dispose à mettre la carte dans l’enveloppe.

Gentillac. — Qu’est-ce que tu lui dis ?

Fauconnet. — Tiens, lis.

Il lui tend la carte.

Gentillac, lisant. — "Nous soupons au Café Anglican avec Gentillac, viens nous retrouver. — Amène Emilie ! "

Fauconnet, qui, pendant ce qui précède, a pris l’autre carte sur la table et l’a mise dans l’enveloppe qu’il n’a pas quittée des mains, sans s’apercevoir qu’elle est adressée à Rigolin. — Ca va ?

Gentillac. — Parfait.

Scène VIII

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Les Mêmes, Joseph, puis le Chasseur

Joseph. — M. le Baron a sonné ?

Fauconnet, achevant de mettre sous enveloppe les deux lettres. — Oui !…

Joseph. — M. le Baron désire ?

Fauconnet. — Allez dire au chasseur… (à part) "M. le Baron." (haut) que le Baron Fauconnet le demande.

Joseph. — Bien, M. le Baron !

Il sort.

Gentillac. — Eh bien, dis donc… ça te gagne ?

Fauconnet. — Quoi ?

Gentillac. — Tu te donnes aussi du Baron Fauconnet ?

Fauconnet. — Où ça ? Quoi ? Mais non, mais non,… c’est pour le garçon, tu comprends… ça évite les explications… Il m’appelle Monsieur le Baron… il faudrait lui expliquer que je ne le suis pas… Alors, des "quoi ? " des "qu’est-ce ! " Tandis que moi, il m’appelle "Baron Fauconnet", je lui dis "Baron Fauconnet"… Ca ne dérange pas le service !…

Il se lève.

Gentillac. — Ah ! voilà !

Fauconnet. — Mais dame !

Gentillac, à part. — Décidément, le maître d’hôtel connaît le cœur humain !…

Il remet le buvard sur la cheminée.

Joseph, introduisant le chasseur. — Allons, va ! (Voyant le chasseur qui va à Gentillac.) Non, pas M. le Comte… M. le Baron !…

Il sort.

Gentillac, à part. — Ainsi, moi, il m’appelle Monsieur le Comte… Je sais très bien que je ne le suis pas… Eh ! bien, je ne peux pas dire… ça ne m’est pas désagréable.

Le Chasseur, à Fauconnet. — M. le Baron ?

Fauconnet. — Ah ! mon ami, vous allez me porter ces deux lettres à leur adresse !

Le chasseur. — Bien, M. le Baron.

Fauconnet. — Celle-ci à la Maison d’Or, pour M. Rigolin, qui y soupe… Vous le connaissez ?

Le chasseur. — Parfaitement, M. le Baron.

Fauconnet. — Bien !… Celle-là, c’est plus délicat ; 17, rue de Choiseul, chez moi… pour Madame Fauconnet… Personnel.

Le chasseur. — Il faudra dire qu’on la remette à Madame la Baronne ?

Fauconnet, ne comprenant pas. — A Madame… Hein ? (Saisissant.) oh ! à la… euh… oui… Mais vous n’avez pas besoin de dire : Madame la Baronne… Madame Fauconnet, ça suffira.

Le Chasseur. — On comprendra ?

Fauconnet. — Oui, oui. Ah ! si par hasard vous voyez Madame elle-même, ne dites pas que vous venez du Café Anglican… dites que vous êtes employé à ma maison de banque, et que je suis au Conseil !

Le Chasseur, indiquant sa livrée. — Mais, Monsieur, si Madame voit les lettres qui sont sur mes boutons ?…

Fauconnet. — Ah ! diable ! c’est juste : C. A…. "Café Anglican". Eh ! bien, vous direz que ça veut dire : "Conseil d’administration." (Il lui donne une pièce de monnaie.) Tenez ; voilà pour vous !

Le Chasseur. — Merci, M. le Baron !

Il sort.

Scène IX

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Fauconnet, Gentillac

Gentillac, assis dans le fauteuil. — Lui en fais-tu, des canailleries à ta pauvre femme !

Fauconnet. — Comment, des canailleries ?… Ce sont des prévenances !… Ne veux-tu pas que je la laisse dans l’inquiétude, à se faire un sang du diable, pendant que moi je m’amuse !… Ah ! bien, ça serait d’un bon mari !

Gentillac. — Il est épique !

Fauconnet, remontant à droite, second plan. — Nous ne sommes pas comme vous autres garçons : nous avons des devoirs, mon ami, nous avons des devoirs !… Mais qu’est-ce qu’elle fait donc ?… (Ouvrant la porte, appelant.) Eh bien, mignonne ?

Voix d’artémise. — Tout de suite… je fais faire un point à ma robe.

Fauconnet, redressant. — Elle fait faire un point à sa robe !… Quel petit amour ! C’est moi qui ai marché dessus, au moment de monter en voiture… et elle fait faire un point !

Gentillac. — Allons, ne fonds pas !

Fauconnet. — Ah ! mon ami ! quand tu voudras mettre la main sur une femme exquise, adresse-toi à moi !

Gentillac. — Mais laisse-moi donc tranquille, je sais bien trouver tout seul !

Fauconnet. — Oh ! Oh !

Gentillac. — Tiens, pas plus tard qu’hier, en chemin de fer, je n’ai pas eu besoin de toi !

Fauconnet. — Tu ne m’avais pas dit ça !

Gentillac. — Oui, mon cher, retour d’Auteuil, deux femmes dans le même compartiment que moi, l’une du monde, et l’autre… de chambre !

Fauconnet, s’asseyant. — Une femme de chambre ?

Gentillac. — Oui, je te la laisse ; je ne donne pas dans le torchon ! La femme du monde, délicieuse, mais une tenue… déconcertante !… je me dis : il n’y a rien à faire !

Fauconnet. — On ne sait jamais.

Gentillac. — A qui le dis-tu ? Voilà-t-il pas que, sous le tunnel des Batignolles, nous restons en panne ! Parfait, me dis-je, c’est le moment de tâter le terrain !

Fauconnet. — Moi, ce n’est pas le terrain que…

Gentillac. — Nous sommes d’accord ! Comme mes deux voyageuses qui s’étaient précipitées à la portière, avaient repris leurs places, je me suis arrangé pour me rasseoir près de ma femme du monde, et j’ai commencé discrètement, par frôler avec le coude ! On n’a rien dit, j’ai insisté…

Fauconnet. — Oui, je connais le manège !… Ta main a rencontré la sienne…

Gentillac. — Oui !

Fauconnet. — Elle l’a retirée…

Gentillac. — Non ! au contraire, elle a serré ! Et elle m’a dit tout bas : "Oui, mais prenez garde à la personne qui est avec moi ! "

Fauconnet. — Oh ! alors c’était pas une femme du monde !

Gentillac. — Pourquoi donc ça, mon ami ? Pourquoi donc ça ? C’était une femme qui a du tempérament.

Fauconnet. — Ah ! je veux bien… et alors ?

Gentillac. — Eh bien, alors, la suite à demain cinq heures, mon ami ! Terminus-Hôtel !… Tu vois que je peux me passer de toi !…

Fauconnet. — Allons, tu es bien heureux !

Scène X

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Les Mêmes, Artémise, Joseph

Voix d’Artemise. — Là ! merci, Madame !

Fauconnet, se levant vivement. — Ah ! la voilà ! Sonne, pour qu’on serve !

Gentillac. — Oui.

Il sonne.

Artemise, toujours masquée. — Je vous demande pardon de vous avoir fait attendre…

Fauconnet. — Hein ? Comment, comment, vous avez encore votre vilain domino ?

Artemise. — Mais, dame… est-ce que ?…

Gentillac. — Ah ! mais non, ah ! mais non !… sur le seuil du cabinet particulier, l’incognito perd ses droits… C’est l’endroit où les masques se soulèvent !

Fauconnet. — Ce sont nos petits bénéfices !

Artémise. — Oh ! messieurs, je vous en prie…

Fauconnet. — Oh ! mais c’est l’usage !

Joseph, entrant. — Ces Messieurs ont sonné ?

Fauconnet. — Oui, servez !

Joseph. — Bien, M. le Baron !

Il sort.

Fauconnet. — D’abord vous ne pouvez pas souper avec ce fouillis de dentelles sur la figure ! (Caressant la main de Gentillac, croyant caresser la peau d’Artémise.) Elle est décolletée !…

Gentillac. — Non, c’est ma main !

Fauconnet. — Ah !

Gentillac. — Et puis enfin, pour nous, ne sera-ce pas le meilleur régal de notre souper que de contempler le joli minois de notre belle inconnue !…

Artémise. — Oh ! non, non, tout à l’heure… ce… genre d’existence est si nouveau pour moi… j’ai si peu l’habitude.

Fauconnet. — Tu entends, hein ? tu entends ?

Artémise. — Attendez que je sois familiarisée…

Fauconnet. — Ah ! elle est adorable.

Artémise. — Je ne suis pas ce que vous croyez, vous savez. Parce que vous m’avez rencontrée au bal de l’Opéra, vous pouvez supposer que je fais partie de ces créatures…

Fauconnet. — Oh ! non ! non ! il sait… je l’ai mis au courant. Vous êtes une femme qui se venge !

Gentillac. — Oui… et qui cherche un vengeur !… Joli masque, comptez sur moi !

Fauconnet, cherche à les séparer. — Comment, sur toi ?… sur moi !…

Gentillac. — Mais non ! mais non ! N’est-ce pas, ma mignonne ?

Fauconnet, les séparant. Tu n’as pas fini, vil enjôleur ? (A Artémise.) Vous savez, ne l’écoutez pas… c’est un galantin… un coureur… pas plus tard qu’hier, en chemin de fer…

Gentillac, se défendant mollement, au fond enchanté. — Veux-tu te taire !

Fauconnet. — Oui, oui… je vais lui dire… il a rencontré une dame… et alors sous le tunnel…

Gentillac. — Allons ! Allons !

Fauconnet. — Si… si… on te connaîtra !

Artémise, curieuse. — Et alors sous le tunnel !…

Fauconnet. — Eh bien, sous le tunnel… eh bien : tararaboum, ça y est !

Artémise. — Oh !

Fauconnet. — Parfaitement… et la suite à demain, Hôtel Terminus ! Voilà l’homme, ma belle amie, voilà l’homme !

Artémise. — Quelle horreur !

Fauconnet. — Ne l’écoutez pas, je vous dis, ne l’écoutez pas. Et maintenant, enlevez votre chapeau, dites ?

Artémise, passant au milieu. — Vous voulez donc me voir rougir ?

Gentillac et Fauconnet. — Oh ! oui !… Oh ! oui !…

Gentillac. — C’est si rare en pareil lieu, des femmes qui rougissent encore !

Artémise. — Mais alors vous êtes sans pitié.

Elle défait l’épingle qui attache son voile par derrière.

Gentillac et Fauconnet. — Oui !

Gentillac. — Oui ! nous sommes sans pitié !

Il lui prend la taille.

Fauconnet, lui faisant lâcher prise. — Mais sacristi ! tu m’ennuies ! Je te dis qu’elle est à moi !

Artémise va à la cheminée.

Gentillac, voulant revenir à la charge. — Ah ! fallait pas m’inviter !

Fauconnet. — Ah ! mais tu sais, Gentillac !

Artémise, qui a défait son voile et laisse voir son visage ridicule et ridé. — Allons ! voyons, ne vous disputez pas pour moi.

Fauconnet, se retournant, ainsi que Gentillac, aux paroles d’Artémise. — Mais enfin ! (Ils restent cois à la vue d’Artémise et l’effarement se lit sur leur visage. Ils lui sourient bêtement pour dissimuler leur impression puis l’un et l’autre font la même grimace de déception.) Elle est laide !

Les yeux de Fauconnet et de Gentillac se rencontrent, ils font en se regardant un hochement de tête significatif.

Gentillac, refoulant un éclat de rire. — Je vais me laver les mains !

Il sort de droite en dissimulant le rire qui l’étouffe, Artémise s’asseoit à la table.

Scène XI

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Les Mêmes, moins Gentillac, puis Joseph

Fauconnet. — Comment ! il m’abandonne ! (Ses yeux rencontrent le visage d’Artémise. A part, découragé.) Oh ! nom de Dieu !

Artémise, souriant. — Eh bien ?

Fauconnet, souriant avec embarras. — Eh bien ! Hé ! Hé ! Enfin, nous allons souper.

Artémise. Dites-moi que vous ne me méprisez pas…

Fauconnet. — Mais non, mais non… Seulement il faut souper vivement, hein ! que nous en finissions !

Artémise. — Allons ! Soupons !

Fauconnet, s’asseyant. — C’est ça ! Voyons, qu’est-ce qu’on va manger ?

Ils sont assis, Artémise à gauche de la table, Fauconnet face au public, laissant la place en face d’Artémise libre pour Gentillac.

Artémise, s’asseyant. — Là.

Elle porte son binocle sur son nez, à la hauteur des narines.

Fauconnet, la voyant avec son binocle. — Oh ! non, le binocle c’est le coup de grâce ! Oh ! quelle tête elle a avec ça !

Artémise. — Eh bien ! sert-on ?

Fauconnet, se levant. — Hein ? Oui, ma cocotte, oui, ma cocotte !… Tenez, voilà le garçon.

Il descend à droite. Un garçon apportant des huîtres apparaît derrière Joseph. Il sert celles d’Artémise et de Fauconnet, Joseph sert celles de Gentillac. Le Garçon sort.

Joseph. — Les huîtres, Monsieur le Baron ?

Fauconnet. — C’est bien ! (Joseph, apercevant Artémise sans masque ne peut réprimer une moue qui n’échappe pas à Fauconnet, lequel n’a pas cessé de l’observer depuis son entrée. Allant à Joseph au moment où celui-ci arrive sans le voir, occupé qu’il est à considérer Artémise, brusquement.) Elle est laide, hein ?

Joseph, sursautant et se défendant de toute appréciation : — Oh !

Fauconnet, comme pour s’excuser. — J’la connais pas, vous savez, j’la connais pas ! (Joseph indique par gestes que cela ne le regarde pas.) Oh ! mais (à part) Je m’en fiche, moi, d’elle… Je ne veux pas qu’il croie que… Ah ! non !

Paraît un sommelier qui apporte le champagne et une carafe frappée ; il place la carafe sur la table et va au fond pour déboucher le champagne.

Artémise. — Eh bien ?

Fauconnet, regagnant sa place. — Hein ? voilà ! (Avec découragement.) Oh ! non !… il me semble que je soupe avec sa mère !

Joseph, à Fauconnet. — Monsieur, il ne reste plus de cailles en bellevue !

Fauconnet. — Ah ! il ne reste plus !… Ca ne fait rien !… ça ne fait rien. Vous nous donnerez un bon rumsteck aux pommes sautées. (à Artémise) Hein ! n’est-ce pas, c’est très bon ?

Artémise, avec une moue. — Hô !

Fauconnet. — Mais si !… pour la dyspepsie… c’est très sain, vous devez être dyspeptique.

Artémise. — Mais pas du tout.

Fauconnet. — Vous ne l’êtes pas ? Tiens ! Ah ! moi, je le suis… (A Joseph.) Un rumsteck, allez !…

Joseph. — Bien, M. le Baron !

Il sort. Le sommelier, qui a débouché le champagne, place la bouteille sur la table et sort.

Fauconnet. — Là ! (Il commence à manger des huîtres.) Ah ! ça ! mais qu’est-ce qu’il fait donc, Gentillac ?… En voilà une façon de nous laisser en tête-à-tête.

Artémise, tendre. — C’est peut-être par discrétion !…

Fauconnet. — Oh ! qu’est-ce qu’il croit donc ?

Artémise. — Eh ! dame !… voyons, hein ?… (cherchant son nom). Euh ! comment ?…

Fauconnet. — Quoi ?… Mon nom ?… Fauconnet.

Artémise, câline. — Non ! l’autre ? le petit ?

Fauconnet. — Ah ! Euh ! Jérôme !

Artémise. — Moi, Artémise !

Fauconnet. — Vraiment ! (avec une admiration narquoise). Ah ! charmant !

Artémise, mettant son lorgnon. — Pendant que nous sommes seuls… parlez-moi franchement.

Fauconnet, à part. — Oh !… le lorgnon !

Artémise. — J’ai besoin de le savoir. Est-ce que je vous plais ?

Fauconnet. — Quoi ? Oh ! certainement !

Artémise. — Ne dites pas certainement… dites : "oui ! "

Fauconnet. — Oui, oui !

Artémise. — Pas "oui, oui". Oui.

Fauconnet, se levant. — Mais oui !… Oh ! qu’est-ce qu’il fait donc, Gentillac ?… (Voyant Gentillac qui entre.) Eh ! arrive donc, toi !

Scène XII

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Les Mêmes, Gentillac

Gentillac. — Voilà ! Voilà ! (Il arrive d’un pas rapide. Arrivé à la hauteur d’Artémise et voyant sa figure, il fait, sans interrompre la cadence de son pas, une volte sur lui-même, les yeux au ciel, la bouche ouverte, avec une expression de navrement comique puis, quand il se retrouve face à face avec elle, il a un sourie aimable sur les lèvres.) Je vous ai fait attendre ?

Fauconnet. — Mais naturellement ! tu nous laisses là, tous les deux !… Comme c’est amusant !…

Artémise. — Ah ! ce n’est pas gentil, ce que vous dites là !

Fauconnet. — Non, non, mais vous comprenez bien ce que je veux dire… c’est pour le souper !

Gentillac. — Naturellement ! (bas). Je te félicite sur ta perle !

Fauconnet. — Oh ! je suis déshonoré !

Gentillac, voyant le lorgnon d’Artémise. — Qu’est-ce qui lui a donc poussé sur le nez ?

Fauconnet. — Je crois que c’est son binocle. Dis donc, c’est toi qui vas la ramener, n’est-ce pas ?

Gentillac. — Moi ? Jamais de la vie !

Fauconnet. — Comment ! Jamais de la vie ?

Gentillac. — Ah ! mais pas du tout !

Fauconnet. — Alors, quoi ! Ca va être moi, peut-être ?

Gentillac. — Mais dame ! Quoi, c’est toi qui l’as amenée !

Fauconnet. — Eh bien, justement !… je l’ai amenée, à toi de la ramener.

Gentillac. — Turlututu ! Ca te regarde, mon bonhomme !

Fauconnet. — C’est ça !… Alors j’ai tout, moi, n’est-ce pas ?

Gentillac. — Absolument !

Artémise. — Ah ! çà ! qu’est-ce que vous avez à vous chamailler comme ça tout bas ?

Fauconnet. — Rien, nous discutons à celui qui vous reconduira…

Artémise. — Oh ! c’est trop gentil de vous disputer pour ça… Mon Dieu, je regrette, mon cher monsieur Gentillac, mais il me paraît plus naturel que ce soit monsieur !

Elle indique Fauconnet.

Gentillac. — Là, tu vois !

Fauconnet. — Hein ? Mais non, mais non, c’est bien aimable, mais je vous assure qu’étant donné ma situation !…

Artémise. — Comment !…

Fauconnet. — Oui… je suis marié… ça n’a donc rien de personnel. D’ailleurs je l’avais dit, même avant que vous n’enleviez votre domino, ainsi…

Artémise. — Hein ?

Gentillac. — Charmant.

Fauconnet. — Non, ce n’est pas ce que je voulais dire !

Gentillac. — Laisse donc, laisse donc ! Tu ne dis pas ce que tu penses !… Il en grille d’envie, madame… Seulement il veut se sacrifier pour moi.

Artémise. — Vraiment !

Fauconnet. — Mais non, mais non !

Gentillac. — Mais si, mais si… Eh bien, je n’accepte pas ton sacrifice… Tu reconduiras Madame.

Artémise. — Parfaitement !

Fauconnet. — Oh !

Gentillac. — Allons ! c’est dit ; soupons !

Fauconnet. — Tu sais, tu me paieras ça, toi !

Gentillac. — Mais non, ne me remercie pas !

Ils s’asseyent.

Fauconnet, se versant de la tisane de champagne, à part. — Oh ! je la fourre en fiacre, je la colle chez elle… et quand elle me reverra !… (buvant). Pouah ! cette tisane est chaude !…

Gentillac. — Eh bien ! tu as une carafe frappée à côté de toi… tu peux y mettre ton champagne. C’est fait pour ça !

Il verse le contenu de la bouteille dans la carafe.

Fauconnet. — Allons, mangeons vite, ma cocotte. Si je dois vous reconduire, je ne tiens pas à être encore ici à trois heures du matin !

Artémise. — Nous partirons quand vous voudrez, Jérôme !

Gentillac. — "Jérôme ! " Ah ! Ah ! vous en êtes déjà aux petits noms !

Artémise. — Eh ! mon Dieu, oui, pendant que vous étiez en train de vous laver les mains, monsieur m’a fait sa déclaration.

Fauconnet. — Moi ?

Gentillac. — Voyez-vous le gros cachottier à sa mémère !

Fauconnet. — Mais non ! Une déclaration ? J’ai répondu à un interrogatoire.

Artémise. — Mais à quoi bon dissimuler ! Est-ce que je dissimule, moi ?

Gentillac, à part. — Oh ! non !

Artémise. — Voyez-vous, je suis une femme tout d’une pièce… Jusqu’à ce jour je m’étais fait une règle d’être une femme modèle, une épouse vertueuse !…

Fauconnet. — Oui… ça va bien !… (à Gentillac) sonne donc pour le rumsteck !

Gentillac sonne.

Artémise. — Je l’ai été jusqu’à l’exagération !

Gentillac. — Ah ! c’est la suite !

Artémise. — Et dire que pendant ce temps, le misérable me trompait ! Enfin, que répondez-vous à ça ?

Fauconnet, qui, agacé, ne porte aucune attention aux lamentations d’Artémise et qui, le nez dans son verre, boit distraitement un peu de champagne qu’il s’est servi. — Ah ! il gagne a être refroidi !

Artémise. — Mon mari ?

Fauconnet - Hein ? Ah ! non, non, non, je parle du champagne ! Je… je ne répondais pas à ce que vous disiez.

Scène XIII

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Les Mêmes, Joseph et deux garçons

Joseph, apportant le rumsteck. — Ces Messieurs ont sonné ?

Il présente le plat à Fauconnet.

Fauconnet. — Oui… c’était pour le rumsteck.

Joseph va découper au fond.

Artémise. — Mais, enfin, qu’est-ce que vous en pensez ?

Fauconnet, sans conviction. — Eh bien oui… c’est dur !… c’est dur !… (Brusquement à Gentillac, tournant le dos à Artémise.) Et alors, cette affaire en question, voyons ?… Expose-moi un peu ça…

Gentillac. — Ah ! bien voilà… euh !…

Artémise, piquée - Je vous ennuie ?

Fauconnet. — Du tout, mon toutou ! Mais nous avons à causer affaires avec Gentillac… C’est même pour ça que nous nous sommes réunis à souper… alors, vous comprenez !

Artémise, piquée. — Bien, bien !

Fauconnet, tourné du côté de Gentillac. — Donc, tu dis ?

Entrée des garçons qui changent les assiettes.

Gentillac. — Eh bien, je dis, n’est-ce pas, que mon système est très simple !

Fauconnet. — Oui, tu as supprimé les rails dans les chemins de fer.

Gentillac. — Non, c’est-à-dire que j’ai supprimé les lignes ferrées !

Joseph passe le rumsteck aux personnes pendant la conversation.

Artémise, se servant. — Merci !

Gentillac, pendant que Fauconnet se sert. — Mais les rails existent toujours, ils ne sont plus sur la voie, mais ils font partie du train.

Fauconnet, qui s’est servi. — Comprends pas bien !

Gentillac, se servant. — Tu vas comprendre ! Chaque voiture, y compris la locomotive, a ses rails indépendants.

Artémise, interrompant. — Dites-moi… voulez-vous…

Fauconnet, sans tourner la tête, lui tapotant dans la main. — Tsse ! Tsse ! Oui, ma cocotte ! oui, ma cocotte ! (A Gentillac.) où les mets-tu, ces rails indépendants ?

Gentillac. — Eh bien ! sous chaque wagon et sous la machine !

Joseph, après avoir servi le rumsteck, pose le plat au fond, prend la mantille qu’Artémise a laissée sur la cheminée, la porte dans le cabinet de droite, puis sort par le fond.

Artémise, voulant parler. — Euh ! je…

Fauconnet, agacé, même jeu que précédemment. — Mais oui, mon toutou, mais oui ! Mange !

Gentillac. — Figure-toi une espèce de navette, quoi !… dont la rapidité d’allure est en rapport direct de la vitesse du convoi…

Artémise. — Enfin ?

Fauconnet. — Mais quoi ?

Artémise. — Mais je voudrais du sel.

Fauconnet. — Eh ! voilà, mon Dieu ! Vous avez une façon de causer affaires ! (Il lui passe du sel. A Gentillac.) Mon Dieu, oui… Comme ça, à raconter, ça me paraît ingénieux, mais il me semble qu’on ne peut aller qu’en terrain plat, avec ton système… Si la route est accidentée… par exemple, tu as un chemin qui monte… qui descend…

Gentillac. — Hein… Si ? Eh bien, je ne le prends pas !

Fauconnet. — Mais alors ?

Gentillac. — Quoi, mais alors… (Se levant sans quitter sa place, d’un ton boudeur.) Non, tu comprends que si tu vas chercher la petite bête… il n’y a pas une invention qui résiste.

Artémise tend son verre. Il se rassied à califourchon sur sa chaise, par conséquent le dos à la table.

Fauconnet, prenant sa chaise et allant s’asseoir en face de lui. — Enfin, voyons, tu es bon… Ton affaire, c’est pour l’appliquer… Si, du premier coup, je découvre une lacune, qu’est-ce que ce sera le jour où nous arriverons à la pratique ? Ca tombera tout seul ! Et tu veux que je risque mes capitaux là-dedans, ah ! non !

Gentillac, désarçonné. — Mais alors quoi ?

Fauconnet. — Eh bien ! nous ferons une société anonyme… Nous autres nous y gagnerons toujours,… mais ça ne vaut rien.

Il se lève et rapporte sa chaise.

Artémise. — Voulez-vous me donner un peu de tisane ?

Fauconnet, prenant distraitement la carafe à eau et servant Artémise sans la regarder, tout en continuant de parler. — Regarde donc… si seulement un des rails casse… ou si une des roues se déboîte…

Artemise. — Mais non, voyons… vous me servez de l’eau.

Fauconnet. — Oh ! pardon !

Artémise. — Ah ! écoutez ! non, vous n’êtes pas amusants !

Fauconnet, debout. — Allons, mon toutou !

Gentillac, se levant. — D’ailleurs, dis donc, j’ai là, dans la poche de mon paletot, tout un projet détaillé, avec figures…

Fauconnet. — Eh bien ! va le chercher !

Scène XIV

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Les Mêmes, Joseph

Joseph. — Monsieur, il y a deux personnes qui demandent le cabinet de M. Fauconnet.

Fauconnet. — Ah ! faites entrer ! (Joseph sort.) C’est Rigolin et sa petite !

Gentillac. — Oui ! Je vais chercher mon papier.

Il entre dans le cabinet de droite.

Fauconnet, à Artémise. — Eh bien, voyons, mon Toutou ! Alors, on m’en veut ?

Artémise, en se levant et gagnant la droite. — Oh ! allez, je vois bien… Vous me méprisez !

Fauconnet. — Oh ! mais non, voyons. Quelle idée, Artémise !

Il la prend dans ses bras.

Artémise. — Oh ! c’est mal ! c’est bien mal !

Fauconnet, lui tapant dans le dos pour la consoler. — Mais non, voyons ! allons ! allons ! hein ?

Artémise. — Ah !

Fauconnet, à part. — Tout de même, ma femme entrerait en ce moment… (haut). Allons, Artémise !

Scène XV

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Les Mêmes, Clarisse et Emilie, introduites par Joseph

Joseph. — C’est ici !

Joseph sort.

Clarisse. — Merci !

Fauconnet, se retournant. — Dis donc, Rigolin…. Ma femme !

Clarisse, stupéfaite en voyant son mari une femme dans les bras. — Ah !

Artémise. — Sa femme !

Clarisse. — Ah ! çà !… qu’est-ce que vous faites là ?

Fauconnet, cherchant Gentillac. — Sa femme ! c’est sa femme ! où est-il, où est-il ?

Clarisse. — Qui ça !

Fauconnet. — Gentillac ! C’est sa femme ! (à Artémise) Et ça va mieux, ça va mieux ?

Artémise. — Quoi ?

Fauconnet. — Le petit os ! (à Clarisse). Elle avait avalé un petit os… Alors je lui tapais dans le dos !… n’est-ce pas ?

Artémise. — Oui, oui !

Fauconnet, représentant. — Ma femme. Mme Gentillac ! une vieille, vieille amie. (Les femmes se saluent.) Mais elle n’est pas à moi… Son mari est allé lui chercher de l’eau… pour l’os…

Clarisse. — Ah ! çà ! qu’est-ce que vous racontez ?

Fauconnet. — Mais la vérité, chère amie, la vérité (appelant) Gentillac ! Gentillac !

Voix de Gentillac. — Voilà !

Fauconnet. — Tu vois, il répond !… il répond… c’est l’ami dont je t’ai parlé. Ah ! bien je suis content de te voir. Qu’est-ce que tu viens faire ici ?

Clarisse. — Mais dame ! tu m’écris : "Nous soupons au Café Anglican avec Gentillac… viens nous y retrouver ! "

Fauconnet, à part. — Sapristi !

Clarisse. — "Amène Emilie…"

Fauconnet, à part. — Je me suis trompé d’enveloppe ! (haut) Oui, oui !

Emilie. — Monsieur a été bien bon de penser à moi… seulement, j’étais au lit…

Fauconnet. — Ah !…

Clarisse. — Mais oui… et moi j’allais me coucher… Quelle idée t’a pris de nous faire venir ?

Fauconnet. — Eh bien ! voilà !… Tu as une petite tache…

Clarisse. — Ca ne fait rien !

Fauconnet. — Notre Conseil d’Administration a duré moins longtemps que je ne pensais, n’est-ce pas… J’ai dit à Gentillac : "Viens-tu souper avec moi ! " Il m’a répondu : "Je ne peux pas, j’ai ma femme !… Eh ! bien, amène-la, ai-je donc dit… et je dis donc : "J’envoie un mot à la mienne pour qu’elle vienne…" Et voilà comment je t’ai écrit…

Clarisse. — Ca c’est gentil… Mais pourquoi m’avoir fait amener Emilie ? j’ai dû la faire lever.

Fauconnet. — Tiens ! c’est de la poudre !… pour que tu ne viennes pas seule à cette heure-ci. Et j’ai… j’ai pensé que ça l’amuserait, cette fille, de voir comment on sert dans les grands restaurants…

Emilie. — Ah ! bien, à cette heure-ci, c’est une drôle d’idée !… Je ne tiens pas à m’amuser, moi, quand je dors !

Fauconnet. — C’est une occasion d’apprendre le service !

Emilie. — Oh ! mais je connais déjà les principes, Monsieur, j’ai un cousin qui était omnibus au Lion d’Or !

Fauconnet. — Ainsi, voyez ! Elle a un omnibus dans sa famille !… Un omnibus de famille !

Emilie. — Le fils de ma tante, même, la sœur à maman…

Fauconnet. — Autrement dit, votre cousin germain.

Emilie. — Non, mon cousin Thomas !

Fauconnet. — Si vous voulez… elle est bête… Et maintenant… ohé ! ohé ! je crois que nous pouvons nous en aller, hein ?

Il remonte.

Clarisse. — Comment, c’est pour ça que tu nous as fait venir ?

Fauconnet. — Hum ! Mais non… je veux dire : nous allons souper vite, et puis, ohé ! ohé ! nous en aller.

Clarisse. — Ah ! bon ! (allant à Artémise) Mon mari m’a beaucoup parlé de monsieur votre mari, Madame !

Artémise. — Ah ! Ah ! vraiment !

Fauconnet. — Oui, oui !

Clarisse. — Ils sont anciens camarades de collège, à ce qu’il m’a appris.

Artémise. — Ah !

Fauconnet. — Oui, oui !

Clarisse. — Mais Jérôme ne m’avait pas dit que monsieur Gentillac fut marié… J’en suis fort aise, d’ailleurs, car cela nous permettra d’entrer en relations.

Artémise. — Mais certainement, Madame.

Fauconnet, à part. — Oh ! là, là… oh ! là, là !

Clarisse. — Votre petit os ne vous fait plus mal ?

Artémise. — Du tout, du tout !

Clarisse. — Ah ! tant mieux !

Emilie, à part. — Si c’est pour voir tout ça qu’on m’a fait lever…

Scène XVI

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Les Mêmes, Gentillac

Gentillac, un papier à la main. — Voilà !… il avait glissé dans la doublure.

Fauconnet, allant à Gentillac. — Ah ! tiens, voilà Gentillac… Tu vois que je ne l’avais pas inventé ! (Présentant.) Ma femme !…

Gentillac. — Comment ta ?… (Reconnaissant Clarisse, à part.) Ma dame du chemin de fer !

Emilie, à part. — Ah ! le monsieur du train…

Gentillac, saluant, embarrassé. — Madame !

Clarisse. — Monsieur !… Votre figure ne m’est pas inconnue, Monsieur,. Si je ne me trompe, nous avons voyagé hier ensemble dans le chemin de fer de ceinture !

Gentillac. — Dieu !

Artémise. — Hein ?

Fauconnet, bondissant. — Qu’est-ce que tu as dit ? Qu’est-ce que tu as dit ?

Clarisse. — J’ai dit que j’ai voyagé avec monsieur, en revenant d’Auteuil.

Emilie. — Oui, oui, madame, c’est monsieur… (à Gentillac). Bonjour, monsieur !

Fauconnet, sautant à la gorge de Gentillac. — Ah ! tu as voyagé ! Ah ! monstre ! Ah ! scélérat ! Ah ! traître !

Tous. — Ah ! mon Dieu !

Gentillac. — Fauconnet, laisse-moi t’expliquer…

Fauconnet. — Rien du tout !…

Clarisse. — Mais qu’est-ce qui te prend ?

Fauconnet. — Taisez-vous, madame, vous n’avez plus le droit d’élever la parole !

Clarisse. — Hein !

Fauconnet. — Oh ! mais j’aurai votre vie ! Nous nous battrons !

Gentillac. — Mais voyons !

Fauconnet. — Inutile ! Où est mon chapeau ? Dans le cabinet de toilette.

Il se dirige vers la droite.

Gentillac. — Mais…

Fauconnet. — Sortons ! Monsieur !

Gentillac. — Eh ! bien, sortons !

Ils entrent tous deux dans le cabinet de toilette, où on entend le bruit de leurs voix.

Artémise, se dirigeant du côté où ils sont sortis. — Mon Dieu, ils vont s’étrangler !

Clarisse. — Mais qu’est-ce qu’il a, Madame ?

Artémise. — Il y a que monsieur Gentillac a conté à votre mari toute l’histoire du chemin de fer.

Clarisse. — Toute l’histoire ?

Artémise. — Il sait tout ! Ah ! mon Dieu, mon Dieu !

Elle disparaît à droite et sa voix se mêle confusément à celle des deux hommes.

Clarisse. — Toute l’histoire ! Mais quelle histoire ? il n’y a pas eu d’histoire.

Gentillac, sortant, son chapeau sur la tête, la cravate défaite, répondant à Fauconnet, qu’on ne voit pas. — Eh ! bien, soit, demain ! (descendant à Clarisse). Ah ! madame, pourquoi êtes-vous allée parler à votre mari de notre rencontre en chemin de fer ?…

Clarisse. — Et où est le mal ?

Gentillac. — Eh ! le mal, c’est que moi ne supposant pas… je lui ai tout raconté.

Clarisse. — Tout quoi ?

Gentillac. — Tout ce qui s’est passé !

Clarisse. — Mais il ne s’est rien passé, monsieur !

Gentillac. — Comment, il ne s’est rien passé !

Clarisse, entrant à droite et à son mari qu’on ne voit pas. — Ah ! Jérôme, mais c’est une infamie !…

Voix de Fauconnet. — Oh ! inutile de me raconter des histoires !

La porte se referme, on n’entend que des bruits de voix en sourdine.

Gentillac. — C’est à moi qu’elle vient dire ça !

Emilie, descendant à Gentillac. — Ah ! çà ! qu’est-ce qui se passe ?

Gentillac. — Ah ! allez vous promener, vous !

Emilie. — Ah ! vous n’êtes pas gentil ! Vous savez, j’irai pas demain au Terminus Hôtel.

Gentillac, bondissant. — Qu’est-ce que vous avez dit ? Qu’est-ce que vous avez dit ?

Emilie, effrayée. — Ah ! mon Dieu !

Gentillac, allant à la porte de droite et l’ouvrant brutalement. — Venez tous !… Allons, venez ! je vous dis de venir. (Tout le monde étonné redescend en continuant à parler ensemble.) Chut !… silence !… taisez-vous ! (On se tait. A Emilie.) Et toi, parle maintenant !… Qu’est-ce que tu viens de me dire ?

Emilie. — Mais rien, Monsieur.

Gentillac. — Si, si, tu viens de me le dire à moi, à l’instant.

Emilie. — Ah ! bien, tiens ! oui, mais pas devant le monde.

Gentillac. — Veux-tu répéter, ou je t’étrangle !

Emilie. — Non, non !… j’ai dit : "Vous savez, j’irai pas demain au Terminus Hôtel ! "

Tous. — Hein !

Gentillac, la secouant. — Et alors la personne que j’avais prise dans l’obscurité pour ta maîtresse et qui était venue s’asseoir près de moi sous le tunnel… Allons, parle !

Emilie, sanglotant. — Je suis elle, Monsieur, je suis elle.

Elle prononce je sui elle.

Gentillac, la repoussant au point qu’elle manque de tomber. — Allons donc ! Eh bien, comprenez-vous, maintenant ?

Fauconnet. — Ah ! Dieu soit loué, oui !

Gentillac. — Ah ! madame, me pardonnez-vous d’avoir pu supposer un instant…

Clarisse. — Ah ! monsieur, c’est indigne, un galant homme aller ainsi à la légère compromettre une femme, par forfanterie, pour se vanter d’une soi-disant bonne fortune, qui aboutit à quoi, à une conquête d’escalier de service !… (à ce moment Emilie, assise à la cheminée, se mouche bruyamment.) Qu’est-ce que c’est que ça ?

Fauconnet. — Rien… elle se mouche…

Clarisse. — Et devant qui allez-vous vous vanter encore ?… Devant votre femme !…

Gentillac. — Ma femme !… Quelle femme ?

Clarisse, indiquant Artémise. — Madame.

Artémise et Fauconnet. — Aïe !

Gentillac. — Elle !… mais ce n’est pas ma femme ! Est-ce que je la connais ? Je ne sais même pas son nom.

Il remonte pour redescendre à droite et s’asseoir au piano.

Fauconnet, à part. — Ah ! le pleutre !

Clarisse, à Fauconnet. — Hein ! Comment, Monsieur, vous m’avez dit…

Fauconnet. — Non, je vais t’expliquer.

Clarisse. — Vous mentez !… Je comprends tout !… Ah ! ah ! vous étiez donc en fête, monsieur Fauconnet !

Fauconnet. — Mais…

Clarisse. — Pendant que je vous crois à votre conseil d’Administration, vous soupez avec des courtisanes !

Artémise. — Hein !

Clarisse. — Et quelles courtisanes ! Des vieilles courtisanes !

Artémise. — Madame !

Clarisse. — Ah ! non ! non ! c’est à mourir de rire. Voilà pour qui on nous trompe, tenez ! Non, il en faut du vice !

Fauconnet. — Clarisse !

Artémise, à Gentillac, assis au piano. — Monsieur, me laisserez-vous insulter plus longtemps !

Gentillac. — Ah ! ma bonne dame ! j’ai autre chose à penser.

Artémise. — C’est bien, Monsieur, je croyais avoir affaire à de hommes du monde ! Je n’ai plus qu’à m’en aller… Où est ma mantille ?

Gentillac, très aimable. — Par là, la sortie, madame !

Elle entre à droite.

Clarisse. — Ah ! on vous en donnera des parties fines, M. Fauconnet.

Fauconnet. — Clarisse !

Clarisse, remontant à gauche. — Et ce n’est pas assez de ses orgies, il a encore le cynisme de m’y inviter.

Fauconnet. — Moi ?

Clarisse. — Oui, avec ma bonne !

Elle redescend à droite.

Fauconnet. — Oh !

Gentillac. — Voyons, Madame…

Clarisse. — Ah ! vous !… vous faites un joli métier !

Elle gagne la gauche.

Scène XVII

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Les Mêmes, Rigolin, Bamboche

Bamboche, paraissant au fond avec Rigolin. — Nous revoilà ! ohé ! ohé !…

Rigolin. — Dis donc, Fauconnet ! Pourquoi m’écris-tu de ne pas t’attendre et d’aller me coucher en m’appelant "Ma chérie" ?

Fauconnet. — Hein !

Clarisse. — Il vous a écrit ça ?

Rigolin. — Mais oui, ma belle enfant, tenez !

Il lui tend la lettre.

Fauconnet. — Rigolin !

Rigolin, considérant Clarisse. — Charmante, ta petite recrue du bal de l’Opéra !

Il lui prend la taille.

Clarisse. — Monsieur !

Elle lui donne un soufflet.

Fauconnet. — Malheureux ! c’est ma femme !

Rigolin. — Diable ! (Saluant Clarisse.) Enchanté, Madame !

Clarisse. — Oui, monsieur, sa femme… sa femme qui est enchantée également de tout ce qu’elle apprend… Ah ! Ah ! c’est au bal de l’Opéra que vous êtes allé chercher votre tendron…

Fauconnet. — Clarisse !

Clarisse, à Rigolin. — Et maintenant, Monsieur, que je vous rende votre lettre. Non, pas celle-là… "Ne m’attends pas, couche-toi…" c’était pour moi… (Tirant l’autre carte de sa poche.) Mais ceci : "Nous soupons au Café Anglican avec Gentillac, viens nous retrouver. Amène Emilie". Emilie c’est Madame, sans doute ?

Bamboche, descendant. — Euh… Oui, Madame.

Clarisse. — N’est-ce pas ?…Oui ! Moi, j’avais cru que c’était ma bonne. (Bamboche remonte. Remettant la lettre à Rigolin.) Eh ! bien, c’est pour vous.

Rigolin remonte vers Bamboche.

Fauconnet. — Là ?… tout est arrangé !

Clarisse. — Allez, Monsieur ! Passez devant ! Nous nous expliquerons à la maison.

Fauconnet. — Oui, chérie.

Il passe devant.

Clarisse, à Emilie. — Venez, Emilie !

Emilie. — Si ça valait la peine de me faire lever !

Ils sortent.

Scène XVIII

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Gentillac, Rigolin, Bamboche, puis Artémise

Ils se regardent, puis éclatent de rire.

Gentillac. — En voilà une histoire !

Rigolin. — Ah ! bien, j’ai fait un joli coup !… j’ai cru que c’était son gibier de l’Opéra…

Gentillac. — Eh ! non, malheureux… il est là, son gibier… Il est même faisandé.

Il indique le cabinet de toilette.

Rigolin. — Là… ?

Gentillac. — Oui… Tiens, le voilà !

Artémise sort, la figure presque entièrement recouverte de sa dentelle.

Artémise, à Gentillac. — Et maintenant, je pars !

Rigolin. — Ah ! te voilà, joli masque…

Il lui prend la taille.

Artémise. — Mon neveu !

Elle découvre son visage.

Rigolin. — Ma tante Marjevol !

Bamboche et Gentillac. — Sa tante !

Rigolin. — Ma tante, ici !

Artémise. — Mon neveu… donnez votre carte à monsieur.

Elle indique Gentillac et descend à gauche.

Rigolin. — Ah ! lui ?… mais il me connaît.

Artémise. — Je vous dis de donner votre carte. Monsieur m’a insultée !… Si vous voulez rester mon neveu, faites ce que je vous dis.

Rigolin. — Diable ! (à Gentillac ; bas). Dis donc… voilà ma carte puisqu’elle le veut… Nous arrangerons ça à l’amiable.

Artémise. — Vous tuerez Monsieur !

Rigolin. — C’est ce que je lui disais…

Gentillac, regardant la carte. — Tiens, tu as donc déménagé ?

Rigolin. — Oui, c’était trop cher par là.

Artémise. — Et maintenant vous allez me ramener chez moi.

Rigolin. — Oui, ma tante ! (à part) Quelle corvée !

Artémise, à Rigolin. — Venez !…

Elle passe devant.

Bamboche. — Eh ! bien, et moi ?

Rigolin. — Ah ! oui… Gentillac, je te la confie.

Artémise, du dehors. — Eh bien, mon neveu !

Rigolin. — Voilà, ma tante ! (rageant) Oh !… (Il sort en répétant.) Quinze cent mille francs ! Quinze cent mille francs !

Bamboche et Gentillac se regardent.

Bamboche. -… Et alors ?…

Gentillac. — Eh bien, alors, voilà !

Il s’assied et lui prend les deux mains.

Bamboche. — Dites donc… je ne pensais pas qu’on finirait tous les deux ce soir !

Gentillac. — Non, hein !… ça ne t’ennuie pas ?…

Bamboche. — Oh ! non… seulement… faudra pas le dire à Rigolin…

Gentillac. — T’es bête !…

Il l’attire sur ses genoux.

Bamboche, tapotant avec ses deux mains sur les joues de Gentillac. — Ouh ! coco ! (Puis rejetant sa tête en arrière sur l’épaule de Gentillac avec le ton profond d’un philosophe.) Ah ! c’est drôle, la vie !

RIDEAU