Rythmes pittoresquesAlphonse Lemerre, éditeur (p. 106-108).


SONATE



PRÉLUDE



Les douces lampes veillent
Sur le frissonnant calme des tentures
Et les coussins profonds comme l’oubli
Se font complices de notre langueur.

Quel charme dans la muette sérénade
Des guitares frôlées par nos cœurs émus
Sous les balcons des Extases !

Et ces baisers tristes à force de tendresse
Sont comme les humides pétales des nénuphars
S’évanouissant


Sur l’inextinguible soif de nos âmes —
Accourues au rendez-vous
De ces baisers tristes à force de tendresse, —

Ne commettons pas la faute
De ravir l’amoureuse proie
Au Sphinx adorable des minutes futures.

Vois le gracieux Léthé de lumière
Caresser la soie des tentures.
(Rinforzando)
Invincible l’étreinte
Et plus sonores les arpèges aux Harpes
Qui sommeillaient
Dans le frissonnant calme des tentures.

De quelles invisibles cassolettes
Monte ce parfum de pourpres roses ?
Et la hantise inquiète des œillets rosés ?…
...............
Le Rêve conquérant
A soumis nos rebelles vouloirs.
(Fugue)
Ors fulgurants des torches,
Chevelures ardentes des célestes Monstres ;
Flammes d’azur, flammes violettes
Et rouges flammes des bûchers ;


Cimballums stridents et grondantes orgues
Unissent l’héroïque éclat de leurs accords
Aux larges pleurs des violoncelles.
 
Tandis que d’un fabuleux firmament
Tombent en avalanche
De grands lys odorants aux cœurs jaunes
Au milieu de tons mauves suaves jusqu’aux larmes
Et de lilas évanouis.

(Dolce rittard.)

N’est-ce point l’instant
Immortel ?
Et les âpres portes
Du Réel
Vont-elles se rouvrir
Encore ?
 
Cette demi-mort
Que n’est-elle
La grande, l’auguste Mort
Si belle !

2 avril 1890.