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RUSKIN ET LA VIE[1]

I
DE L’ESTHÉTIQUE À LA PRÉDICATION


I

Dans un des livres les plus lyriques de ce temps, M. Maurice Barrès, appelant à Venise les fantômes de neuf illustres voyageurs qui, de France, d’Angleterre et d’Allemagne, s’y succédèrent au cours du dernier siècle, proposait à la ville idéale cette compagnie pour conseil immortel, des Dix. Il réservait la dixième place, et ce n’est pas à Ruskin qu’il songeait à la donner. Les rêves et les pensées der Ruskin à Venise sont plus mémorables, peut-être, que ceux du Léopold Robert qui siège en cette assemblée, mais leur ordre était singulier. L’Angleterre en fut influencée pour longtemps, mais, seule, cette Angleterre industrielle et puritaine pouvait les comprendre.

À Venise, dès 1849, Ruskin se posa les deux questions suivantes : Quelle qualité d’âme et de vie collectives ont produit la splendeur d’une telle architecture et, réciproquement, quelles influences une telle architecture a-t-elle exercées sur l’âme de ses artistes et de ses ouvriers ?

Le problème d’esthétique se résolvait en un problème de morale, et de morale sociale. En un problème très actuel, très pressant, et qui le détourna dès lors de l’esthétique pure et le prit tout entier. Le bonheur et la beauté, les harmonies du passé dont témoignaient toutes les pierres de Venise lui rendaient plus sensibles la tristesse, la laideur et les désordres du présent. L’artisan vénitien du XVe siècle le faisait réfléchir à l’ouvrier anglais de Birmingham et de Manchester. Il eut pitié de l’âme de cet ouvrier jusqu’à ne plus pouvoir penser à autre chose. Il voyait que le travail industriel moderne, soumis aux seules lois insensibles de la concurrence, est antagoniste de la vie, qu’il détruit ou dégrade chez l’homme les forces divines qui sont ses valeurs absolues, et que, pour le sauver, c’est toute une éthique sociale, toute une nouvelle économie politique fondée sur la notion de ces valeurs qu’il faut prêcher au monde industriel moderne.

Il découvrait ce qu’il appela sa mission ; l’idée qui dirigea la seconde et principale partie de sa vie commençait à le posséder. Il écrivit ces Pierres de Venise, dont Carlyle, avant lui défenseur de l’âme contre le « Mammonisme » régnant, lui dit dans une lettre : « Un étrange, un inattendu et, me semble-t-il, un excellent et très vrai sermon sur les pierres,… et qui m’est un signe singulier des temps. »


II

À Venise, comme ailleurs, la contemplation de l’œuvre d’art le conduisait à la méditation du bien et du mal. Mais bien plus que la peinture, c’est un art social que celui de l’architecte : les églises et les palais de Venise lui parlèrent du bien et du mal d’un peuple. Leur splendeur signifiait religion, vertus domestiques, constance, gravité des âmes, rectitude des vies, dévouement à la cité et aux idées communes. Cette merveilleuse floraison de pierre, quel courage et quelle patience l’a fait lever de la mouvante lagune et de la vase primitive et sans force ? Quelle foi a peuplé ce ciel d’une forêt de campaniles dont les voix glissant au-dessus des rues liquides chantent la gloire de tous les saints locaux ? Quel religieux orgueil de la cité a dressé au cœur magnifique de Venise, au pied du palais de ses doges, devant le quai de marbre d’où ses rouges galions s’élançaient pour la croisade et la conquête, deux piliers antiques de granit, portant haut le lion de Saint-Marc et la statue de Saint-Théodore ? Quel art sincère, sérieux, profond, dévoué à Dieu, a sculpté ces tombes du XIVe siècle, ces statues sévères d’évêques et de doges, ces mains jointes pour la prière, ces paupières closes, ces profils rigoureux et simples, tant de figures où s’attestent la hauteur et la gravité des âmes, leur énergie et leur fidélité au devoir ? Quelle invention nourrie d’enthousiasme et de piété a couvert les murs de marbres polychromes, a prodigué pour les colonnes le jaspe, l’albâtre et le porphyre, et pour les chapiteaux, sculpté la pierre profonde en richesse de palmes, de raisins et de grenades, de roses et de lys, d’oiseaux et de quadrupèdes, en profusion de figures symboliques dont chacune contient un sens civique ou religieux, — rêvé tant d’architectures de rythme vivant, de couleur ardente comme la flamme, d’architectures diverses où le pilier grec et l’arche romaine s’unissent à l’ogive arabe, « la force de Japhet à la spiritualité de Sem, » — rêvé surtout cette fabuleuse basilique de Saint-Marc, cette confuse et radieuse vision, nuancée comme l’arc-en-ciel, qui monte en monceau de perles et d’opales, d’or et de saphirs, mais où l’œil reconnaît des harmonies riches et subtiles, des cadences et des balancemens de musique, et, peu à peu, dans une innombrable floraison de signes mystiques, des figures d’anges, toutes les images du ciel et de la terre, des travaux humains, une chaîne infiniment diverse de langage et de vie ?

Notre Philippe de Commynes la vit, cette Venise, vers le temps où sa force en même temps que sa splendeur commençaient à baisser. Et pourtant, comme Ruskin, dans la même page où il décrit sa beauté, il loue sa sagesse et sa religion :


Chascun me feit asseoir au meillieu de ces deux ambassadeurs qui est l’honneur d’Italie que d’estre au meillieu, et me menèrent au long de la grant rue, qu’ils appellent le Canal Grant, et est bien large. Les galles y passent à travers, et y ay veu navires de quatre cens tonneaux, ou plus, près des maisons : et est la plus belle rue que je croy qui soit en tout le monde, et la mieulx maisonnée, et va le long de la ville. Les maisons sont fort grandes et haultes, et de bonne pierre, et les anciennes toutes painctes ; les aultres faictes depuis cent ans : toutes ont le devant de marbre blanc, qui leur vient d’Istrie, à cent mils de là, et encore maincte grant pièce de porphire et de sarpentine sur le devant… C’est la plus triumphante cité que j’aye jamais veue et qui plus faict d’honneur à ambassadeurs et estrangiers, et qui plus saigement se gouverne, et où le service de Dieu est le plus solennellement faict : et encores qu’il y peust bien avoir d’aultres fault’es, si je croy que Dieu les a en ayde pour la révérence qu’ilz portent au service de l’Église.

En 1495, quand Commynes entra dans Venise, c’était déjà la décadence, mais l’impérissable beauté attestait comme aujourd’hui l’âme qu’elle avait eue, sa religion, laquelle n’était pas encore tout à fait pétrifiée. De cette âme s’étaient nourries « les sept lampes spirituelles de l’architecture, » dont les noms sont : Sacrifice, Vérité, Puissance, Beauté, Vie, Mémoire, Obéissance.

Car les anciens hommes de Venise croyaient véritablement au jugement ; ils espéraient le royaume du ciel. Pour attester et glorifier leur Christ, ils donnaient avec joie leurs richesses et leurs peines. Honorables et sincères étaient les œuvres qu’ils offraient à Dieu, façonnées de leurs mains, la machine n’ayant pas encore appris ses mensonges à l’artisan : sculptures achevées jusque dans leurs invisibles parties, marbres de la carrière, or véritable et véritables pierres précieuses, fer couleur de fer, fer forgé dont chaque arête et chaque inflexion éternisent du travail et du vouloir humains. Ainsi le flambeau de Vérité s’allumait à celui du Sacrifice. Pour ces hommes brillaient aussi les lampes de Mémoire et d’Obéissance. De leur soumission à la coutume, de l’autorité sur eux des traditions et des croyances, procédaient le sérieux et la grandeur, la force et l’unité, l’incomparable style de leurs œuvres. Car ils n’étaient pas « libres, » c’est-à-dire isolés, indépendans les uns des autres, liés par le seul intérêt d’argent, détachés de leurs ancêtres, insoucieux de leurs petits-enfans, pareils aux mouches qui naissent et qui meurent chaque été. Leur vie ne leur apparaissait pas chose fragmentaire, discontinue, et qui n’a sa fin qu’en elle-même. Elle se subordonnait à la vie totale de la cité, elle s’intégrait dans sa vie bien plus longue. De la naissance à la mort, ils demeuraient fixés au sol natal, au foyer domestique, le fils continuant son père à la même place, dans le même rang social, respectueux de sa demeure et de sa mémoire. Ils vivaient en groupes naturels, capitaines et soldats, maîtres et serviteurs, patrons et compagnons, chacun connaissant son chef, dont la condition, les habitudes sont proches des siennes, visibles, intelligibles, respectant son chef, le suivant, lui obéissant en toute confiance et fidélité, — le patricien guerroyant avec ses hommes, le maître artisan maniant l’outil avec ses artisans, le chef, à quelque degré qu’il soit chef, gouvernant et nourrissant ceux dont il a charge, chaque groupe en paix avec lui-même, les âmes dirigées ensemble par des mobiles qui ne sont pas seulement l’anarchique appétit de jouissance, mais surtout la foi commune, la foi réelle, efficace des serviteurs et des maîtres au même Christ, aux mêmes saints, au même jugement, et l’idée de la cité qu’il faut défendre et faire belle. De ces disciplines spontanées, d’une telle volonté de forme, de toutes les influences aussi de la nature immédiate, pure et visible à tous, s’exaltaient la vie, la puissance et la beauté des œuvres d’art. Ces hommes ne travaillaient pas en esclaves, avec dégoût, en ne rêvant que de travailler moins, confinés en des bureaux ou de mornes manufactures. Nulle tristesse de tâche mécanique, monotone, déprimante et haïe, mais joie de l’effort naturel, de l’œuvre conçue par l’ouvrier, achevée tout entière de sa main, par une activité complète du corps et de l’esprit, sans crainte ni désir de concurrence auprès de son foyer, non sans qu’il aime pour leur finesse ou leur densité cette pierre ou ce bois qu’il taille ou sculpte au gré de sa fantaisie, non sans qu’il lève les yeux, parfois sur la procession des Alpes souveraines à l’horizon, sur la splendeur impolluée des eaux. De là surtout, de cette mer, de ce ciel, de ces libres campagnes s’épanchaient pour l’artiste les rayons de Vie, de Beauté et de Puissance. Vie des rythmes et des ordonnances de la nature, beauté absolue, beauté type des œuvres divines, de leurs matières, de leurs couleurs, de leurs lignes et de leurs proportions, — puissance enfin de la plaine, de la mer et de la montagne où l’architecte peut apprendre ce que la nature entend par une surface, par un dôme et par un contrefort.

« Quel merveilleux morceau de monde qu’une telle, cité ! Ou plutôt, c’était un monde. Elle s’étendait sur la face des eaux, pas plus haute quand le soir ses capitaines montaient à leurs mâts pour la regarder, qu’une barre colorée de soleil couchant, — mais une barre qui ne pouvait point passer… Sans le sentiment de sa force qui était dans leurs cœurs, ils auraient pu croire qu’ils faisaient voile dans la profondeur du ciel, et que devant eux, c’était une grande planète dont le bord oriental s’élargissait dans l’éther. Un monde dont tout souci sordide, toute mesquine pensée étaient bannis, avec les élémens vulgaires et misérables de la vie, Pas une souillure, nul tumulte dans les rues tremblantes qui se soulevaient ou s’abaissaient sous les influences de la lune. Seulement, la musique ondulante de ces alternances majestueuses, ou bien un saisissant silence. Aucune muraille fragile ne pouvait s’édifier sur ces rues, aucune chaumière à l’humble toit, aucun abri couvert de paille. Rien que de la force, comparable à celle du rocher, et la parfaite incrustation des pierres très précieuses. Et partout, alentour, aussi loin que les yeux pouvaient atteindre, toujours le calme balancement des eaux sans tache, pures orgueilleusement, car non plus que la fleur, ni l’épine, ni le chardon ne pouvaient croître dans les plaines étincelantes. À l’horizon, la force éthérée des Alpes, s’évanouissant comme un rêve, en haute procession par delà le rivage torcellien, — les îles bleues des collines de Padoue suspendues dans l’or occidental. En haut du ciel, de libres vents, des nuages dont les flammes se déploient à leur volonté, un éclat montant du Nord dans l’espace, ou des parfums venus du Sud, et les astres du matin et du soir clairs dans l’infinie blancheur qui s’épand à la voûte du ciel et sur le cercle de la mer…[2]. »


III

D’une telle cité l’art devait être suprême. Aux âmes énergiques d’un peuple religieux, simple et discipliné, la nature présentait ses formes les plus excitantes de beauté. Mais rappelons-nous ce que fut, au moyen âge, l’architecture du sombre Nord, ce qu’en témoignent encore les églises, les beffrois, les vieilles maisons, les murailles et les portes de nos villes historiques, art sauvage, parfois, mais plus riche et fantastique encore que celui du Midi, animé de libres rythmes et formes de vie dont la vie des hommes s’exaltait. Après tant de siècles, de ruines et de déshonneurs, nous en percevons encore les toniques influences. En cheminant par les vieux quartiers demi-déserts d’une Cologne ou d’un Rouen, est-ce que nous ne sourions pas de plaisir et d’amusement comme en marchant dans un jardin de fleurs ? Qu’on imagine donc le passé, quand les couleurs étaient fraîches et que la vie bruissait là ! Des rues capricieuses, zigzaguantes, à l’ombre irrégulière des pignons et des auvens qui débordent, des maisons pointues, ventrues, festonnées et fleuries, des poutres historiées et guillochées, des grilles dont le fer est forgé en buissons d’épines, en treillis de lierre ou de vigne, des fenêtres percées en trèfles, des gargouilles qui rient, et partout, dans des niches, au coin des murs, à l’angle des venelles, des figures de paradis, d’évangile, de légende ou de copieuse et joyeuse vie réelle. Et l’esprit qui se jouait ainsi dans la pierre, c’était le même qui, pour glorifier Dieu, savait « accumuler en masses disciplinées et vertigineuses les sauvages rochers de la mer normande, donner au porche du temple la profondeur et l’ombre de la caverne de l’Horeb, et, du sein de la cité populeuse, faire lever des falaises de pierre solitaire et grise dans le tournoiement des oiseaux et le silence de l’espace[3]. »

Conservons en notre esprit ces images d’un somptueux passé, — rue de Rouen ou de Cologne au XIVe siècle, ou bien groupe de palais vénitiens à la même époque, et puis regardons le décor moderne d’une grande ville. Promenons-nous à Londres, non pas même dans les faubourgs industriels, mais en des quartiers qui sont vieux déjà de plus d’un siècle, « dans Baker-Street ou Gower-Street, et comparant ceci et cela, demandons-nous quelles furent les causes d’où sortit un si vaste changement dans l’esprit de l’Europe, » par quelles transitions les facultés inventives et constructives de l’homme ont franchi « l’intervalle qui sépare un Grand-Canal d’une Gower-Street, et le pilier de marbre, l’arche en pointe de lance, la broderie de feuillage, l’harmonie brûlante et fondante de l’or et de l’azur, de la cavité rectangulaire dans un mur de briques[4]. L’histoire de cette décadence de l’art est l’histoire d’une décadence morale et sociale. Ce qui se manifeste au cours des siècles avec les lignes géométriques, la nullité des façades ou leurs ornemens inertes et glacés, c’est une paralysie progressive de l’âme, une baisse de l’énergie, de la fantaisie, à mesure que monte l’orgueil de l’homme, une diminution de sa force spirituelle, tandis que grandit sa force matérielle, et que la foi croissante à la science chasse la foi au Christ et à sa loi. Cette foi nouvelle, cet orgueil et sa révolte s’affirmèrent pour la première fois avec la Renaissance. Là est le principe de mort, reconnaissable en certaines pierres de Venise, — comme en d’autres le principe antérieur de vie : la religion, la vertu et l’humilité anciennes. Point n’est besoin de quitter Venise pour suivre son développement fatal[5].

À l’origine, cet orgueil et cette révolte de la Renaissance. Ivresse du nouveau savoir, confiance joyeuse en des formules que l’on retrouve ou que l’on invente. L’homme croit se suffire : il se détourne de Dieu, et sa vie commence à décroître ; il se détourne de la nature et son art commence à décliner. C’est de lui maintenant et non plus de la nature qu’émane la beauté ; par sa science il prétend en devenir créateur. À la religion de Dieu, il a substitué le culte de cette science et de cette beauté. Après les admirables artistes qui rayonnèrent sur le commencement de la Renaissance, un Léonard, un Michel-Ange, un Raphaël, dont les maîtres, presque aussi grands qu’eux-mêmes, appartenaient à la grave école ancienne et les ont nourris aux vraies sources de l’art et de la vie, on ne fait plus que répéter des procédés, car on croit que c’est leur science (dont ils étaient de force à porter le poids) qui les a faits si grands. Dès lors, l’essentiel de l’art n’est plus de contempler avec émotion, détacher à sincèrement traduire une émotion. Une seule chose importe : la virtuosité de la main, une impeccable exécution où s’attestent avec évidence les formules de l’anatomie et les lois de la perspective. « À partir d’une certaine date, pas un tableau de nativité qui ne change la crèche et la mangeoire en arcade corinthienne. » Car une colonnade classique dans un tableau du XVIe siècle, c’est comme une citation latine dans un discours de la même époque, — une preuve d’érudition, un élément de beauté d’autant plus sûr qu’on ne l’invente pas, et qu’il se garantit de l’autorité des anciens. Surtout c’est un prétexte et de doctes effets de lignes qui convergent en fuyant.

En architecture, le mal est pire. Là aussi règne, l’idéal nouveau de perfection ; mais, pour chaque œuvre, ce n’est plus d’un seul artiste que l’on exige cette perfection, c’est de chacun des mille ; artisans qui mettent ensemble leur labeur pour dresser et sculpter les pierres d’une église ou d’un palais. Or l’artisan n’est capable que de perfection mécaniquement copiée. Il atteint à l’exécution sans défaut, mais au prix de sa pensée, de son énergie, c’est-à-dire de sa vie même, — et ce prix, la pédante Europe de la Renaissance, qui ne voit plus de vérité ni de beauté que dans la grammaire, la rhétorique, les règles, les symétries académiques et les cinq ordres, elle ne le trouve pas trop élevé. Sans joie, ses ouvriers s’appliquent à des oves, des grecques, des cannelures, des consoles ; leurs mains font œuvres de tours et de compas ; ils arrivent à la correction géométrique, mais en échange ils ont donné leur âme.

Car c’est fini pour eux d’imaginer, de rêver, d’animer un peu leur travail de libre fantaisie ; c’est fini d’être des hommes. L’esclavage moderne est commencé. Cet art qui va régner sur l’Europe, de plus en plus abstrait et dépouillé jusqu’à se vider de toute substance, et par son propre progrès s’anéantir quand il aboutit, après avoir donné le palais de Versailles, aux rectangles nus de nos façades et de nos fenêtres, ce nouvel art, qu’il est rigide, glacé, insensible, inhumain ! — dès l’origine incapable d’exaltation, incapable de pitié, d’une concession quelconque au faible ou au pauvre : Art pour les doctes, car l’excellence dont il s’enorgueillit est d’espèce raffinée, produit d’une intense culture, d’une profonde érudition, — et l’architecte sait bien qu’elle est inaccessible au peuple. Il le dit très haut : « Mon œuvre, vous ne pouvez pas la comprendre si vous n’avez pas étudié Vitruve. Je ne vous accorderai ni couleur qui réjouisse, ni sculpture qui récrée, rien qui puisse vous rendre heureux, car je suis un homme savant. Ce que je construis ne vous donnera de plaisir que par sa frère aristocratie, son rigide formalisme, son exactitude achevée ; sa froide tranquillité. Je ne travaille point pour le vulgaire, seulement pour les cours et les académies. » — Art pour les riches aussi, pour les puissans qui veulent superbement ce qui rendra visible leur puissance et leur richesse, ce que leurs modes et leurs conventions appellent beauté, et qui prétendent l’obtenir à force de labeur insensible et payé.

Combien plus spontané, abondant, fécond en beauté vraie, c’est-à-dire traduisant de l’âme et de la vie, l’art de l’époque précédente, et comme l’artisan, au lieu d’y trouver sa mort spirituelle, y excitait ses énergies de sentiment et de pensée ! Il était un artisan, et non pas un manœuvre. Malhabile et lourde était sa main ; mais la pierre s’animait d’autant mieux de sa fantaisie que sa main n’était pas astreinte à produire la perfection. « Toute sa rudesse se laissait voir, toute sa lenteur, toute son ignorance, honte sur honte, insuccès sur insuccès, hésitation sur hésitation, mais enfin apparaissait toute sa majesté, » — celle d’une âme humaine. « Nous n’en mesurons la hauteur qu’aux nuages qui s’y accumulent, et que sombres ou brillans soient les nuages, nous savons qu’en eux, derrière eux, tout finit par se transfigurer[6]. » Et cet art était humble comme l’amour, l’ouvrier n’espérant pas égaler les splendeurs imaginées du Paradis, ni les beautés visibles de la terre. Et parce qu’il était humble il n’humiliait pas l’ouvrier, ni la foule ignorante et simple. Il s’adressait à tous. Universel, naïf, capricieux, fantasque et pourtant si passionnément sérieux et sincère, il égayait la porte et l’escalier du pauvre et dressait des cathédrales pour un peuple. Mais cette architecture de gala dont l’expression suprême est le morne et magnifique palais du Roi-Soleil, le pauvre sait bien qu’elle n’est que pour le riche. Elle lui répète qu’il n’est pas de la même espèce que le riche, que le riche ne veut pas de lui pour son frère. La haine commence à gonfler son âme. « Son âme est lourde de l’insolence des riches et de la méchanceté des orgueilleux… »


IV

Pensant toujours à la Venise qu’a vue Commynes, ou bien à la vieille Rouen, quittons les rectangles vides et les frontons des trois siècles qui suivirent la Renaissance, — les copies de plus en plus mortes et stéréotypées du classique. Quittons Whitehall et Gower-Street, et parcourons maintenant ces quartiers industriels de Londres où habite et se manifeste l’âme propre, où bruit et trépide l’activité caractéristique du siècle utilitaire. Faisons mieux : regardons une Leeds, une Manchester, c’est-à-dire une ville qui ne soit rien qu’un produit de notre temps. Dans l’évanouissement progressif de la beauté qui commence à la Renaissance, Gower-Street ne marquait que le moment final. Nous entrons maintenant dans les régions de la laideur, — de la laideur positive, agressive, dont les influences contraires à celles de la beauté répriment et dépriment. Tout à l’heure, à Versailles, à Whitehall, même dans Gower-Street, ce n’était que la sensation du vide ou de l’inanimé : l’ennui. Ici, c’est la souffrance, indice d’une atteinte à notre être. L’étrange, l’inquiétant phénomène pour les hommes qui vécurent des anciens aspects et travaux de la ville et de la campagne, que ces taches grises, ces amas fumans et couleur de fumée, dont la tristesse serre le cœur, et qui s’élargissent, se rejoignent dans une vapeur plombée, avancent toujours comme une maladie, en rongeant la verte terre anglaise ! Gares, wharves, docks, manufactures, cloches et carcasses de gazomètres, rues grasses et sordides, magasins ; affiches, slums, corons, logis alignés, accolés, indiscernables et comme fabriqués au moule ; foules ruées à la conquête de l’argent ou prostrées par la misère ; rails, déchets, scories, hauts fourneaux alentour, — quelle place y a-t-il là pour l’effort d’art qui signifie l’allégresse de la vie à se jouer dans toutes les formes de la vie ? L’architecture du XVIIe siècle fut encore une tentative de l’âme expirante vers la beauté. Mais « une ville construite dans l’atmosphère noircie qui voile, efface à quelque distance tout ornement et en nivelle, à force de crasse, tout le relief, — une ville qui ne sert que de magasin, dépôt, usine, et comptoir, une ville où la fin de la vie n’est plus la vie, mais le travail, où tout édifice remarquable par sa grandeur ne sert qu’à loger des machines, — une ville dont les rues ne sont point des avenues tranquilles pour un peuple heureux, mais une canalisation où ruisselle une multitude harassée, où le seul objet, c’est de passer d’un point à un autre, où l’existence n’est plus que transition, chaque créature un atome dans un nuage de poussière humaine en mouvement, dans un courant de particules qui se remplacent, les uns circulant en des tunnels souterrains, les autres en des tubes suspendus, — une telle ville, dis-je, ne saurait avoir aucune espèce d’architecture[7]. »

Vers 1860 une telle ville n’existe dans la pureté de son type qu’en Angleterre. C’est Leeds et Manchester ; c’est Birmingham et Sheffield. À cette époque, voilà le phénomène anglo-saxon par excellence[8], et dont s’émeuvent alors les Anglais qui ont connu la verte Angleterre agricole, et la voient avec nostalgie se changer peu à peu en « pays noir. » Construites à la machine, que sont ces nouvelles cités que des machines pour fabriquer, vendre et acheter, et que sont leurs hommes que des machines, — les uns parce que s’amputant eux-mêmes de toute faculté de rêve et de contemplation, de toute joie possible d’enthousiasme et de sympathie, mutilant leur nature humaine, ils se sont condamnés, âme et corps, à l’accumulation monotone, obsédante et mécanique de l’argent, — les autres, plus nombreux, la multitude, réduits de force, par le jeu des lois d’airain qu’on leur applique sans merci, à des fonctions spéciales et détestées de machines.

Voilà le pire, et si contre la Venise du XVIe siècle la parole de colère fut prononcée : « Malheur à toi, car ta science, elle t’a corrompue ! » — quelle sentence plus mortelle frappera les peuples modernes d’Occident ? « La Grèce qui construisit le Parthénon servait le culte de la Force et de la Sagesse, — les peuples du moyen âge qui construisirent des cathédrales, le culte de la Consolation et de la Pitié. Les fils de la Renaissance qui construisirent Versailles et le Vatican n’eurent de religion, — et de là les déchéances de leur art et de leur vie, — que celle de l’orgueil et de la beauté[9]. » C’est le Veau d’or qu’adore aujourd’hui l’Angleterre ; à ce Moloch elle sacrifie ses enfans. Dans l’ouvrier elle ne veut plus voir qu’un pouvoir moteur analogue à celui de la vapeur d’eau, une force qui s’achète au prix de l’offre et de la demande, et que l’acheteur utilise sans égard à sa nature immortelle et sacrée, sans autre souci que celui de son rendement économique. Tel est le crime propre de l’Angleterre. Elle a vidé ses hommes de leur essence humaine. « On peut frapper, enchaîner, tourmenter les hommes, les courber sous un joug comme du bétail, les tuer en masses, comme des mouches, sans pourtant qu’en un certain sens, qui est le plus vrai, ils cessent d’être des hommes, et libres. Mais étouffer leur âme au dedans d’eux, dessécher, couper les branches vivaces et chargées de sève de l’esprit humain, changer en courroies de cuir, pour y accoupler des roues et des bielles, cette chair qui doit un jour contempler la face de Dieu, cela vraiment, c’est agir en maîtres d’esclaves. Quand même la vie d’un homme serait à la merci d’un seigneur féodal, quand même le sang du paysan opprimé coulerait au sillon de son champ, il pourrait y avoir plus de liberté en Angleterre que si l’âme de ses multitudes est traitée comme le charbon qui nourrit la fumée des usines, et que si l’on torture leur énergie pour la transmuer en finesse de tissu, ou précision de pièces d’acier[10]. »

Par un trait, pourtant, l’ouvrier devenu machine est encore un homme. On ne peut pas dire qu’au régime où on le soumet tout meure en lui de ce que Dieu avait fait pour sentir, rêver, penser, vouloir. Une sensation lui reste, celle de sa souffrance ; une pensée, celle de sa dégradation ; un rêve, celui de L’affranchissement ; une volonté, celle de la révolte. Il sait sa honte, et voilà ce qui le pousse avec ses frères, ceux qui ne sont plus que pullulante multitude, proles, prolétariat, à tant d’efforts incohérens et tumultueux vers un vague idéal de liberté. Leur cri contre les riches n’est plus seulement celui de la faim et de l’envie. « La faim et l’envie sont de tous les temps, et jamais la société n’avait tremblé dans ses fondemens comme aujourd’hui. Le mal affreux de notre monde, ce n’est pas que les ouvriers soient mal nourris : c’est qu’ils ne trouvent aucune joie au travail qui leur donne du pain, en sorte qu’ils n’imaginent de joie possible que dans la richesse. Ce n’est pas qu’ils ressentent le mépris de leurs maîtres : c’est qu’ils se méprisent eux-mêmes, et ne peuvent pas supporter ce mépris-là[11]. » Car ils sentent bien que ce labeur auquel ils sont condamnés est de l’espèce qui avilit, et qu’ils sont tombés au-dessous de l’homme.

Tombés plus bas que l’esclave antique ou le servile manœuvre de la Renaissance. Car ceux-là n’étaient point victimes de la plus démoniaque et sacrilège invention de la grande industrie moderne, cette division du travail qui limite l’activité humaine à doux ou trois gestes répétés trente fois à la minute, quinze ou dix-huit cents fois à l’heure, quinze ou dix-huit mille fois dans la journée, avec une continuité, une exactitude que rien n’égale dans la nature vivante, qui met l’homme hors de la nature, l’assimilant exactement à ces engins qu’il a construits et qui, produisant mieux, plus régulièrement et plus vite que lui-même, mieux que lui-même réalisent son nouvel idéal. « La division du travail ! Ce n’est pas le travail qui est divisé : c’est plutôt l’homme. Divisé en simples segmens d’homme, écrasé en menus fragmens et miettes de vie, si bien que le vestige d’intelligence qui lui reste ne suffit pas à fabriquer une épingle ou un clou, mais s’épuise à produire une pointe d’épingle ou une tête de clou. C’est une bonne chose de produire beaucoup d’épingles dans une journée, mais si nous pouvions voir quel est le sable de cristal pilé qui en aiguise les pointes, — sable des âmes humaines pulvérisées si fin qu’il faut une forte loupe pour le reconnaître, — nous penserions peut-être que tout n’est pas bon dans cette production-là. Et la grande clameur qui monte de toutes nos cités industrielles, plus haut que le rugissement de leurs fournaises, a véritablement ceci pour cause : c’est que nous y manufacturons toutes les richesses, excepté des hommes. Nous y nettoyons le coton, nous y trempons l’acier, nous y raffinons le sucre, nous y façonnons la fonte. Mais de purifier, de tremper, de façonner une seule âme vivante, voilà une entreprise dont personne ne s’avise jamais d’imaginer le profit[12]. »


V

Car l’Angleterre est aveuglée par la superstition moderne qui juge la richesse de l’homme à la quantité des choses qu’il possède, et la valeur d’une chose à son pouvoir d’achat. Or, la richesse de l’homme n’est pas dans son avoir, mais dans son être. « Il n’y a de richesse que la vie, la quantité positive de vie, laquelle s’appelle force et bonheur. Il n’y a de valeur que ce qui sert à conserver ou accroître notre quantité de vie[13]. » Valeur d’une gerbe de blé dont le poids représente ce qu’elle peut réparer de la substance du corps, valeur d’un pied cube d’air pur qui peut entretenir telle quantité de sa chaleur, valeur d’un bouquet de fleurs qui peut, suivant son degré de beauté, plus ou moins réjouir, c’est-à-dire vivifier les sens et le cœur. Qui peut : notez ce mot qui revient dans la définition de chacune de ces valeurs. En effet, chacune ne peut servir à la vie que si la vie est capable de s’en servir. « Qu’un homme se meure de tuberculose, et le pied cube d’air n’empourprera plus le sang de ses artères ; qu’il soit hébété par le vice ou par un stupéfiant labeur, définitivement affaissé dans sa misère, et ni lis ni roses ne le ranimeront. Ainsi les choses valent suivant notre vaillance, et ce n’est point par un : je possède, mais par un je puis que s’affirme la richesse. Toujours elle est fonction de la vie, du pouvoir vital que nous avons de la transmuer en force et en joie. Elle tend vers zéro si ce pouvoir décroît, elle peut même franchir le zéro et passer aux quantités négatives quand elle devient, comme il est fréquent, antagoniste de la vie. Prenons un cas limite, comme disent les mathématiciens. Dans un naufrage récent sur la côte de Californie, un passager s’attacha autour du corps une ceinture qui contenait deux cents souverains d’or. Des scaphandriers le retrouvèrent avec cette charge au fond de la mer. Dirons-nous que tandis qu’il coulait, il possédait son or, ou dirons-nous que son or le possédait[14] ? »

Et dirons-nous que la commerçante Angleterre des Gradgrind et des Dombey possède ses milliards ou que ses milliards la possèdent, si c’est au prix de leur valeur humaine, de leur valeur absolue, de leurs énergies spirituelles de vie, que ses individus fabriquent sa richesse ? Getting on, arriver, parvenir, c’est plus que le rêve de tous aujourd’hui, c’est leur consigne, leur nouvel impératif catégorique. Parvenir à quoi ? À plus de sérénité et de vaillance ? À posséder des poumons plus profonds, des yeux plus brillans, des cœurs plus joyeux ? Au bonheur d’inventer et d’agir, de penser et d’aimer, de nous sentir en harmonie avec un petit groupe qui est vraiment le nôtre, où nous sommes nés, que nous comprenons, où nos activités trouvent leur emploi naturel, où nous attachent de tendres et fortes racines ? Non pas ; mais en nous perdant et nous isolant dans le tumulte et la bousculade de la foule, en nous vouant à des tâches où les yeux s’usent, où le corps se déforme, où l’espoir se flétrît, où l’esprit s’ankylose et le cœur se pétrifie, en nous fatiguant de la mortelle fatigue qui laisse à jamais l’âme douloureuse et la volonté détendue, — parvenir à posséder ces choses inanimées qui ne nous rendront pas notre animation, mais que nos frères regarderont avec envie, parce qu’ils y voient le signe de notre succès. Tel employé de banque, fils d’un charpentier de village, est arrivé parce qu’à faire des additions tout le jour dans un étroit bureau de la City, il gagne 250 francs par mois, porte un chapeau rond, et loge, au fond d’une morne suburb, — Shepherd’s Bush ou Finsbury Park, — dans quelque cube de brique jaunâtre qui ne se distingue que par son nom prétentieux, — Mortimer House ou Montague Villa, — de tous les cubes alignés de la même rue[15]. Est-il plus heureux, vaut-il mieux que son père qui travaillait chez lui, à côté de sa femme et de ses enfans, se savait maître dans son métier, — un des vrais, des éternels métiers humains, — poussait en sifflant son rabot, et le soir fumait sa pipe au seuil de sa porte devant son pommier et le silence de son petit champ ? Et comment jugerons-nous le patron de ce commis-là, — millionnaire dont la vieillesse s’épuise à combiner des opérations de Bourse ou de commerce pour voir monter son tas de millions, cependant que lui-même décline vers la mort ?

Mais l’erreur de l’individu, c’est l’erreur collective, anonyme, qu’entretiennent les suggestions mutuelles. Elle aussi, la nation veut arriver. Depuis Adam Smith on le lui répète : il n’est qu’un bien pour un peuple : l’accumulation de l’or, et peu importe que la vie s’y sacrifie ! Le progrès, c’est l’usine où des enfans de dix ans travaillent douze heures par jour ; c’est la mine de charbon où des jeunes filles traînent des chariots au fond d’une galerie, à quatre pattes, demi-nues, une chaîne de fer entre les jambes[16] ; c’est tout ce mécanique et criminel travail spécialisé qui produit les filés de Manchester, le métal de Birmingham, les quincailleries de Sheffield, mais qui dégrade les corps en stupéfiant et flétrissant les âmes. Et vers quoi nous achemine ce progrès ? Y a-t-il plus de rire et de repos sur la terre depuis que les villes sont éclairées au gaz et que l’on va en dix heures de Londres à Edimbourg ? Il n’y a ni plus de rire, ni plus de repos, mais plus de larmes et de fièvre, plus de concurrence et de guerre entre les individus comme entre les nations pour la possession des matières premières, des marchés et de ces valeurs de toute espèce qui ne sont pas, qui ne font pas notre valeur. Un seul progrès est indéniable, celui de la maladie nerveuse ou de la phtisie, de la criminalité, du vice, de l’alcoolisme et du spleen, celui qui se manifeste par les cabarets, prisons, asiles, hôpitaux multipliés, par la crasse et l’ordure des faubourgs des grandes villes manufacturières, par les sombres rangées de logis plus semblables que des tombes, aussi funèbres sous le ciel anglais, dans la brume jaune ou pénétrée de suie. Jamais la vie ne fut anxieuse et triste à ce point en Angleterre, ni le décor de la vie si noir, sordide et, pour tout dire, hostile à la vie, suggestif de suicide, poussant l’homme à chercher l’oubli de lui-même dans l’alcool, dans la maladive exaltation religieuse, dans la mortelle monotonie du labeur automatique.

Et pourtant l’Angleterre reste grande et forte. Elle l’est encore, par le courage de ses hommes, leur patience et leur fidélité au devoir, par tout ce qui subsiste en eux de l’époque où ses hommes, non ses possessions, étaient sa principale richesse économique. Mais de cette grandeur-là, de cette force-là, qui songe à s’enorgueillir ? « Nos journaux nous parlent de notre intense activité, de notre prospérité sociale, de notre suprématie politique ; Et, d’après eux, à quoi faut-il attribuer ces biens et ces succès ? À ce que nos ancêtres anglais ont fait de siècles en siècles ? Au sang qu’ils nous ont transmis ? Non, pas à cela. À notre honnêteté de cœur, à notre lucidité de tête, à notre constance de volonté ? Non, pas à cela non plus. À nos penseurs, nos hommes d’État, nos poètes, nos capitaines, nos martyrs, ou le patient labeur de nos pauvres ? Non, à rien de tout cela ; du moins pas pour une proportion importante. Non, dit un journal, plutôt que toute autre cause, c’est l’abondance et le bon marché de notre charbon qui nous a fait ce que nous sommes. S’il en est ainsi, eh bien ! que la cendre retourne à la cendre, et que telle soit le plus tôt possible notre épitaphe[17] ! »

Car l’énergie vitale d’un peuple est d’une tout autre espèce que l’énergie calorifique du charbon, son pneuma vital d’un tout autre ordre que le souffle de la machine à vapeur. Il arrive même que le charbon dont vous êtes si fier soit le signe d’une certaine destruction d’énergie vitale, que la richesse manifeste une perte et non pas une acquisition. « Impossible de conclure d’une certaine quantité de richesse, si elle signifie un bien ou un mal pour la nation qui la possède. Sa valeur vraie dépend des quantités morales auxquelles on l’associe. » Pour un peuple comme pour un individu, elle est un plus ou moins, selon que ces quantités qui ne se peuvent exprimer qu’en termes d’âme humaine sont positives ou négatives. Et cette relation n’est pas d’ordre vague, fantaisiste, littéraire, mais d’espèce strictement matérielle, économique. Méditez la fière devise de l’Angleterre moderne : « Acheter le meilleur marché possible et vendre le plus cher possible ; » en bonne économie politique elle ne signifie rien. « Vous pouvez acheter très bon marché le charbon de bois après l’incendie dont la flamme a carbonisé votre propre maison, à très bon marché les briques après le tremblement de terre où votre ville s’est écroulée[18]. » Et pareillement, les produits de l’intelligence et de l’énergie humaine peuvent tomber à très bas prix, si cette intelligence et cette énergie ont été captées, épuisées, jusque dans la source profonde qui les mettait au jour. « Tant de tonnes de minerai ont été fondues, tant de balles de coton changées en tissus ; mais combien de vigoureuses mains paralysées, combien de jeunes volontés atteintes, combien d’enfans frappés dans leur croissance ? » De ces destructions-là on ne s’est pas soucié. Cette énergie de l’âme humaine, on a cru pouvoir la gaspiller parce qu’on l’avait achetée, payée avec la seule valeur qui compte, les shillings et les pence, non pas avec de la bonté, de l’affection, de la cordialité, avec quoi que ce soit de spirituel, de moral, d’humain, de vital et de vitalisant, — car tout cela est nul, au point de vue de l’économie politique orthodoxe, — mais seulement et strictement avec les shillings et les pence. L’ayant ainsi payée, au prix déterminé par la loi mathématique de l’offre et de la demande, cette force qui est la substance même de l’homme, son principe mystérieux et sacré, on l’a rigoureusement exploitée ; et qu’importe qu’on l’ait détruite, si l’on a transformé de l’âme, cette non-valeur, en fonte et en coton tissé, ces valeurs indéniables et qui font l’indéniable grandeur de l’Angleterre ?

Sans doute, grâce au système capitaliste, il y a des hommes à qui ce régime meurtrier du peuple profite d’une certaine façon. Non que leur cœur et leur esprit s’y agrandissent et s’y fortifient, non qu’ils y rencontrent les nobles joies humaines : amour, enthousiasme, action, émotion du beau et du divin, — mais leur corps, au moins, lourdement prospère. À quelque distance de l’usine dont la vue leur est soigneusement masquée par de grands arbres, ils réalisent leur idéal anglais : devant des pelouses et des parterres de roses et de rhododendrons, dans une maison spacieuse à péristyle grec, vivre une existence large, honorée, enviée, régulière, « respectable, » genteel. De ceux-là on dit qu’ils ont réussi, et ceux-là vraiment doivent culte et reconnaissance à la déesse nationale de l’Angleterre moderne ; pour eux, Britannia du Marché fut vraiment la déesse du succès, the Goddess of Getting on. Mais chaque vie qui s’épanouit de cette façon représente mille vies qui avortent, la fortune qui la nourrit étant d’origine industrielle, c’est-à-dire fondée sur l’espèce de labeur qui use et avilit la multitude. Et de chaque guinée qui s’ajoute à ces fortunes la domination des riches sur les pauvres se fortifie, l’argent n’achetant jamais que du travail humain. Quelle sorte de travail humain, épuisant de quelle façon la substance humaine, la substance des foules anglaises, la véritable substance de l’Angleterre, on peut s’en rendre compte en visitant vers 1850 les quartiers ouvriers de Londres, de Liverpool, de Manchester et de Birmingham. Pour les multitudes à faces blêmes qui meurent de faim et de phtisie dans l’ordure de ces quartiers-là, on peut dire que la grande divinité anglaise, Britannia de l’Agora, Britannia du Marché, fut plutôt la déesse de l’Insuccès, the Goddess of not Getting on[19].

La vérité, c’est toujours que, pour le pauvre comme pour le riche, comme pour la nation tout entière, le seul progrès est celui qui accroît dans les corps et les âmes la quantité de vie. « Puisque la richesse est un pouvoir exercé sur les hommes, ne suit-il pas que plus forts sont les hommes, plus grande est la richesse ? Peut-être pourrait-il même apparaître un jour que les hommes eux-mêmes sont la richesse, que ces pièces d’or par quoi nous avons l’habitude de les conduire ne sont rien qu’une sorte de harnais byzantin qui sert à brider la créature, mais que si l’on pouvait guider ladite créature vivante sans que l’or byzantin lui tire la bouche et lui sonne aux oreilles, elle pourrait devenir plus précieuse que son harnais. Pour tout dire, on découvrira peut-être un jour que les veines de la richesse sont couleur de pourpre, qu’elles ne sont pas filons dans la roche, mais veines véritables dans la chair ; bien plus, que la fin et la consommation de toute richesse est de produire le plus grand nombre possible de créatures aux poitrines larges, aux yeux vifs, aux cœurs joyeux. Aujourd’hui ce qu’on appelle richesse semble avoir un objet contraire, la plupart des économistes ayant l’air de considérer que les multitudes de créatures humaines ne sont pas de la richesse, bien plus, qu’elles ne peuvent servir à créer de la richesse que si leurs yeux se ternissent et si leurs poitrines se voûtent. Néanmoins, on peut se demander sérieusement, — et je laisse aux lecteurs de méditer la question, — si de toutes les manufactures nationales, celle des âmes, des âmes de bonne qualité, ne finirait point par se révéler comme la plus véritablement lucrative. J’imagine même qu’à quelque époque très lointaine et dont on peut à peine rêver, l’Angleterre pourra laisser aux nations barbares la superstition de l’or, et qu’alors, si les paillettes de l’Indus et les diamans de Golconde brillent encore sur le turban de l’esclave, elle pourra, en mère chrétienne, atteindre enfin jusqu’aux vertus d’une certaine mère païenne, et possédant les mêmes trésors, prendre ses fils par la main et dire : « Ceux-ci sont mes joyaux[20]. »


VI

Dans cette critique du monde moderne apparaît l’idée centrale de Ruskin, tout intuitive et poétique, celle qui nourrit à la fois ses théories d’art et sa philosophie de l’Homme et de la Société. À travers les êtres de la Nature une mystérieuse énergie circule que nul savant n’isolera par ses analyses, que tout artiste devine, adore, et dont il sent d’instinct les démarches : la vie, souffle émané de Dieu, vouloir sacré du monde, qui fait lever la matière et la dispose. Dans l’homme surtout ce principe est véhément et pur. On peut l’appeler âme, car c’est lui qui se manifeste en rêve, pensée, sentiment, volonté, tandis qu’obscurément, par-dessous le plan de la conscience lucide, il organise le corps et le maintient suivant des lignes et des rythmes qui sont de la beauté, lorsque lui-même, ce principe, s’affirme en dominateur de la matière et triomphe des forces d’inertie, qui sont les forces de la mort.

Voilà l’émouvante réalité, voilà le divin que contient et nous annonce toute forme véritable, c’est-à-dire non produite au hasard des chocs et des rencontres, mais déterminée et développée du dedans. « Arrêtez-vous à la forme, et maintenez ferme qu’elle n’est pas l’œuvre des forces ordinaires ! Un potier travaille : apprenez à distinguer l’action plastique de sa main qui modèle artistement la glaise, de l’action mécanique de son pied qui fait tourner la roue. La forme toute pure vous en apprendra étrangement plus que n’en savent les philosophes[21]. » Car puisque dans l’espèce, puisque dans l’individu rien de spécial ou d’individuel n’apparaît que la forme, seule la forme nous révèle l’être propre, la singulière essence, la tendance unique de chaque être. « Le physicien vous dit, par exemple, qu’il y a autant de chaleur, de mouvement ou d’énergie calorifique dans une bouillotte que dans un aigle des Alpes. Très bien ; très juste ; c’est très intéressant : précisément il faut autant de chaleur pour faire bouillir l’eau de la bouillotte que pour élever l’aigle des Alpes jusqu’à son nid. Mais nous autres peintres, tout en reconnaissant que la bouillotte et l’oiseau sont égaux et semblables à tous les points de vue scientifiques, prenons un intérêt principal à la différence de leurs formes. Le fait auquel va notre attention, c’est que l’un a un couvercle sur le dos et l’autre une paire d’ailes, et que leurs becs ne se ressemblent pas, — sans parler de la distinction de volonté que les physiciens peuvent appeler un simple mode de l’énergie. La bouillotte aime à rester tranquille au coin de l’âtre ; l’aigle choisit de se suspendre dans les airs. C’est ce choix, non le degré de la température produite tandis qu’il s’accomplit, qui nous semble la circonstance intéressante. Les savans ont fait d’excellens travaux, récemment, à leur façon : l’équivalence de la force et de la lumière est un bel exemple de découverte systématisée ; cette idée que le soleil reçoit sa flamme d’une grêle météorique qui ne cesse pas est imposante, et il semble bien qu’elle soit vraie Bien entendu, ce n’est que la théorie du vieux briquet, — acier et silex, — sur une grande échelle ; mais ici son ordre et sa majesté sont sublimes. Pourtant nous autres sculpteurs et peintres, nous nous en soucions fort peu. C’est très beau, disons-nous ; c’est très utile, cette chute éternelle de planètes qui fait jaillir la lumière du soleil. Mais vous pouvez continuer votre grêle pendant l’infini des temps sans produire ce que nous produisons. Voici un morceau d’argent qui n’est pas si grand qu’une pièce d’une demi-couronne, et sur lequel, d’un seul coup de marteau, l’un de nous, il y a deux mille et quelques années, a frappé la tête de l’Apollon de Clazomène. Ce n’est rien qu’une question de forme ; mais si jamais l’an de vous, philosophes, avec le système planétaire tout entier comme marteau, peut frapper un autre morceau d’argent comme celui-là, nous lui tirons nos chapeaux. En attendant, nous les gardons sur nos têtes[22]… »

Tel est l’ironique dédain de l’idéaliste devant la plus grande généralisation de la science moderne, celle qui pose l’unité de la nature, et, sous la variété de ses phénomènes, aperçoit une quantité fixe. Faites passer tout l’univers par votre rigoureux moulin mathématique ; vous obtiendrez un produit d’analyse homogène, de la quantité abstraite, une poussière partout pareille à elle-même : vous ne découvrirez rien de l’essentiel, c’est-à-dire de l’ordre, des harmonies, du développement rythmique, de la vie profonde de l’univers. Broyez la pulpe d’une fleur, décomposez-la dans vos cornues : vous obtiendrez tels radicaux chimiques, sensiblement les mêmes que dans la pomme de terre, tels élémens chimiques, les mêmes que dans l’air et dans le sol. Qu’aurez-vous appris de la réalité mystérieuse, de la force qui produit l’ordonnance symétrique et la beauté de la fleur, de la vie qui sommeille cachée dans le calice, qui affleure en vermillon admirable à la pointe des pétales irradiés, — qui se concentre et s’exalte enfin dans l’arôme du pistil et des étamines ? Et pareillement, qu’est-ce que la Science connaît de ces modes-là que nous savons les plus importans du monde, — de l’universel vouloir vivre qui s’atteste au printemps par la frêle pointe droite du blé hors de la sombre terre, par la miraculeuse floraison rose aux branches nues de l’amandier, par le bourgeonnement de toute la forêt et le chant des créatures ? Que sait-elle du développement certain de la cellule dans la nuit de la matrice vers la beauté du type et de l’individu, vers la mystérieuse beauté de telle jeune femme ou le génie de tel poète ?

On reconnaît là le point de vue de l’artiste, panthéiste d’instinct, parce que ses intuitions et ses mouvemens de sympathie lui révèlent dans une immédiate évidence ce qui n’apparaît qu’à lui : l’effort propre et profond de chaque être et toute la force animatrice du monde. Non seulement un tel point de vue n’est pas celui du moraliste, mais en général il s’y oppose. Ce nisus qui produit au jour les formes et les pensées, en général l’artiste l’appelle désir, désir plus beau, plus enivrant quand rien, nulle raison, nul décalogue n’en peut maîtriser la véhémence, et qu’il se précipite au désordre. Tout ce qui participe de ce dyonisme de l’univers et le manifeste, — fécondations, travail aveugle des germes et des sèves, parfums extasiés des pollens, concupiscences, langueurs orageuses de la chair, subites transfigura-lions du monde dans la musique et dans l’amour, — pour le poète moderne de la vie, pour un Shelley, pour un Wagner, comme pour l’homme des vieilles religions asiatiques, voilà le divin, d’autant plus intense et adorable qu’avec une fatalité plus magnifique il se déploie par-delà le bien et le mal.

Ce fut la profonde originalité de certains mystiques anglais d’enter leur panthéisme latent ou professé sur un fonds d’idées puritaines. Telle est la part irrationnelle de l’élément ethnique en toute philosophie comme en toute religion. Carlyle nous a montré dans le Sartor son Dieu-Volonté sous le vêtement de la Nature. Ruskin voit dans le mouvement de la vie l’élément sacré des choses ; et tous deux, qui sont au XIXe siècle les professeurs d’énergie de l’Angleterre, sont aussi ses professeurs de morale. Selon Ruskin, et c’est ici que le souci pratique vient s’ajouter à l’intuition poétique et la qualifier, si la beauté visible d’un être manifeste cette intensité de vie qui est toute sa perfection, celle-ci n’est possible que lorsque d’une volonté rigoureuse, la créature obéit aux lois de son activité spécifique, — on peut dire à la morale de son espèce. Toute forme spécifique est le signe d’une vie qui obéit à des impératifs. En ce sens, il est une éthique de la fleur, de la feuille et de la cellule : obéissance aux lois du type, fidélité à la fonction prescrite, subordination, dévouement à la perfection de l’ensemble. En ce sens encore on peut dire qu’il est une éthique de l’atome. La poussière qui s’assemble pour composer un cristal connaît son mal et son bien. Son bien, c’est de réaliser, pure, tout entière, l’une des éternelles idées de la nature. À cette fin quelles disciplines spontanées vont régir l’ordonnance en files, en pelotons, en carrés multiples, des individus moléculaires suivant les arêtes et les plans idéaux, leur orientation dans le sens prescrit par la loi, la soumission de chacun à des fins générales situées hors de lui-même, et pourtant où réside son bien propre. Avec quelle énergie de vie, de vie précise et consciente de ses fins, qui sont aussi celles de l’ensemble, chacun de ces infiniment petits va se mettre à l’œuvre, se diriger, cohérer fidèlement, obstinément, à son voisin, collaborer avec lui, pour que se produise sans hésitation la parfaite forme totale ! Les vertus inhérentes des cristaux peuvent se définir par des mots que l’on emploierait pour louer une créature humaine : force de cœur et constance de vouloir. « Il semble qu’il y ait en certains cristaux, dès leur apparition, une inviolable pureté de puissance vitale, une indomptable force de leur volonté de cristal. Toute substance morte, inharmonique à leur propre tendance, qui voudrait se mêler à eux, ou bien ils la rejettent, ou bien ils lui imposent quelque admirable forme secondaire. Leur rigueur de type reste absolue. Chacune de leurs molécules est claire de son énergie disciplinée. Dès l’origine de sa structure un beau cristal a voulu sa figure ; il persiste dans son plan et le réalise. Voyez ce parfait morceau de quartz : il n’y a pas une défaillance dans sa ligne de contour ; des facettes sans nombre qui composent ses plans, pas une qui ne soit lucide comme du diamant taillé. Ses pointes sont aiguës comme des javelines ; leurs arêtes coupent le verre en le touchant. Rien de plus résolu, de plus achevé, de plus déterminé dans sa forme. Tel autre, opaque, rugueux, émoussé, tordu dans son axe, nous est une image d’impuissance, de décrépitude et de déshonneur[23]. » Il a failli à l’éthique du cristal ; entre son mal et son bien, il a choisi son mal ; ses énergies en sont amoindries, et par suite, il est sans beauté. »

La vie seule est capable de ces valeurs. « Les lois qui assemblent et ordonnent la matière sont les mêmes d’un bout à l’autre de l’univers. En toute substance ainsi rassemblée, on peut retrouver une certaine identité de gaz, et même une certaine force vitale, en relation si étroite avec la chaleur mécaniquement mesurable, qu’on peut la concevoir elle-même comme mesurable mécaniquement, fixe, elle aussi dans sa quantité totale, circulant en flux et reflux dans les membres des hommes comme dans les fibres des insectes. Mais dominant tout cela, déterminant toute défaillance comme toute perfection, il y a deux lois : celle qui concerne la beauté de forme, et celle qui concerne la noblesse d’âme, et ces deux lois dans le chaos de la création nous permettent de distinguer entre la vie et la mort, de reconnaître aussi les êtres dont la nature est bienfaisante et sacrée, de ceux dont la nature est maudite et malfaisante. Et le pouvoir d’Athèné qui s’est produit pour façonner ces Ζῶα et ces ἑρπετά se déploie enfin dans ces cœurs d’hommes qui savent discerner les premiers des seconds, et dont on peut dire avec certitude qu’ils sont libres de déroger ou d’obéir aux lois que Dieu leur a commandées, de déchoir ou de se parfaire, d’agir dans le sens de leur force ou de leur faiblesse, de leur noblesse ou de leur honte, de leur laideur ou de leur beauté, de choisir en un mot entre les feux inextinguibles de l’Esprit et les feux inextinguibles de la Mort[24]. »

Andre Chevrillon.
  1. Sur la figure, la personne, le talent, l’œuvre générale de Ruskin, voir les études si brillantes et vivantes, aujourd’hui classiques, que M. Robert de la Sizeranne a publiées ici même, et l’ouvrage très complet et documenté de M. Jacques Bardoux. On s’est borné dans cet article et dans ceux qui suivront à étudier les idées morales et sociales de Ruskin dans leur relation avec l’Angleterre de son temps.
  2. Modern Painters, V, ix, 9.
  3. Seven Lamps of Architecture, III, § 24.
  4. Stones of Venice, vol. III, ch. i.
  5. Stones of Venice, passim.
  6. Stones of Venice, vol. II, chap. vi, § 12.
  7. On the old Road, I, § 277.
  8. Taine allant en Angleterre vers 1860 semble y faire la découverte du grand décor industriel.
  9. Crown of Wild Olive, II, § 62 et 72.
  10. Stones of Venice, II, vi, § 13.
  11. Stones of Venice, II, vi, § 15.
  12. Stones of Venice, VI, § 16.
  13. Unto this Last, IV.
  14. Unto this Last, IV.
  15. Sur la vie et le dedans d’âme d’un tel personnage, l’un des plus représentatifs de la vie anglaise au XIXe siècle, voir The Autobiography of Mark Rutherford, Cf. le Kips de H. G. Wells.
  16. Engel, The Condition of the working class in England in 1844, cité par Cazamian : Le Roman social en Angleterre.
  17. Crown of Wild Olive, § 123.
  18. Unto this Last, II.
  19. Crown of Wild Olive, § 80.
  20. Unto This Last, II.
  21. Ethics of the Dust, X.
  22. Ethics of the Dust.
  23. Ethics of the Dust, v.
  24. Aratra Pentelici, III, § 100.