Bibliothèque-Charpentier (p. 183-184).


VI


Plus d’un siècle s’est écoulé depuis toutes ces choses. Les descendants de Pierre Jouanny et de Charlotte de Vival sont armuriers à Bergerac, et, dans leur magasin, le plus beau de la ville, on voit dans un cadre original fait de quatre anciens briquets de grenadiers, la lettre de Lakanal adressée à leur bisaïeul.

Ceux de Comberousse n’ont pas été aussi heureux. Le père Champarnal, ayant voulu faire le commerce des bœufs, fut ruiné lors de la crise de dépréciation des assignats. Exproprié de son bien, il se trouva quasi heureux de rester à Comberousse avec son gendre et sa fille, comme métayer de Jérôme Chinourcq, fils de l’usurier, enrichi par des spéculations plus heureuses qu’honnêtes sur les biens nationaux. Les descendants de Blaise de Cestrac de Roquejoffre, revenus à la glèbe d’où leur premier ancêtre était sorti, ont perdu la notion de leur origine et sont, à cette heure encore, métayers de M. le comte de Roquejoffre, qui n’est autre que l’arrière-petit-fils du savetier grippe-sou. Cette muance des Chinourcq s’est faite progressivement. Jérôme, surnommé Brutus pendant la Révolution, ayant plus tard relevé les ruines du château, de jacobin fougueux devint royaliste fervent sous la Restauration, et se fit appeler Chinourcq de Roquejoffre. Grâce à une complaisance intéressée, son fils fut inscrit à l’état civil sous le seul nom de Roquejoffre ; et aujourd’hui, le fils de ce dernier est comte sans difficulté, et croit fermement descendre des anciens Roquejoffre, dont les titres sont perdus par le malheur des temps révolutionnaires. Aussi, lorsqu’il rencontre par hasard les Cestrac, ses métayers de Comberousse qui lui tirent leur bonnet, il gonfle du jabot, se regarde complaisamment, et, les prenant en pitié, dit avec mépris :

— Ces paysans !