Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Souuentefois nous

Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 198-200).
ODE XIII.



SOuuentefois nous auons faute
Soit de biens ſoit de faueur haute,
Selon que l'Aſtre nous conduit:
Mais touſiours tandis que nous ſommes
Ou morts ou mis au rang des hommes,
Nous auons beſoin de bon bruit.
Car la louange emmiellée
Au ſucre des Muſes meſlée
Nous perce l'oreille en riant,
Louange qui riche ne cede
A l'or que Pactole poſſede,
Ny aux perles de l'Orient.

» La Vertu qui n’a cognoiſſance
» Combien la Muſe a de puiſſance,
» Languit en tenebreux ſeiour,
» Et en vain elle eſt ſouſpirante
» Que ſa clarté n’eſt apparente
» Pour ſe montrer aux rais du iour
Mais ma plume qui coniecture
Par ſon vol ſa gloire future
Se vante de n’endurer pas
Que la tienne au ſepulchre meure,
Ny qu’orpheline elle demeure,
Errante ſans honneur là bas.
Ie banderay mon arc qui iette
Contre ta race ſa ſagette,
Pour viſer tout droit en ce lieu
Qui ſe reſiouit de ta gloire,
Et où le grand fleuue de Loire
Se meſle auec vn plus grand Dieu.
Et bien que ta Muſe ſoit telle,
Que de ſoy ſe rende immortelle,
Deſdaigner pourtant tu ne dois
L’honneur que la mienne te donne,
Ny ceſte Lyre qui te ſonne
Ce que luy commandent mes dois.
Iadis Pindare ſur la ſienne
Accorda la gloire ancienne
Des Athletes, Princes & Rois :
Ie veux entonner ta louange,
Et l’enuoyer de Loire à Gange,
Si tant loin peut aller ma vois.
Car il ſemble que noſtre Lyre
Ta race ſeule vueille eſlire

Pour la pouſſer dedans les Cieux:
Macrin a ſacré la memoire
De l'oncle, & i'honore la gloire
Du neueu qui s'honore mieux.
France ſous Henry fleurit, comme
Sous Auguſte fleuriſſoit Romme:
Elle n'eſt pleine ſeulement
D'hommes qui animent le cuiure,
Ny de peintres qui en font viure
Deux enſemble eternellement:
Mais groſſe de ſçauoir enfante
Des fils dont elle eſt trionfante,
Qui ſon nom rendent honoré:
L'vn chantre d'Amour la decore,
L'autre de Mars & l'autre encore
De Phebus au beau crin doré.
Entre leſquels le ciel ordonne
Que le premier rang on the donne,
Du Bellay, qui monſtres tes vers
Entez dans le tronc d'vne Oliue,
Oliue dont la fueille viue
Se rend egale aux Lauriers vers.