Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Mon ame, il eſt temps

Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 201-202).
ODE XIIII.



MOn ame, il eſt temps que tu rendes
Aux bons Dieux les iuſtes offrandes
Dont tu as obligé tes vœux:
Sus, qu'on dreſſe vn autel de terre,
Auec toy payer ie le veux,
Et qu'on le pare de Lierre
Et de Veruéne aux foids cheueux.
Les Dieux n'ont remis en arriere
L'humble ſouſpir de ma priere,
Et Pluton qui n'auoit appris
Se flechir pour dueil qu'homme meine,
N'a pas mis le mien à meſpris,
Rappellant la Parque inhumaine
Qui ja du Bellay tenoit pris.
Mortes ſont les fiéures cruelles
Qui rongeoyent ſes cheres moüelles:
Son œil eſt maintenant pareil
Aux fleurs que trop les pluyes baignent
Enuieuſes de leur vermeil,
Qui plus gaillardes ſe repeignent
Aux rayons du nouueau Soleil.
Sus Mégret, qu'on chante qu'on ſonne
Ceſt heur que la ſanté luy donne,
Qu'on chaſſe ennuis ſoucis & pleurs,
Qu'on ſeme la place de Roſes,
D'Oeillets, de Lis, de toutes fleurs
En ce beau mois d'Auril ecloſes,

Riche de cent mille couleurs:
Lequel s'égaye & ſe recrée
De te voir ſain, & luy agrée
Le iour que tu fais deſſous luy:
Son cours qui ſembloit apparoiſtre
Malade comme toy d'ennuy,
Tous deux ſains, auez fait cognoiſtre
Vos belles clairtez auiourd'huy.
» Mais quoy ? ſi faut-il bien qu'on meure:
» Rien çà bas ferme ne demeure:
» Le Roy François vit bien la nuit.
Donc tandis qu'on ne te menace,
Et la mort boiteuſe te ſuit,
Il faut que ta docte main face
Vn œuure digne de ton bruit.