Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Ma promeſſe ne
A promeſſe ne veut pas,
Carnaualet, que là bas
Ton nom erre ſans honneur,
Ne ſans auoir cognoiſſance
Quelle force a la puiſſance
Du vers dont ie ſuis donneur.
Muſes, filles du grand Dieu,
Par qui la foudre eſt lancée,
Venez chanter en quel lieu
Ie l'ay peint en ma penſée.
Il est vray que i'auoy mis
En long oubly la memoire
Qu'autrefois ie luy promis
D'eſpandre au monde ſa gloire:
Mais ores voſtre main forte
Chaſſe l'iniure, de ſorte
Qu'il voye parfaitement,
Que nulle mortelle choſe
Ferme ne fut oncques cloſe
Sous l'huis de l'entendement.
Le temps venant de bien loin
M'a blaſmé comme teſmoin
De n'acquiter mon deuoir:
Au pis aller, vne vure
Raclera toute l'iniure
Que i'en pourroy receuoir.
» C'eſt un trauail de bon-heur
» Chanter les hommes loüables,
» Et leur baſtir vn honneur
» Seul veinqueur des ans muables.
» Le marbre, & l'airain veſtu
» D'vn labeur vif par l'enclume,
» N'animent tant la vertu
» Que les Muſes par la plume.
Or donques ta renommée
Voirra le monde, animée
Par le labeur de mes dois:
Telle immortelle largeſſe
Paſſe en grandeur la richeſſe
Des grands Princes & des Rois.
Quelle loüange premiere
Ma Lyre te ſonnera,
Reſiouy de la lumiere
Que mon vers re-ſonnera ?
Diray-ie ou l’experience
Que tu as de la ſcience,
Ou ta main qui ſçait l’adreſſe
D’acheminer la ieuneſſe
Par tes vertus à bon train,
Ou ton art qui admoneſte
L’eſprit de la fiere beſte
Se rendre docile au frain ?
Qu’apportra du Ciel Pallas
A Bellerophon trop las
De vouloir en vain donter
Le fils ailé de Meduſe
A coups de pied, qui refuſe
Le laiſſer ſur luy monter :
Quand la nuict il entendis
Pallas des ſoudars la guide,
Qui en ſonge luy a dit,
Dors-tu la race Æolide ?
Pren le ſecours de tes maux
Ceſte medecine douce,
Elle ſeule des cheuaux
Le fier courage repouſſe.
Luy qui ſoudain ſe reſueille,
De voir vn frain s’eſmerueille :
Et le prenant l’a caché
En l’opiniaſtre bouche
Du cheual non plus farouche
L’ayant vn petit mâché.
Lors le domtant de plus pres,
Oſa tenter l’air apres
Monté ſus le doz volant :
Et ſe roüant en ſes armes
Fit de merueilleux alarmes.
Déuouant l’arc violant,
La puante ame il embla
A la Chimere à trois formes,
Et le col luy deſſembla
Loin de ſes teſtes difformes.
A terre morte il rua
Des guerrieres la vaillance :
Mais quel méchef le tua,
Ie le paſſe ſous ſilence :
Au Ciel maint feu lon vit naiſtre
De Pegaſe qui ſon maiſtre
Culbuta du hault en bas.
» L’homme qui veut entreprendre
» D’aller au Ciel, doit apprendre
» A s’eſleuer par compas.
Automedon ne Sthenelle,
Dont la longue antiquité
Chante la gloire eternelle,
La tienne n’ont merité :
Soit pour mollir le courage
Au cheual d’vne main ſage,
Ou ſoit pour le faire adextre
A la gauche & à la dextre
Obeyſſant à tes lois,
Afin que par ta conduite
Puiſſe vn iour tourner en fuite
Le camp ennemy des Rois.
Tes anceſtres maternels
Et tes ayeux paternels
Diuers champs ont habité :
Si bien que qui fils t’appelle
De deux terres, il ne cele
Ta race à la verité.
» Quand la Bize vient faſcher
» La nef que trop elle vire,
» Alors il fait bon laſcher
» Deux ancres de ſon nauire.
La France te va loüant
Pour ſon fils, & la Bretaigne
De t’aller ſien auouant
Si grand honneur ne deſdaigne :
Mais tu es fils legitime
De la Vertu, que i’eſtime
Plus que tes pays diuers.
C’eſt pour cela que ma corde
Parlant ta gloire s’accorde
Auec le ſon de mes vers.
Leſquels en douceur parfaits
Apparoiſtre ſe ſont faits
Sur le riuage du Loir,
Pour ſacrer à la memoire
Les vertueux qui leur gloire
Ne mettent en nonchaloir.
Comme le fils qu’vn pere a
De ſa femme en ſa vieilleſſe,
Ce vers Thebain te plaira,
Bien que tard ie te le laiſſe.
» L’homme veuf n’a tant d’ennuy
» De quitter ſon heritage
» Aux eſtrangers qui de luy
» Auront le bien en partage,
» Comme l’homme qui deuale
» Dedans la barque infernale
» De mes Hynnes deueſtu.
» En vain lon trauaille au Monde,
» Si la lyrique faconde
» Fait muette la vertu.
Mais la mienne emmiellée
Qui ſçait les loix de mon doy,
Auec les fluſtes meſtée
Chaſſera l’oubly de toy.
Les neuf diuines Pucelles
Gardent la gloire chez elles,
Et mon luth qu’ell’ ont fait eſtre
De leurs ſecrets le grand Preſtre,
Par ceſt Hynne ſolonnel
Reſpandra deſur ta race
Ie ne ſçay quoy de ſa grace
Qui te doit faire eternel.