Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Le Potier hait le
»
E Potier hait le Potier,
» Le Feuure le Charpentier,
» Le Poëte tout ainſi
» Hait celuy qui l’eſt außi
( Comme dit la voix ſucrée
Du vieil citoyen d’Aſcrée : )
Mais Bouju par ta vertu
Ce prouerbe eſt abbatu,
Vantant mon petit merite
( Sans te monſtrer enuieux )
Deuant noſtre Marguerite
Le rare preſent des cieux.
» Phœbus rauit les neuf Sœurs,
» Puis leurs picquantes douceurs
» Rauiſſent les beaux eſpris,
» Qui d’elles ſe ſont eſpris :
Et mon ame n’eſt rauie
Que d’vne bruſlante enuie
D’oſer vn labeur tenter
Pour mon Prince contenter,
Afin que mon petit œuure
Flatte l’oreille ſi bien,
Que ſa main pronte ie treuue
A me couronner de bien.
Celuy qui d’vn reth pourchaſſe
Les poiſſons, ou ceſtuy-là
Qui par les montagnes chaſſe
Les beſtes deçà & là,
C’eſt afin qu’vn peu de proye
La Fortune luy octroye :
Mais l’homme plein de bon-heur,
Qui ſuit comme toy les Princes
Et les grands Dieux des prouinces,
C’eſt pour ſe combler d’honneur :
Laiſſant au peuple ignorant
Vn creuecœur deuorant,
Béant apres la vertu
Dont le ſage eſt reueſtu.
» Les vns en cecy excedent,
» Les autres cela poſſedent :
Mais Dieu deſſus les Rois met
Des richeſſes le ſomet.
Au Poëte qui s’amuſe
Comme toy de les vanter,
Calliope ne refuſe
De l’ouyr touſiours chanter.
Quand Phœbus s’efleue aux cieux,
L’ombre fuit deuant ſes yeux :
Ainſi où ta Muſe luit,
La ſourde Ignorance fuit,
Rendant les bouches muetes
De noz mal-heureux Poëtes,
Qui ſouloient comme pourceaux
Souiller le clair des ruiſſeaux.
Les beaux vers que i’ay veu naiſtre
Si heureuſement de toy,
Te rendent bien digne d’eſtre
Prisé de la ſœur d’vn Roy.
Ta fameuſe renommée
Qui doit voir tout l’Vniuers,
Me prie d’eſtre nommée
Par la trompe de mes vers,
Et le feray : car ta gloire
S’eſgaye de la memoire :
Puis les Sœurs conte ne font
De nul papier, s’il ne porte
A la Dorienne ſorte
Ton beau nom deſſus le front.