Ronsard - Œuvres, Buon, 1587/Ie ſuis troublé de fureur

Œuvres de P. de Ronsard, Texte établi par Jean Galland, Claude Binet et al., BuonTome 2 (p. 23-26).
A LA ROYNE SA
femme.


ode iii. Stro. i.


IE ſuis troublé de fureur,
Le corps me fremiſt d'horreur,
D'vn effroy mon ame eſt pleine:
Mon eſtomac eſt pantois,
Et par ſon canal ma vois
Ne ſe deſgorge qu'à peine.
Vne Deité m'emmeine:
Fuyez peuple, qu'on me laiſſe,
Voicy venir la Déeſſe:
Fuyez peuple, ie la voy.
Heureux ceux qu'elle regarde,
Et plus heureux qui la garde
Dans l'eſtomac comme moy!

Antiſtro.

Elle eſpriſe de mes chans,
Loin me guide par les champs
Où iadis ſur le riuage
Apollon Florence aima,
Lors que ieune elle s'arma
Pour combatre vn Loup ſauvage.

L’art de filer ny l’ouurage
Ne plaiſoient à la pucelle,
Ny le vain mirouer : mais elle
Deuant le iour s’eſueillant
Cherchoit des Loups le repaire,
Pour les Bœufs d’Arne ſon pere
L’arc au poing ſe trauaillant.

Epode.

Ce Dieu qui du Ciel la vit
Si valeureuſe & ſi belle,
Pour ſa femme la rauit,
Et ſurnomma du nom d’elle
La ville qui te fiſt naiſtre,
Laquelle ſe vante d’eſtre
Mere de noſtre Iunon :
Ville cent fois bien-heureuſe,
Qui de tous biens plantureuſe
Ne celebre que ton nom.

Stro. 2.

Là les faits de tes ayeux
Vont flamboyant, comme aux Cieux
Flamboye l’Aurore claire :
Là l’honneur de ton Iulien
Dans le Ciel Italien
Comme vne planette eſlaire.
Par luy le gros populaire
Pratiqua l’experience
De la meilleure ſcience :
Et là reluiſent außi
Tes deux grands Papes, qui ores
Du Ciel où ils ſont encores
Te fauorisent icy.

Antiſtro.

Sans nombre ſont les moiſſons
De Iuillet, & les glaçons
Dont Ianuier bride la trace
De l’eau prompte à ſe crouter :
Ainſi ie ne puis conter
Tous les honneurs de ta race.
Le ciel t’a peint en la face
Ie ne ſçay quoy qui nous monſtre
Dés la premmiere rencontre,
Que tu paſſes en grand-heur
Les Princeſſes de noſtre âge,
Soit en force de courage,
Soit en royale grandeur.

Epode.

Le comble de ton ſçauoir
Et de tes vertus enſemble,
Dit qu’on ne peut icy voir
Rien que toy qui te reſemble.
Quelle Dame a la pratique
De tant de Mathematique ?
Quelle Princeſſe entend mieux
Du grand Monde la peinture,
Les chemins de la Nature,
Et la Muſique des Cieux ?

Stro. 3.

Ton nom que mon vers dira,
Tout le monde remplira
De ta louange notoire :
Vn tas qui chantent de toy,
Ne ſçauent ſi bien que moy
Comme on doit ſonner la gloire.

Iupiter ayant memoire
D’vne vieille deſtinée
Autrefois determinée
Par l’oracle de Themis,
A commandé que Florence
Baiſſe ſous les loix de France
Sa fleur en nos fleurs de Liz.

Antiſtro.

Mais à tous Rois il defend
Tel honneur, ſeul ton enfant
L’aura, comme ſtant enſemble,
Italien & François,
Qui de front d’yeux & de vois
A pere & mere reſemble.
Deſia tout colere il ſemble
Que ſa main tente les armes,
Et qu’au milieu des alarmes
Ia deſdaigne les dangers :
Et ſeruant aux ſiens de guide,
Veinqueur attache vne bride
Aux royaumes eſtrangers.

Epode.

Le Ciel qui nous l’a donné
Pour eſtre noſtre lumiere,
Son Empire n’a borné
D’vn mont, ou d’vne riuiere :
Le Deſtin veut qu’il enſerre
Dans ſa main toute la Terre,
Seul Roy ſe faiſant nommer
D’où Phœbus les Indes laiſſe,
Et d’où ſon char il abaiſſe
Tout panché dedans la mer.