Romantiques, Pétrus Borel, Alexandre Dumas/Pétrus Borel
PÉTRUS BOREL
Borel d’Hauterive (Joseph-Pierre) plus connu sous le vocable de Pétrus Borel, est la plus originale et la plus attachante figure du cénacle romantique.
Un portrait de Pétrus, par Napoléon Thomas, fut exposé au Salon de 1833. — Gilet rouge, habit aux larges revers pointus, gants sang-royaliste, chapeau pointu, barbe et cheveux flottants, tenue de Bousingot et de Jeune-France ; le tout dans un cadre tricolore.
Un autre portrait en pied, par Louis Boulanger, figurait au Salon de 1839 ; il fut gravé à l’eau-forte, pour l’Artiste, par Célestin Nanteuil ; Pétrus est représenté debout, la main droite posée sur la tête de son chien assis à ses pieds. — Le dessin à la mine de plomb, fait par Célestin Nanteuil, a été adjugé au prix de 100 fr. à la vente Asselineau.
Jean du Seigneur a exécuté, en 1830, un buste, et, en 1831, un médaillon de Pétrus Borel ; le médaillon de Théophile Gautier, par le même, porte aussi la date de 1831. — Ils sont signés Jehan du Seigneur.
Que sont devenus ces portraits et ces plâtres ? Je l’ignore, mais il nous reste un autre portrait en pied de Pétrus, un portrait à la Velasquez, superbe de couleur, et impérissable ; celui que Théophile Gautier a encadré dans son histoire du Romantisme : « Il était un peu plus âgé que nous, de trois ou quatre ans peut-être, de taille moyenne, bien pris, d’un galbe plein d’élégance, et fait pour porter le manteau couleur de muraille par les rues de Séville ; non qu’il eût un air d’Almaviva ou de Lindor ; il était au contraire d’une gravité toute Castillane, et paraissait toujours sortir d’un cadre de Velasquez, comme s’il y eût habité. S’il mettait son chapeau, il semblait se couvrir devant le roi, comme un grand d’Espagne ; il avait une courtoisie hautaine qui le séparait des autres, mais sans les blesser, tant il s’arrêtait juste à la limite où elle serait devenue de la froideur ou de l’impertinence. C’était une de ces figures qu’on n’oublie plus, ne les eût-on aperçues qu’une fois. Ce jeune et sérieux visage, d’une régularité parfaite, olivâtre de peau, doré de légers tons d’ambre, comme une peinture de maître, qui s’agatise, était illuminé de grands yeux, brillants et tristes, des yeux ce d’Abencérage pensant à Grenade. La meilleure épithète que nous puissions trouver pour ces yeux-là, c’est : exotique ou nostalgique. La bouche, d’un rouge vif, luisait comme une fleur sous la moustache, et jetait une étincelle de vie sur ce masque d’une immobilité orientale.
« Une barbe fine, soyeuse, touffue, parfumée au benjoin, soignée comme une barbe de sultan, encadrait, de son ombre noire, ce pâle et beau visage…
« La présence de Pétrus Borel produisait une impression indéfinissable, dont nous finîmes par découvrir la cause. Il n’était pas contemporain ; rien en lui ne rappelait l’homme moderne, il semblait toujours venir du fond du passé, et on eût dit qu’il avait quitté ses aïeux la veille. Nous n’avons vu cette expression à personne ; le croire Français né dans ce siècle, eût été difficile. Espagnol, Arabe, Italien du quinzième siècle, à la bonne heure. Grâce à sa barbe, à sa voix puissante et douce, à son costume pittoresquement arrangé, sans trop sortir de la mode ordinaire, et maintenu avec goût dans les teintes sombres, Pétrus Borel nous en imposait extrêmement et nous lui témoignions un respect qui n’est pas ordinaire, entre jeunes gens à peu près de même âge. Il parlait bien, d’une façon étrange et paradoxale, avec des mots d’une bizarrerie étudiée et une sorte d’âpreté éloquente ; il n’en était pas encore aux hurlements à la lune du lycanthrope et ne montait pas trop à la gorge du genre humain. Nous le trouvions très fort, et nous pensions qu’il serait le grand homme spécial de la bande. — Les Rhapsodies s’élaboraient lentement et dans une ombre mystérieuse, pour éclater en coup de foudre et aveugler, ou tout au moins éblouir, la bourgeoisie stupéfiée. »
Ces prévisions du cénacle sur l’avenir de Pétrus Borel ne devaient pas se réaliser ; les qualités ou les défauts, comme on voudra, par lesquels un homme se pousse dans le monde lui manquaient absolument. La lycanthropie, qui peut inspirer quelques boutades vigoureuses, n’en est pas moins un état maladif de l’esprit, amenant, lorsqu’il se prolonge, la stérilité. Aigri, fatigué, vaincu, Pétrus Borel se retirait de la lutte, alors que ses compagnons de la première heure, la plupart moins bien doués, s’établissaient victorieux sur les positions conquises.
Son aversion pour les bourgeois éclate dans la préface des Rhapsodies :
« J’ai leur signalement, dit-il : front déprimé, ou étranglé comme par des forceps, cheveux filasseux, de chaque côté des joues, une lanière de coenne poilue, un col de chemise ensevelissant la tête, formant un double triangle de toile blanche, chapeau en tuyau de poële, habit en sifflet et parapluie. »
Voici la part du roi :
« Un homme ayant pour légende et exergue : Dieu soit loué et mes boutiques aussi. »
Dans Champavert (1833), la plus étrange et la plus saisissante de ses œuvres, Pétrus Borel est devenu l’exaspéré, le lycanthrope ; il s’appelle lui-même de ce nom et date ses lettres à ses amis de Lycanthropolis.
Le roman de Madame Putiphar (1839) est écrit avec moins de violence, mais avec le même sentiment de misanthropie désespérée, évidemment sincère ; nous possédons une suite de lettres intimes, écrites à cette époque par Pétrus Borel à Philothée O’Neddy ; elles respirent une fierté dans la mauvaise fortune, une conscience d’artiste et une chaleur d’amitié qui sont tout à l’honneur du caractère de Pétrus.
Madame Putiphar eut peu de succès et ne rapporta presque rien à son auteur, qui dut chercher ses moyens d’existence dans la publication d’articles de journaux très peu rétribués. En 1846, sa situation était devenue pénible. Théophile Gautier lui fit donner en Algérie un emploi d’inspecteur de la colonisation, qu’il conserva pendant une dizaine d’années. Destitué par suite de la malechance, qui semblait obstinée à le poursuivre, il se livra, en dernière ressource, à la culture d’une concession qu’il avait obtenue, et périt des suites d’une insolation, en 1859, croyons-nous, à l’âge de 50 ans, presque entièrement oublié.
Asselineau, Théophile Gautier, et M. Jules Claretie ont remis en lumière cette intéressante figure de Pétrus Borel, disparue dans la nuit du ciel romantique, comme un météore dans une soirée d’été.
OUVRAGES DE PÉTRUS BOREL
Rhapsodies, par Pétrus Borel :
Hautain, audacieux, conseiller de soi-même,
Et d’un cœur obstiné se heurte à ce qu’il aime.
Vous dont les censures s’étendent
Dessus les ouvrages de tous,
Ce livre se moque de vous.
Paris, Levavasseur, Palais-Royal, 1832. Imp. de A. Barbier. 1 vol. in-16 de xiv et 123 p. ch., table comprise. Broché, couverture imprimée, 100 fr.
Au faux titre : Rhapsodies.
Ce volume a pour frontispice une gravure à la manière noire, anonyme, de Joseph Bouchardy, représentant Pétrus coiffé du bonnet phrygien, assis sur un escabeau et appuyé sur une table recouverte d’un tapis. Il est en chemise et bras nus, et tient à la main un long et large couteau dont il paraît vouloir se frapper. Le mur de la chambre est bâti en colombage ; draperie retombant à gauche comme un rideau de théâtre. — Il y a de plus deux vignettes lithographiées à l’intérieur du volume, signées Napol, Napoléon Thomas, ami de l’auteur, qui a fourni des illustrations à quelques livres, de 1830 à 1840 : l’une, pour la pièce intitulée Fantaisie, Pétrus sur la paille d’un cachot ; fers scellés dans la muraille ; à gauche, une cruche et un morceau de pain noir. L’autre, Ma croisée : Pétrus en grande toilette, accoudé à une fenêtre encadrée de vigne.
Annoncés comme sous presse sur la couverture :
— Pâture à liseurs, par Pétrus Borel. In-8 orné de vignettes, par Napol. Thomas et Joseph Bouchardy.
— Du même auteur : Appel aux jeunes Français à cœurs de lions, brochure in-8.
— Odelettes et études dramatiques, par Gérard (de Nerval).
— Mosaïque, par Philothée O’Neddy.
— Odes artistiques, par Théophile Gautier.
— Mater dolorosa, par Augustus Mac-Keat (Aug. Maquet).
— Essai sur l’incommodité des commodes, par Jules Vavre (ou Vabre), architecte.
L’exemplaire de Philothée O’Neddy, sans le frontispice, a été vendu 52 fr. Il portait :
« À mon cher O’Neddy, amitié. — Pétrus. »
— Deuxième Édition. — Bouquet, successeur de Levavasseur, au Palais-Royal, 1833.
Même tirage. On a ajouté une notice de x p. chiff. sur Pétrus Borel, Champavert le Lycanthrope. Le frontispice de Joseph Bouchardy est remplacé par une vignette eau-forte de Célestin Nanteuil : un ange vêtu d’un corset et d’une cotte au milieu d’un cartouche blanc où sont inscrits le titre et l’adresse de l’éditeur ; encadrement de figures diverses, têtes de morts,
médaillons, tableaux, livres, chevaliers armés, jeunes filles, démons, klephtes, effets de lune, ossements, etc., etc. ; en bas, un crucifix renversé ; signé Célestin Nanteuil. Broché avec la couverture, 30 fr.
Annoncés sur la couverture :
Du même auteur : — Faust, dauphin de France ; un fort volume in-8.
« C’est à vous surtout, compagnons, que je donne ce livre ! Il a été fait parmi vous, vous pouvez le revendiquer. Il est à toi, Jehan Duseigneur, le statuaire, beau et bon de cœur, fier et courageux à l’œuvre, pourtant candide comme une fille : Courage ! ta place serait belle, la France pour le première fois aurait un statuaire français. — À toi, Napoléon Thom, le peintre, air, franchise, poignée de main soldatesque, courage ! tu es dans une atmosphère de génie. — À toi, bon Gérard, quand donc les directeurs gabelous de la littérature laisseront-ils arriver au comité public tes œuvres si bien accueillies de leurs petits comités. — À toi, Vigneron, qui as ma profonde amitié, toi qui prouves au lâche ce que peut la persévérance ; si tu as porté l’auge, Jameray Duval a été bouvier. — À toi, Joseph Bouchardy, le graveur, cœur de salpêtre ! À toi, Théophile Gautier. — À toi, Alphonse Brot ! à toi, Augustus Mac-Keat ! à toi, Vabre ! à toi, Léon ! à toi, O’Neddy, etc. ; à vous tous que j’aime. »
Champavert, contes immoraux, par Pétrus Borel, le lycanthrope. — Paris, Eugène Renduel, 1833. Imprimerie de Madame veuve Poussin. In-8 de 438 p. chiff. Couverture jaune portant : Champavert, contes immoraux. Au verso de la couverture sont annoncées les œuvres de Charles Nodier. Broché, 150 fr.
« Je viens vous demander un service, dit Passereau à M. Sanson. Je venais vous prier humblement (je serais très sensible à cette condescendance) de vouloir bien me faire l’honneur et l’amitié de me guillotiner.
— Qu’est cela ?
— Je désirerais ardemment que vous me Guillotinassiez ! »
Vignette sur bois de Jean Gigoux, gravée par Godard, sujet du troisième conte : André Vesale, reproduite sur la couverture.
Robinson Crusoé, par Daniel de Foë. — Traduction de Pétrus Borel, enrichie de la vie de Foë, par Philarète Chasles, avec notice sur le matelot Selkirk, par Saint-Hyacinthe, sur l’île de Juan Fernandez, sur les Caraïbes et les Puelches, par Ferdinand Denis, et d’une dissertation religieuse par l’abbé La Bouderie, vicaire général d’Avignon. — Paris, Fr. Borel et A. Varenne, 1836. 2 volumes in-8. Imp. de Plassan et Terzuolo.
Deux cent cinquante gravures sur bois, par Lacoste, d’après Nanteuil, Devéria, Boulanger et Napoléon Thomas.
Faux-titre en anglais. Chaque volume a un frontispice gravé par Adolphe Best, d’après N. Thomas. — Le premier volume porte en regard du frontispice un très beau portrait de Daniel de Foë, gravé sur bois par Chevaurhet, d’après Eugène Devéria.
T. I, xvi et 422 p. chiff. ; T. II, 474 et xxviii p. chiff. — Beau livre, rare et recherché. Broché avec la couverture. 60 à 70 fr.
Madame Putiphar, par Pétrus Borel (le lycanthrope). — Paris, Ollivier, 33, rue Saint-André-des-Arts, 1839. Imprimerie de Terzuolo, 2 vol. in-8. — T. I, 446 p. chiff. ; T. II, 475 p. chiff. — À la fin du premier volume, un feuillet d’annonces de la librairie Ollivier. — Sur la couverture bleue de : Madame Putiphar, se trouve un cadran d’horloge, sans aiguilles, avec deux os de mort croisés et une larme.
Les deux volumes, 100 à 120 fr.
Dédicace à L. P. (Lucinde Paradel) : Ce livre est à toi et pour toi, mon amie.
Deux vignettes sur bois ; tome premier : Patrick à Trianon, insultant Madame de Pompadour (cliap. xxvi), non signé ; tome second : Déborah reconnaissant Patrick à la maison des fous ; Patrick est nu, hagard, avec un crucifix sur la poitrine ; à gauche, Déborah à genoux ; signé L. B. (Louis Boulanger), gravé par Lacoste.
Dondey de Santeney possédait un exemplaire en grand papier avec cet hommage autographe : À Monsieur mon très-cher frère Théophile Dondey, offert du meilleur de mon cœur. — Un exemplaire sur ce papier avec envoi autographe signé à Me Victor Hugo, a été vendu 200 fr. par M. Rouquette.
Annoncés au verso du faux-titre, comme du même auteur :
— Rhapsodies, poésies (épuisé) ; 1 vol. in-16.
— Champavert, contes immoraux ; 1 vol. in-8.
— Robinson Crusoé, édition illustrée ; 2 vol. in-8.
— Janniquette ; 2 vol. in-8.
— Tabarin ; 2 vol. in-8.
C’est en tête de Madame Putiphar que se trouve le prologue commençant ainsi :
Une douleur renaît pour une évanouie ;
Quand un chagrin s’éteint c’est qu’un autre est éclos ;
La vie est une ronce aux pleurs épanouie.
Dans ma poitrine sombre, ainsi qu’en un champ clos,
Trois braves cavaliers se heurtent sans relâche.
Et ces trois cavaliers à mon être incarnés,
Se disputent mon être, et sous leurs coups de hache
Ma nature gémit ; mais sur ces acharnés
Mes plaintes ont l’effet des trompes, des timbales,
Qui soûlent de leurs sons le plus morne soldat,
Et le jettent joyeux sous la grêle des balles,
Lui versant dans le cœur la rage des combats.
Le premier cavalier est jeune, frais, alerte ;
Il porte élégamment un corselet d’acier,
Scintillant à travers une résille verte
Comme à travers des pins les crystaux d’un glacier.
Nous regrettons de ne pouvoir citer en entier ce prologue dont Charles Baudelaire, un raffiné, admirait « la sonorité si éclatante et la couleur presque primitive à force d’intensité. »
L’Obélisque de Louqsor, pamphlet par Pétrus Borel. — Paris, chez les marchands de nouveautés, 1836. Imprimé par Dondey-Dupré. In-8, 16 p.
Très rare, 15 fr.
A paru d’abord dans les Cent-et-un, T. XIII. — Il a été tiré quelques exemplaires en grand papier.
Pétrus Borel a écrit, en outre, dans un grand nombre de journaux, à la Revue de Paris, à l’Artiste, au Messager, au Commerce, etc. Il a donné à ce dernier journal, en 1844, des articles de critique dramatique qui ont été fort remarqués.
Un de ses biographes[1] a donné la liste de ses articles à l’Artiste :
1835. — Une nouvelle : Jérôme Chassebœuf.
1844. — Une nouvelle : le Vert galant.
1845. — De la Chaussure chez les anciens et les modernes (trois articles).
— Diverses poésies.
— Le Général Marceau et Clémence Isaure.
— Philologie humoristique.
— Pierre Bayle.
— Rêveries ethnologiques.
— Des Fantaisies grammaticales.
— Alger et son avenir littéraire.
1847. — Du jugement publique (sic), pastiche de la langue de Montaigne.
M. Claretie a complété cette liste, dans la Petite Revue, par les indications suivantes :
1834. — Vendrapedon ; dans le Journal des demoiselles. — Le maréchal de Gié ; id.
1835. — Promenade en Espagne ; id.
1843. — Daphné ; 19, 20, 24 et 22 novembre, le Messager.
1844. — Le Capitaine François de Civile ; 8 juin 1841, le Commerce.
1844. — Revue dramatique ; avril à juillet 1844, id.
1845. — Le Fou du roi de Suède ; 30 décembre, id.
1846. — Quelques mois chez les Amazoulous ; 8 janvier, Journal des Chasseurs.
Pétrus Borel a donné encore :
À la Revue de Paris, 1843, le Trésor de la caserne d’Arcueil.
Aux Français peints par eux-mêmes, deux types : le Croquemort ; le Gniaffe.
La troisième édition de la facétie intitulée : Comme quoi Napoléon n’a jamais existé (1836), est précédée d’une préface signée P. B., qui est de Pétrus Borel.
On cite encore de lui Une année de Bretagne, dans le Livre de beauté, recueil de portraits historiques publié chez L. Janet, éditeur rue Saint-Jacques, 1834. In-8, avec préface de Charles Nodier.
On a annoncé comme sous presse, de Pétrus Borel, sur la couverture de la Liberté, journal des arts, Paris, Normand, libraire, 1832, Graisse d’ours, un fort volume in-8, vignettes ; sur la couverture de Fortunio de Théophile Gautier, Paris, Desessart, 1838, Aimez-vous la cornemuse ? deux volumes in-8, et sur la couverture de Chants et Prières, poésies, par Ch. de Maricourt et Eug. Tourneux, Paris, Desessart, 1838, un autre roman, en deux volumes, La Belle Cordière.
Pétrus Borel a été le fondateur et le directeur de divers journaux : la Liberté, journal des arts ; la Revue pittoresque ; l’Âne d’or ; le Satan.
Les lettres autographes de P. Borel, rares et recherchées, sont d’une écriture ferme, régulière, très fine, en ronde renversée, sans ratures, d’un style vigoureux et imagé ; nous détachons de sa correspondance inédite avec Philothée O’Neddy, les passages suivants relatifs à Madame Putiphar :
« Non, mon cher, non, ces excellences ne m’ont rien expédié au Baizil. Je n’ai pas vu jusqu’à cette heure seulement le bout du nez de la plus petite autorisation. Je t’avouerai que je ne comptais plus sur rien de semblable. Je m’étais dit : Ces Messieurs, ces hautesses du haut de leur perchoir et de leur vertu, auront repoussé, loin, bien loin ma demande, ne voulant pas conniver à la fabrication d’une aussi monstrueuse immoralité que Madame Putiphar ; car, sur l’étiquette, c’est ainsi qu’ils ont dû présumer du contenu de la fiole.
« … Tu me fais l’honneur de me demander des nouvelles de Madame Putiphar ; j’y travaille sans relâche, surtout depuis une quinzaine de jours ; mais pour cela, ça ne va pas très vite ; je n’avance guère. O mon ami, que c’est donc difficile à faire, même un mauvais livre ! Est-ce la tâche qui est trop forte ? est-ce l’ouvrier qui est trop faible ? je ne sais ! mais je me sens ployer et quelquefois défaillir sous la besogne. Oh ! que de fois ces jours-ci j’ai envié le sort de ceux qui savent faire des livres sans enfer ; qui, chaque terme, se déchaussent d’un roman comme un postillon se déchausse de ses bottes. Quant à ton ami, tout en travaillant comme un laboureur, il se voit encore pour un mois de souffrances…
« C’est assis dans une cheminée, au milieu d’une hutte de boue et de chaume, entre deux mares ou plutôt deux margouillis, que ton ami, avec des sabots colossaux aux pieds et sur le dos une souquenille de toile à voiles, t’écrit ces lignes et t’embrasse…
Dans cette lettre, Pétrus Borel dit que le libraire Ollivier lui avait promis 200 fr. pour terminer Madame Putiphar ; les paiements devaient se faire par quart, et donnèrent bien des tribulations à ce pauvre Borel.
Je te fais passer le chap. XV de Notre Dame Putiphar ; pour le remettre, comme ses devanciers dans la carrière, à l’imprimerie Terzuolo. Je pensais t’en envoyer davantage et t’en envoyer plus tôt, mais je viens de garder le lit pendant huit jours, ce qui m’a mis beaucoup en retard. D’autre part, je me suis amusé à écrire le chap. XVII avant d’avoir mis bas le chap. XVI, qu’il faut d’abord au typographe…
- Sir Theophilus O’Neddy.
Je te remercie à deux genoux de ton excellent conseil à propos de la grossière phrase de Deborah : à dia et à hurhu. Ces fautes de goût me sont assez coutumières ; j’en ai déjà pas mal derrière moi qui me poursuivent comme des remords… Je demande expressément ton attention sur le chapitre que je t’envoie. Ce que tu y trouveras de mauvais, de languissant, biffe-le, je t’en prie, avant de l’envoyer à messire Terzuolo. Je t’avais parlé l’autrefois de mon chap. XVII, que j’avais écrit avant le chap. XVI ; ce chap. XVII que je ne t’envoie pas, je l’ai lu et relu, je le lis et le relis encore, et je le trouve hors d’œuvre et médiocre ; j’en ferai un autre…
Dans le chap. XVI, si tu trouves, ce que je crains, que la rêverie et le délire de Fitz Harris soient trop longs, ôte tout ce qui pourra te sembler languissant, ou tout autre chose.
- À Sir Theophilus.
Ceci est un peu de copie que ta seigneurie bien aimée voudra bien remettre en son lieu. Ce chap. XVII sera bien ce qu’il y aura de plus e…oire sur le globe ; que veux-tu ? j’ai besoin de ce jalon, de ce pivot, de ce chaînon, pour la marche de mon épopée…
- Au même, de Tours, 14 décembre 1837.
… Tours est une belle et agréable ville, couchée entre le Cher et la Loire, de mœurs très régulières ; où les Anglais abondent ; où les pruneaux sont inconnus ; où l’on ne fabrique pas de gros ; où dans la rue Royale, il y a un très joli perruquier qui se nomme Roméo, qui se fait nommer Roméo, devrais-je dire, le polisson !… Je travaille assez exemplairement aux dernières pages de mon livre qui paraîtra aussitôt mon retour…
- ↑ M. Jules Claretie : Pétrus Borel, le lycantrope, sa vie, ses écrits, etc. Paris, Pincebourde, 1865 ; in-16.