Romanciers anglais contemporains - Rudyard Kipling

Romanciers anglais contemporains - Rudyard Kipling
Revue des Deux Mondes5e période, tome 50 (p. 382-419).
ROMANCIERS ANGLAIS CONTEMPORAINS

M. RUDYARD KIPLING[1]

Il faut avoir la date sous les yeux pour se persuader que M. Rudyard Kipling n’a que quarante-trois ans. Voilà quelque quinze ans qu’il est célèbre, que des critiques le proclament un maître, que des peuples l’acclament comme un oracle. Jamais peut-être popularité ne fut si soudaine, ni ne porta un écrivain si haut. En 1907, elle était consacrée par le prix Nobel, destiné à honorer les œuvres qui, elles-mêmes, honorent le plus l’esprit humain. On peut aujourd’hui, dans l’accalmie où il se repose, et peut-être se recueille, embrasser d’un regard ce grand talent et sa magnifique fortune. L’un et l’autre ont leur signification et composent une destinée comme il en est peu dans l’histoire des lettres contemporaines.


I

L’auteur des Livres de la Jungle et de tant de beaux contes de l’Inde est né dans l’Inde. Il y revint à seize ans, après avoir fait ses études dans un collège du Devonshire. Énergique, résolu, les yeux bien ouverts sur le monde, le voici tout de suite en contact intime avec le pays dont il sent battre les artères au bout des fils qui aboutissent à son bureau de rédaction, le long des grands chemins qu’il parcourt comme correspondant de journaux, dans les villes et dans les camps, partout enfin où il se mêle au monde officiel, aux diverses classes de la population indigène ou anglaise. Son précoce talent se nourrit d’une si riche matière, et bientôt il donne les Simples Contes des collines (Plain Taies from the Hills). Si quelques récits annoncent déjà les recueils postérieurs, la note dominante est celle de l’ironie et de l’humour, le sujet principal est la société anglo-indienne, avec les intrigues et les aventures de la station d’été, la coquette Simla, égrenée sur les premières pentes de l’Himalaya.

La jeunesse est irrévérente. Ses regards fixés au loin ne s’arrêtent pas assez sur la vie toute proche pour pénétrer ses secrets, ses grandeurs et ses misères, pour en recevoir des leçons d’indulgence et de respect. Plus qu’un autre, M. Rudyard Kipling, robuste, hardi, maître de lui, plein d’assurance et de confiance, est prêt à observer sans émotion, à railler avec tranquillité. Son esprit dégagé s’amuse de cette société brillante et nostalgique, avide d’oublier dans les plaisirs le fardeau de la vie hindoue et la douceur perdue des foyers séculaires. Après tant de romanciers qui nous ont ouvert le home, voici des peintures de l’Anglais hors de chez lui, loin de chez lui, aventuré parmi les fatigues et les périls. Ces premières esquisses, vivement enlevées, sont peu sentimentales et révèlent une main sûre au service d’un regard aigu. Peut-être aussi le très jeune écrivain se plut-il à scandaliser le lecteur, à forcer son attention, fût-ce en ajoutant à la désinvolture un peu de brutalité. Il y a bien, en effet, quelque affectation de cynisme dans la complaisance avec laquelle M. Rudyard Kipling nous peint l’envers de la brillante société anglo-indienne et du somptueux décor officiel. C’est un signe de force de voir les choses comme elles sont et de les faire voir aux autres, tranquillement. L’auteur des Simples Contes se sent très fort. Nombre d’Anglais, parmi les critiques ou les lecteurs, trouvèrent ce ton insupportable. Mais quelle décision, quelle concision dans le récit ! Il n’est guère possible d’avoir le dessin plus juste, le trait plus net. L’artiste était déjà hors de pair, comme dans tous les essais de cette période.

Et ce réalisme ne cachait, d’ailleurs, nulle violence, nulle amertume. N’allons pas y chercher des intentions de satire. M. Rudyard Kipling joue sans arrière-pensée, en bon tireur amusé de voir sur un mur qu’il sait solide la trace de ses balles. Ce sport inoffensif n’a d’autre effet que d’exercer et de montrer son adresse. Ni l’administration de l’Inde, ni la vertu anglaise n’ont rien à craindre : si la première se trompe, si la seconde s’oublie, cela paraît drôle, comme la chute d’un bon cavalier, qui le met en posture comique et ne lui fait pas de mal ; il ramasse son chapeau, le brosse d’un revers de manche et se remet en selle. On n’aurait point envie de rire s’il s’était cassé le bras. Soyez sûrs que M. Rudyard Kipling ne raillerait pas, s’il voyait les affaires de sa race ou de sa nation en péril. Comme tous les vrais croyans, il est à l’aise dans sa foi : elle se détend et laisse du jeu à sa verve. Il prend un malin plaisir aux petites comédies que lui donnent les grandes choses. Il croit fortement, inébranlablement à la supériorité et à la sagesse de la race conquérante, à la destinée de l’Empire. Il a confiance en ces hommes énergiques et simples qui ont le sens de l’ordre, de la discipline et de la responsabilité. Chacun se tenant à sa place et à sa tâche, les fautes se réparent, en quelque sorte, automatiquement ; ceux qui les ont commises s’instruisent par l’expérience, et l’Angleterre finit toujours par triompher. Le jeune romancier le sait ; il en est sûr ; pourquoi ne s’amuserait-il pas à regarder passer, sur la route au bout de laquelle est le succès, les fantaisies ou les ridicules, à les suivre tranquillement, allègrement, au pas délibéré de l’humour ?

L’observation détachée et dégagée qu’il promène volontiers sur toutes choses ne perd rien de sa désinvolture devant les sujets les plus graves : il met sa coquetterie à rester calme où d’autres s’indigneraient, impassible devant ce qui ne pourrait manquer de les émouvoir. Les catastrophes le laissent indifférent, et les cruautés ne le touchent pas. Ce sont des faits, rien de plus, ils ont en eux-mêmes leur intérêt, leur beauté et leur signification. Ici il raille les déconvenues des jeunes officiers ou fonctionnaires à peine débarqués de la vieille Angleterre, tout frais émoulus des écoles, tout bourrés de théories, pleins de confiance encore dans les méthodes et les principes. Ailleurs, il nous donne complaisamment en spectacle les jeux cruels ou ridicules de l’amour. C’est un de ses thèmes favoris. La jolie Kitty Beighton est la fille d’un pauvre juge de district ; courtisée par un haut fonctionnaire extrêmement laid, elle lui préfère ce coquin de Cubbon, un dragon du régiment en garnison à Umballa, le beau militaire sans avenir. Et elle signifie son choix devant le tout Simla des grands jours, dans un concours de tir à l’arc, organisé à son intention par l’amoureux commissaire, et transformé par le caprice de la jeune fille en « une représentation du jugement de Paris en sens inverse., » L’imbattable Kitty, pour mystifier son soupirant, se livre à un tir fantaisiste et refuse ainsi, avec le magnifique bracelet de diamans destiné à la plus habile, l’hommage qui se dissimulait à peine sous cette galante feinte[2]. Mrs Cusack-Bremil, après être restée trop longtemps chez elle à tourner et retourner les vêtemens de l’enfant défunt et à pleurer sur le berceau vide, indifférente à tout le reste, s’éveille enfin devant la réalité que de bonnes amies lui mettent sous les yeux ; elle la regarde en face et considérant qu’elle ne peut tout de même pas sacrifier au souvenir d’un enfant mort l’affection d’un mari vivant, va reprendre le sien de haute lutte à Mrs Hauksbee[3]. Elle est inoubliable, cette Mrs Hauksbee, « une petite femme brune, maigre, avec de grands yeux mobiles, nuancés en bleu de violette, et les manières les plus douces du monde. » Elle a « la sagesse du serpent, la logique serrée de l’homme, l’intrépidité inconsciente de l’enfant et la triple intuition de la femme. » On la trouve « loyalement malfaisante, » auprès de sa rivale, Mrs Reiver, qui « déploie une scélératesse de femme d’affaires. » Leurs intrigues, leur émulation, leurs exploits, ne sont que de la comédie. Le drame apparaît avec les faillites des jeunes gens qui n’étaient pas préparés à la lutte ou qui l’affrontaient dans de mauvaises conditions. Tel cet honnête garçon élevé par ses parens en Angleterre d’après « la méthode de la vie abritée. » Livré à lui-même dans l’Inde, il se dissipe, s’endette quelque peu, s’exagère la gravité de ses fautes et finalement se suicide. « Voilà des choses bien commodes à jeter à la tête d’une famille anglaise ! Qu’allons-nous faire ? » Les deux amis, arrivés trop tard pour sauver le garçon, ont bien vite arrêté un plan. Les lettres, les tendres lettres désespérées et touchantes, qu’il avait écrites à sa famille, à son colonel, à une jeune fille de son pays, sont jetées au feu et remplacées par une autre, porteuse de consolans mensonges. Mais l’élaborer ne fut pas une petite affaire, par cette soirée chaude et tranquille, à la lueur d’une mauvaise lampe, devant le corps inanimé.


J’ébauchai, en temps voulu, un brouillon assez satisfaisant. J’y démontrai comme quoi le garçon était le modèle de toutes les vertus, adoré dans son régiment, avec toutes les promesses d’une brillante carrière devant lui, et ainsi de suite… Comment nous l’avions soigné pendant sa maladie, — ce n’était pas le moment de faire de petits mensonges, vous comprenez, — et comment il était mort sans souffrance. Je suffoquais en mettant tout cela sur le papier, et en pensant aux pauvres gens qui le liraient. Puis, le grotesque de l’affaire me fit rire, et le rire se mêla aux sanglots, — et le major déclara que nous avions tous deux besoin de choses à boire.

Je n’oserais dire la quantité de whisky que nous absorbâmes avant de terminer la lettre. Ensuite, nous enlevâmes au garçon sa montre, son médaillon et ses bagues. Quand ce fut fait, le major dit :

— Il faut aussi envoyer une mèche de ses cheveux. Les femmes apprécient cela.

Mais, pour certaines raisons, il ne nous fut pas possible de trouver une mèche en état d’être envoyée. Le garçon était brun, le major aussi, heureusement. Je coupai une mèche au major, au-dessus de la tempe, avec mon couteau, et la mis dans le paquet que nous allions fermer.


Ils creusent la fosse, ensevelissent le malheureux petit officier, en récitant le Pater et une prière improvisée, pour le repos de son âme. Ensuite ils vont dormir. Mais il faut rester une journée encore, une longue journée de chaleur étouffante, dans cette maison de campagne pour donner de la vraisemblance à leur version que le jeune homme est mort du choléra : il faut lui laisser le temps de mourir. Ils repassent et retouchent leur histoire pour en voir les points faibles, — comme des assassins. Et le lendemain ils vont la conter au colonel, puis se coucher et dormir.

— Un tour de cadran, car nous n’étions plus bons à rien…

Le plus triste de tout fut la lettre que nous reçûmes, le major et moi, de la mère du garçon, — avec de grosses ampoules où l’encre se délayait tout au long des feuilles. Elle écrivait les choses les plus attendrissantes du monde à propos de notre grande bonté et de l’obligation dont elle nous resterait redevable pendant tout le temps de sa vie.

Tout bien considéré, elle nous restait, en effet, redevable d’une obligation… mais ce n’était pas exactement comme elle l’entendait[4].


Voilà l’humour de M. Rudyard Kipling. Pour le comprendre et le définir, il suffit d’en considérer l’opposé : c’est le contraire du lyrisme, où s’épanche le sentiment personnel de l’écrivain. Dans les Simples Contes des collines, l’auteur ne s’émeut point, il ne s’apitoie ni ne s’indigne. Les choses parlent d’elles-mêmes : son idéal est de les laisser parler. Si son émotion n’intervient pas, c’est qu’il veut laisser le champ libre à la nôtre, et aussi un peu, n’est-il point vrai ? garder sur nous sa supériorité. Et à travers toutes ces histoires de l’Inde anglaise, depuis les intrigues et les manœuvres de Mrs Hauksbee et les perfidies de Mrs Reiver jusqu’aux désenchantemens des jeunes gens qui, pour une raison ou une autre, n’arrivaient pas « en forme » sur le champ de courses, ou venaient courir avec des surcharges trop lourdes le handicap de la vie, M. Rudyard Kipling nous laisse voir de plus en plus clair dans sa pensée où nous pouvons lire que l’homme ne gagne rien à s’embarrasser de chimères sentimentales, alors qu’il aurait bien assez à faire de s’entraîner ou se réserver à l’action.

C’est l’idée que nous trouvons, après des scènes d’ironie, d’amertume, de badinage et de douleur, comme conclusion à cette comédie sentimentale, à « ce roman sans intrigue, » l’Histoire des Gadsbys. L’auteur nous y présente un jeune ménage anglo-indien. Le mari est l’officier colonial, brillant, léger, galant dans la vie mondaine, passionné d’ailleurs pour son métier auquel il se donne de tout cœur. Il a fait la cour à la mère de Minnie Threegan, puis à Minnie elle-même, dès qu’avec ses dix-huit ans elle lui est apparue soudain comme une charmante jeune fille. Simplement, cavalièrement, avec l’inconscient égoïsme qui supprime les indécisions, les préparations et les scrupules, il s’est fiancé, il a laissé Mrs Threegan à la mélancolie des réflexions que peut lui inspirer la « course du flambeau ; » brutalement il a annoncé à son amie, dans un dîner, ses fiançailles, c’est-à-dire, entre eux, la rupture. Puis, c’est la journée du mariage, — et « le Jardin d’Eden, » — et les nuées d’orage d’où l’averse ne tombe un instant que pour susciter l’arc-en-ciel, — et l’ombre de la mort sur les murs de la maison, — toutes ces joies partagées, toutes ces épreuves communes, tous ces souvenirs, tous ces liens (en attendant le plus puissant de tous, l’enfant) qui unissent deux existences dans une seule destinée. Dès lors, le capitaine Gadsby n’est plus lui : il est l’époux, il est le père ; il pense à la maison de famille où il serait bon de revenir, de vivre entre ses parens et son fils, de rattacher ainsi l’avenir au passé. La carrière des armes lui apparaît tout à coup redoutable ; il sent qu’il ne peut plus lui appartenir tout entier, s’y consacrer sans arrière-pensée. Il ne voit plus des mêmes yeux l’aventure et le péril. Et voilà pourquoi il songe à quitter l’armée. Le mariage aurait-il fait de lui un lâche ? Demandez son avis au capitaine Mafflim, le fidèle camarade, qui est resté célibataire. Cet avis doit être à peu de chose près, vers ce temps-là du moins, celui de M. Rudyard Kipling.


II

Car le jeune écrivain n’a pas foi dans l’amour ; il n’a foi que dans l’action. Toutes ses sympathies et, si l’on peut dire, son instinct, le portent vers les énergies qui font à ses yeux la réalité efficace du monde, vers les héros sans gloire et même sans grandeur qu’il ne peut se défendre d’admirer. Il s’est plu de bonne heure, dès les Contes des Collines, à nous esquisser des silhouettes de sous-lieutenans. S’il nous les montre plutôt sous le jour désavantageux de leurs aventures d’amour et de leur vie mondaine[5], déjà pourtant nous voyons en eux les hommes de leur fonction, avec les qualités qu’elle exige. Regardez les plus jeunes, les plus naïfs, ces subs à peine sortis de Sandhurst et que leurs aînés briment à plaisir. Le jour viendra où ils vous étonneront par leur riposte, alerte, hardie et victorieuse. Et surtout, il faut les voir à la besogne. Je ne vous raconterai pas comment le lieutenant Brazenose, « un beau gaillard de jeune officier, » entra nu avec ses vingt-six hommes nus, dans la ville de Longtungpen, qu’ils prirent aux Dacoits de Birmanie, après une traversée de l’Iraouaddy à la nage, en pleine nuit. « Pas un de nous ne fut blessé, sauf peut-être le lieutenant, » nous dit le facétieux Mulvaney, « et encore ne fut-il blessé que dans sa pudeur. » Le gouverneur de Longtungpen, quand il vint se rendre, dit à l’interprète : « Si les Anglais se battent comme cela tout nus, que ne feraient-ils pas dans le monde quand ils sont habillés[6] ? » C’est sans doute ce que M. Rudyard Kipling aimerait voir ses lecteurs se demander ; et il répond lui-même dans ses histoires de soldats[7].

Elles représentent une part importante de son œuvre, non la moins originale, et un aspect fameux de son talent, non le moins significatif. Le soldat, en effet, est l’image même de la force anglaise, l’expression concrète et vivante de cette énergie que M. Kipling admire et qu’il veut glorifier. La voici bien, dégagée de tout autre élément, et, comme dirait la science, à l’état pur. L’officier est encore guidé, — ou entravé, — par des idées, des théories. Le soldat n’a que sa vigueur, sa bravoure et ce merveilleux instinct, fait de tradition et de pratique, qui le plie sans raisonnement, par conséquent sans défaillance, à une fin supérieure à lui. Il bâtit l’Empire. M. Rudyard Kipling ne dépasse point sa pensée quand il écrit sur la première page de Soldiers Three : « Ce livre est dédié, comme témoignage de vive admiration et de camaraderie, à cet homme très fort, Tommy Atkins, simple soldat d’infanterie. » Dans ses premiers contes, il lui faisait une place, et quand son ironie n’épargnait personne, il le prenait au sérieux, il parlait de lui avec complaisance et avec amour. C’est là qu’il nous a présenté ses trois héros, « les Trois Mousquetaires, » Mulvaney, Learoyd, Ortheris, un Irlandais, un géant du Yorkshire, un cockney de Londres, et nous les retrouvons, soit comme acteurs, soit comme témoins et narrateurs, dans une quinzaine d’autres histoires[8].

Leur peintre les voit tels qu’ils sont, et il n’est pas tenté de les idéaliser, parce que, tels qu’ils sont, il les aime. Ils ne sauraient être mieux. Car vous n’allez point demander, — n’est-ce pas ? — aux soldats de la Grande Angleterre, aux serviteurs à un shilling par jour de Sa Majesté britannique dans les territoires d’au-delà des mers, d’être des gentlemen raffinés ou de jeunes « intellectuels » épris de doctrine. Ce sont, comme il convient, des gaillards bien nourris de viande et gorgés d’ale, grossiers instrumens de grands desseins, en qui le devoir se réduit à accepter d’avance le risque de verser leur sang pour « la veuve de Windsor à qui la moitié du monde appartient. » Mais, en attendant l’heure, ils sont capables de tous les tours, aussi à l’aise dans la brutalité que dans l’indélicatesse. Hier ils maquillaient un chien, — l’infernal roquet du sergent de cantine, — et le vendaient à une élégante rastaquouère aux lieu et place de l’angélique Rip, le fox-terrier de la colonelle, qu’elle avait eu l’audace de convoiter et la prétention de se faire livrer en fraude par l’honnête Learoyd, savamment circonvenu[9]. Aujourd’hui ils jettent à l’eau un noble lord, afin de le repêcher d’abord, ce qui ne peut manquer d’être une opération avantageuse, et aussi et surtout pour qu’il ne puisse pas mettre à exécution son projet incongru de les passer en revue un jeudi[10].

Ce sont de vrais garnemens, dont nous ne savons ce qu’il adviendrait s’ils n’étaient maintenus, contenus, soutenus par l’esprit de corps, la vie commune, une solidarité étroite, transcendante à leur intelligence et plus forte que leur volonté. Le régiment est une famille, où il y a des dévouemens simples et admirables. Tel celui de la vieille Pummeloe, qui fut héroïque, avec sa fille Jhansi, durant une épidémie de choléra. Elle y laissa la vie, mais le régiment adopta la petite, dont Mulvaney se constitua d’office le protecteur et le champion, jusqu’au jour où il la maria avec un caporal, sans permettre au fiancé par persuasion de tergiverser[11].

Les soldats aiment leurs officiers et ne se défendent point de quelque familiarité envers ces supérieurs dont ils vivent tout près, — il s’agit ici, ne l’oublions pas, de l’armée coloniale ; — ils regardent complaisamment leurs mérites et plaisamment leurs faiblesses, toujours enclins, les vétérans surtout, à considérer leur savoir tout frais et leurs théories apportées des écoles avec le scepticisme indulgent et quelque peu railleur que donne la supériorité de l’expérience et de la pratique. Cela n’empêche pas la discipline, d’ailleurs, d’autant que celle-ci ne procède point tout entière des règlemens et des sanctions, mais puise le meilleur de sa force dans la force même des choses, dans la réalité de la vie militaire, la longue habitude professionnelle, le dévouement à la personne du souverain. Cette discipline laisse subsister l’homme avec toute son originalité et une partie de son indépendance ; il garde quelque chose du franc parler des vieux serviteurs, et même, sans en avoir clairement conscience, une sorte d’égalité, que dissimule à ses propres yeux le sentiment de la hiérarchie, mais que l’officier reconnaît de façon ou d’autre, s’il sait prendre ses hommes et fonder sa popularité en même temps que son autorité. Il faut lire l’étrange histoire où le soldat Ortheris, frappé par un jeune lieutenant nerveux, cache la faute à l’officier supérieur, mais tourne et retourne furieusement l’injure, sans pouvoir s’y résigner, jusqu’au jour où il finit par déclarer que son ennemi est « un gentleman des pieds à la tête. » Ils ont réglé leur affaire entre hommes, à coups de poing ! Et voici l’impression finale du narrateur, disons de M. Rudyard Kipling : « La dernière escouade finissait ses cartouches, tout en jasant à voix basse et se chamaillant. Ouless se retira à quelque distance pour commander le repos aux hommes. Un instant, je vis sa figure en plein soleil, avant qu’il tirât son épée et lançât l’ordre du rassemblement et ramenât son monde à la caserne. Tout allait bien : l’adolescent avait mûri[12]. »

L’autorité des chefs ne perd rien à être quelquefois mise un moment en échec par ces grands enfans terribles, soldats ou jeunes officiers, car ils n’obéissent jamais à une mauvaise impulsion de révolte, et leur sentiment n’a rien d’anarchique. Si leur espièglerie est un peu forte, elle cache toujours une leçon : si elle manque de mesure, elle ne manque point de sens. Elle est à sa manière une obéissance ; elle manifeste l’esprit du régiment, dont les chefs sont les gardiens naturels. Ils ne se formalisent pas trop qu’on leur rappelle cette vérité quand ils sont tentés de l’oublier ; et sous les grands airs qu’ils sont obligés de se donner, ne fût-ce que pour cacher leur mauvaise humeur et sauver les apparences, il n’y a que très peu de colère, sans nul dépit contre ce conservatisme aux allures de rébellion, cette revendication collective par où l’âme commune se manifeste à travers d’énormes gamineries[13].

Et si ces robustes gaillards sont restés au fond des enfans, les enfans sont déjà des hommes. C’est à ce titre surtout qu’ils nous intéressent ; c’est sous cet aspect qu’il faut les regarder pour les comprendre. Ils sont destinés à nous montrer ce qu’est le véritable petit Anglais, typical boy, ou plutôt ce qu’il doit être avant de devenir un homme selon le cœur de M. Rudyard Kipling, un homme comme il en faut beaucoup à l’Empire. Wee Willie Winkie, « officier et gentleman, » est élevé par son père le colonel Williams dans le sentiment et les habitudes de la discipline. Quand il a été sage pendant une semaine, il reçoit la paye de bonne conduite ; quand il a été méchant, on le prive de son galon. Wee Willie Winkee est souvent privé de son galon, car il est l’enfant terrible, adoré du régiment, redouté des poules, les jambes couvertes d’égratignures, le visage plein de son, les cheveux coupés militairement. Il est fidèle dans ses amitiés ; or, il est l’ami du lieutenant Brandis, qui est le fiancé de miss Allardyce, et il les a vus s’embrasser, et il a compris que c’était leur secret qu’il ne fallait révéler à personne. Un matin qu’il est aux arrêts, il voit de la terrasse miss Allardyce s’aventurer à cheval « de l’autre côté de la rivière, » là où demeuraient « les Mauvais Hommes. » Entendez qu’elle franchit la frontière et passe chez les Afghans. Il n’hésite pas, rompt ses arrêts, descend en toute hâte, fait seller son poney et galope derrière la jeune fille, qu’il rejoint au moment même où, tombée avec son cheval, elle s’est foulée la cheville. Comment il tient tête aux Mauvais Hommes, jargonne dans leur patois, discute leurs menaces, fort du sentiment qu’il est de la race dominatrice, sûr d’ailleurs que le « éziment » viendra le chercher, puisque le poney est retourné au bungalow, c’est ce qu’il faut voir dans le détail d’une histoire contée avec infiniment de saveur et de pittoresque. On ne sera pas surpris d’y apprendre que le colonel fut fier de son fils et que le lieutenant le déclara un héros. « Je ne sais pas ce que ça veut dire, répliqua Wee Willie Winkie ; mais il ne faut plus m’appeler Winkie. Je suis Percival William Williams. » M. Rudyard Kipling ajoute, en manière de conclusion : « Et c’est de cette façon que Wec Willie Winkie entra dans sa virilité. » Nous ajouterons nous, en manière de commentaire, que le personnage avait six ans[14].

Il serait tout à fait oiseux de disputer sur la vraisemblance. L’exécution est merveilleuse ; et l’intention, nous la voyons bien : l’auteur ne s’est point proposé sans doute de nous montrer ce qu’était l’enfant, mais beaucoup plutôt de nous révéler ce que sera l’homme. La vérité du récit n’importe guère auprès de sa signification. M. Rudyard Kipling veut évidemment que nous regardions de telles figures avec une lunette qui les grandisse et qui les éloigne. Nous les reconnaîtrons alors : ce sont ces officiers de l’armée coloniale que nous avons déjà vus, ces administrateurs civils, ces « bâtisseurs de ponts » qu’il nous montre dans d’autres livres. Et il est curieux, certes, de les observer ici « en préparation. » Nous en aurons tout loisir si nous voulons bien prendre la peine de lire le volume que M. Rudyard Kipling a consacré à la vie de collège. Ce n’est pas un roman, mieux vaut peut-être en prévenir le lecteur. Ces épisodes détachés, qui mettent en scène des adolescens, n’ont rien à voir avec « l’éveil du printemps, » est-il besoin d’en avertir les amateurs de psychophysiologie ? Stalky, Beetle et Me Turk, c’est la réplique, si je puis dire, réduite et transposée, des « Trois Mousquetaires » du même auteur, trois héros de demain, qu’il n’est pas loin d’estimer des héros d’aujourd’hui, à leur manière. Et cette manière, il pense bien qu’elle est la bonne. « L’Inde est pleine de Stalkys, — de gaillards sortis de Cheltenham, de Haylebury, de Marlborough, que nous ne connaissons pas du tout. L’étonnement commencera quand il y aura vraiment une grande querelle. Figurez-vous seulement Stalky lâché dans le sud de l’Europe avec un nombre suffisant de Sikhs et une bonne perspective de butin. Pensez-y tranquillement[15]. » Voilà bien à quoi il faut penser, en effet, si l’on veut comprendre ce livre et en mesurer la portée. Ces mœurs de collège nous laisseraient en elles-mêmes assez indifférens, et le détail en est plutôt fastidieux, quand il s’étale au long de trois cents pages. Quel plaisir y ont donc trouvé les lecteurs anglais ? Quel intérêt y pouvons-nous trouver à notre tour ? M. Rudyard Kipling n’a pas laissé à notre sagacité le soin de deviner ses intentions, il ne nous a pas caché ses prétentions. Il ne se contente pas de nous laisser entendre, mais il nous dit et nous répète, ou à peu près : « Voilà les garnemens qui seront demain notre meilleure force, les plus sûrs ouvriers de notre grandeur ; à ce titre, ils méritent bien que vous les regardiez. »

Le spectacle est instructif, un peu déconcertant pour des lecteurs français, mais d’autant plus instructif. Dans nos collèges, la grande affaire est d’apprendre. L’élève est porté, à travers programmes, « cycles » et règlemens, jusqu’au terme de ses études et aux examens qui les consacrent. Rien de tel, à l’United Services Collège, Westward Ho ! Bideford, North Devon, — ni sans doute aux autres pépinières du même genre, où M. Rudyard Kipling se réjouit de voir pousser la robuste plante anglaise, capable de s’acclimater ensuite aux Indes, en Birmanie, en Australie, au Canada, à Hong-Kong ou dans l’Afrique australe. Ce n’est point ici le lieu de rappeler l’organisation si particulière des collèges anglais, ces cités autonomes où chaque maître est un chef de famille à peu près indépendant sous la suzeraineté du chef de la cité. Des garçons y grandissent, venus là non point tant pour recevoir les leçons des maîtres que pour se donner celles de la vie commune. L’étude n’est pas l’unique affaire, ni peut-être la principale. Dans le collège de Stalky, nous ne voyons jamais les collégiens au travail, et nulle part on ne nous dit qu’ils y soient quelquefois. Mais nous les voyons s’organiser en équipes occupées à se rosser méthodiquement, à régler chacune pour soi ou toutes entre elles leurs intérêts et leurs jeux, à cultiver chez leurs associés la résolution, l’initiative, la solidarité et l’indépendance. Ils sont âpres à se défendre et féroces à se venger, — une férocité de collège, qui n’a rien de tragique, mais leur fait accomplir des prodiges pour adapter dans chaque affaire le châtiment à l’offense. Tous les moyens leur sont bons, et les pires sont les meilleurs, pourvu qu’ils sortent de la situation même, utilisent les circonstances, les retournent et tirent la victoire de ce qui semblait préparer et annoncer la défaite. Ce sont des artistes en leur genre : la parfaite exécution est chez eux une coquetterie et un point d’honneur. Prenez-y garde : vous n’êtes pas, en présence de ces adolescens, devant des sensibilités qui s’emportent, mais devant des énergies qui s’entraînent et des volontés qui s’affirment. Il n’y a nulle colère dans leur brutalité, nulle passion dans leurs violences. Leurs plus méchans tours sont raisonnés froidement, perpétrés avec méthode. Vous retrouverez de la discipline jusque dans leurs rébellions, et ils ne se dérobent à des règlemens que pour se donner des lois. Ou plutôt, ils ne se les donnent pas : ils les ont en eux, comme une organisation naturelle et spontanée, que la vie collective du collège maintient et transmet. Ils n’ont pas eu à les concevoir, à les discuter, à les accepter. Leur mépris des idées, des théories, se fût mal accommodé de cette tâche. Ils n’éprouvent aucun besoin de raisonner ces réalités profondes et obscures, qui ne doivent s’exprimer que dans des actes. Vouloir et agir, c’est pour eux la fin de la vie, et nous les voyons s’y préparer.


III

La réalité de la vie, voilà pour M. Rudyard Kipling l’intérêt suprême. Une vie profonde et obscure, plus largement soumise que la nôtre aux sentimens et aux instincts, avec de longs sommeils et des explosions violentes, voilà sans doute ce qui l’attire dans ce monde indigène où il promène ses regards aigus et tranquilles. Quel spectacle déjà pour l’artiste disposé seulement à lui livrer tous ses sens, — pour un Loti, par exemple, — cette Inde à la fois antique et primitive, qui nous paraît si vieille parce qu’elle est restée si jeune et qui emprunte une grandeur mystérieuse à son immobilité ! Mais quelle mine inépuisable pour l’imagination active, capable de reproduire le jeu des forces élémentaires, de faire revivre dans ses créations les énergies éternelles des âmes ! Tel était le cas du jeune écrivain si indifférent aux idées, si épris de réalité concrète, directement observée et immédiatement perçue. Les histoires indigènes tiennent une large place dans son premier recueil[16]. Elles forment à elles seules tout un volume publié l’année suivante, In Black and White, 1889, et se retrouvent encore en nombre dans une des plus importantes séries de cette période, Life’s Handicap, 1891. Il n’est pas surprenant qu’un observateur aux intuitions si vives, si pénétrantes et si sûres, ait été séduit de bonne heure par cette humanité d’Orient dont les gestes et la vie extérieure frappaient tous les jours ses yeux. On referait aisément tout le procès de l’âme orientale avec quelques-unes des nouvelles où l’évoque son merveilleux réalisme. Il nous en a peint l’accablement et les déchéances dans de saisissans tableaux comme la Porte des Cent chagrins. L’écrasante lourdeur du ciel, les irrespirables brouillards de chaleur qui oppriment les volontés comme les poitrines, la puissance démesurée de la nature ont imposé à l’homme le sentiment de son néant. Trop volontiers il se laisse glisser à l’oubli du réel, au renoncement, ou cherche l’illusion du rêve. Entrez, par exemple, dans la fumerie du vieux Fung-Tching, et voyez cet habitué qui lui reste fidèle, rivé à ses habitudes, après qu’elle a dégénéré sous la direction du neveu. La chambre est sale, toutes les nattes sont déchirées et coupées sur les bords ; on lui met du son dans sa pipe. Il a vu mourir un à un ses compagnons et il sait que son heure est proche. N’importe ! Son seul désir serait de s’éteindre avec une pipe de bonne drogue entre les lèvres, en regardant les dragons noirs et rouges combattre ensemble leur dernier grand combat. — Plus lamentable encore est la destinée de cet ivrogne mahométan, marié à une femme indigène, et qui fut jadis un gentleman anglais, un étudiant d’Oxford. Les énergies ont de ces faillites, là-bas, sous le poids des choses. Il ne nous laisse que deviner son histoire à travers les confidences de ses derniers Jours à M. Rudyard Kipling. Le souvenir y jette des lueurs dans une sombre nuit, et nul explicite récit ne serait plus tragique. Les abîmes entrevus gardent toute leur horreur, et nous rêvons à notre aise sur tout ce qui a pu s’y perdre d’espoirs jadis fervens, d’efforts malheureux et de nobles pensées. Nous rêvons… Libre à nous de rêver… L’auteur conte ce qu’il a vu, répète ce qu’on lui a dit, — et passe. Son art sans doute n’en a que plus d’effet sur nos imaginations, cet art rapide, évocateur, brutal, et comme indifférent aux impressions qu’il peut éveiller en nous…

Nous restons seuls devant la réalité qu’il nous présente, et nous avons tout loisir de la regarder, préparée, éclairée, mise au point et en pleine lumière. Il faut voir avec quelle vigueur et quel relief s’enlèvent, en quelques traits, les tragi-comédies de l’avarice, de l’impiété, de la perfidie orientales. Est-il surprenant que dans une humanité exposée à de telles défaites, asservie à des forces qui la dépassent, il ne subsiste trop souvent que ruse, intrigue, habileté repliée, tortueuse et sournoise ? Los mystificateurs sont plus habiles que partout ailleurs à exploiter la crédulité de leurs dupes ; la malhonnêteté nous déconcerte par son impudeur ou son inconscience. Un prêtre bouddhiste apprend aux chrétiens convertis à tisser la fibre d’une ortie vénéneuse et à en faire des vêtemens dont la brûlure leur paraîtra une vengeance du Dieu trahi et une manifestation de sa toute-puissance. Un filou, usurier et faussaire, se fait télégraphier jour à jour des nouvelles d’un garçon malade à cent lieues de là, les donne au père comme des divinations et, grâce à d’horribles scènes de magie noire qui terrifient le bonhomme, lui soutire tout l’argent qu’il veut. — Reste-t-il encore quelque comédie dans la tragique histoire de ce mineur aveugle dont la jeune femme se laisse courtiser par un ouvrier de la même équipe ? Un jour, dans la saison des pluies, la mine est inondée. L’aveugle en connaît toutes les galeries, tous les détours. Il sauve son équipe et son rival. En récompense, l’amant de sa femme s’enfuit avec elle. Et si vous voulez enfin la tragédie toute pure, lisez Beyond the Pale[17], Without Benefit of Clergy[18], The Limitations of Pambé Serang[19], Dray Wara Yow Dee[20].

Quand cette humanité primitive nous découvre sa vie profonde, nous y reconnaissons, dans toute leur intensité et dans toute leur grâce, dans leur, violence sauvage et leur poésie intacte, les instincts éternels de l’homme et ses sentimens les plus simples, ceux qui n’ont pas cessé d’être les grandes forces de l’univers moral et que l’intuition des observateurs de génie sait retrouver sous les complications et les métamorphoses. L’amour et la mort, la jalousie et la vengeance, voilà le fonds commun de ces histoires ; disons plutôt de ces drames. Il y coule des larmes et du sang ; nous y voyons des joies infinies et des désespoirs qui tuent ; nous y devinons des arrière-plans mystérieux où n’atteignent point nos regards. Qu’est donc cette Bisesa, cette veuve de quinze ans qui, derrière le mur tout nu percé d’une seule lucarne grillée, au fond de l’impasse, « priait les dieux nuit et jour de lui envoyer un amant, car elle n’aimait pas la solitude ? » Un tintement affaibli de bracelets, une chanson d’amour, un joli petit rire, c’est à peu près tout ce qui nous arrive d’elle. Nous savons seulement qu’elle n’admettait point de partage quand on lui était devenu plus cher que son propre cœur. Faute de l’avoir compris, le fonctionnaire anglais qui avait conquis si aisément ce dangereux privilège, perdit à jamais la charmante Bisesa. Elle ne répondit plus à son signal ; elle ne parut plus à la fenêtre grillagée. Les semaines passaient. Un soir qu’il revenait pour la cinquième fois, Trejago enfin ne fut pas déçu. « Il y avait une jeune lune, un ruisseau de lumière inondait l’impasse d’Amir Nath et frappait le grillage qui s’écarta au signal. Du fond des noires ténèbres, Bisesa tendait ses bras dans le clair de lune. Les deux mains avaient été coupées à hauteur des poignets et les moignons étaient presque cicatrisés. Puis, comme Bisesa courbait la tête entre ses bras et sanglotait, quelqu’un, dans la chambre, gronda comme une bête fauve et quelque chose de tranchant — couteau, sabre ou lance — porta un coup d’estoc à Trejago à travers le boorkha. Le coup manqua son corps, mais lui entailla un muscle de l’aine, et il boita légèrement pour le reste de ses jours. Le grillage reprit sa place. Rien ne bougeait plus dans la maison. Il n’y avait rien que la barre de clair de lune sur la muraille haute, et, derrière, les ténèbres de l’impasse d’Amir Nath. »

Ne respire-t-on pas dans ce conte, où l’a concentrée le talent d’un grand artiste, toute la dangereuse beauté d’une nuit orientale ? L’art évocateur ne nous a livré de la vie qu’un aspect entrevu ; et c’est assez pour que nous devinions le reste. Il suffit que les êtres et les choses se soient un instant reflétés dans ces yeux dont les visions, au lieu de s’éteindre, demeurent à jamais vivantes et se traduisent au regard de tous. Nous le voyons, cet Afghan trompé qui décharge en paroles son fardeau de douleur et de colère, nous lisons jusqu’au fond de son âme violente. « Dray Wara Yow Dee, » les trois ne font qu’un, — ce refrain le hante, depuis qu’au retour d’un voyage il l’a entendu chanter par une voix d’homme à la porte de sa maison. Il a décapité sa femme infidèle. Le corps sans tête, l’âme sans lueur et son propre cœur en ténèbre, les trois ne font qu’un, les trois ne font qu’un. Maintenant il cherche l’autre, l’homme, le complice. A sa poursuite il est allé de Ghor à Pubbi, de Pubbi à Peshawer, de Peshawer à Nowshera, et la randonnée continue à travers l’Inde immense, durant les nuits et les jours. « Dray Wara Yow Dee ! Dray Wara Yow Dee ! L’œil du soleil, l’œil de la lune et mes yeux à moi, mes yeux sans repos, les trois ne font qu’un, les trois ne font qu’un ! » Rien de fort et de profond comme ce long cri de fureur sauvage. Voilà des âmes simples, rudimentaires, telles que les aime M. Rudyard Kipling. Elles se découvrent dans un moment, et sa psychologie courte et forte les y saisit sans analyse. Il les choisit toutes proches de la nature, encore tout engagées dans les instincts, comme nos tragiques du XVIIe siècle les prenaient aux plus hauts rangs de la société, rois et reines, princes et princesses, affranchis, autant qu’il est possible à l’homme, des liens de la matière et du besoin, libres et en possession des richesses de la vie intérieure, des raffinemens de la vie mondaine, habiles à en jouir. C’était leur triomphe à eux de démêler ces sentimens subtils, d’en montrer le jeu compliqué dans les crises de la volonté ou de la passion. Nos romanciers s’y exercent encore, tant notre littérature a gardé son caractère intellectuel et social. Ceux mêmes qui s’attachent à des êtres simples, primitifs, — ; Pierre Loti avec son spahi, son pêcheur d’Islande, sa Rarahu, George Sand avec son Champi, sa petite Fadette, son Germain de la Mare au diable, — aiment à suivre la genèse et le progrès des sentimens, à démêler les causes, à suivre les effets. M. Rudyard Kipling ne prend guère que des incidens ou des épisodes. On a comparé son œuvre à un cinématographe. Soit ; mais il faut ajouter que ces tableaux manifestent la vie intérieure des personnages et suffisent à la manifester parce qu’elle y tient tout entière et ne les déborde pas.

C’est là peut-être que l’art de M. Rudyard Kipling atteint son plus haut point de perfection. Toutes ses qualités se trouvent réunies, concentrées et portées à leur maximum dans ces « nouvelles » où rien ne les affaiblit ni ne les dépasse. Ses perceptions sont nettes et vives, ses intuitions sûres ; il saisit du même coup d’œil la forme et la signification des êtres ou des choses, le détail et l’ensemble, l’ensemble dans un détail. Il a, dans le domaine limité où il excelle, ce don merveilleux d’un Shakspeare ou d’un Balzac, qui dispense de patience et épargne le temps : il voit et devine, plutôt qu’il n’observe. Son imagination est précise, rapide, concrète ; elle suffit à tout. Nul écrivain n’est moins « intellectuel, » et il a su trouver la matière qui convenait entre toutes à son art, dans l’Inde anglaise où s’affirment les caractères et les énergies, dans la vie indigène où s’épanouissent les instincts, les passions primitives, les sentimens éternels de l’humanité. « L’on ne peut faire quoi que ce soit, a-t-il écrit quelque part, avant d’avoir ouvert les yeux sur ce qui existe et de l’avoir contemplé. » Ouvrir les yeux sur ce qui existe, voilà en effet à peu près toute sa préparation ; il ne lui en faut pas plus pour acquérir toutes ses richesses. Et elles s’ordonnent sous sa main spontanément, sans effort. La précocité de M. Rudyard Kipling a été prodigieuse ; il a atteint du premier coup sa perfection. Nous ne pouvons nous défendre, devant cette force qui se possède, de penser à Mérimée et à Maupassant. La littérature anglaise évoque d’ordinaire de tout autres comparaisons. Si les romans en trois volumes y abondent et souvent y sont riches de choses excellentes, la « short story » y est plus rare et ne se rencontre guère que chez quelques écrivains américains, un Edgar Poë, un Bret Harte, un Mark Twain. Ajoutons enfin que l’expression est forte, directe, brutale même, étonnamment adaptée aux sujets de l’auteur et à sa manière. Il use, à son gré et d’après ses besoins, du mot hindou, du terme d’argot et du barbarisme. Sa langue est, comme il convient à son génie, exactement le contraire de notre algèbre idéologique du XVIIIe siècle, si rigoureuse et si claire, dernier terme de l’évolution de notre langue classique : elle est concrète comme son imagination même, toute chargée du réel dont elle garde la couleur et le relief.

Cette souveraineté de la sensation, de l’image qu’elle laisse après elle, explique, en même temps que le réalisme original de M. Rudyard Kipling, le goût de l’étrange, du fantastique et de l’horrible, le sens du mystère, toute la série des « eerie tales, » comme elle explique, suivant une pénétrante remarque de M. André Chevrillon[21], la coexistence dans l’esprit anglais de deux caractères, en apparence antagonistes, le sens du réel et la faculté de rêve intense. Le rêve, en effet, n’est qu’un défilé d’images soustraites à l’action de la pensée logique, maîtresses du champ de la conscience. Si l’esprit est capable de les dissocier, de les assembler en combinaisons inédites, s’il est assez actif, assez souple, assez hardi pour jouer librement avec elles, sa fantaisie créera un monde nouveau, affranchi des lois du monde réel ou peut-être soumis à des lois encore inconnues, plus subtiles mais non moins réelles que celles d’une science nécessairement étroite et inachevée. Un autre Anglais l’a dit : « Il y a plus de choses au ciel et sur la terre que n’en connaît notre philosophie. » Lisez à ce point de vue Le Rickshaw fantôme, cette merveilleuse histoire dont une hallucination fait tous les frais. Un homme qui s’est cruellement joué d’un fidèle amour est poursuivi par le fantôme de sa douce victime. Partout où il va, surgit l’apparition de la femme dont il a causé la mort : elle est assise dans son rickshaw qu’il connaît bien et qui lui barre la route ; elle est triste et suppliante : « Jack ! Jack, mon ami ! Je vous en prie, pardonnez-moi ! » Elle finit par ne plus le quitter, créature vivante parmi des créatures vivantes, ou ombre parmi des ombres, il ne sait plus. « En quelque lieu que j’allasse, les quatre livrées noir et blanc me suivaient et me tenaient compagnie du seuil au seuil de mon hôtel. Au théâtre, je les trouvais parmi la foule hurlante des jhampanies ; à l’extérieur de la vérandah du cercle, après une longue soirée de whist ; au bal anniversaire, attendant patiemment ma réapparition, et en plein jour, lorsque j’allais en visites. Sauf qu’il ne portait point d’ombre, le rickshaw était sous tous les rapports d’aspect aussi réel qu’un rickshaw en bois et en fer. Plus d’une fois, oui-da, il m’a fallu m’empêcher de crier gare à l’ami lancé à fond de train, qui allait galoper par-dessus le véhicule. Plus d’une fois j’ai arpenté le Mail, en pleine conversation avec Mrs Wessington, à l’indicible ébahissement des passans. » Cependant il continue le cours de sa vie ordinaire, jugé tantôt comme un travailleur surmené, tantôt comme un fou, mais se rendant lui-même un compte exact de son état et dominé par « la sensation de sombre et stupide étonnement que le Visible et l’Invisible se mélangeassent si étrangement sur cette terre pour sonner l’hallali d’une simple et pauvre âme[22]. »

De l’étrangeté à l’horreur, le passage est naturel, insensible : l’imagination aime s’épouvanter de ses fantômes. Il semble que nous ne puissions nous livrer un instant à cette folle sans qu’elle nous emporte aussitôt avec elle dans le champ des mystérieuses terreurs. Si Le rickshaw fantôme nous rappelle le Horla de Maupassant, d’autres contes fantastiques de M. Rudyard Kipling nous ramènent à Edgar Poë. Cette analogie même, qui pourrait tenter les amateurs de parallèles, nous, dispense d’insister sur d’admirables histoires comme l’Étrange chevauchée de Morrowbie Jukes[23]ou La Marque de la Bête[24]. Ces inventions de cauchemar, avec leur détail précis, intense, nous laissent confondus et déconcertés, incapables de reconnaître dans quel monde nous a promenés l’auteur, si c’est l’imaginaire ou le réel. Mais là n’est pas leur principale originalité ; elles ne font ainsi que triompher dans le genre en obéissant à ses lois. Le privilège de M. Kipling est sans doute d’avoir trouvé autour de lui, pour y réaliser ses visions, non pas, comme un Américain du XIXe siècle, le décor familier et le train ordinaire de notre vie, mais l’Inde impénétrable, dont la tradition est pleine de légendes et l’immensité pleine de mystères. Son art reste ainsi exempt de tout artifice ; l’invraisemblable y emprunte toute la force de la vérité, et les plus troublantes fictions nous laissent au cœur même de la vie. Dans cette œuvre d’une trame si solide, le fantastique prolonge le réalisme sans solution de continuité.


IV

Jusqu’ici, M. Rudyard Kipling s’est borné à nous représenter la vie telle que son expérience la lui livrait : la vie anglaise du dehors, avec ses comédies où il s’arrête un moment, son énergique effort qu’il admire et qu’il aime, — la vie indigène, si pittoresque, si proche de la nature et du rêve qu’il suffit à l’imagination de la prolonger un peu pour la transposer dans le fantastique et l’étrange et tirer l’horreur de sa beauté. Jamais il n’y eut harmonie plus merveilleusement préétablie entre le peintre et les sujets que son heureux destin lui met sous les yeux, jamais artiste n’exploita avec plus de bonheur une aussi riche matière. Mais si cette perception, exceptionnellement expressive et forte, nous révèle déjà des sympathies et des préférences, elle n’a rien encore d’une conception générale, d’une philosophie où s’affirme un idéal. Pour la première fois, on peut être tenté d’en chercher l’ébauche dans un roman dont beaucoup de critiques ont voulu faire une autobiographie : La lumière qui s’éteint[25]. A travers des digressions sur l’art et sur la société, qui ont un accent tout personnel, il n’est pas malaisé de reconstituer les sentimens du héros, — ou de l’auteur. D’un mot, c’est un homme de proie. Il se jette sur la vie avec une âpreté sauvage, où on démêlerait assez vite autant de naïveté que d’orgueil. Il n’a qu’une faiblesse : son amour. Maisie, la jeune fille, est incapable d’aimer. Sans talent, sans tendresse, elle a voué non pas même à la peinture, mais à la volonté d’arriver, sa vie tout entière. Elle sacrifie Dick à son ambition têtue et vaine. La lumière s’éteint dans l’âme du jeune homme et dans son cœur avant de s’éteindre dans ses yeux. L’amour a désarmé ce lutteur intrépide ; il a terrassé cette volonté, hardie jusqu’à la provocation et à l’insolence. C’est qu’elle ne se rattachait, hormis l’amour, à rien de plus grand qu’elle-même et ce n’était pas assez. Dick devient aveugle ; il est abandonné et, suprême ironie de l’amour à son égard, victime d’une féroce et stupide vengeance. Une fille qu’un de ses amis avait recueillie par pitié et dont il a déjoué l’intrigue, contrarié la sensuelle passion, efface sur la toile sa dernière œuvre, créée dans l’agonie de ses yeux, le chef-d’œuvre où il a tenté de réaliser son suprême rêve de peintre avant de sombrer dans la nuit. Dès lors ce vaincu de la vie n’aspire plus qu’à mourir en buvant une dernière fois à la coupe où il s’enivra si fortement, la coupe de l’action, de la bouillonnante énergie, des audaces et des périls. L’auteur de cette œuvre violente et tendue, en nous faisant voir dans une telle destinée une faillite tragique, ne nous laissait-il pas pressentir qu’il n’avait pas dit son dernier mot ?

Oui, son premier mot était l’action. Elle est la nécessité primordiale, elle est le seul moyen que nous ayons d’utiliser la vie : « Play the gaine, don’t talk. » Soyez à votre jeu et trêve de bavardages. L’homme agit, l’enfant se prépare à agir ou déjà, nous l’avons vu, agit lui-même. Mais l’action n’est pas le but, la fin dernière ; elle ne se suffit pas. Ce n’est pas l’énergie seule qui importe, c’est l’énergie organisée. Rappelons-nous les soldats de M. Rudyard Kipling, rappelons-nous ses collégiens : au-dessus d’eux il y a le régiment et le collège. A mesure qu’il avance, il s’attache à pénétrer les lois de la vie collective. Le sens de l’énergie devient une philosophie de l’action.

Elle plonge ses racines dans la nature même, qui prend ainsi, aux regards de M. Rudyard Kipling, son plus grand intérêt. La nature, en effet, n’est pas pour lui un simple enchantement des sens. Nous sommes étonnés du peu de place que tient la beauté du monde dans l’œuvre de ce voyageur infatigable qui a couru toutes les mers et vu tous les pays. Non certes que cette beauté lui soit indifférente : il n’y a pas d’yeux plus attentifs aux images ni où elles se gravent avec une précision plus indélébile. Mais il n’a point le goût, il n’a point le loisir de s’abandonner aux passives délices de sentir. Il voit le monde à la fois comme un champ ouvert devant la volonté et comme un théâtre où l’intelligence peut lire les lois de l’action. La nature n’est plus un thème inépuisable à la disposition de la sensibilité. Que nous sommes loin du lyrisme romantique ! La relation de la nature et de l’homme redevient toute positive et pratique : celle de Robinson Crusoé et de son île, de l’Indien et de sa prairie. C’est ainsi que Gisborne, « des Bois et Forêts, » est en harmonie avec son rukh. Comme tout bon agent de ce service, « il s’avise de plus de choses que n’en enseigne l’art seul du forestier ; il apprend à connaître le peuple et le régime de la Jungle, lui qui rencontre le tigre, l’ours, le léopard, le chien sauvage, et tous les cerfs, non pas une fois ou deux après des jours de battue, mais à chaque pas au cours de ses travaux. Il passe beaucoup de temps en selle ou sous la tente, — ami des jeunes plants, compagnon de rudes rangers et de traqueurs velus, — jusqu’à ce que les bois, qui témoignent de ses soins, le marquent en retour à leur ressemblance, et qu’il cesse de chanter les gaillardises françaises apprises à Nancy, pour devenir silencieux parmi les choses silencieuses des sous-bois[26]. »

Et cette connaissance est seule capable de régler l’activité. Car nos énergies risquent de rester désemparées, si le monde qui les suscite ne les ordonne pas. Quelle harmonie, au contraire, quand le même appel les éveille et les oriente ! C’est précisément ce qu’il y a d’admirable dans la « loi de la Jungle. » M. Rudyard Kipling résume et symbolise en elle l’accord lentement formé qui se manifeste à la fois par les instincts des êtres ci par les lois des choses, cette parfaite harmonie de l’être et du milieu qui dans la nature s’appelle ordre et dans la conduite sagesse. « La loi de la Jungle, — qui est de beaucoup la plus vieille loi du monde, — a prévu presque tous les accidens qui peuvent arriver au Peuple de la Jungle : et maintenant, son code est aussi parfait qu’ont pu le rendre le temps et la pratique. » Un code ainsi élaboré est l’expression de l’ordre même des choses, qui s’y reflète et s’y reconnaît. La sagesse de l’instinct correspond à cet ordre universel, et l’énergie de l’animal est soumise à des lois qui prolongent celles de la nature. C’est une partie singulièrement originale et neuve, dans l’œuvre de M. Rudyard Kipling, que les histoires d’animaux. Tandis que notre La Fontaine humanisait les bêtes et nous donnait sous leur masque une comédie dont nous restions les personnages, elles gardent dans les deux Livres de la Jungle toute leur réalité ; et c’est cette réalité, — physionomie, mœurs, mouvemens et actions, — observée avec une précision prodigieuse, saisie avec une étonnante intensité, pénétrée avec une sympathie divinatrice, qui reçoit une signification humaine. Par un procédé inverse de celui du fabuliste, au lieu d’observer l’humanité et de lui donner figure de bêtes, M. Rudyard Kipling a considéré les bêtes et leur a supposé des âmes presque pareilles aux nôtres, des âmes où, par une fiction qui ne fausse rien, s’élèvent jusqu’à la conscience et à la parole les grandes forces organiques de la nature et de la vie. Ne cherchons point cette fois l’ample comédie qui reflète la vie humaine : on nous offre tout autre chose, dont nous n’avons point l’analogue et qu’il est absolument artificiel de comparer au Roman de Renart ou aux Fables, une œuvre sans précédent, une sorte d’épopée primitive, reculée non derrière nous, dans le lointain des âges, mais, si l’on peut, dire, au-dessous de nous, dans l’inexploré des formes inférieures de l’être, — la légende de la vie animale.

Tel est bien l’objet de ces contes, j’allais dire de ces poèmes : la vie animale dans sa force, sa beauté et sa signification. Elle peut donner plus d’une leçon à nos sociétés. La loi de la Jungle oppose aux codes humains sa compréhensive justice ; elle oppose à nos inquiétudes et à notre orgueil le triomphe d’un impératif contre lequel il n’y a pas de révoltes :


Or telles sont les lois de la Jungle, innombrables, — nul n’y peut faillir ;
Mais tête, sabot, hanche et bosse, la loi c’est toujours — obéir !


Ils y obéissent tous. L’ours brun, le vieux Baloo, renseigne aux petits loups, au Peuple Libre, qui la respecte et, marche toujours derrière un chef ; Hathi, l’éléphant sauvage, en est le gardien, comme Jupiter maître des destinées. Toute force, toute sagesse, vient de l’obéissance, de la soumission à cette loi. Impuissans et méprisables sont les réfractaires, ceux qui vivent en dehors, au-dessus, comme les Bandar-Log dans les branches des arbres. Ah ! combien il préfère le peuple loup, M. Rudyard Kipling, au peuple singe, « le peuple sans loi, les mangeurs de tout ! » Ecoutez le vieux philosophe Baloo : « Ils n’ont pas de chefs. Ils n’ont pas de mémoire. Ils se vantent et jacassent, et se prétendent un grand peuple, prêt à opérer de grandes choses dans la jungle ; mais la chute d’une noix suffit à détourner leurs idées, ils rient et tout est oublié. » Écoutez l’auteur lui-même, parlant en son propre nom, qui reprend les paroles de l’ours, insiste et les précise : « Ce que Baloo avait dit des singes était parfaitement vrai… Ils étaient toujours sur le point d’avoir un chef, des lois et des coutumes à eux, mais ils n’en avaient jamais, parce que leur mémoire était incapable de rien retenir d’un jour à l’autre ; aussi arrangeaient-ils la chose au moyen d’un dicton : — Ce que les Bandar-Log pensent maintenant, la jungle le pensera plus tard, — qui était pour eux d’un grand réconfort. » Vous les reconnaissez ? Les Bandar-Log sont les « intellectuels » de la jungle, la tribu établie en l’air. M. Rudyard Kipling les a chargés de toutes ses haines, et parce qu’ils ne sont pas restés sur le terrain commun de l’action, des nécessités pratiques et des disciplines traditionnelles, il leur a prêté l’arrogance des théoriciens, le cynisme des émancipés, l’impuissance des bavards, tous les vices opposés aux qualités anglaises, tous ceux, hélas ! qu’avec une psychologie un peu sommaire, égarée par la mauvaise humeur, quelques Anglais prêtèrent trop volontiers à ceux de leurs voisins les plus proches qui leur ressemblaient le moins…

El voici, au contraire, l’idéal de M. Rudyard Kipling : le maître de la jungle, façonné par elle et supérieur à elle, capable d’en apprendre tous les secrets, d’en embrasser toutes les lois, de lui obéir et de la dominer, Mowgli, frère des loups, élevé parmi eux, mais « petit d’homme. » Il a reçu les leçons de Baloo, « l’ours brun endormi, qui peut aller partout où il lui plaît parce qu’il mange uniquement des noix, des raisins et du miel ; » il est le protégé de Bagheera, la panthère noire, agile et hardie ; le confident de Kaa, le python de rocher, si vieux que « la lumière semblait s’être évanouie de ses yeux et les avoir laissés comme des opales mortes, » mais sage d’avoir vu tant de saisons et d’années et l’histoire de la jungle ; il est le vainqueur de Shere Khan, le tigre boiteux. En lui la nature achève toutes ses perfections et se couronne d’une perfection nouvelle : il est la force mesurée et invincible, la main adroite au service de l’intelligence instruite par l’expérience. Seul il peut faire baisser les yeux de toutes les bêtes sous son regard.

Sa destinée singulière, depuis le jour où les loups de Seeonee accueillirent dans leur clan le bébé brun tout nu, jusqu’au jour où le bel adolescent, au service de l’administration anglaise, attire avec lui dans le rukh une fille des hommes, cette destinée merveilleuse réconcilie en elle les deux forces qui sont trop souvent en conflit : la nature et l’humanité. L’homme de la nature, l’âme enracinée dans le sol, nourrie de la substance même des choses, forte de leur seule réalité et de leur seule beauté, jamais le roman anglais, si riche en esquisses de ce type qui lui est cher, ne l’avait réalisé avec plus d’audace et de fantaisie. Les romanciers restent asservis dans une certaine mesure à des lois d’imitation : Mowgli est une création de poète.

La poésie d’ailleurs baigne, illumine et transfigure les deux Livres de la Jungle[27]. Elle donne à ces contes d’animaux une grandeur épique. Elle est une révélation du sens caché ; elle ajoute vraiment à la nature. L’art de l’auteur n’a jamais peut-être été plus achevé ni plus sûr. Nulle autre manifestation, s’il fallait se réduire à une seule, n’en donnerait une plus haute idée. Beaucoup de lecteurs ne connaissent guère que celle-là. Ils y peuvent trouver les traits essentiels de son talent et l’orientation de sa pensée.


V

La légende de la jungle est à sa manière, en une suite de contes enchanteurs, l’histoire même de notre vie, telle que M. Rudyard Kipling a voulu nous préparer à l’entendre. Cette histoire, il va nous la faire lire maintenant en des œuvres où, cessant de parler à l’enfant toujours avide qui est en nous, il s’adresse à l’homme et lui offre de plus graves leçons. Les Livres de la Jungle peuvent être considérés comme un premier essai de cette manière nouvelle qui se complète et se précise dans The Day’s Work (1898), Traffics and Discoveries (1904), et trouve sa plus haute expression dans quelques poèmes des Seven Seas.

C’est la manière symbolique, dernière transformation, jusqu’à présent, de l’art de M. Rudyard Kipling. Mais est-il besoin de faire remarquer que ce mot de « symbolisme » ne doit pas évoquer dans notre esprit les nuageuses rêveries ni les variations musicales où se complurent, naguère, quelques-uns de nos poètes ? Le symbolisme en question ici s’exprime dans des formes infiniment plus arrêtées et plus nettes. Son originalité vient même de ce qu’il met au service de l’idée le jeu des perceptions minutieuses et vives, l’intuition du concret poussée jusqu’au dernier détail de la précision technique. L’existence à bord d’un bateau de pêche, la manœuvre, les engins, les journées et les nuits sur la mer, voilà, si nous faisons un instant abstraction de l’idée morale, le sujet des Capitaines courageux. La solidarité des différentes pièces d’un navire, leurs actions et réactions, voilà le sujet de l’étrange colloque où s’expliquent et se concertent rivets, plaques d’acier doux, barrots, cabestan, roues, cylindres et pistons[28]. Une locomotive nous est présentée de même dans 007[29]. On peut préférer à ces tours de force des fantaisies moins bizarres. Celles-ci n’en sont pas moins la manifestation extrême d’une virtuosité réaliste qui ne ressemble en rien au vaporeux idéalisme des symbolistes. Le symbole ne consiste pas ici dans une transposition de sentimens et de sensations, mais dans la signification spirituelle des objets matériels. Son but est de traduire une conception de la vie.

Le monde tout entier est, pour M. Rudyard Kipling, une grande leçon de discipline, d’obéissance et d’ordre. La société est comme la jungle, le navire ou la machine. Que chaque être, chaque pièce, chaque rouage tienne bon et reste à sa place, qu’il fasse sa besogne et obéisse. Toute la loi humaine est renfermée dans ces deux mots : struggle et order. Les premiers contes nous montraient déjà la nécessité de la lutte, de la résistance et de l’effort. L’auteur avait vu dans l’Inde les soldats et les « civilians, » ceux qui défendent l’Empire et ceux qui l’exploitent, ceux qui maintiennent les hommes dans l’obéissance et ceux qui contiennent la violence de la nature. Aussi bien que les soulèvemens de la population hindoue, l’Angleterre arrête les fureurs désordonnées des grands fleuves. Il ne lui a pas fallu moins d’audace et de ténacité pour barrer le Gange que pour réduire tel rajah à la vassalité. C’est une tâche colossale d’administrer le pays, de le mettre en valeur, de le façonner, autant du moins qu’il est indispensable, aux exigences modernes et d’y adapter sa vie tant de fois séculaire. Les bâtisseurs de ponts, les gardes forestiers, les chefs de districts n’y servent pas moins que les régimens et la police. M. Rudyard Kipling les a vus et nous les fait voir à l’œuvre les uns et les autres. Ils ont tous un trait commun : le dédain des idées et des systèmes. Toutes leurs vues sont positives, et le plus qu’ils puissent faire pour l’idéologie politique ou administrative, c’est de l’ignorer. Quand, de façon ou d’autre, elle s’impose à eux, ils ont vite fait de la confondre. L’expérience, la pratique et l’énergie, voilà tout ce qu’il faut à Strickland, l’admirable policier, le Sherlock Holmes de l’Inde, combien plus réel et plus expressivement vrai ! tout ce qu’il faut à l’ingénieur Findlayson ou au jeune lieutenant John Chinn. Si, comme ce dernier, ils n’ont pas encore par eux-mêmes toute l’expérience nécessaire, ils profitent de celle des autres, s’appuyant sur toutes les forces de la tradition avec cet admirable sens pratique qui ne leur laisse rien perdre de la sagesse acquise et leur fait mettre leurs pas dans les pas des devanciers, aussi volontiers que les idéologues orgueilleux marchent les regards en l’air, au risque de se laisser choir dans les puits.

La chance d’ailleurs semble les favoriser. Findlayson, des Travaux publics, a donné trois ans de sa vie et l’effort d’où dépend peut-être toute sa carrière à la construction d’un pont sur le Gange. Le travail était presque achevé quand une crue du fleuve menace d’emporter la construction. Nous assistons à la suprême lutte de l’ingénieur contre cette fureur des élémens qui ressemble à une révolte. Après qu’il a pris toutes les mesures, quand il ne peut plus rien, il reste là comme pour défendre encore son œuvre par sa présence, il reste debout dans l’orage, épuisé, sans nourriture. L’entrepreneur indigène, qui est demeuré à ses côtés, le décide à absorber quelques pilules pour soutenir ses forces et se prémunir contre la fièvre. C’est de l’opium ; et Findlayson, à travers la griserie, glissé de la réalité à l’illusion. Les plans sillonnent son esprit comme des éclairs… Sa barque est emportée, ballottée ; il ne perçoit la réalité qu’à travers les déformations de son cerveau halluciné… Enfin il est jeté sur la berge, s’endort et voit toutes les bêtes de l’Inde qui reprennent possession de leur sol. Quand il s’éveille, la crue est passée, le pont tient encore, imposé au fleuve comme s’impose à la contrée la volonté de la race conquérante et sa domination[30].

Une telle supériorité assure tout naturellement un grand prestige. M. Rudyard Kipling nous a montré dans une bien curieuse histoire comment il peut grandir et s’idéaliser, transfigurer des souvenirs, épanouir des légendes qui divinisent, comme au temps des mythologies primitives, les énergies bienfaisantes. Un jeune officier anglais vient aux Indes comme y étaient venus avant lui son arrière-grand-père, son grand-père et son père. Le grand-père surtout, administrateur de sang-froid en temps de trouble, avait marqué son empreinte sur le pays. Il était mort jeune et la Compagnie des Indes lui avait fait élever un tombeau dans les monts des Satpuras. Son petit-fils lui ressemble d’une manière saisissante. Il ressemble aussi à son père et tandis que les officiers anglais croient revoir le colonel rajeuni, les Bhils voient en lui une réincarnation du Sahib qui les a quittés « après avoir fait d’eux des hommes. » Insensiblement et sans qu’il s’en doute, le jeune homme est enveloppé d’un réseau de légendes et ses moindres mots prennent l’autorité d’oracles. La tribu l’entoure comme un jeune dieu et il vient lui dicter ses volontés, — les volontés de l’Angleterre, — au tombeau de son ancêtre[31]

Voilà, rajeunie par un commentaire très moderne, l’antique opinion que le sort favorise les audacieux. Les héros anglais de M. Kipling ont de la chance. Oui, sans doute ; mais cela est bientôt dit, et ne signifie rien. Regardons-les d’un peu plus près. Nous ne tarderons pas à reconnaître que leur activité réussit parce qu’elle est ordonnée et précise. Comme ils ne spéculent point à perte de vue sur les fins et ne perdent pas leur temps à délibérer, ils semblent n’avoir pas voulu ce qui arrive et leur succès apparaît comme s’il était dû à la fortune. Admirable conséquence d’une organisation soutenue par tout l’inconscient de la tradition et de l’habitude ! Ce n’est pas aux Indes seulement et dans les nouvelles de M. Rudyard Kipling que l’histoire de l’Angleterre nous la présente. Fiers de ces résultats, qu’on dirait disposés providentiellement pour eux, les Anglais se plaisent dans la croyance à leur étoile. Mais ils ne donnent pas à ce mot plus de sens qu’il ne faut et savent s’appuyer sur la réalité qu’il exprime, sur l’ensemble des causes non pénétrées, et peut-être non pénétrables à l’intelligence, mais réelles et efficientes, à quoi se réduit en fait ce que nous appelons hasard, destin, fatalité…

M. Rudyard Kipling est donc bien Anglais lorsqu’il développe, dans les ouvrages de sa dernière manière, son évangile de l’ordre ; et, comme son pays lui-même, il donne au monde une grande leçon. Chaque pièce d’une machine n’est là que pour l’ensemble. Il importe qu’elle soit aussi parfaite que possible ; mais c’est sa fonction qui lui donne sa valeur et elle n’a pas en soi sa raison. Le mouvement seul est la fin. L’énergie qu’admire l’auteur de Soldiers Three, de Stalky and Co, de Day’s Work, c’est l’énergie organisée, et elle ne s’organise que par l’action commune. L’homme vit par son groupe et pour son groupe. L’esprit de corps est fondé dans la nature même des choses ; il nous fortifie, il nous soutient et il nous guide.

Cet esprit même, élargi à la mesure d’une nation, sans cesser de demeurer très consistant et très fort, voilà le patriotisme. Les fils d’une même patrie sont les agens d’une même œuvre, les rivets, les boulons, les écrous d’un même navire. Que la tradition, la discipline des sentimens communs plient donc et maintiennent toutes les volontés à la tâche commune pour laquelle des siècles ont façonné et accordé leurs énergies : ainsi ces volontés s’assureront la victoire. Mais l’œuvre commune de la grande nation britannique dépasse les limites du royaume insulaire : elle appelle à une même destinée toutes les forces de l’« empire. » M. Rudyard Kipling a raillé « l’Anglais bien abrité, » qui ne voit pas plus loin que la petite Angleterre, veut bien travailler à sa prospérité et à son bonheur, indifférent à la fortune des colonies et des territoires lointains où la race a porté sa conquête, où la métropole a planté son drapeau. « Que pourraient-ils connaître de l’Angleterre, » s’écrie-t-il quelque part, « ceux qui ne connaissent que l’Angleterre ! » Né aux Indes, roulé par les « sept océans » des colonies de l’Afrique australe au Dominion du Canada, il a pris conscience de l’unité de l’Empire et l’a rendue sensible à ses compatriotes, à travers ses récits et ses chants, parce qu’elle s’était d’abord reflétée dans son âme. L’impérialisme qu’il a chanté, glorifié, n’a rien d’une fantaisie ; il est plus qu’une opinion : il faut y voir le terme naturel et la conséquence politique d’une philosophie de l’action appuyée sur le sens de l’énergie et celui de l’ordre. Tout se tient dans cette œuvre, depuis l’admiration pour Tommy Atkins, qui se manifestait déjà dans les premiers contes, jusqu’aux symboles les plus élevés des derniers recueils. La vie n’est rien sans la force, ni la force sans la discipline, ni la discipline sans les traditions. Voilà tout le « message » de M. Rudyard Kipling. On comprend qu’il se résume dans la progression de ces trois termes : esprit de corps, patriotisme, impérialisme.

Y conformer sa vie, c’est l’assurer contre les faillites de l’égoïsme. Une existence vouée à servir puisera dans le sentiment de son utilité une consolation aux échecs personnels. Les raisons que l’homme a trop souvent de juger sa destinée avec amertume, quand il la considère dans ses étroites limites, s’effaceront s’il la regarde comme un très petit élément d’une destinée plus ample. Le pessimisme individuel disparaîtra et se perdra, pour ainsi dire, dans l’optimisme social. « Si nous faisons servir notre travail à nos fins, il n’aura pas plus d’égards pour nous que nous n’en aurons eu pour lui. » Et ailleurs : « Vous êtes dans la mauvaise voie pour réussir. On n’arrive point au succès en sacrifiant les autres ; il faut vous sacrifier vous-même et plier votre vie à obéir. » C’est la leçon des Capitaines courageux. Le jeune Harvey Cheyne, fils d’un millionnaire américain, ne serait rien s’il n’avait travaillé une saison à bord du schooner de Disko Troop, un loup de mer qui ne badine pas avec la discipline et le service. Grâce à cet apprentissage, le garçon est sauvé. La même leçon est donnée par ses machines au mécanicien Mc Andrew. Il a longuement vécu parmi elles et, vieillard, sa récompense est un soir de comprendre leur révélation. Pour ce bon calviniste écossais, dont elles constituent à peu près toute l’expérience, elles deviennent l’image même de la création ; elles parlent à sa conscience de puritain et y martèlent les mots sacrés : Loi, Ordre, Devoir, Discipline, Obéissance. En somme, il peut SR rendre ce témoignage de ne pas les avoir méconnus, et son âme s’élève avec sérénité vers le Dieu que M. Rudyard Kipling appelle volontiers le Maître de tous les bons ouvriers, le Chef du grand atelier où chacun doit faire sa besogne, « the Great Overseer, » — qui est aussi le Dieu hébraïque des combats, « the Lord God of battles. »

Aux meilleurs combattans, il donnera la victoire, qui seule importe, et peut-être, par surcroît, quelque chose de plus : car pourquoi les plus nobles plantes, montées droit vers le ciel, ne verraient-elles pas s’épanouir au sommet de leur tige la fleur de la félicité ? Il y a au moins deux nouvelles de M. Rudyard Kipling, deux longues nouvelles, que n’ont pas assez remarquées ceux qui lui reprochent de n’avoir fait dans son « évangile » aucune place au véritable amour. La remarque était vraie sous la plume des premiers critiques ; d’autres l’ont répétée et elle est devenue un lieu commun. Il suffit pourtant de lire William the conqueror et The Brushwood Boy[32]. Déjà le Naulahka, écrit en collaboration avec le romancier américain Wolcott Balestier, cachait, sous son affabulation extravagante, ses caractères sans réalité et sa double intrigue, la double idée que l’action est le but de la vie et que l’amour en est la récompense. Six ans plus tard, maître de sa conception et investi de son magistère, sensible peut-être au reproche qu’on lui avait si souvent adressé de ne voir que la force et d’ignorer la douceur, de ne faire aucune place à la tendresse et de traiter l’amour comme un jeu ridicule, inutile ou dangereux, M. Rudyard Kipling publiait dans The Day’s Work les deux admirables récits que je viens de mentionner.

Guillaume le Conquérant est le surnom d’une jeune fille, miss Martyn. Durant la grande famine de l’Inde méridionale, elle refuse de quitter son frère, envoyé en mission au plus fort du désastre. Vaillante elle-même, avec le génie de l’organisation et une énergie aussi obstinée que tranquille, elle l’assistera dans sa tâche. Elle aime « les hommes qui font des choses, » et Scott, le meilleur ami du frère, est de ceux-là : il expédie la besogne de cinq hommes sans faire d’embarras. Lui et elle, chacun de son côté et parfois ensemble, ils se donnent tout entiers à leur labeur, sans jamais lui dérober le temps d’un regard ou d’un mot, aussi peu occupés l’un de l’autre que s’il n’y avait rien entre eux du profond amour où sont liées leurs âmes. Parfois seulement, une radieuse vision passe comme un éclair au-dessus de leurs efforts héroïques. L’amour n’est pas l’affaire d’une vie qui se respecte, mais il en peut être le prix ; et quand l’œuvre est accomplie, simplement, noblement, ils se révèlent l’entente absolue de leurs cœurs et pour la première fois échangent leur secret dans l’engagement des fiançailles.

C’est la même idée de l’amour, voilée de poésie et de symbole, transposée dans le royaume du mystère, que nous offre ce conte merveilleux, The Brushwood Boy. L’imagination anglaise ne répugne aucunement à l’inexpliqué, à l’étrange, et ce penchant que nous avons signalé déjà, à propos de quelques belles histoires de l’Inde, reparaît ici au service non plus du pittoresque, mais du symbole. George Cottar a beau grandir et avancer dans la vie, ses nuits continuent à être traversées d’un certain rêve au cours duquel il se retrouve « the brushwood boy, » l’enfant qui joue autour d’un tas de broussailles, coupées quelque part près d’une grève. Une petite fille y jouait dès la première fois avec lui, et elle demeure, durant les dix années de collège et plus tard pendant les années de l’Inde, sa compagne de rêve. Il n’en connaît point d’autre. Ils font ensemble d’étonnantes chevauchées, de prodigieux voyages. George cependant est tout à son métier, à ses devoirs. Il est, selon l’idéal juvénile de M. Rudyard Kipling, sérieux, actif et pur, exactement préparé aux éventualités où le placera l’ordre des choses, digne du succès et des plus nobles félicités. Une petite campagne de frontière révèle son courage, son sang-froid, sa modération. Il reçoit le brevet de chef d’escadron et l’ordre du Distinguished Service. Le bel officier rentre en Angleterre avec un congé, essuyant sur le bateau, sans même s’en douter, le feu d’un ardent caprice de femme. Il retrouve la maison familiale où rien n’est changé, son père et sa mère, fiers de lui, heureux de le revoir, les serviteurs fidèles, la douceur ancienne des choses. « Rien ne vaut l’Angleterre, quand on a fait sa besogne. — Voilà la vraie manière d’envisager les choses, mon fils. » Et voici que, dans la sérénité de cette vie loyale, ordonnée, traditionnelle, vers le jeune homme qui ne s’est point épuisé à les chercher, qui n’y a point pensé, s’avancent miraculeusement le Bonheur et l’Amour. Ses parens lui destinaient une jeune fille ; elle vient, il la reconnaît : il l’a connue toute sa vie et il découvre qu’elle a fait de son côté le même rêve, le rêve du tas de broussailles, et les chevauchées étranges et les prodigieux voyages. Ils se sont connus toute leur vie, ils se sont aimés toutes les années de leur âge, ils s’appartiennent dès le passé, exclusivement et à jamais. Heure divine où l’Ordre, la Droiture, la Pureté, se couronnent spontanément de lumière. Il faudrait transcrire des pages de ce conte pour donner l’idée de sa haute spiritualité et de sa transparente beauté. Le symbolisme de M, Rudyard Kipling y est plus pénétrant, plus subtil, et son art nous y paraît atteindre une perfection nouvelle. La solidité un peu dure en est comme fondue ; l’air et la lumière s’insinuent partout, apportant avec des brises et des rayons les plus suaves délices de la terre et du ciel…

Mais précisément parce que M. Rudyard Kipling a reculé dans les lointains du mystère la poésie de la vie, il trahit ainsi, en même temps que sa volonté de lui faire une place, son impuissance à la comprendre autrement que comme une sorte d’exception sublime, le privilège du héros selon son cœur, un idéal qu’il n’est pas défendu de rêver. Le monde réel qu’il avait sous les yeux est plus brutal, et c’est celui qu’il a regardé avec ironie d’abord, puis avec complaisance, et représenté avec génie. C’est dans ce monde-là qu’il a ambitionné de guider les hommes de sa race et surtout ceux de sa nation, les Anglais de la Grande Angleterre… Nous pouvons bien dire qu’il ne fut pas souvent donné à un grand écrivain de concevoir et de réaliser plus grand dessein.


VI

De là son succès, son triomphe. M. Rudyard Kipling exaltait et justifiait le sentiment dominant de ses compatriotes. Il leur fallut le temps de comprendre, et sa gloire fut assurée. S’il déconcerta d’abord la critique par sa brusque irruption dans la littérature et surtout scandalisa l’opinion par ses audaces et son irrévérence, on ne tarda pas à reconnaître tout ce qu’il y avait de respect dans son ironie, d’énergie dans sa brutalité, de discipline dans la tension de son vouloir. On retrouva sous le réalisme des moyens l’idéalisme de l’intention. Il avait prévenu lui-même les lecteurs :


J’ai écrit l’histoire de notre vie
Pour le plaisir d’un pays bien abrité,
— De manière moqueuse — mais vous êtes sages,
Et vous savez ce que vaut la moquerie.


Aussi bien, il cessait de railler dès qu’il se trouvait devant l’énergie elle-même et devant l’ordre. Il les saluait surtout et les acclamait chez ses compatriotes qui portaient au-delà des mers la grandeur britannique. Il les élevait, au-dessus des efforts présens, comme la loi souveraine imposée aux efforts de l’avenir. Ainsi s’édifiait jour à jour cette œuvre nationale dont l’auteur devenait la voix d’un peuple, d’une race, le « héros, » comme eût dit Carlyle. L’année 1897 marqua sans doute l’apogée de sa gloire. Il avait trente-deux ans. Il avait publié, sans compter ses premiers essais poétiques, plus des trois quarts de ses écrits. Il venait de composer, à l’occasion du Jubilé de la Reine, ce Recessional que le Times imprimait le 17 juillet et qui circulait aussitôt, autographié, copié à la main, dans toutes les demeures du Royaume-Uni où on l’apprenait par cœur, où on le récitait avec une joie tremblante, une fierté émue, une ferveur religieuse. Le Spectator consacra à ces quelques vers une page éditoriale où il déclarait que l’auteur avait « interprété le sentiment national avec une intuition et une force véritablement merveilleuses. » Sir Walter Besant leur rendait un peu plus tard cet éloquent témoignage : « Le chant descendit sur nous comme un solennel prélude, et l’empire tout entier devint grave, car à cet appel l’idéal d’un peuple se levait dans tous les cœurs. » De ce jour, M. Rudyard Kipling connaît une gloire universelle. En 1898, pendant une maladie où sa vie fut en péril, le monde anglo-saxon consterné attendait les nouvelles, et l’Empereur allemand télégraphiait à Mrs Kipling son admiration et ses vœux pour « le héraut de leur grande race commune. » On le lit, on récite ses ballades dans tous les pays où est parlée la langue anglaise. Il est traduit partout, et d’une manière remarquable en France[33], où il plaît d’abord par l’aspect extérieur et purement littéraire de son talent, l’intensité d’un réalisme si différent du nôtre, ses cruautés, ses étrangetés et son exotisme qui ne rappelle jamais celui de Pierre Loti. Mais c’est en Angleterre qu’il faut contempler l’éclat de cette renommée durant les trois ou quatre dernières années du XIXe siècle. En moins de temps qu’il ne lui en faut d’ordinaire pour s’élever au-dessus de l’horizon, l’astre est monté au zénith. « En fait, » déclare dans une interview le romancier américain William Dean Howells, « je crois juste de dire que sa réputation dépasse celle de n’importe quel poète de langue anglaise qui ait jamais vécu. » Il éclipse ses grands contemporains : Hardy, Meredith, Swinburne. Il est plus qu’un homme de lettres : il unit la popularité à la gloire. On l’accueille, on le fête ; il préside des banquets, il prononce des discours ; on attend de lui les oracles qui éclairent l’avenir, le geste qui montre le chemin. Cet apostolat, nous l’avons montré, ne fut pas étranger à l’évolution de son talent, et nous lui devons sans doute, au moins pour une part, le symbolisme de la troisième manière, les ouvrages où l’auteur « délivre son message. »

Mais cet évangile de l’énergie, qui réconcilie un instant toute l’Angleterre impériale dans l’admiration de sa propre grandeur, exprimait-il l’âme anglaise tout entière ? Si elle est faite surtout d’effort et de discipline, struggle and order, il n’en reste pas moins vrai que ces deux manifestations n’épuisent pas toute sa richesse ; elles résument assez bien la vie extérieure de l’Angleterre, son activité sociale : un interprète fidèle n’oubliera pas sa vie intérieure, morale et religieuse.

On dresserait un réquisitoire contre M. Kipling avec les seules réserves et protestations de ceux qui réclament pour elle. « M. Kipling n’a que la loi à la bouche, la loi de la jungle, la loi de l’armée, la loi du royaume et la loi de la pesanteur. Quant à l’esprit qui vivifie, il n’a rien à en dire[34]. » En 1892, un critique de la Quarterly étendait à l’ensemble de son œuvre le reproche que la jeune fille aux cheveux rouges, de La lumière qui s’éteint, adresse à Dick Heldar : « Tout ce que vous faites exhale une odeur de tabac et de sang. » Et il lui reproche de n’avoir fait aucune place dans son œuvre aux douces clartés lumineuses. « Si le réalisme est une éruption volcanique de boue et de cendres brûlantes, consumant le sol où elles tombent, alors les trois quarts des histoires de M. Kipling sont réalistes. Le feu y est, ce n’est pas douteux ; mais il jaillit de la boue dans l’air avec lui, et elle durcit sur le sol en lave morte. » En 1909, après The Day’s Work, Traffics and Discoveries, The Seven Seas, Puck of Pook’s Hill, il y aurait autre chose à dire. Mais on ne saurait contester que le génie de M. Rudyard Kipling ne soit riche surtout dans les notes dures, et il reste vrai que toute une partie de l’âme anglaise se chercherait en vain dans ses écrits. Comment, en effet, l’Angleterre, je ne dis pas même de Shelley et de Tennyson, l’Angleterre mystique et rêveuse, mais celle aussi de George Eliot, de Dickens et de Meredith, pourrait-elle se plaire toujours, se plaire longtemps, à ces récits de violence et de carnage, de lutte et d’effort, de sang-froid et d’audace, à travers lesquels se déroule le spectacle des instincts déchaînés, des volontés, tendues ? M. Kipling a tenté d’élargir son talent ou de le renouveler, et je ne pense pas qu’il y ait échoué ; mais il avait trop réussi tout d’abord : on n’admet pas volontiers de changement à une manière qui s’est imposée par des chefs-d’œuvre. Quand un écrivain nous a donné quelque chose qu’il était seul à pouvoir nous donner, le reste, nous le demandons à un autre. Taine l’a dit admirablement : « En littérature comme en politique, on ne peut tout avoir. Les talens, comme les bonheurs, s’excluent. Quelque constitution qu’il choisisse, un peuple est toujours à demi malheureux ; quelque génie qu’il ait, un écrivain est toujours à demi impuissant[35]. » M. Rudyard Kipling a trop de force pour avoir beaucoup de douceur, trop de couleur pour se plaire aux nuances ; il aime trop l’action pour s’attarder au sentiment et trop la volonté pour faire leur juste part à la sensibilité et à l’intelligence. Il a vu les soldats qui font l’Empire, les fonctionnaires qui l’organisent, les colons qui l’exploitent, les indigènes qui l’habitent, les aventuriers qui le parcourent. Ce spectacle passionnant ne lui a guère laissé le loisir de regarder la vieille Angleterre, avec laquelle il avait d’ailleurs moins d’affinité, l’Angleterre des cités paisibles et des villages heureux, des manoirs et des cottages, des lectures honnêtes et des prêches dissidens. Il a présenté à l’énergie anglaise le miroir de l’art, et l’art a reflété avec une puissance incomparable cet aspect de la vie. Cherchons les autres aspects dans d’autres œuvres, que nous n’avons pas besoin de sacrifier à la sienne ; et la sienne, ne la leur sacrifions pas.

Aussi bien elle répond à un instinct profond de la race et à un moment de sa destinée. Nous avons vu. M. Rudyard Kipling devenir le héraut de l’impérialisme[36]. Il représente l’Angleterre d’expansion et de conquête, celle de l’aventure, du trafic, des entreprises ; il rajeunit et transforme en figures modernes le type légendaire du viking et du bersékir. Il est militariste, unioniste, anti-libéral, et il a exalté cet état d’esprit chez ses contemporains. Son triomphe a coïncidé avec les bruyantes victoires de l’opinion impérialiste. Suivant le jeu normal et traditionnel de la politique anglaise, la réaction s’est produite. La longue, difficile et coûteuse guerre du Transvaal a refroidi les ardeurs belliqueuses de l’Angleterre ; une victoire sans précédent du parti libéral aux élections de 1906, l’entente franco-anglaise et le rapprochement anglo-russe ont progressivement modifié l’opinion au cours des cinq ou six dernières années. Le prestige de M. Rudyard Kipling y a beaucoup perdu. Son génie même semble fatigué. C’est à peine s’il continue de se manifester, et nous ne concevons guère, à moins d’un renouvellement impossible à prévoir, ce qu’il pourrait ajouter à cette production sans exemple qui lui a fait parcourir, avant l’âge de quarante ans, à travers une trentaine de volumes, un cycle complet d’évolution. Quoi que réserve l’avenir, l’œuvre est là, solide et durable, où l’âme d’un grand peuple manifeste un de ses aspects, et non le moins typique assurément, ni le moins conforme à la nature des choses et à la loi de sa destinée. Hier encore il dominait tous les autres, et l’écrivain qui l’exprimait avec tant de précision, de force et d’originalité, devenait au-dessus de tous l’écrivain national. S’il se laissa entraîner à la brutalité et à l’orgueil, il serait souverainement injuste de le juger sur ces excès. Les admirations qu’ils lui gagnèrent sont très apaisées aujourd’hui. Gardons-nous des reviremens qui suivent un enthousiasme excessif. Ils risqueraient de nous faire méconnaître une véritable grandeur. De combien d’écrivains peut-on dire, comme de celui-ci, que leur voix manquerait à leur pays, et qu’à ne pas l’avoir entendue, le monde entier perdrait quelque chose ?


FIRMIN ROZ.

  1. Les œuvres en prose ont été réunies dans la belle édition uniforme, en 18 volumes, de la maison Macmillan. — Traductions françaises : Les deux Livres de la Jungle, L’Histoire des Gadsby, Stalky et Cie, Kim, cinq volumes de Nouvelles empruntées aux différens recueils et groupées sous le titre de la première : Sur le mur de la Ville, la Plus belle histoire du monde, les Bâtisseurs de ponts, le Retour d’Imray, l’Homme qui voulut être roi ; — les Lettres du Japon (Société du Mercure de France) ; — La lumière qui s’éteint, le Naulahka (Ollendorff) ; Simples contes des collines, Nouveaux contes des collines, Trois troupiers, Autres troupiers (Stock). Capitaines courageux (Hachette) ; — Histoire comme ça (Delagrave). Nos citations au cours de cet article renvoient à la fois au texte anglais et à la traduction française.
  2. Cupid’s Arrows.
  3. Three and — an Extra. Les Flèches de Cupidon (SIMPLES CONTES DES COLLINES). — Trois et… un de plus (SUR LE MUR DE LA VILLE).
  4. Thrown Away. — Par-dessus bord. (LA PLUS BELLE HISTOIRE DU MONDE).
  5. Thrown away, The Rescue of Pluffles, Kidnapped, The Arrest of Lieutenant Golightly.
  6. The Taking of Lungtungpen.
  7. Voyez, dans la Revue des Deux Mondes du 1er avril 1900, L’Armée anglaise peinte par Rudyard Kipling ; par Th. Bentzon.
  8. Soldiers Three. Trois troupiers ; — Autres troupiers (Stook).
  9. Private Learoyd’s story (SOLDIERS THREE).
  10. The Three Musketeers (PLAIN TALES FROM THE HILLS).
  11. The Daughter of the Regiment (ibid.).
  12. His Private Honour (MANY INVENTIONS). — Son honneur de simple troupier (AUTRES TROUPIERS).
  13. The Rout of the White Hussars (PLAIN TALES). — La Déroute des Hussards blancs (NOUVEAUX CONTES…).
  14. WEE WILLIE WINKIE.
  15. Voyez le dernier chapitre de Stalky and Co : La Lampe merveilleuse, 2e partie, — qui pourrait être intitulé : Quinze ans après.
  16. Lispeth, miss Youghal’s Sais, His Chance in Life, In the House of Suddhoo, Beyond the Pale, The Bisara of Pooree, The Gate of Hundred Sorrows, The Story of Muhammad Din, To be filed for Reference.
  17. PLAIN TALES… LIFE’S HANHICAP. — Bisesa (L’HOMME QUI VOULUT ETRE ROI). Hors du cercle (Revue des Deux Mondes, 15 février 1892).
  18. Ibid. — Sans bénéfice de clergé (SUR LE MUR DE LA VILLE).
  19. Ibid. — Les Bornes mentales de Pambé Serang (LE RETOUR D’IMRAY).
  20. Ibid. — LE RETOUR D’IMRAY.
  21. Voyez le bel article écrit sur M. Rudyard Kipling, il y a une dizaine d’années. et réimprimé dans les Études anglaises (Hachette).
  22. The Phantom ‘Rickshaw (WEE WILLIE WINNIE). — Le rickshaw fantôme (LE RETOUR D’IMRAY).
  23. Même recueil en anglais. — Trad. fr. : L’HOMME QUI VOULUT ETRE ROI.
  24. LIFE’S HANDICAP. — Trad. fr. : Ibid.
  25. Voyez, dans la Revue du 1er avril 1892, Un Roman de Rudyard Kipling, par Th. Bentzon.
  26. MANY INVENTIONS. — Dans le rukh. (LA PLUS BELLE HISTOIRE DU MONDE). Comment ne pas rappeler ici l’œuvre admirable de M. Thomas Hardy, The Woodlanders, ou l’action de la nature sur l’homme est manifestée avec une puissance dont on ne trouve peut-être pas l’égale en dehors du roman anglais ? — Voyez la Revue du 1er juillet 1906.
  27. On peut rattacher aux deux Livres de la Jungle les Just so Stories (Histoires comme ça) qui en sont une sorte de réduction, une transposition dans le monde de la fantaisie enfantine.
  28. The Ship that found Herself (THE DAY’S WORK). — Trad. fr. : Le navire qui s’y retrouve (LE RETOUR D’IMRAY).
  29. THE DAY’S WORK. — Trad. fr. : La RETOUR D’IMRAY.
  30. The Bridge-Builders (THE DAY’S WORK). Trad. fr. : LES BATISSEURS DE PONTS.
  31. The Tomb of His Ancestors (THE DAY’S WORK).
  32. THE DAY’S WORK. — Trad. fr. : En famine. — La Cité des Songes (LES BATISSEURS DE PONTS).
  33. C’est ici même, il faut le rappeler, que parurent les premières traductions françaises de Kipling (Revue des Deux Mondes, 1er déc. 1891, 15 fév. 1892). Elles étaient dues à la fidèle et précieuse collaboratrice de la Revue, Mme Bentzon. — Depuis, MM. Louis Fabulet et Robert d’Humières ont mérité, par le nombre et la qualité de leurs traductions, d’attacher leurs noms au succès des œuvres de Rudyard Kipling en France.
  34. Critic, novembre 1898.
  35. Histoire de la Littérature anglaise, t, V, Thackeray.
  36. Voyez la Revue du 1er mai 1901 : La littérature impérialiste : Disraeli et Rudyard Kipling, par le vicomte Eugène-Melchior de Vogüé.