Perrin et Cie (p. 67-115).

II

LA VOYANTE

Les attributions de Héron et de Sénar, au Comité de sûreté générale, étaient importantes, mais secrètes[1] ; les exploits par lesquels ils se signalaient à l’attention de Vadier valent d’être exposés avec quelque détail.

Héron, originaire de Saint-Lunaire[2], après neuf années de campagnes dans la marine marchande, était entré en 1772 au service du Roi ; cinq ans plus tard, il épousait, à la chapelle de Saint-Martin de Terlabouck, paroisse de Cancale, une jeune fille nommée Modeste Desbois, « grande, belle et bien faite », issue d’une très honorable famille de cette ville[3]. En 1782, à trente-six ans, nommé lieutenant, Héron était excellemment noté ; sa probité sans tache, son dossier des plus élogieux[4] lui méritèrent la confiance du ministre qui lui confia la mission d’aller encaisser à La Havane un million de piastres pour le compte de certains banquiers de Paris. Ici, l’histoire se gâte. Héron reparut après six mois de voyage, dont cent quatre-vingt-quatorze jours « de planche » ; il ne rapportait pas l’argent, mais réclamait pour ses frais, comptés au plus juste, 117.402 livres. On lui en offrit 20.000 ; en outre, les banquiers réclamaient, eux, leur million de piastres que leurs correspondants de La Havane assuraient avoir remis au capitaine Héron. Or, celui-ci ne pouvait justifier de rien, les pièces établissant qu’il n’a pas touché l’argent lui ayant été volées… Se sentant soupçonné, il devient furieux, tempête, se proclame victime d’une épouvantable friponnerie, traitant le ministre et les financiers de « horde criminelle » et leurs machinations « d’œuvres de ténèbres ». Au vrai, il déraisonne ; il voit partout des espions et des provocateurs stipendiés pour le perdre ; il dégaine en pleine rue, ne sort qu’armé d’un pistolet qu’il braque sous le nez des passants, assassins probables. « Princes, nobles, ministres, financiers, robins, émissaires de la Cour, suppôts de police, tout, jusqu’aux plus vils instruments du crime », est ligué contre lui[5] ; espérant le rendre fou, ils le soumettent aux tortures les plus extravagantes, comme ce jour du 11 février 1788 où on le force d’entrer dans une chambre de son propre appartement, rue Saint-Florentin, pour y trouver sa femme dans les bras d’un lieutenant en premier du régiment de Beauce, « émissaire secret de la Cour[6] ». La scène indécente à laquelle on le contraint d’assister lui prouve surabondamment que son épouse, la tendre Modeste Desbois, pactise avec ses ennemis. Héron se contient, s’éloigne, va « porter son indignation dans le sein de quelques amis » et, quand il rentre chez lui, « les deux monstres » se sont enfuis, son coffre-fort est forcé et 800.000 livres qu’il contenait ont disparu ! Alors, c’est la famille Desbois qui débarque de Saint-Malo pour l’obliger à reprendre sa misérable épouse ; c’est tous les jours, dans son escalier, embuscades, cris, disputes, combats au sabre d’abordage ; son propriétaire, le pharmacien Follope, essayant de mettre le holà, reçoit des coups de poing dans la figure ; les voisins se cadenassent épouvantés ; la maison devient inhabitable.

La Révolution est proche ; Héron s’y jette à corps perdu, ivre de vengeance : partout où il y a du bruit à faire, des coups à donner, on le rencontre ; il offre asile à Marat décrété d’accusation par le Châtelet, et, tandis que les gens du Roi cherchent le journaliste dans la rue de l’Ancienne-Comédie, il est là, bien caché, au troisième étage de Héron son compère, dont les fenêtres donnent sur la rue Saint-Honoré. On retrouve l’ancien lieutenant de vaisseau recevant aux portes de Paris les Marseillais de Barbaroux[7] ; le voici blessé cinq fois à l’attaque des Tuileries, le 10 août ; il court à Versailles, où il sait qu’un coup se prépare et il a la joie d’y voir massacrer, non sans y aider sans doute, l’ancien ministre de Lessart, l’un de ses « persécuteurs ». Accueilli par le Comité de sûreté générale en remplacement du Tape-Dur Maillard, l’homme de septembre, mort à la peine, Héron est mis à la tête des « agents d’exécution », bande de sacripants officiels qui, – sous le titre de « porteurs d’ordres », – rançonnent les suspects qu’ils ont mission d’arrêter, et s’adjugent le meilleur du butin : témoin ce Morel au domicile duquel on découvrit, après thermidor, une nombreuse argenterie d’église et de table, des pendules et autres effets[8] ; et cet autre, Longueville-Clémentière, qui entassait chez lui, dans des coffres, une telle quantité de bijoux, de montres, d’armes de prix, de pendules aussi, qu’il fallut plusieurs brancards pour apporter ces richesses au Comité[9].

Pourquoi l’Histoire se confine-t-elle dans l’étude des protagonistes de la Révolution ? En sondant leurs alentours, elle exhumerait un grand nombre de figures subalternes, dont l’examen dissiperait certains brouillards et résoudrait bien des énigmes. Héron est de ces inconnus que les grands historiens dédaignent ; il est pourtant le type achevé de ces forbans qui, pour battre monnaie, fournissaient à l’échafaud sa pâture quotidienne : désireux de récupérer ses 800.000 livres, il dressait ses dogues à la chasse aux riches, et se réservait les grosses affaires. C’est aux banquiers qu’il s’attaquait d’ordinaire : son dossier abonde en dénonciations contre les gens de finances, surtout contre ceux qu’il accuse de l’avoir ruiné[10]. Il poussera à la guillotine les trois banquiers Vandenyver ; c’est à lui que le Comité confie la lucrative mission d’apposer les scellés chez les fermiers généraux[11]. Son logement de la rue Saint-Florentin est « un bureau de dénonciations[12] », et, pour y travailler en paix, il dépêche à la guillotine tous les locataires de la maison : le pharmacien Follope, du rez-de-chaussée ; la citoyenne Buard, du premier étage ; le citoyen Letellier, dit Bultier, qui habite le second. Ils se retrouveront, le 11 floréal, sur la même charrette, avec « l’infâme ci-devant » marquise de Crussol d’Amboise, une voisine, dont les fenêtres prennent vue sur la cour de Héron. Celui-ci mange à tous les râteliers, à condition qu’ils soient bien garnis, et ses opinions ne le gênent pas ; on a dit que Robespierre l’employait, – imprudemment, – à espionner le Comité de sûreté générale : c’est vraisemblable. En mars 1794, la Convention ayant décrété, sur la dénonciation de Tallien et de Bourdon de l’Oise, l’arrestation de Héron, Robespierre prit chaudement sa défense, déclarant que, « si l’assemblée veut atteindre la palme de la gloire, goûter le bonheur des âmes sensibles… et terrasser la faction d’un bras vigoureux…, des hommes comme celui-là sont indispensables ». Il demande donc et obtient l’annulation du décret « illégalement surpris à la Convention[13] ». Héron, ainsi breveté par l’Incorruptible, put librement poursuivre ses exploits.

Il portait ordinairement un couteau de chasse, passé dans un ceinturon blanc ; il avait sous son habit deux espingoles, des pistolets de poche, une seconde ceinture avec d’autres pistolets, un poignard et un petit stylet. « Lorsqu’il marchait, c’était une artillerie complète. » Ses hommes l’appelaient le chef[14].

Sénar[15] était tout autre : peu bruyant, de mine délicate, il gardait de son éducation première les allures de « l’aristocrate » qu’il avait été, qu’il fut, peut-être, jusqu’à la fin. C’est une étrange et inquiétante figure. Fils d’un procureur[16], Sénar, qui se faisait appeler Sénar des Lys, épousa une filleule de Louis XVI et de Marie-Antoinette[17] ; on assure même que son contrat de mariage fut honoré des signatures du Roi et de la Reine. Avocat à l’Île-Bouchard, où exerçait son père, puis à Tours, où il se fixe en 1791, il se pose en ardent défenseur de la religion et de la monarchie ; il plaide devant le tribunal la cause des prêtres réfractaires dépossédés par les nouvelles lois. Il est charitable, il secourt les pauvres, il se montre hostile aux démagogues ; on l’a vu, dans un dîner, fouler aux pieds, le bonnet rouge et refuser de porter la cocarde tricolore[18]. La République à peine proclamée, il se transforme, sans transition, en un jacobin à tous crins, divorce après deux ans de mariage, brigue les emplois en vue, est élu procureur de la Commune de Tours, puis président d’une Commission militaire qui installe dans la ville la guillotine et l’établit à demeure, place d’Aumont, « sur une base en maçonnerie ». Fait sans précédent, cette Commission, avant de siéger, se rend en corps à une messe solennelle, afin d’attirer la bénédiction du Très-Haut sur ses travaux ; elle ne se signale point, du reste, par ses rigueurs : en six semaines, elle condamne à mort 6 accusés et prononce 135 acquittements. De si troublantes anomalies ne satisfont personne : Sénar est suspect à ses compatriotes, traité de renégat par les uns, de faux frère par les autres, d’hypocrite par tous ; redouté, honni, méprisé, dénoncé. Une protection mystérieuse le garde de tous les dangers. Destitué, mis en prison, il en est tiré par un personnage louche, un certain Mogué, qui passe pour un agent secret de Robespierre. Il vient à Paris, proteste contre ses accusateurs, et reparaît à Tours au bout de quelques jours, encadré de quatre fiers-à-bras de la bande de Héron[19] et muni d’un arrêté du Comité de sûreté générale, qui le rétablit dans ses fonctions de procureur de la Commune. Il prend pension rue d’Orléans, chez le bourreau Louis-Charles-Martin Sanson, fils du grand Sanson de Paris. Et sa carrière est magnifique : à son titre de président de la première Commission militaire de l’armée de l’Ouest, il ajoute ceux d’agent national, de correspondant de la Commission centrale des représentants du peuple et de président du premier Comité révolutionnaire du département d’Indre-et-Loire. Comment trouve-t-il le loisir de servir encore le Comité de sûreté générale qui s’est attaché cet homme occupé ? On ne comprend pas que Sénar, fixé à Paris, où il habite, rue de la Loi, l’hôtel des Lillois, avec un certain Dulac, agent particulier et « ami » de Couthon[20], puisse encore régner en maître sur la Touraine et conserver des places qui exigent le séjour dans sa province. On constate à la fois, au printemps de l’an II, sa présence à Tours et à Paris ; il faut croire cependant que, au début de floréal, son assiduité au Comité de sûreté lui avait valu l’estime de Vadier et la bienveillance de Héron, car le premier le traite en confident et le second en camarade influent. Héron vint un jour trouver Sénar dans le cabinet où celui-ci travaillait : « Je voudrais, dit l’ancien marin, vous prier de me rendre un service… Si vous faites ce que je vous demande, je vous remettrai à l’instant un effet de 600 livres ; j’ajouterai un présent de 3.000 livres et vous ferai avoir une place de 10.000 livres. » Après ce préambule, il formula sa requête : il désirait simplement que Sénar insérât le nom de Modeste Desbois, son indigne épouse, dans un rapport, « afin de la faire guillotiner ». « Ma femme, continua-t-il, est une conspiratrice ; elle est de Saint-Malo, et le rapport dont vous êtes chargé offre une occasion certaine que je ne retrouverai plus ; quand on met le nom de quelqu’un dans une affaire, cela va : on fait l’appel, les têtes tombent, et pouf ! pouf ! pouf ! ça va ! » Sénar prétend qu’il repoussa cette proposition « avec une gravité dédaigneuse[21] ». Pourtant il n’était pas héroïque, mais seulement « morose, atrabilaire, ombrageux, aigri par de longs malheurs[22] », ou figé par l’épouvante. Héron lui faisait peur et s’amusait à le terrifier. Un jour, ils allèrent ensemble au Palais rendre visite à Fouquier-Tinville : celui-ci les reçut le rire aux lèvres. Comme Sénar, inquiet d’être là, s’informait s’il ne risquait pas d’être traduit au tribunal : « Je n’ai rien contre toi, riposta gentiment Fouquier, mais si Robespierre le veut, tu y viendras, et je pourrai te faire monter sur mes petits gradins. – Mais je suis patriote, gémit Sénar ; tu condamnes donc des patriotes ? – Patriote ou non, ce n’est pas mon affaire, je ne suis qu’un être passif ; lorsque Robespierre m’a indiqué quelqu’un, il faut qu’il meure. » Bouleversé, Sénar s’écroula évanoui, dans un fauteuil. En reprenant ses sens, il entendit les deux autres, peu préoccupés de son malaise, poursuivre leur conversation. « Les têtes tombent comme des ardoises », disait Fouquier. Héron, optimiste, répliquait : « Ne t’inquiète pas, ça ira encore mieux[23]… »

Quand Vadier, en quête d’un stratagème qui lui permît de ridiculiser Robespierre, s’en remit à ces deux compères du soin de lui trouver quelque chose de joyeux, le dossier qu’ils dénichèrent contenait certaines pièces amusantes provenant du guillotiné Chaumette, naguère procureur de la Commune de Paris. Vadier y découvrit notamment le procès-verbal d’une perquisition opérée en janvier 1793 par le commissaire de police de la section des Droits de l’homme, chez une veuve Godefroid, couturière, demeurant rue des Rosiers, au cinquième, sur la cour[24]. Cette citoyenne faisait ménage avec une vieille femme nommée Catherine Théot qui, après avoir servi longtemps chez des petits bourgeois, était devenue sur le tard visionnaire et thaumaturge. Signalées à la police par la dénonciation des gens du quartier, Catherine Théot et la veuve Godefroid furent conduites à la mairie où, après un interrogatoire qui dut être gai, on les renvoya chez elles ; mais Chaumette avait conservé quelques papiers saisis à leur domicile, et c’était ce grimoire que feuilletait à présent Vadier. D’abord un cahier de six feuilles, sorte de journal assez réjouissant, contenant des notations soigneusement datées, mais peu intelligibles.


Du 23 décembre 1790. – Eh bien ! voilà les calamités qui veulent se multiplier ; mais il ne faut pas s’en inquiéter.

Du 23 janvier 1791. – Il y en a quelques-uns qui ont passé de ce monde-ci dans l’autre ; mais il ne faut pas s’en inquiéter, car ce n’est qu’une absence.

Du 23 mars 1791. – Il ne faut pas s’inquiéter des événements qui se passent sur la terre, parce que le temps n’est pas encore venu… Nous sommes satisfaits de quelques-uns de ces hommes qui se sont attachés à nous.

Du 10 juin 1791. – IL est arrivé à son ordinaire ; IL m’a donné sa bénédiction ; nous n’avons rien d’extraordinaire à ordonner, parce que nous avons de grands travaux… Que les hommes ne s’impatientent pas et qu’ils se préparent, parce que le temps approche.

Du 2 août 1791. – IL a passé il y a quelques jours ; IL m’a donné sa bénédiction, et IL a répété : « Surtout la prière. »

Du 5 novembre 1791. – Ne vous impatientez pas contre ces ouvriers d’iniquité, car le temps viendra, et il va venir, nous le répétons pour la troisième fois, qu’ils seront si malheureux qu’ils ne sauront s’ils sont assis ou debout.


Le dossier contenait en outre six brouillons de lettres dictées à la femme Godefroid par Catherine Théot, qui ne savait pas écrire. Ces missives, non datées, et dont les destinataires n’étaient pas désignés, ne paraissaient point, à première vue, moins obscures que le journal.


J’ai l’honneur de vous faire écrire ceci : ce n’est point pour vous seul, mais pour tous vos confrères, d’en faire des copies et de leur donner afin qu’ils s’instruisent sur la grande merveille de Dieu et vous instruisent vous-même parce que vous êtes encore toute dans l’erreur… Vous devez savoir gré à Paul et à Augustin de vous avoir conduit dans l’erreur, parce que vous croyez qu’ils ont la lumière pendant qu’ils sont dans les ténèbres tout comme vous… C’est pourquoi qu’il va faire paraître au milieu du monde cette nouvelle Ève pour lui engendrer des enfants dans la vérité…


Jusque-là un esprit simple n’eût aperçu aucun rapport entre ce galimatias et Robespierre ; mais Vadier, dont l’esprit était tourné à la gasconnade, et qui, se piquant d’incrédulité, voire d’athéisme, ne digérait pas le mystique discours sur l’Être suprême et l’immortalité de l’âme, discernait le parti qu’on pourrait tirer d’un billet tel que celui-ci :


J’ai l’honneur de vous faire écrire ceci, comme j’ai beaucoup de confiance en vous et que vous aimez à faire les œuvres de Dieu, c’est pourquoi que Dieu vous a choisi pour être l’ange de son conseil, et pour être le guide de sa milice pour les conduire dans la voie de Dieu… Je vous prie de prier l’Assemblée de faire faire des processions, afin que le Seigneur nous envoie de la pluie… et faire faire un mandement et qui soit signé par l’Assemblée…


Si l’on supposait, – et pourquoi pas ? – cette requête adressée à l’Incorruptible, n’y avait-il pas riche matière à quolibets et à railleries en lui décernant ces titres d’« ange du Seigneur » et de « guide des milices célestes » ? Il semblait, d’ailleurs, que Robespierre avait obéi aux injonctions de la pythonisse de la rue des Rosiers : – « le mandement », il l’avait lu récemment à la Convention qui s’était empressée de le « signer » ; quant à « la procession », elle était commandée pour un jour prochain et déjà de nombreux ouvriers travaillaient à en dresser les reposoirs. Par malheur, cette lettre paraissait dater d’une époque où Robespierre sortait à peine de l’ombre, et Vadier, pour caricaturer pleinement le pontife, voulait des précisions plus actuelles. Il fallait s’informer si, depuis dix-huit mois, Catherine Théot n’était point morte ; si elle n’avait pas quitté Paris ou renoncé à ses communications avec les puissances invisibles. Héron et Sénar reçurent donc l’ordre de mettre en chasse leurs meilleurs agents, afin de découvrir la prophétesse.

Les mystagogues de ce genre, Vadier l’ignorait sans doute, foisonnaient dans Paris ; il y en avait de quoi contenter toutes les crédulités. Depuis la Constitution civile du clergé et la fermeture des églises, le peuple, privé des prêtres qu’il était habitué à vénérer, des pieuses cérémonies qui, par foi sincère ou simple tradition, lui tenaient au cœur, adoptait les plus naïves pratiques où il pensait retrouver un peu du mystère et de la poésie du culte aboli. Quand la foi s’obscurcit, la dévotion subsiste et s’entretient comme elle peut. Jamais la lucidité des somnambules et la magie des cartomanciennes ne connurent pareille vogue : c’est de cette époque que date la renommée de mademoiselle Lenormand, une rougeaude Normande qui, travestie « en jeune Américaine », assistée d’un garçon boulanger, « tirait l’horoscope » à ceux que l’avenir inquiétait. Elle se flattera plus tard, – on n’est pas obligé d’ajouter foi à ses vantardises, – d’avoir eu pour clients, en ce floréal de l’an II, Barras, Saint-Just, Barère, Robespierre lui-même pour lequel elle concevait une médiocre estime, « parce qu’il fermait les yeux en touchant les cartes et frissonnait devant le neuf de pique ». – « J’ai fait trembler ce monstre », disait-elle[25]. Elle a, rue Fromenteau, un concurrent redoutable en Etteila, – de son vrai nom Alliette, – chiromancien et cartomancien fameux dont la mansarde ne désemplit pas et qui a publié, en 1790, son Cours théorique et pratique du livre de Thott pour entendre avec justesse l’art, la science et la sagesse de rendre les oracles, ouvrage dont les éditions se succèdent et se répandent dans tous les mondes[26]. Des observateurs de l’esprit public n’ont-ils pas signalé, dans l’hiver de l’an II, une vieille femme qui, à défaut d’autre dieu, adressait ses prières au portrait de Chaumette placé entre deux bougies ? Pétion n’eut-il pas ses dévots qui le jugeaient supérieur à N.-S. Jésus-Christ[27] ? Le jour même où l’on déposait devant le bureau du président de la Commune la châsse profanée de sainte Geneviève, la section des Quinze-Vingts proposait d’élever, dans la ci-devant église de l’abbaye de Saint-Martin, « un autel où de pieuses vestales entretiendraient un feu perpétuel[28] ». De toutes parts, a-t-on dit, la foule qu’écrasait le poids du néant officiellement décrété, « levait les yeux dans sa détresse, s’efforçant d’apercevoir un coin du ciel ».

Depuis plusieurs années une réaction se produisait contre la sécheresse des théories philosophiques. On a renoncé aux vieilles croyances, mais le vide fait horreur et l’on cherche à les remplacer. C’est ainsi que la doctrine des quakers a groupé, après la guerre d’Amérique, un assez grand nombre d’adeptes. Brissot est revenu quaker de son voyage aux États-Unis, et l’on a vu, au début de 1791, une délégation de la secte se présenter à l’Assemblée nationale, afin de solliciter l’autorisation pour les quakers français de pratiquer leur religion telle qu’ils l’entendront, de garder en toute occasion leur chapeau sur la tête, et d’être dispensés de faire la guerre[29]. D’autres se tournent vers le magnétisme : Bergasse, esprit distingué et pénétrant, s’est accointé d’une servante « qui devine à la fois le mal et le remède » ; beaucoup croient aux prédictions : dom Gerle, ancien Père chartreux, prédicateur renommé, ex-prieur de l’abbaye du Val-Dieu et de l’abbaye de Port-Sainte-Marie, député du clergé aux États généraux, devient le dévot soumis d’une prophétesse, Suzette Labrousse, dont il a louangé les étonnants mérites à la tribune de l’Assemblée constituante[30] et qui, habillée en mendiante, part pour Rome, afin de « convertir le pape[31] ». En ce printemps de l’an II, se promène tranquillement dans Paris, indifférent à ce qui se passe, et sous la sauvegarde d’un protecteur anonyme, Saint-Martin, le philosophe inconnu ; bien que le sens de ses écrits soit impénétrable aux profanes, bien qu’il y assure « avoir changé sept fois de peau en nourrice[32] » et qu’il croie fermement que « la sagesse divine se sert d’agents pour faire entendre son Verbe dans notre intérieur », ses livres sont parsemés de « points si lumineux, de remarques si profondes, produisant l’effet de perles sur un fond sombre et obscur[33] », qu’ils lui ont attiré un grand nombre d’enthousiastes disciples. Admirateur de Rousseau, il est pénétré de l’Émile et du Contrat social ; il a pour lui toutes les femmes auxquelles il reconnaît une disposition particulière aux communications avec les esprits de la région astrale[34]. Il vit à Petit-Bourg, chez la duchesse de Bourbon dont il est l’oracle, et qui recueille toutes les somnambules et tous les sorciers en disponibilité, tous les chercheurs de pierre philosophale en quête de subsides. C’est chez la mystique Altesse que Saint-Martin formule pour la première fois son « ternaire sacré » : – Liberté, Égalité, Fraternité, qui deviendra le programme de la Révolution et dont se pâment toutes les belles oisives, princesses, duchesses ou marquises auxquelles il sera fatal. Au nombre de ces dévoyées est la marquise de Lacroix, dont les aptitudes théurgiques sont très remarquées et se développent « jusqu’à la mettre assez habituellement dans un état qui tient le milieu entre la vision et l’extase » ; elle a « des manifestations sensibles » et entre à volonté en conversation suivie avec « les puissances spirituelles ». Or, cette marquise de Lacroix comptait, en 1792, parmi « les dévotes de Robespierre », et elle poussait l’exaltation jusqu’à se désabonner, par une lettre des plus acerbes, à un journal qui avait critiqué la politique de l’Incorruptible[35]. Il y a du Swedenborg dans la doctrine de Saint-Martin ; celui-ci, du reste, a été intimement lié, à Strasbourg, avec Silferhielm, neveu du fameux théosophe suédois qui « voyait les anges, leur parlait et décrivait de sang-froid leur logement, leur écriture, leurs habitudes », et contemplait de ses yeux « les merveilles du ciel et de l’enfer[36] ».

Les précieuses et les dilettantes mondains ne sont pas seuls séduits par ces nouveautés attrayantes ; elles affolent aussi la bourgeoisie et le peuple. On signale dans Paris un certain Père Raphaël, personnage mythique, qu’on ne parviendra pas à saisir, et le Prophète Élie vague en liberté par les rues[37] ; jusqu’au jour où Sénar lui mettra la main au collet et saisira sur lui un cahier de recettes parmi lesquelles est le « moyen de se rendre invisible en tuant un des membres de la Convention[38] ». Jusque dans l’entourage du sceptique Vadier, le mysticisme opère des ravages : Amar, le farouche Amar, l’énigmatique dominateur du Comité de sûreté générale, Amar est swedenborgiste, tandis que son collègue Voulland, associé par ses fonctions mêmes aux mesures les plus rigoureuses contre les prêtres catholiques, suit dévotement leurs cérémonies religieuses et, s’il faut en croire un contemporain, court les caves et les greniers de Paris, afin d’assister pour son compte aux offices clandestins des insermentés[39]. Et le secrétaire de Héron lui-même, Pillé, – un pauvre hère timide, sourd et ahuri, – que le chef emploie à la copie de ses rapports, se déclare convaincu que tout homme est placé, dès sa naissance, sous la surveillance d’un démon plus ou moins influent et habile, mais toujours présent : il voit ces êtres infernaux, suppute leurs mérites et leurs défauts et n’a point peur d’eux ; car son « diable-gardien », à lui, l’avertit de ne point se frotter à ceux dont le mauvais ange est doué d’une puissance supérieure à la sienne… Telle était la religion de Pillé ; ses camarades le traitaient d’imbécile et ne lui ménageaient pas les quolibets[40].

De toutes ces aberrations, celle de la « vieille maman Théot » était la plus singulière : le hasard avait bien servi Vadier en lui révélant l’existence de cette pauvre folle. Comme il prétendait établir une assimilation comique entre la politique religieuse de Robespierre et les extravagantes conceptions de la visionnaire, il ne lui déplaisait pas que celle-ci fût une maritorne sans éducation ; les échantillons qu’il connaissait déjà du style de la prophétesse devaient produire, par contraste, dans un rapport de ton officiel, des effets sûrs.

Catherine Théot était complètement illettrée. Née le 5 mai 1716, à Barenton, dans le diocèse d’Avranches[41], d’un journalier chargé de famille[42], elle vint à Paris, dès qu’elle fut d’âge à entrer en service ; elle était zélée et fort pieuse[43] ; elle s’approchait des sacrements tous les jours : – « J’ai désiré longtemps, dicta-t-elle, entrer dans un couvent pour me renfermer, parce que je croyais qu’il n’y avait que dans un couvent que l’on pouvait se sauver ; mais Dieu m’a fait connaître le contraire ; j’ai fait soixante-dix lieues pour entrer dans un couvent de mon pays où mes vertus étaient connues de madame la Supérieure et d’une dame de chœur. Dans le moment qu’ils m’ont dit : « Allez, on va vous ouvrir la porte », je n’ai point voulu entrer sans demander conseil à mon Dieu. Il m’a révélé que ce n’était point dans le couvent qu’il me demandait et qu’il fallait que je retourne d’où je venais, dans le plus grand monde qu’il y a dans Paris et que je serais toute la joie d’Israël… et que je délivre son peuple des ruses de Satan. »

La malheureuse, l’esprit déjà troublé, revint donc à Paris, non point pour y fréquenter « dans le plus grand monde », mais pour entrer comme servante chez un faïencier, puis chez un sieur Albot, plombier de la ville[44]. On la trouve ensuite faisant les ménages au couvent des Miramionnes qui hébergent des pensionnaires, et c’est alors qu’elle se met à divaguer : – « Dieu m’a inspiré d’aller sur le pont Notre-Dame, à la Rose-Blanche, chez un marchand où je trouverais des instruments de pénitence. On m’a ouvert une armoire qui en était remplie… Dieu m’a inspiré le cilice de crin et la ceinture de fer avec ses « picquais » pour me ceindre les reins. Quelque temps après, il m’a inspiré de prendre le bracelet et les jarretières de fer « avec ses picquais… » et de porter la chemise de crin et la haire… Je m’étais rendue si familière avec toutes ces pénitences-là que je couchais avec… J’avais de l’ouvrage que je ne pouvais faire dans la journée ; il fallait que je passe une partie des nuits, je n’avais pas le temps de prendre mes repas assise, et, pendant dix-huit ans, je n’ai pas manqué la messe de cinq heures, hiver et été, excepté le Vendredi saint[45]. » Elle se procure encore « la croix de fer avec ses picquais », qui a un demi-pied de long et « se couche dessus, se prosternant par terre plusieurs fois par jour ». Ce qui est moins édifiant, c’est qu’elle entrait, vers cette époque, en discussion avec l’abbé Grisel, son confesseur, qui, frappé de ses excentricités, lui adressait de sévères remontrances. Elle prit pour directeur de conscience, l’abbé Davisa, vicaire à Saint-Nicolas-du-Chardonnet, auquel elle prétendit prouver que Notre Seigneur n’était pas mort. L’abbé Davisa lui interdit la communion ; mais « Dieu fit connaître à Catherine qu’elle n’avait plus besoin des sacrements et qu’il la conduirait lui-même[46] ».

Alors elle commença à catéchiser ; quelques commères de son quartier se réunissaient autour d’elle, le soir, et l’écoutaient vaticiner. L’archevêque de Paris, Mgr Christophe de Beaumont, très informé de ce qui se passait dans son diocèse, s’inquiéta de ce schisme naissant : il écrivit à Catherine, la priant de lui faire part des lumières que Dieu lui donnait ; la réponse qu’il reçut et les renseignements qu’il se procura d’autre part le rassurèrent complètement, du moins sur les dangers de la propagation : la visionnaire était folle, non sans vertus, d’ailleurs, car « elle se privait, quoique misérable, de son nécessaire en faveur de plus pauvres encore » et menait une existence toute de prières, de travail et de mortification[47]. Mais cet incident acheva d’égarer l’esprit de Catherine. Une lettre de son archevêque ! Dieu se servant d’elle pour éclairer un prince de l’Église ! La voilà courant les prônes, interrompant les sermons, guettant les prédicateurs au sortir de la chaire, les traitant d’hérétiques, dictant des mandements qu’elle adresse au curé de Saint-Hippolyte, à ceux de Sainte-Marguerite, de Saint-Martin, au doyen de Saint-Marcel, au curé de Saint-Gervais qui, moins patient que ses confrères, prend mal l’admonestation, porte plainte et obtient contre l’encombrante bigote une lettre de cachet. Catherine Théot fut arrêtée, mise à la Bastille et, avec elle, ses « sectateurs », – un menuisier, une pauvresse, une vendeuse de billets de loterie et un écrivain public nommé Hastain, qu’elle employait à copier ses mandements[48]. Après six semaines de détention, on la transférait à la Force, puis à la Salpêtrière, où on la garda plus de trois ans[49].

C’est alors que la femme Godefroid, modeste ouvrière vivant de sa couture, recueillit « la martyre » et se fit sa servante ; leur vie commune n’était troublée que par les visites de Dieu à son élue. Catherine, devenue « la mère du Verbe », lisait dans l’avenir, se disait assurée de ne pas mourir et communiquait à ses adeptes ce privilège envié. Ces deux femmes vécurent de la sorte durant dix ans, recluses dans leur rêve enchanté ; l’ouragan révolutionnaire, l’effondrement de la royauté, le règne de l’échafaud, la guerre, le bouleversement du monde, rien n’entamait leur placidité. Les yeux fixés sur le ciel, à peine se doutaient-elles de ce qui se passait sur la terre. Ainsi, parmi le tumulte de ce formidable Paris, incessamment passionné et haletant, se sont de tout temps épanouies, dans le silence et l’obscurité, des milliers et des milliers de vies secrètes dont rien ne révèle l’anomalie et l’intensité ; il avait fallu une dénonciation anonyme pour que la soupçonneuse police de Chaumette troublât, en janvier 1793, la retraite de la prophétesse et de sa compagne qui, du reste, – on l’a déjà dit, – après un simple interrogatoire, avaient été remises en liberté.

Héron, ayant donc lancé ses agents à la recherche de « la fille Théot », apprit que celle-ci n’habitait plus rue des Rosiers. La veuve Godefroid, qui l’hébergeait, s’était fixée sur la montagne Sainte-Geneviève, rue Contrescarpe, non loin du Panthéon. L’espion Jaton, parti en éclaireur, rapporta que les deux femmes occupaient là un petit logement où Catherine recevait ses adeptes dont le nombre s’accroissait journellement[50]. Plusieurs dénonciations sur ces rassemblements suspects, dont l’une émanant d’un locataire de la maison, étaient déjà parvenues au Comité de la section de l’Observatoire qui n’en avait pas tenu compte[51]. Il s’y passait, au dire des habitants du quartier, des scènes étranges et seuls pénétraient chez la veuve Godefroid les habitués du cénacle formant la Cour de « la Mère de Dieu », ou les catéchumènes désireux d’être initiés. Jaton parvint à pénétrer dans le sanctuaire et indiqua à Héron la façon de s’y introduire[52].

Le vendredi 6 mai, Héron se dirigea donc de grand matin vers le Panthéon. Il dissimulait sous une longue houppelande son arsenal portatif ; le fidèle et craintif Pillé l’accompagnait. Arrivés rue Contrescarpe, ils repérèrent la maison qui leur avait été indiquée : c’était une très haute bâtisse à six étages, située à peu près à l’angle de la rue Sainte-Geneviève, près de la petite place de Fourcy. Laissant Pillé en observation dans la rue, Héron entra dans la maison, monta l’escalier et sonna à l’une des deux portes qui se faisaient face sur le palier du troisième étage. Une femme âgée vint ouvrir la porte ; Héron, l’air confit et les yeux baissés, demanda « la citoyenne Godefroid ». Comme la femme hésitait à lui livrer passage, il soupira qu’il était « un frère cherchant la lumière ». « Entrez, frère », répondit la femme. Héron pénétra dans une pièce éclairée de deux fenêtres sur la rue. Il était chez la Mère de Dieu.

On n’a pas le récit de sa visite ; peut-être craignait-il de compromettre sa dignité en relatant les momeries fort ridicules auxquelles il dut se prêter pour soutenir son rôle de catéchumène. Au reste, son « initiation » fut remise au lendemain ; il promit d’être exact et d’amener un autre prosélyte de ses amis, désireux, lui aussi, de faire profession. Sa journée se passa en préparatifs et, le samedi, il quittait le Comité de sûreté générale à sept heures et demie, et reprenait le chemin de la rue Contrescarpe en compagnie de Sénar. Les estafiers de sa troupe devaient se tenir discrètement à portée de la maison et prévenir le commandant de la force armée de la section qui prêterait main-forte en cas de besoin. Une patrouille fut postée dans une ruelle voisine, une autre au bas de la rue Contrescarpe, devant la maison des ci-devant Frères de la doctrine chrétienne. Il était huit heures du matin quand Héron gravit de nouveau les marches conduisant au paradis de la mère Catherine. Sénar, qui le suivait, assez penaud de sa contenance, allait figurer le prosélyte annoncé. Héron lui recommanda de prendre « l’air dévot » et de se présenter comme « venant de la campagne ».

Ainsi que la veille, sa servante âgée ouvrit la porte ; elle reconnut Héron : « J’amène un frère pour le faire recevoir », dit-il. Cette fois, tous deux entrèrent sans difficultés ; l’introductrice leur apprit que « la Mère n’était pas encore levée[53] » et les pria d’attendre un peu : c’était dans « une espèce d’antichambre, où, presque aussitôt, parut un homme vêtu d’une redingote blanche, qui avait l’air d’être chez lui ; il traça sur son front un signe de reconnaissance que Héron répéta ponctuellement, et tous deux passèrent dans la pièce voisine, laissant Sénar se morfondre dans l’étroite entrée. Héron revint bientôt avec une femme qui s’adressant à Sénar :

« Venez, homme mortel, vers l’immortalité, dit-elle, la Mère de Dieu vous permet d’entrer. »

Dans la chambre où elle l’introduisit, une autre femme disposait la mise en scène de sa « réception » ; quoiqu’il fît grand jour, elle alluma un réverbère à trois branches, posa « sur trois petits gradins, trois fauteuils : un blanc, un bleu et blanc et un rouge[54] » et plaça sur l’un d’eux un livre. Elle dit : « L’heure s’avance ; la Mère de Dieu va paraître pour recevoir ses enfants. » À ce moment, arrivait un militaire accompagné d’une citoyenne ; puis vint une autre femme encore, qu’on appelait l’Éclaireuse : c’était la citoyenne Godefroid. Sénar regardait ces préparatifs, réprimant une forte envie de rire, tout en affectant un air d’admiration recueillie[55].

L’Éclaireuse agita une sonnette ; les rideaux d’une alcôve s’écartèrent et Catherine Théot apparut, grande, sèche, presque diaphane ; sa tête et ses mains, d’une maigreur extrême, étaient agitées d’un tremblement sénile ; elle avança, soutenue sous les bras par deux assistantes ; Sénar reconnut en l’une d’elles la servante qui lui avait ouvert la porte ; l’autre, belle blonde, qui était la Chanteuse, annonça : « Frères, voici votre Mère. » Elles aidèrent Catherine à s’asseoir sur le fauteuil bleu et blanc, s’agenouillèrent devant elle, baisèrent sa pantoufle et se relevèrent, disant : « Gloire à la Mère de Dieu ! » On apporta une aiguière : la prophétesse se lava les mains, les essuya avec un linge très blanc[56] que l’Éclaireuse lui passa ensuite sur le front, sur les yeux et sur les oreilles. Cette sommaire toilette terminée, on servit sur un plateau une tasse remplie de café au lait et des tartines[57] ; tandis que la Mère déjeunait, de nombreux adeptes se groupaient autour d’elle : hommes et femmes de toutes conditions, entraient, s’inclinaient et prenaient place « sur des sièges semblables à des chaises longues[58] ». Héron et Sénar assistaient dévotement à la cérémonie ; après le repas, qui fut court, on essuya de nouveau le visage et les lèvres de la Mère qui, prenant enfin la parole, prononça ces mots : « Enfants de Dieu, votre Mère est au milieu de vous ; je vais purifier les deux profanes. »

C’est pour Sénar le moment d’entrer en scène. L’Éclaireuse s’approche de lui, le débarrasse de son chapeau et lui demande « s’il veut la lumière ». Il répond affirmativement : « Savez-vous lire ? – Un peu. » Elle lui prend la main, le conduit à Catherine devant laquelle il s’agenouille. – « Je dois, mon fils, vous admettre, dit la vieille ; joignez les mains. » Il obéit, tandis que l’Éclaireuse lui souffle à l’oreille : « Vous allez recevoir les sept dons de Dieu. » Elle passe derrière lui et lui saisit la tête qu’elle maintient fortement. Sénar, un peu inquiet, les yeux à demi clos, attend, et, tout à coup, il sent les lèvres de la Mère se poser sur son front, sur ses paupières, derrière son oreille droite, sur sa joue gauche et deux fois sur son menton ; puis les doigts tremblants tracent une croix sur son front… – « À votre tour », fait l’Éclaireuse, Sénar s’exécute et rend à Catherine penchée vers lui les baisers, en esquivant néanmoins celui derrière l’oreille. Mais l’impitoyable assistante reprend : « Fils et Mère, baisez-vous sur la bouche. » Sénar se soumet héroïquement à cette dernière épreuve[59], la Mère, lui faisant signe de se relever, conclut : « Mon fils, vous êtes reçu. »

Il regagne son siège et, tour à tour, Héron et les fidèles vinrent s’agenouiller devant la prophétesse pour recevoir ses attouchements : à chacun d’eux Catherine présentait les deux espions : « Voici un frère d’aujourd’hui et un frère d’hier. » Tous accomplissaient les rites avec une grande ferveur : une des jeunes femmes présentes éprouva même une sorte d’extase ; elle réitéra plusieurs fois les baisers et laissa pendant quelques minutes sa bouche collée à celle de Catherine, répétant avec enthousiasme : « Que je suis heureuse ! Hélas ! ajouta-t-elle, sans notre Mère, nous étions tous perdus… Par ses soins et ses prières, Dieu ne mettra pas nos frères en jugement et nous serons sauvés ! »

À ce moment, le bruit d’un peloton de cavaliers dans la rue attira les femmes aux fenêtres ; elles regardèrent passer les soldats : « Ce sont peut-être, dit l’une d’elles, ceux qui vont garder à la boucherie nationale. » Un silence se fit dans la chambre : cette évocation de la guillotine glaçait la mystique exaltation des plus fervents ; on songeait aux malheureux qui, à cette même heure, comme tous les jours de cet effroyable été de l’an II, subissaient les affres du supplice ; à l’horrible angoisse du lent parcours en charrette depuis la prison jusqu’à l’échafaud. Héron entendit une jeune fille qui, répondant à la pensée de tous, soupira en frissonnant : – « Si j’y allais jamais, je voudrais « passer » la première. » Il rapporte ce mot dans son procès-verbal comme un incident sans valeur : pourtant c’était là l’explication, la justification même de la scène burlesque dont il venait d’être le témoin. Quand plus de 8.000 malheureux, destinés à l’échafaud, encombraient les prisons, quand les visites domiciliaires raflaient tous les habitants d’une maison, pour une fleur de lys gravée sur l’aiguille d’une pendule, pour une couronne imprimée sur la couverture d’un livre ; quand on tremblait au bruit d’un fiacre roulant sur le pavé, au heurt du marteau sur la porte, au pas d’un inconnu montant l’escalier ; quand on n’osait plus ni se coucher, ni sortir, ni parler, ni ouvrir un journal, de peur d’y lire, à la rubrique Tribunal révolutionnaire, le nom d’un ami ou d’un parent quitté la veille, pris, jugé, condamné, égorgé en vingt-quatre heures, – « torture de l’enfer, disait un contemporain, qu’il faut avoir éprouvée pour la comprendre », – quand ils n’en pouvaient plus du harcelant cauchemar, les pauvres gens que la Terreur rendait fous et privait du réconfort de la prière, accouraient chez la voyante de la rue Contrescarpe : celle-là, du moins, leur prédisait « qu’ils seraient préservés » ; elle leur parlait de bonheur et de paix, de jeunesse perpétuelle, d’immortalité… Ne pas mourir ! Chimère reposante et délicieuse en cette détresse où, partout, on se heurtait à la mort. Le taudis de la mère Catherine valait pour ces hallucinés les plus belles cathédrales, et les momeries auxquelles ils s’astreignaient leur entr’ouvraient un pan d’azur.

Tout en restant sur la chaise, les mains jointes, la mine confite, Sénar scrutait du coin de l’œil les arrivants. Il regardait une superbe brune, jeune, fraîche, qui se tenait près de la Mère et paraissait être de la maison : on la nommait la Colombe. Héron ne perdait rien non plus de ce qui se passait autour de lui : il remarqua que l’homme à la redingote blanche, après l’avoir fixé attentivement, s’approcha de la Sibylle, lui parla à l’oreille et sortit. Une femme adressait à Sénar un discours sur les sept sceaux de l’Évangile : elle expliquait comment, grâce au pouvoir de la Mère, cinq de ces sceaux étaient déjà levés ; le sixième était en train de se soulever et le septième ne tarderait pas à être levé à son tour. Alors, et « par un seul coup d’éclair », le monde serait renouvelé, « la terre se trouverait toute nue, sans montagnes », et il n’y aurait plus de vivants que les élus de la Mère de Dieu. Chacun d’eux retournerait chez soi et vivrait éternellement, parfaitement libre de soucis. Sénar murmura : « Que je suis heureux !… Mais, poursuivit-il, quel sera notre signe de reconnaissance ? » – L’Éclaireuse répondit : « Nous en aurons un, lors du grand événement ; pour le moment, contentez-vous de celui qui vous a été imposé. Écoutez ma lecture et ayez confiance. » Elle ouvrit un Office de l’Église et lut l’Évangile de la nuit de Noël ; puis elle se lança dans des commentaires, établissant que la Mère ici présente était la vraie Vierge : « Elle voit Dieu, elle lui parle ; ils se connaissent depuis vingt-cinq ans… » Sénar, qui n’écoutait pas et préférait se renseigner, demanda quel lieu serait désigné pour le ralliement, « lors du grand coup du septième sceau ». – « Ici près, répondit l’Éclaireuse ; l’endroit se bâtit et se dispose… » Elle voulut bien alors faire connaître aux deux nouveaux frères que « les ministres du serpent seraient détruits et que la Mère gouvernerait le monde ; on comprendrait alors ce que signifiait la maxime : “Les morts enseveliront les morts.” ». La conférencière inspirée ne s’arrêtait pas ; Sénar parvint à l’interrompre, curieux de savoir « si le grand événement tarderait beaucoup », et apprit que ce serait pour bientôt, « plus tôt que l’on ne croit ». L’une des sœurs ayant témoigné le désir d’entendre un cantique, la jolie fille brune consentit à chanter, « à condition que la mère la paierait d’un baiser », qu’elle obtint aussitôt, et elle entonna une sorte d’hymne que les autres reprenaient en chœur :


Tous élus, tous amis, tous frères,
Choisis par la Mère de Dieu,
Restons amis constants, sincères,
En tous pays comme en tout lieu…


Sur le dernier couplet, le frère en redingote blanche rentra dans la salle, ramenant un fidèle vêtu d’une houppelande grise et coiffé d’une perruque à queue. Ce personnage s’approcha de Catherine, reçut les baisers et s’assit près d’elle dans l’un des fauteuils restés jusqu’alors vacants. À son entrée, les élus s’étaient inclinés et relevèrent seulement la tête quand il fut assis. Lui parcourait des yeux l’assemblée ; ses regards s’arrêtaient particulièrement sur Héron et sur Sénar ; il prit entre ses mains la main sèche de Catherine Théot et lui parla longuement à voix basse, sans cesser de dévisager les intrus dont la présence et le maintien semblaient le préoccuper. Il leur demanda quels étaient leurs noms, leur état, leur domicile, et, comme ils répondirent sans hésitation à ces questions auxquelles ils s’étaient préparés, il les pria d’en renouveler par écrit la déclaration avant de se retirer. Sénar l’interrogea à son tour : « Vous êtes, sans doute, un de nos frères ? – Oui, répliqua l’homme à la houppelande grise ; il est temps que nos malheurs finissent… Dieu s’est caché ; mais il s’est abaissé vers notre Mère pour se placer en elle. C’est elle, Mère et Fille de Dieu, qui doit gouverner l’Univers ; nous allons tous rajeunir après la résurrection. » Il allait poursuivre, quand un nouveau venu parut sur le seuil ; Héron, dont l’attention était en éveil, tourna vers lui les yeux et reconnut Jaton, l’un de ses hommes, qu’il avait posté dans la rue avec ordre de l’avertir, s’il survenait quelque incident. Jaton, on s’en souvient, était celui des agents du Comité de sûreté qui, le premier, avait pénétré chez la Mère de Dieu pour être initié à ses mystères. Il s’avança au milieu du cercle, s’inclina devant la vieille, reçut d’elle, en habitué, les sept baisers et sollicita l’autorisation de lui présenter un prosélyte. Catherine inclina la tête en manière d’assentiment, et tous les frères et sœurs consultés acquiescèrent. Seul, l’homme à la perruque s’agitait, visiblement inquiet, et témoignait peu d’empressement à recevoir la nouvelle recrue. Le prosélyte, qui n’était autre que Martin, agent, lui aussi, de Héron, se tenait discrètement à la porte, attendant qu’on fixât son sort. Plaidant sa cause, il s’informa de l’opposant s’il était le président de la réunion. Une sorte de discussion s’en suivit. – « Il n’y a pas ici de président, riposta l’autre, que cet incident semblait émouvoir ; nous sommes tous égaux auprès de la Mère de Dieu. » La voix grêle de celle-ci ajouta : « Il est un de mes fils choisis de la part de Dieu. » Et, pour couper court à l’embarras général, elle invita la Colombe à chanter un second cantique : celle-ci ne se fit pas prier ; mais elle réclama un verre de vin et un biscuit, « afin de se donner des forces » ; ce répit occasionna une détente que les fidèles mettaient à profit pour échanger leurs impressions ; Jaton se rapprocha de Héron et lui dit à voix basse : « Je suis monté pour te prévenir que l’homme habillé de gris est dom Gerle. »

C’était dom Gerle, en effet, le mystique chartreux défroqué, l’ancien membre de l’Assemblée constituante, l’ex-impresario de la prophétesse Suzanne Labrousse. Depuis plusieurs années, sa foi dévoyée se raccrochait à toutes les superstitions, à tous les théosophes, gnostiques, visionnaires ou simples charlatans qui pullulaient dans Paris ; il avait fréquenté chez la duchesse de Bourbon qui collectionnait tous les genres d’illuminés : de là, sans doute, ses relations avec Catherine Théot, dont il était devenu le pontife. La présence de ce monomane chez la nouvelle Ève était une aubaine pour les agents du Comité de sûreté ; elle devait fournir à Vadier la possibilité de donner à son futur rapport une portée politique. La chanteuse cependant, réconfortée par son verre de vin, chantait à pleine voix :


Vérité, montre-toi ; viens changer notre sort,
Viens pour anéantir l’empire de la mort.


À ce moment, la porte s’ouvre brusquement ; une femme, connue des adeptes pour être une sœur fidèle, entre en tourbillon ; on se presse autour d’elle ; haletante, elle annonce que tout le quartier est en rumeur ; dans les cabarets voisins, des gens armés boivent à la santé de la Mère de Dieu ; des soldats sont groupés dans les environs ; même elle a remarqué un homme de mauvaise mine en observation chez la concierge. – « Nous sommes trahis ! » crie dom Gerle. Émoi général, les sœurs se bousculent vers la porte : quelques-unes se jettent sur Sénar ; l’Éclaireuse s’efforce de calmer ses compagnes : « Ne tuons personne ; expliquons-nous ! » Gerle cherche à s’esquiver à la faveur du tumulte ; Héron lui barre la route, et l’ex-chartreux, comprenant qu’il n’y a pas à lutter, revient s’asseoir aux côtés de la Mère de Dieu qui assiste, hébétée, à ce désarroi. Même, la première alerte passée, il fait bonne contenance : « Mes sœurs, dit-il, imposant silence aux fidèles affolées, il s’est glissé parmi nous de faux frères : c’est un moment favorable pour que nos principes soient connus ; du reste, il fallait toujours en venir là. »

La scène qui suivit ne fut pas sans grandeur : ces pauvres femmes que la peur de mourir amenait là où l’immortalité leur était promise, voyant arrivée l’heure du martyre, se sacrifièrent courageusement. Peut-être leur foi aux promesses de la Mère était-elle si vive que, même aux prises avec les recruteurs de l’échafaud, elles se croyaient invulnérables, serrées autour de leur idole, elles puisaient à son contact une sorte d’héroïsme. Gerle, de sa large prestance, dominait le groupe, anathémisant les faux frères et bravant les persécuteurs. Les quatre espions du Comité, Héron, Sénar, Martin et Jaton tiennent tête à son délire apocalyptique ; enfin, Sénar ouvre la fenêtre, jette un cri d’appel : en un instant, la rue, le couloir de la maison, l’escalier sont pleins de soldats et de policiers ; la porte que, dans sa terreur, l’une des dévotes a fermée à clef, est enfoncée à coups de crosses et les troupes de Héron envahissent l’étroit logement de la Mère de Dieu.

Tout de suite, les interrogatoires commencent : aucun des fidèles de Catherine ne renie sa foi ; tous s’offrent en holocauste pour cette cause ridicule, avec autant de sérénité et de vaillance que les premiers chrétiens confessant le vrai Dieu. Héron et Sénar apprennent là bien des choses dont Vadier fera son profit. Catherine Théot, questionnée la première, affirme « qu’elle entend Dieu lorsqu’il parle, mais sans le voir… C’est à elle que les armées obéissent… ; elle est la Mère de toutes les nations, qui l’appellent bienheureuse… » ; il vient chez elle beaucoup de citoyens et de militaires, « surtout de ceux qui partent pour la guerre » ; il en est même arrivé un « de cent lieues, de Lyon, qui l’a cherchée partout dans Paris » ; il n’aurait pas rejoint l’armée sans la voir…, car ceux qui reçoivent les signes « sont assurés de ne pas être blessés et jouiront de l’immortalité de l’âme et du corps ». Elle cite, entre autres, le nommé Pécheloche, officier supérieur, actuellement à l’armée du côté de Dunkerque[60].

La veuve Godefroid avoue qu’elle connaît la Mère et demeure avec elle depuis plus de quinze ans et « elle croit intimement tout ce que Dieu lui inspire » ; la fille Mamie, ouvrière en linge, atteste que « plus des trois quarts des habitants de Paris sont des adeptes de Catherine », la jolie fille qu’on appelle la Colombe déclare se nommer Rose Raffet[61] ; elle vient chez la Mère de Dieu le plus souvent qu’elle peut et y amène sa sœur, avec laquelle elle habite rue Saint-Dominique-d’Enfer[62]. L’homme à la redingote blanche est un citoyen Paul Servat, rentier ; il demeure sur le même palier que Catherine et vient chez elle tous les soirs ; il est certain qu’il ne mourra pas. Même acte de foi de la femme Servat, épouse du précédent. Une rentière demeurant à Tournan-en-Brie, vient chez Catherine Théot depuis dix jours ; elle ne cache point qu’elle a fait des prosélytes dans son pays. Ensuite comparaît la fille Breton, servante de la Mère ; c’est elle qui ouvre la porte et fait le ménage ; elle sait, à n’en point douter, que la patronne est la Mère de Dieu. Le vieux citoyen que l’on interroge après elle est fort embarrassé de son maintien ; il habite, lui aussi, la maison où il loge au sixième étage ; il se nomme Chateaumont, et il est secrétaire du Comité de salut public. Il connaît beaucoup Gerle ; mais il ignore tout ce qui se passe chez Catherine ; il sait seulement qu’il y vient beaucoup de gens ; il en rencontre sans cesse dans l’escalier quand il monte chez lui en revenant de son bureau. Puis voilà une citoyenne Girault, depuis peu initiée, une de ses amies lui ayant conseillé « de ne pas perdre de temps, que le moment approchait du bonheur général » ; – « il n’y aurait plus de guerres, les rois déposeraient leur couronne » ; et ça doit se passer prochainement, près du Panthéon, dans un endroit qu’on prépare à cet effet. Gerle lui-même témoigne de la même confiance : « il a reconnu, dit-il, dans les Écritures, la vérité de ce qu’annonce Catherine : il vient chez elle depuis deux ans et connaît bien Pécheloche, qui est le principal locataire de la maison où la Mère demeure. »

Les interrogatoires sommaires terminés, Héron intime aux inculpés que, par ordre du Comité de sûreté générale, ils sont mis en état d’arrestation comme « instigateurs de rassemblements suspects » ; il procède aussitôt à l’apposition des scellés et, tandis qu’il prépare sa cire, son cachet et ses bandes de toile, apparaît sur le seuil un individu que poussent dans la chambre un sergent de la garde nationale et un agent du Comité, Lesueur, resté en surveillance dans l’escalier. L’homme est effaré. En montant les étages, il a interpellé joyeusement Lesueur : « Frère, es-tu de la société ? – Oui, frère, a répondu l’espion. – « C’est bon, reprit l’autre ; j’en suis aussi, moi ; j’y suis déjà venu ; je sais toutes les chansons qu’on y chante ; je viens chercher ma femme chez la Mère de Dieu ; nous la connaissons depuis deux mois ; elle vient souvent manger chez nous… » Sur quoi Lesueur l’a empoigné : c’est un nommé Ducrest, tabletier, rue Phélippeaux ; il essaie bien de rattraper ses paroles imprudentes ; trop tard ; il est confondu avec les autres et, le soir, – car l’enquête se prolongea toute la journée, – les habitants du quartier de l’Estrapade virent défiler un singulier cortège : la Mère de Dieu, la tête branlante, s’avançait à petits pas, encadrée de gendarmes ; la troupe de ses fidèles suivait entre deux haies de gardes nationaux ; Héron et Sénar dirigeaient la marche, escortés de leur état-major de policiers. Par la rue Saint-Jacques, on gagna l’ancien collège du Plessis qui, réuni aux bâtiments du ci-devant collège Louis-le-Grand, venait d’être transformé en une vaste prison ; les ouvriers y travaillaient encore. C’est là que furent écroués la voyante et ses adeptes : ainsi se trouvait déjà réalisée l’une des prédictions de la mère Catherine, annonçant qu’un grand changement dans son existence s’opérerait en une école voisine du Panthéon.

Sur ce thème, Vadier s’apprêtait à broder. Il n’y avait rien là-dedans qui eût le moindre rapport avec Robespierre ; ceci importait peu. Sans doute il eût été préférable de pouvoir le citer au nombre des dévots de la mère Catherine et de l’avoir surpris à genoux, baisant pieusement les yeux et le menton de la vieille Sibylle ; mais rien n’empêcherait d’insinuer que la Mère de Dieu le considérait comme son fils bien-aimé et qu’il devait tenir un rôle dans la cérémonie du grand coup du septième sceau. Au surplus, il suffisait de prêter à rire en traçant un tableau burlesque qui fît pendant à la pompeuse homélie du prédicateur de l’Être suprême. Ces fariboles coûteraient la tête à la nouvelle Ève de la rue Contrescarpe et à une vingtaine au moins de ses ouailles ; mais puisque l’immortalité leur était conférée, l’inconvénient était minime et Vadier ne s’arrêtait pas à ce détail. Il voulait venger Voltaire, vertement crossé par l’Incorruptible dans son récent discours, et permettre aux esprits forts, sectateurs de l’auteur du Dictionnaire philosophique, de faire front contre la phalange des fervents de Rousseau, dont Robespierre se disait le disciple et l’apôtre.

On a voulu voir dans la guerre sourde dès lors engagée entre le Comité de salut public où dominait Robespierre et le Comité de sûreté générale personnifié par Vadier, un tardif regain du vieil antagonisme qui naguère divisa Voltaire et Rousseau. Les deux grands destructeurs se retrouvaient en présence dans la personne de leurs partisans, appliqués à mettre en pratique leurs théories. La lutte des Comités n’a point cette ampleur : l’aristocrate Voltaire eût été très peu flatté d’un suppléant tel que Vadier, ergoteur de goût médiocre, à en juger par son éloquence débraillée. Quant à l’ombrageux Rousseau, si, pour son malheur, il avait vécu jusqu’à l’époque de la Terreur, il est bien probable que Robespierre lui aurait tressé moins de couronnes ; deux hommes d’un caractère si difficile n’étaient point faits pour s’accorder : il fallait que l’un fût mort pour que l’autre le vénérât.

De quelques lignes adressées par Robespierre aux mânes de Jean-Jacques, – « je t’ai vu dans tes derniers jours, j’ai contemplé tes traits augustes[63]… – on a conclu qu’il rendit visite à l’auteur du Contrat social sans sa solitude d’Ermenonville ; on a pu imaginer que le philosophe avait institué ce jeune inconnu héritier de ses doctrines, lui léguant la mission de les appliquer. Ce romanesque épisode est très probablement dû à des commentateurs aventureux ; si Robespierre avait obtenu la faveur insolite d’un entretien avec le misanthrope genevois, il n’aurait pas manqué d’en tirer gloire et de consigner les moindres mots de son idole lui indiquant la route à suivre. On peut croire qu’il entreprit le voyage d’Ermenonville, qu’il aperçut Jean-Jacques faisant sa promenade solitaire et qu’il ne risqua pas d’entrer en conversation, crainte d’être rudement rabroué. Cette aubaine peut se dater du printemps de 1778, alors que, sur la fin de ses études, déjà peut-être inscrit à l’École de droit, il échappait facilement à la discipline du collège. De tels pèlerinages étaient alors de mode et bien d’autres enthousiastes rêvaient d’approcher le grand homme : on n’en cite point qui se soient flattés d’y avoir réussi. Carnot et l’un de ses camarades tentèrent l’aventure et furent accueillis par des rebuffades ; Manon Flipon, la future madame Roland, hasarda, elle aussi, une visite et, malgré ses beaux yeux et ses vingt-deux ans, se vit fermer la porte au nez[64].

Si rapide et furtive qu’ait été sa vision de Rousseau, Robespierre se réclame de lui ; il s’inspire de ses écrits, le cite souvent et affecte même de conformer sa vie à celle du morose philosophe. Modèle néfaste pour un présomptueux souffrant d’être inapprécié : – « Quand on a lu Rousseau, disait Joubert, on se croit vertueux : on apprend avec lui à être mécontent de tout, sauf de soi-même. » C’est à l’irréligieuse piété de l’auteur d’Émile que Robespierre emprunte l’idée de sa religion nouvelle ; mais s’il suit, en la décrétant, un principe posé par Jean-Jacques[65], il obéit aussi, inconsciemment peut-être, à un besoin de son âme, profondément marquée de l’empreinte catholique. En pouvait-il être autrement ? Tout enfant, il a vécu au contact des prêtres ; son instruction religieuse a été assidûment surveillée par deux tantes très croyantes et très pieuses ; des prêtres encore, et des prêtres éminents, ont formé son esprit lors de ses années de collège ; il vivait ses rares jours de sortie chez les chanoines de Notre-Dame et un chanoine d’Arras le recevait durant les vacances. On a noté que l’enfant, au cours des deux mois passés chaque année dans sa ville natale, s’en allait, à la chute du jour, jusqu’à une petite chapelle située dans la campagne, aux abords du village de Blairville, et demeurait là longtemps, recueilli dans la solitude et la méditation[66]. Plus tard, avocat au Conseil d’Artois, juge au tribunal épiscopal, il est bien certain qu’il se montrait fidèle observateur des pratiques d’obligation ; toute autre conduite eût fait scandale dans cette ville si particulièrement religieuse. D’ailleurs, on a dit, et c’est très vraisemblable, que jusqu’en 1789, Robespierre « communiait tous les huit jours[67] ». Député aux États généraux, il protestera d’abord contre les malintentionnés qui, pour discréditer les représentants du Tiers, osent insinuer que ceux-ci « veulent porter atteinte à la religion catholique[68] ». Il la considère alors, c’est évident, comme intangible et sacrée. Quand la guerre contre le culte sera déchaînée, il s’élèvera en termes violents contre les prélats et les hauts dignitaires de l’Église ; mais il se posera toujours en défenseur du « bas clergé ». Il poussera même la sollicitude jusqu’à réclamer, dès 1790, pour les ecclésiastiques, le droit au mariage, innovation prématurée que des murmures l’empêchèrent de formuler[69]. À la Convention, il sera le dernier avocat des catholiques et de la liberté des cultes ; il obtiendra le maintien du salaire des curés et vicaires : – « Attaquer le culte, dit-il, c’est attenter à la moralité du peuple[70]. » Lors de l’épuration des Jacobins d’où l’on balaye les étrangers, les nobles, les banquiers, il s’opposera à l’expulsion des prêtres, membres du club[71]. Sans cesse on le verra recherchant la société des ecclésiastiques, – nouvelle similitude avec Rousseau qui écrivait : « J’ai beaucoup d’amis parmi le clergé de France ; j’ai toujours très bien vécu avec eux[72]. » Sans cesse on devine des prêtres dans l’entourage de Maximilien ; durant la Constituante, il entretient des relations intimes avec son collègue et compatriote, l’abbé Michaud, curé de Boury-en-Artois[73] ; à la même époque, il « conserve d’excellents rapports avec des chanoines du chapitre de Paris… et quelquefois il va dîner avec eux[74] ». Avant le 10 août, c’est « un abbé de ses amis » qui circonvient de sa part les hommes politiques en vue et les invite à se grouper[75]. Prêtres renégats et tarés, dira-t-on, et d’autant plus hostiles au clergé orthodoxe que celui-ci les considère comme des déserteurs. Il serait injuste de généraliser, car nombre d’ecclésiastiques « jureurs » conservaient dans l’erreur la foi ardente et les vertus de leur premier état. Du reste, la protection de l’Incorruptible s’étendait sur d’autres : témoin le saint abbé Émery, le plus militant des insermentés, qui, détenu à la Conciergerie, pendant la Terreur, continuait à y exercer clandestinement son ministère et fut soustrait à l’échafaud grâce au dévouement de madame de Villette, la nièce de Voltaire, aux démarches d’une tante de Fouquier-Tinville, l’accusateur public, et surtout à la mystérieuse intervention de Robespierre[76]

Le peu que l’on connaît de ces fréquentations aide à comprendre la scène étonnante qui eut pour théâtre, le 26 mars 1792, l’arène des Jacobins et que l’on doit ici sommairement rappeler. Au cours d’une improvisation sur les périls de la situation, Robespierre avait fait appel « à la Providence qui veille toujours sur nous beaucoup plus que notre propre sagesse ». – « Craignons, ajouta-t-il, de lasser la bonté céleste qui, jusqu’ici, s’est obstinée à nous sauver malgré nous. » Son discours était semé d’interjections telles que : À Dieu ne plaise ! et autres apostrophes fleurant « la sacristie », ce dont rugissaient les frères et amis confondus d’entendre leur héros s’exprimer comme « un calotin ». Guadet se fit l’écho de la stupéfaction générale : – « J’ai entendu souvent dans cette discussion répéter le mot de « Providence », dit-il ; je n’aurais jamais cru qu’un homme qui, pendant trois ans, a travaillé avec tant de courage à tirer le peuple de l’esclavage, pût concourir ainsi à le remettre ensuite sous les chaînes de la superstition… » – Brouhaha, murmures, applaudissements. Mais Robespierre surgit à la tribune. – « Je soutiens, moi, ces éternels principes sur lesquels s’étaie la faiblesse humaine pour s’élever à la vertu. Ce n’est point un vain langage dans ma bouche, pas plus que dans celle de tous les hommes illustres qui n’en avaient pas moins de morale pour croire à l’existence de Dieu… » – Tumulte, cris : À l’ordre ! – « Non, messieurs, vous n’étoufferez point ma voix… Je vais continuer de développer un des principes puisés dans mon cœur… Invoquer le nom de la Providence, émettre l’idée de l’Être éternel qui influe essentiellement sur les destinées des nations… est un sentiment qui m’est nécessaire… » Et, à cette heure, unique peut-être dans sa carrière, où, emporté par l’élan de son improvisation, il découvre le fond de son âme, il laisse entrevoir qu’y rancissent toujours les rancunes, les meurtrissures des abaissements de sa jeunesse et les humiliations de ses commencements ardus : – « Comment ce sentiment ne me serait-il pas nécessaire, à moi qui, livré dans l’Assemblée constituante à toutes les passions et à toutes les viles intrigues, me suis soutenu, environné d’ennemis nombreux ? Comment aurais-je pu supporter des travaux qui sont au-dessus de la force humaine, si je n’avais pas élevé mon âme ?… Ce sentiment divin m’a bien dédommagé de tous les avantages offerts à ceux qui voulaient trahir le peuple… » L’édifiante harangue s’acheva parmi les cris et les huées des auditeurs déroutés ; en purs jacobins, ils étaient déjà persuadés qu’un homme ne peut servir la cause du peuple, s’il n’est matérialiste avéré ; et, ce soir-là, pour comble de désastre, le malheureux évêque intrus, Gobel, présidait la société ; il poussa le courage jusqu’à se couvrir de son chapeau, ce qui clôtura la séance[77].

Dix-huit mois plus tard, Robespierre, à cette même tribune, proclama de nouveau sa croyance ; par un revirement dont l’ironie est frappante, Anacharsis Clootz présidait ; Clootz, le banquier prussien, extravagant apôtre de l’athéisme international. Écœuré des mascarades sacrilèges occasionnées par la récente instauration du culte de la Raison, – on était au 1er frimaire de l’an II, le jour même où était profanée à la Commune la châsse de sainte Geneviève, – Robespierre, tout frémissant d’indignation, flétrit cette fois les prêtres renégats « qui s’empressent d’abdiquer leurs titres contre ceux de municipaux, d’administrateurs, et même de présidents de sociétés populaires ». – « Craignez, dit-il, non pas l’habit qu’ils portent, mais la peau nouvelle dont ils sont revêtus. » Il n’admet pas que des inconnus jusqu’ici dans la Révolution « troublent la liberté des cultes et attaquent le fanatisme par un fanatisme nouveau… ». « On a dénoncé des prêtres pour avoir dit la messe ; ils la diront plus longtemps si on les empêche de la dire. Celui qui veut les empêcher est plus fanatique que celui qui la dit… » L’athéisme est aristocratique… « L’idée d’un grand Être qui veille sur l’innocence opprimée et qui poursuit le crime triomphant est toute populaire. Les hommages rendus à cette puissance incompréhensible, effroi du crime et soutien de la vertu, sont autant d’anathèmes contre l’injustice… » – « Je le répète, nous n’avons d’autre fanatisme à craindre que celui des hommes immoraux soudoyés par les cours étrangères… qui veulent nous rendre odieux à tous les peuples pour affermir les trônes chancelants[78]. »

Jamais il n’est aussi éloquent que quand il parle de la divinité ; jamais sa parole n’est aussi chaude, sa pensée aussi claire : plus d’ambiguïtés, de sournoiseries, de réticences, d’insinuations perfides et volontairement obscures. Pages trop rares qui, comme l’éclair dans la nuit opaque, donnent l’illusion d’une lueur sur cette âme énigmatique et ténébreuse. Quoique l’ombre s’épaississe après ce rapide coup de lumière, il semble bien qu’on ne peut mettre en doute la sincérité de l’instinct religieux chez l’homme qui parlait ainsi. Sans doute, il y a là-dedans beaucoup de réminiscences du Vicaire savoyard ; mais il y a aussi une conviction profonde, car on la retrouve dans l’intimité de sa vie telle qu’elle apparaît en ces instants de courageux abandon. Dans le récit charmant qu’elle a laissé de ses innocentes amours, la plus jeune des filles du menuisier Duplay, Élisabeth, a conté comment elle prenait l’hôte de ses parents pour confident de ses peines. Elle le considérait comme un frère aîné, d’une bonté, d’une indulgence, d’une délicatesse toujours en éveil ; il la consolait en lui parlant du bon Dieu, – qu’il appelait l’Être suprême. – « Que de fois, écrit-elle, il m’a grondée de ce que je semblais ne pas y croire avec la même ferveur que lui ! Il me disait : « Tu as tort, tu seras malheureuse… Tu es bien jeune encore, Élisabeth ; pense bien que c’est la seule consolation sur la terre[79]. » On comprend ainsi combien, dans le dévergondage ambiant de toutes les traditions, l’écroulement de toutes les croyances, cette attitude dont il faisait montre attirait à Robespierre de haines et de railleries. Aux Jacobins il pouvait tout se permettre, encore qu’on y déplorât amèrement ses « capucinades » ; mais lorsqu’il eut exposé devant la Convention sa théorie de l’existence de Dieu et de l’immortalité de l’âme, tous les rationalistes et matérialistes de l’Assemblée, athées authentiques ou d’occasion, considérèrent cette profession de foi comme une déclaration de guerre, un retour à « l’obscurantisme ». Ils votèrent ce qu’il exigeait parce qu’ils avaient peur de lui ; mais ils se préparèrent clandestinement au combat et Vadier prit la direction du mouvement.

À la fête de l’Être suprême s’engagèrent les hostilités.


  1. On ne trouve pas leurs noms dans les états d’émargement des fonctionnaires du Comité. Archives nationales, F7 4406 B.
  2. « Louis-Julien-Simon Héron, fils de noble homme Jean Héron et de demoiselle Isabelle Costar, né le 16 mars 1746. » Archives de l’état civil de Saint-Lunaire.
  3. « Modeste-Anne-Jeanne Desbois, fille de noble homme Étienne-Benoît Desbois et de dame Modeste-Charlotte Helvaut. Le mariage fut béni par un oncle de la jeune épouse, messire Gilles Helvaut, le 12 août 1777. » Archives de la mairie de Cancale.
  4. « M. le comte d’Hector a ouï faire de cet officier le plus grand éloge par le comte d’Orvillier. » Archives de la Marine, dossier de Héron.
  5. Complot de banqueroute générale, par Marat. Ce précieux opuscule augmenté de notes manuscrites, où sont exposés les griefs de Héron et la succession de ses « malheurs », m’a été communiqué par M. le comte de Fels, qui voudra bien trouver ici l’expression de ma vive gratitude.
  6. Jacques-François Thiboult de Paissac, cadet gentilhomme dans le 68e régiment d’infanterie, sous-lieutenant le 22 juin 1778, lieutenant en second le 1er juin 1783, lieutenant en premier le 1er septembre 1786, capitaine le 12 juin 1792.
  7. Mémoires de Barbaroux, édition Dauban, 348. – « Il y avait là Héron, de Bretagne, franc comme tous les hommes de son pays, mais, depuis, mystifié par Marat. »
  8. Archives nationales, F7 477452.
  9. Archives nationales, F7 477425.
  10. Archives nationales, F7 4743. – « Je dénonce le nommé Travaret, ancien banquier de jeu chez la reine, étalant le luxe le plus insolent, venant d’acheter une terre de 1.600.000 livres et possédant plus de 300.000 livres de rente… L’équité et le salut du peuple exigent qu’on s’assure de sa personne. 11 septembre 1793. – Je déclare que Vaudreuil, grand fauconnier du ci-devant roi, a tiré pour 5.800.000 livres de lettres de change sur Pascaut lorsqu’il jouait à la banque que tenait la reine au château de Versailles… »
  11. Archives nationales, A F7 II 289, f° 111. C’est aussi Héron qui avait été envoyé en Bretagne, à la fin d’août 1793, à la poursuite des députés girondins fugitifs. Archives nationales, A F II 46 358.
  12. Buchez et Roux, Histoire parlementaire, XXXIV, 389.
  13. Moniteur, réimpression, XX, 6 et 7. Séance de la Convention du 30 ventôse an II. E. Hamel écrit, Histoire de Robespierre, III, 439 : – « Le décret surpris à la Convention était grave aux yeux de Robespierre, non point à cause de l’arrestation d’un agent du Comité de sûreté générale auquel il s’intéressait médiocrement, mais parce que ce décret révélait la tactique de certains hommes disposés à calomnier les meilleurs patriotes… et à obtenir de l’Assemblée, en surprenant sa bonne foi, des mesures désastreuses. » Si Robespierre, comme le dit plus loin Hamel, n’avait « aucune espèce de relation avec Héron », il agissait bien légèrement en sauvant un tel homme, sans se renseigner préalablement sur sa moralité et sur son passé.
  14. Mémoires de Sénar, p. 110.
  15. On écrit le plus souvent Sénart, et quelquefois Senard ; la véritable orthographe du nom est Sénar. Archives de l’état civil de Tours. Décès, 11 germinal IV.
  16. Gabriel-Jérôme Sénar était né à Châtellerault, le 3 août 1760. Sa mère se nommait Catherine Sainton.
  17. Marie-Louise-Antoinette David, fille de Joseph-Antoine David et de Marie-Louise Ceri.
  18. Les Brigands de la Vendée en évidence, par Sénar, p. 64.
  19. Chapuy, Rigogne, Cayeux et Lesueur.
  20. Archives nationales, F7 477517.
  21. Mémoires de Sénar, 127.
  22. Buchez et Roux, Histoire parlementaire de la Révolution, XXXIV, 414. Déposition de Vilain d’Aubigny au procès de Fouquier-Tinville.
  23. Procès de Fouquier-Tinville, n° III, p. 4, de l’imprimerie du Bulletin républicain. Déposition de Sénar.
  24. Archives nationales, T 604-605.
  25. Marquiset, La Célèbre mademoiselle Lenormand, 24 et 26.
  26. Biographie nouvelle des comtemporains, 1820.
  27. Mémoires inédits de Pétion publiés par C. Dauban, XXXVI.
  28. Journal de Paris, 3 frimaire an II, p. 1315.
  29. Bernard Fay, L’Esprit révolutionnaire en France et aux États-Unis à la fin du XVIIIe siècle, p. 198, et Moniteur, réimpression, VII, 355 et s. Séance de l’Assemblée constituante du 10 février 1791 au soir.
  30. Moniteur, réimpression, IV, 621.
  31. Une mystique révolutionnaire, Suzette Labrousse, par l’abbé Christian Moreau, 1886.
  32. Mon portrait historique et philosophique, par Saint-Martin. V. Matter, Saint-Martin, le philosophe inconnu. Deuxième édition, 2.
  33. Matter, 90.
  34. Idem, 180.
  35. Révolutions de Paris, n° 149, pp. 308, 311, et Hamel, Histoire de Robespierre, II, 229.
  36. V. un amusant chapitre de Mercier, dans le Tableau de Paris, édition de 1783, VI, 233.
  37. Archives nationales, F7 477420.
  38. Mémoires de Sénar, 180, et Vilate, Les Mystères de la Mère de Dieu dévoilés.
  39. Mémoires de Fiévée. Édition Lescure, 160.
  40. Débats du procès instruit par la haute Cour de justice, séante à Vendôme, contre Drouet, Babœuf et autres, recueillis par des sténographes, tome III, 202 et s. Interrogatoire de Pillé.
  41. Archives de la mairie de Barenton, Manche : – « Catherine, fille de Gilles Théot et de Michelle Heuzé, a été baptisée par moi soussigné, prêtre, nommée par Christofle Lammondays et Renée Théot, le 5e jour de mai 1716, et ont les parrain et marraine dit ne savoir signer. A. Bouillon, prêtre. »
  42. Catherine Théot avait sept frères ou sœurs. Archives de Me Paul Simon, notaire, à Paris.
  43. « J’ai pratiqué la vertu dans ma jeunesse, je me suis donnée à Dieu dès mon enfance. » Papiers saisis chez Chaumette. Archives nationales, T 604-605.
  44. Archives nationales, F7 477527.
  45. Papiers saisis chez Chaumette. Archives nationales, T 604-605.
  46. Vie privée de Catherine Théot, imprimé de huit pages. À Paris, chez la citoyenne Toubon, libraire au palais Égalité, près le passage vitré.
  47. Déclaration de l’abbé Théot, neveu de Catherine. F7 477527.
  48. Fr. Funck-Brentano, Les Lettres de cachet à Paris, étude suivie d’une liste des prisonniers de la Bastille, 1659-1789. V. les numéros 5093 à 5097.
  49. Archives de la Salpêtrière : – « Entrée le 29 mai 1779, Catherine Thor (sic), 63 ans, de Brantou (sic), diocèse d’Avranches. Ordre du roy. Sortie le 27 juin 1782. »
  50. Archives nationales, F7 477474. Rapport du citoyen Jaton et du citoyen Pidoux, gendarme. Jaton, l’agent de Héron, était un ancien Suisse de Châteauvieux.
  51. F7 477427. Rassemblement dans le faubourg Marcel, rue Contrescarpe, au coin de la rue Neuve-Geneviève, près l’Estrapade.
  52. – … « les commissaires du Comité n’ont pu s’y introduire que l’un après l’autre et comme récipiendaires. » Rapport et projets de décret présentés à la Convention nationale au nom des Comités de sûreté générale et de salut public, par Vadier. Séance du 27 prairial an II. Imprimé par ordre de la Convention, p. 19.
  53. Procès-verbal de Héron. Archives nationales, F7 477527. Il existe deux versions de cette réception : le procès-verbal original signé de Héron, de Sénar et de Martin, l’un de leurs agents, et le récit qu’en a fait Sénar dans ses Mémoires, p. 170 et s. – Ces deux versions diffèrent sur certains points de détail. Dans le procès-verbal manifestement rédigé par Héron, puisqu’il est de l’écriture de Pillé, son secrétaire, Héron ne se met pas une seule fois en scène. Ce qui est plus singulier, c’est que Sénar, écrivant pourtant, en prison, après thermidor, alors que Héron lui-même était détenu, ne prononce pas dans son récit le nom de son farouche compagnon, qu’il désigne sous le terme : « l’indicateur », ou « mon conducteur ». Le procès-verbal présente un caractère d’authenticité indiscutable, mais le récit de Sénar paraît plus « vrai » ; on le sent écrit par un homme que la scène avait vivement frappé. Pourtant on y rencontre, çà et là, certaines indications qui sont contredites par l’inventaire des meubles et effets de Catherine Théot, dressé le 6 pluviôse an IV et conservé dans les archives de Me Paul Simon, notaire à Paris.
  54. Il y avait bien trois fauteuils chez Catherine Théot ; mais l’un était « une bergère couverte en tapisserie », l’autre était « de canné » et le troisième « bleu et blanc » comme la plupart des tentures du logement ; logement fort étroit d’ailleurs, et qui ne comportait, outre la cuisine, l’entrée et une soupente, que la seule pièce avec alcôve où s’accomplissaient les rites, et un petit cabinet ayant vue, comme la pièce précédente, sur la rue. Quant aux « trois petits gradins » dont parle Sénar, on ne trouve, dans l’inventaire, « qu’un marchepied couvert de velours d’Utrecht cramoisi » sur lequel s’élevait probablement le fauteuil de la Mère de Dieu. Archives de Me Paul Simon.
  55. Mémoires de Sénar, 171.
  56. Le très beau linge abondait chez Catherine Théot. Archives nationales, F7 477527. Lettre du bureau du domaine national au Comité de sûreté.
  57. L’inventaire signale une cuiller et sa fourchette d’argent, à filets, sans marque, un gobelet d’argent et son couvercle, estimés 5.000 livres.
  58. On ne voit rien de tel dans l’inventaire du mobilier. En fait de sièges, n’y sont mentionnés que la bergère, les deux fauteuils, six chaises et un tabouret de paille.
  59. « Elle me passa sur les lèvres une langue dégoûtante. » Mémoires de Sénar.
  60. Pécheloche, – ou Pescheloche, – aide de camp de La Fayette en 1790, mourut à Austerlitz, colonel du 15e dragons. Archives de la Guerre.
  61. Nicolas Raffet « de Saint-Aguibois », – titre octroyé par le roi Stanislas, – après avoir fait fortune à Saint-Domingue, revint, ruiné par la révolte des nègres, à Paris, où il était né en 1757. En 1789 il était commandant d’un bataillon de la garde nationale. Après le 31 mai 1793, on le nomme commandant général de l’armée parisienne : il est, deux mois plus tard, supplanté par Hanriot ; s’engage sous le nom de Nicolas dans un bataillon de chasseurs, ne reparaît à Paris qu’après thermidor et meurt en 1803. Il avait un frère et deux sœurs. L’une nommée Christine ; l’autre nommée Rose ; pendant la Terreur, ces deux filles vivaient ensemble rue Saint-Dominique-d’Enfer, n° 13. Toutes deux venaient assidûment chez Catherine Théot, – « le plus souvent qu’elles peuvent », dit Rose dans son interrogatoire. Toutes deux se donnaient le titre de Colombes de la Mère de Dieu. Christine avait, en 1794, trente-quatre ans. J’ignore l’âge de Rose, qui semble être la plus jeune. Elles furent les tantes du grand peintre et dessinateur Raffet, né de leur frère Claude-Marie, aide en pharmacie, en 1793, puis employé des postes, et qui fut assassiné dans le bois de Boulogne. Voir sur la famille Raffet, La Révolution française, juillet-décembre 1893, p. 527 et suiv., et Archives nationales, F7 4633, 4617 et 477486.
  62. F7 477527. Interrogatoire de Rose Raffet.
  63. Mémoires de Charlotte Robespierre. Notes et pièces justificatives, 131 et s.
  64. Mémoires sur Carnot, par son fils, I, 88-89.
  65. Le Contrat social. De la religion civile.
  66. Lodieu, Maximilien Robespierre. Arras, 1850, p. 8.
  67. Aulard, Société des Jacobins, VI, 317. Discours de Dubois-Crancé.
  68. Lettre à Buissart, citée ci-dessus.
  69. S. Lacroix, Commune de Paris, 2e série, VI, 676.
  70. Voir sur Robespierre, « avocat des catholiques », les magnifiques pages de M. Pierre de La Gorce, dans l’Histoire religieuse de la Révolution française, III, 333 et s.
  71. Moniteur, réimpression, XVIII, 691.
  72. Lettre de Rousseau au Corse Butta-Foco. Lemaître, Rousseau, 269.
  73. Deramecourt, Le Clergé du diocèse d’Arras pendant la Révolution, III, 143, et Annales révolutionnaires, 1912, p. 325. Article de M. É. Lesueur, Robespierre et Ch. Michaud, curé de Boury.
  74. Hamel, Histoire de Robespierre, I, 514.
  75. Mémoires de Barbaroux, édition Dauban, 358 – « Un abbé de ses amis, couvert de guenilles et que j’ai vu depuis juge au Tribunal révolutionnaire, vint me prier de passer à la mairie », etc., etc.
  76. Chanoine Pisani, L’Église de Paris et la Révolution, II, 19, 20.
  77. Journal des débats et de la correspondance de la Société des Amis de la Constitution, 28 mars 1792. V. Le Mouvement religieux à Paris pendant la Révolution, par le docteur Robinet, II, 158 et s.
  78. Moniteur, réimpression, XVIII, 507 et s. Société des Amis de la liberté et de l’égalité séante aux Jacobins de Paris, 1er frimaire an II, 21 novembre 1793.
  79. Stéphane Pol, Autour de Robespierre : le conventionnel Le Bas, 150.