Robert Burns (Firmin Roz)

Robert Burns (Firmin Roz)
Revue des Deux Mondes5e période, tome 16 (p. 593-631).
ROBERT BURNS

Le 21 juillet 1896, un cortège triomphal traversait la ville de Dumfries, pavoisée comme pour un souverain, et apportait à la dépouille ensevelie de Robert Burns et à sa mémoire immortelle, avec des guirlandes et des couronnes, les hommages d’un peuple entier. Cette pompe était conduite par un des plus hauts personnages de l’Ecosse, grand seigneur et homme d’Etat, lord Rosebery, qui prononça, le matin, devant trois mille auditeurs rassemblés dans le Drill Hall, et, le soir, à Glasgow, deux magnifiques discours. Après un siècle, la gloire du poète éclatait, plus rayonnante que jamais, en ces fêtes où un ministre d’Angleterre venait dire, devant le tombeau de ce paysan écossais : « Il est plus important de faire les chants d’une nation que de lui fabriquer des lois. » Burns a créé les chants d’une nation. Ce fut là, semble-t-il, toute sa destinée, si étrangement mêlée de grandeur et de misère. Il suffit de la suivre à travers ses trois phases inégales et bien distinctes pour expliquer, en même temps que la vie et la poésie de ce singulier génie, le plus déclassé qui fut jamais et le moins méconnu, sa grandeur exceptionnelle et durable.

Expliquer cette poésie, n’est-ce point tout ce qui peut être tenté dans une étude de ce genre ? On ne saurait guère traduire les poètes lyriques ; mais, entre tous, Burns est, à vrai dire, intraduisible. Il écrit ses meilleures pièces dans le dialecte écossais, qui est comme l’accent de son savoureux langage ; il est tout saturé de la tradition écossaise. Les poètes populaires, les chansons anonymes, ont concentré en lui cet esprit épars qui flotte sur une nation comme la brise sur la mer ; et l’âme d’un pays vient chanter sur ses lèvres. Poésie suprême pour ceux dont elle est la propre voix, mieux rythmée et plus claire. Presque tout le charme s’en évapore dans une autre langue, sous un autre ciel. Mais partout la figure de Burns, la nature de son génie, sa place dans la littérature de sa nation et de son siècle, gardent leur double intérêt humain et poétique. C’est ce double intérêt que nous voudrions mettre en lumière d’après deux récens travaux dont chacun semble définitif en son genre : le beau livre de M. Auguste Angellier, Robert Burns, la Vie, les Œuvres ; et la grande édition critique des Poésies, publiée à l’occasion du Centenaire, par MM. Henley et Henderson[1].


I

Vers la fin du XVIIIe siècle, l’Écosse ouvrait sa pensée et prodiguait en tous sens des richesses intellectuelles qu’on ne lui soupçonnait pas. Elle venait de perdre son dernier reste d’indépendance ; après l’union des deux couronnes, celle des deux parlemens consommait la disparition du vieux royaume. Le calme enfin trouvé favorisait le développement intellectuel, comme si l’activité de la race, ne pouvant plus se dépenser en équipées politiques et en orages intérieurs, se tournait vers les spéculations de la philosophie et de la science. Le vieil Edimbourg gothique, dont chaque édifice évoque une légende et dont chaque pavé pourrait montrer une tache de sang, l’Edimbourg des fureurs féodales et des guerres religieuses, le sombre Edimbourg enfumé, Auld Reekie, devient un foyer de lumière, « la moderne Athènes. » Glasgow, Aberdeen, sont des centres de culture où s’élabore une doctrine très humaine et très libérale. L’Écosse a cessé d’agir ; elle pense, avec les plus savantes nations, par elles, et sensiblement comme elles, sans que, dans ce brillant cosmopolitisme intellectuel de l’Europe, ses David Hume, ses Robertson, ses Dugald Stewart, ses Adam Smith le cèdent en rien aux meilleures têtes du reste du monde.

Mais, plus bas que cet essor de vie impersonnelle, plus près de terre, une autre vie continuait, locale, nationale, riche de l’instinct et du génie de la race. Au-dessous de cette Écosse des Universités, il y en avait une autre, l’Écosse des vieilles chansons que tous écrivaient, « depuis ceux qui sont la plume au bonnet de la société jusqu’à ceux qui sont les clous à ses souliers[2]. » Et cette Ecosse avait déjà trouvé ses interprètes : les Semple de Beltree, Hamilton de Gilbertfield, Allan Ramsay et Robert Fergusson. Depuis le commencement du siècle, elle prend conscience d’elle-même, car, si l’ère héroïque est close, si l’Ecosse historique dort ensevelie dans sa gloire, l’heure est venue pour ceux qui représentent son génie et dont les pensées, les paroles ou les chants créent au-dessus de la patrie de l’histoire une idéale patrie. Ainsi se transpose le sentiment national, avide maintenant de s’exprimer en des œuvres jaillies du fond de l’âme populaire.

Et l’énergie de cette âme tend à s’affranchir de la discipline qui l’écrase. Le puritanisme a étouffé toute joie de vivre, toute douceur et toute confiance. La vieille allégresse écossaise, la vivacité rude, la gaie bonhomie des Basses-Terres, l’élan sauvage des Highlanders, frémissent dans l’impatience d’une morne domination de clergymen et de marguilliers. Les sermons grondent comme un orage et versent la terreur sur les têtes courbées, au vent d’une folie de prédestination et de damnation ; les tribunaux ecclésiastiques (Kirk-sessions) enquêtent et fulminent, soupçonneux, tout-puissans, excommunicateurs. Ce ne sont plus qu’anathèmes, dans un silence de mort. Et pourtant, il faudrait vivre…

Qu’un homme vienne donc, capable de faire entendre des paroles de vie, toutes sonores de l’accent d’Ecosse, rythmées au battement du cœur national, et vibrantes de sa musique intérieure : il sera le bienvenu. Ce peuple a besoin qu’on lui chante le chant de sa propre vie. Il faut qu’un des siens se lève, dont la voix soit la voix de tous, plus haute et plus claire, riche seulement de sincérité et de sympathie. Dans la serre des Universités, aux rayons de la culture cosmopolite, fleurissent les fleurs de tous les climats, éclatantes et sans parfum ; c’est au creux du sillon que peut éclore la poésie de la race, embaumée et vivante.


Le 25 janvier 1759, Robert Burns naissait dans un cottage d’argile que son père avait bâti de ses mains. Il fut accueilli par l’ouragan d’hiver qui effondra un pan de mur et chassa du logis la mère avec son nouveau-né. Les sept premières années se passèrent à Alloway, où William Burns[3], ancien jardinier, s’était, depuis son mariage, établi comme pépiniériste. Bientôt la maison ne peut loger la famille augmentée ; William Burns va s’établir fermier un peu plus haut, à Mount Oliphant, au sommet des collines. Des difficultés nouvelles l’attendaient : le sol est ingrat, la redevance trop onéreuse. A mesure que les enfans grandissent, on les met au travail. Robert, à treize ans, aidait à battre la récolte de blé ; à quinze ans, il était le principal ouvrier de la ferme. Vie de fatigue, de privations et d’angoisses. On a beau épargner sur les salaires, économiser sur la nourriture, se nourrir de bouillie d’avoine et de choux cuits à l’eau, il devient impossible de faire face aux engagemens. La mort du propriétaire livre William Burns à un intendant brutal qui terrorise la famille, écrit des lettres insolentes et vient faire au foyer des scènes de menaces. On abandonne Mount Oliphant, à la Pentecôte de 1777. Robert avait un peu plus de dix-huit ans.

Il était déjà quelqu’un, ce beau gars robuste, au teint brun, au front solide, à la physionomie réfléchie, mélancolique et calme, mais prompte à s’animer du feu des passions allumé dans ses étonnans yeux noirs, ses yeux larges, hardis, étincelans, que Walter Scott ne pouvait oublier, « les plus beaux, disait-il, que j’aie vus dans une tête humaine. » Sa rude enfance avait mûri en lui une énergie qui, comprimée par toutes les rigueurs de la vie et toutes ses contraintes, frémissait, toujours prête à de soudains éclairs. Le père était un de ces vieux Écossais froids, silencieux, honnêtes, dont la vie, refoulée par le puritanisme, ne rayonnait plus à travers les jours, mais en soutenait bravement le poids. La mère, Agnès Brown, née sur un coin de terre où survivait le sang gaulois, gardait de sa race, avec certains traits de l’allure physique et sa chevelure d’un roux pâle, l’humeur vive et active, le goût des chansons et des ballades et cette cordialité alerte qui fit de Robert un si joyeux compagnon. L’enfant réunissait ainsi en lui les deux aspects de l’Ecosse et héritait de sa double énergie. Ce fut la force de concentration et de résistance qui se manifesta la première. Il a dit lui-même de son enfance : « À cette époque, je n’étais le favori de personne. J’étais noté pour une mémoire tenace, quelque chose de brusque et d’obstiné dans mon caractère, et une piété enthousiaste[4]… » Ce jeune paysan ignorait de la vie toutes les douceurs et tous les sourires ; mais de tout son effort il essayait de lui arracher ses secrets. Sans ressources pour apprendre, il attaquait l’étude avec une ardeur admirable. William Duras, attentif à l’éducation de ses enfans, faisait des prodiges. Au milieu de ses soucis, il trouvait le temps de rédiger à leur usage un cours d’instruction religieuse. Dans ce pauvre village, où il n’y avait pas d’école, il amenait un garçon de dix-sept ans, occupé lui-même de ses propres études, et lui assurait, par une entente avec quelques voisins, le gîte, la table et de maigres émolumens. Ce fut la force de l’Ecosse et sa gloire, cette curiosité passionnée, ce zèle à s’instruire qui projeta en avant toute valeur cachée aux profondeurs de la race. Robert apprend ainsi la grammaire, la langue anglaise, et acquiert les connaissances élémentaires. Il met à contribution les pauvres planchettes de livres des voisins, nourrit sa force ardente de tout ce qui est à sa portée. Le forgeron Kilpatrick lui prête une Vie de Wallace qui l’enthousiasme. Son père souscrit à une Histoire de la Bible, de Stackhouse. Enfin il a, dans un volume de classe, des morceaux d’Addison et de Pope. Mais sa lecture favorite est, avec les poèmes d’Allan Ramsay, le recueil des vieilles chansons dont l’exemplaire usé ne le quitte pas, depuis Page de quinze ans : « La collection de chansons était mon vade mecum. Je les lisais et relisais, en conduisant mon chariot ou en allant au travail, chanson par chanson, vers par vers, notant soigneusement le tendre et le sublime, l’affectation ou la boursouflure. » Et il grandit ainsi, loin de la culture oratoire et cosmopolite, enraciné au sol, tout pénétré de vie écossaise.

Déjà cette vie monte en lui, comme pour s’exprimer sur ses lèvres. L’été de sa seizième année, éclosent ensemble le premier amour et la première chanson. Robert coupait les blés et faisait bravement sa journée de moissonneur, assisté, suivant l’usage, d’une compagne qui liait les javelles : près du jeune garçon, on avait mis une jeune fille. C’était précisément Nelly Kilpatrick, la fille du forgeron qui avait prêté à Burns la Vie de Wallace. Les deux enfans travaillaient côte à côte et se reposaient parfois, plus rapprochés encore. Une joie qu’ils n’auraient su nommer et qui était peut-être éparse dans le soleil d’été étourdissait leurs âmes. Robert tenait la main de Nelly pour en ôter les barbes des épis ; et l’invisible amour murmurait des paroles qui s’envolaient déjà dans la musique d’un chant :


O once I loved a bonie lass[5]


Ce fut le signal d’une confuse explosion de vie qui le tourmente, l’agite et veut se frayer un passage. Il y a dès lors une sorte de revendication, quelque chose qui ressemble à la colère d’une énergie captive, dans les ardeurs et les violences de ce jeune paysan. Ses paroles et ses actes trahissent par un frémissement qu’ils sont chargés d’une énergie de bataille. Il va à une école de danse, en dépit des ordres de son père, s’affranchissant ainsi de la seule autorité qui barrât la route à sa fougue impulsive. Cette même année, il saisit l’occasion de s’éloigner du foyer paternel et s’installe une partie de l’été à Kirkoswald pour y étudier le levé des plans et l’arpentage. Là, il se mêle à une assez méchante compagnie, comme la contrebande en réunissait dans tous ces petits ports de la côte, et tombe amoureux d’une jeune voisine qui met à l’envers sa trigonométrie et lui inspire une nouvelle chanson. Une sorte d’inquiétude qu’il ne saurait définir, un désir à peine conscient, où il reconnaîtra plus tard le premier éveil de l’ambition littéraire, lui semblent « les tâtonnemens aveugles du cyclope d’Homère autour des murailles de sa caverne. »


C’est dans ces dispositions qu’il arrivait à Lochlea. Les quatre premières années y furent moins dures et la famille goûta la douceur d’une trêve. Robert s’y épanouit dans une atmosphère joyeuse et légère. Il travaille dur à la ferme ; mais un rayonnement de gaîté, d’éloquence, de fantaisie allège son labeur et le transfigure. Une sorte de magie émane de sa jeunesse et défie les circonstances de l’accabler. Qu’importe la pauvre existence, les occupations misérables du garçon de ferme, nettoyer l’étable et couper la tourbe ? La même force idéale qui enlève l’âme de Robert Burns au-dessus de sa condition rayonne hors de lui, pénètre les choses et les soulève à la hauteur de son âme. Il ne souffre pas des circonstances et n’a pas besoin de s’en détourner : elles s’harmonisent à sa vie. Ce garçon de vingt ans n’a pas une adolescence vulgaire. Il lit avec assiduité quelques-uns des livres anglais alors dans toute leur vogue : L’Homme de sentiment, de Mackenzie ; Tristram Shandy, de Sterne. Ces auteurs n’eussent rien valu pour lui, si son originalité n’eût été capable, au moment voulu, de percer toutes les influences et de rejeter, comme une défroque inutile, ces lambeaux de littérature. En attendant, son esprit, qui reçoit ainsi du dehors une excitation et une émulation, s’entretient et s’active. Bientôt il essaie ses forces. Robert crée, avec son frère Gilbert et quelques amis, un club de jeunes gens, Bachelors’club, où chacun s’exerce à exprimer des idées et à les discuter. Il se fait affilier à la loge maçonnique de Tarbolton. Ces réunions de toutes sortes conviennent à son double besoin de sociabilité et d’observation. Mais, plus que tout, la vie l’attire et le retient. Il est mêlé à toutes les intrigues amoureuses du village, favori des jeunes filles et confident des garçons de son âge. Il n’a pas son pareil pour fixer les regards et enjôler les belles avec de jolies paroles. Il n’apporte d’ailleurs nulle arrière-pensée dans ses caprices où sa fantaisie se grise seulement d’elle-même et ne souhaite rien au-delà de cette ivresse légère. Une fois pourtant ses vœux allèrent plus loin, au fil d’un rêve qui les menait tout doucement au mariage. Burns voulut épouser Ellison Begbie. C’était une fille supérieure, très recherchée, et qui semble avoir été charmée en même temps que déconcertée par ce séducteur trop vite assagi. Il lui écrivait des lettres de jeune clergyman, édifiantes, éloquentes et cérémonieuses. Elle voulut réfléchir et finalement refusa. Déçu dans son aspiration au bonheur tranquille, rejeté loin de ses velléités de sagesse, Robert Burns s’éloigna quelque temps de ce village où sa jeunesse venait de s’ouvrir libre et contenue, ardente et pure. L’idée du mariage lui avait suggéré de chercher un moyen de s’établir et il avait pensé au métier de tisserand. Quand il connut le refus d’Ellison Begbie, ses dispositions étaient prises ; il partit.

C’est une période importante que ces huit mois passés à Irvine. Dans la tristesse désolée d’une morne bourgade et la détresse d’un sordide travail, le rayonnement de Lochlea s’éteint d’un seul coup, et de tant de gaîté, d’allégresse, de joie de vivre, il ne reste plus rien qu’un appel à la mort : « Je suis transporté à la pensée qu’avant longtemps, peut-être bientôt, je dirai un éternel adieu à toutes les peines, agitations et inquiétudes de cette pénible vie, car je vous assure que j’en suis vraiment fatigué, et, si je ne me trompe beaucoup, je pourrai avec contentement et joie la résigner. » Voilà ce qu’il écrit à son père, le 27 décembre 1781, en lui envoyant des souhaits pour l’année nouvelle. Il a la nostalgie de son foyer, de son village, de ses amis, de cette animation dont il vivait, de tout ce mouvement du dehors qui s’achevait en lui. Sa nature ardente et mobile ne peut se faire à l’ombre froide de la solitude et de l’ennui. Cette première crise est révélatrice : nous voyons Burns tel qu’il sera toujours, avide de bruit, de lumière, de camaraderie, prêt à fuir la torpeur dans l’étourdissement. Il ne trouva que trop de facilités à Irvine, dans cette société de contrebandiers et de matelots qui peuplait les ports de la côte Ouest. C’est peut-être là qu’il faut chercher l’origine de ses habitudes d’intempérance. Mais surtout il y rencontra un homme qui exerça sur lui une grande influence : Richard Brown. C’était une sorte de déclassé que la mort d’un riche protecteur avait laissé sans ressources, avec une instruction et des goûts au-dessus de son rang. Après des aventures et des voyages, il se retrouvait à Irvine, riche seulement d’une expérience plutôt désenchantée et d’une philosophie assez brutale. D’allures dégagées et indépendantes, qui jouaient assez bien le courage, regardant sa propre condition avec un air de supériorité résignée et dédaigneuse, très cavalier en amour, il parut à ce pauvre Burns une façon de héros dont l’attitude pouvait lui servir de modèle.

Quand Burns revient à Lochlea, il n’est plus le même. On dirait qu’il a pris de son ami le marin cette folle insouciance qui se donne au présent et nargue l’avenir. Il y a du défi dans son allure. Durant les mois nostalgiques d’Irvine, quelque chose est mort en lui. Mais ses aspirations sont plus conscientes, son ambition se précise et oriente ses efforts ; il se travaille pour concevoir en littérateur et donner à sa pensée une expression littéraire. Au hasard des lectures, Burns subit le prestige de la gravité oratoire, de la déclamation sentimentale ou du romantisme mélancolique. Thomson, Shenstone et Ossian donnent à son esprit un tour artificiel qui ne va pas au-delà de la surface, tandis que la vraie nature de ce jeune Écossais robuste se fortifie par l’observation directe des choses, des gens, des mœurs, et l’influence de ceux qui, avant lui, en enrichirent leur œuvre, les poètes nationaux et le dernier venu d’entre eux, le pauvre Ferguson, si cher à son cœur, « Ferguson, mon frère aîné eu infortune, et de beaucoup mon frère aîné en poésie. » Il tient un journal, où il note des impressions, des réflexions, des sujets.

Cependant la maison s’assombrit chaque jour. Les affaires vont mal ; le père, miné de chagrin, vaincu cette fois, est à bout de forces. Toute cette fermentation de vie et de pensée, qui travaille la jeunesse de Robert, s’aigrit en lui, faute d’air et d’issue ; les germes rapportés d’Irvine se développent. Les dissipations se multiplient, ainsi que les aventures amoureuses, moins innocentes désormais. Une servante de la ferme, Elisabeth Paton, devient enceinte. Les remords, les angoisses aggravent les soucis et la misère. William Burns meurt au milieu de la ruine des siens, en murmurant avec effort qu’il y a dans la famille quelqu’un dont la conduite future lui inspire des craintes.

La solide sagesse de cet homme de bien s’inquiétait à bon droit de tant de tumultes précurseurs d’une éclosion qu’il ne pouvait deviner. Et, s’il eût vécu, quelle torture en attendant les jours de triomphe ! Jamais le génie n’éclata dans un ciel plus chargé d’orage. Burns a vingt-cinq ans. La famille, dont le voici le chef, se transporte à Mossgiel, où il a loué, avec son frère, une petite ferme. « J’y entrai, dit-il, avec une résolution bien arrêtée : Allons, mettons-nous-y, je veux être raisonnable. Je lus des livres de fermage, je calculai les moissons, je suivis les marchés, — bref, en dépit du démon et du monde et de la chair, je crois que je serais devenu un homme sage, n’était que, la première année, par suite de l’achat de mauvaises semences, la seconde, par suite d’une moisson tardive, nous perdîmes la moitié de nos récoltes. Cela renversa toute ma sagesse, et je m’en retournai comme le chien à son vomissement, comme la truie qui a été lavée à son vautrement dans la boue[6]. » Pauvre sagesse, en vérité, et si fragile ! Non, Burns n’était point capable d’un tel effort, ni surtout du renoncement qu’il exige. Certes, il ne craignait pas le travail et n’épargnait pas sa peine. Mais, rude à la besogne, il s’y donnait, comme à toutes choses, avec plus d’ardeur que de suite et s’évadait de la fatigue dans le plaisir. Sa ferme n’était point son unique souci, l’objet de ses pensées : il aurait pu être un bon manœuvre, non un bon maître. Très vite il devient le meilleur compagnon de toutes les fêtes, la gaîté de toutes les réunions. Il lui fallait la griserie de la vie ; il l’aimait comme les oiseaux doivent aimer l’enivrement de l’espace. Emporté par elle, il va commettre toutes les fautes, traverser les épreuves, exalter son génie : « Ces deux années et demie, qui vont de mars 1784 à novembre 1786, sont certainement parmi les plus extraordinaires qui aient jamais été vécues par un homme. Il y a eu rarement, entassés en un temps si étroit, tant d’orages de colère et de passion, tant de vaillance, tant de gaîté, tant de travail, tant de fautes, de folies, de déceptions et de désespoir. Qu’on ajoute à ce tumulte du cœur et des circonstances une production littéraire, soudaine, éclatante, d’une fougue et d’une variété sans rivales. Et, au moment même où tant d’espoir et de génie semblaient écrasés par tant d’erreurs et d’infortunes, passe un coup de vent qui balaye toutes les menaces et laisse resplendir une gloire imprévue et merveilleuse[7]. »

Cette période commence avec la maternité d’Elisabeth Paton. Dès que la Kirk-session connut l’état de la jeune fille, la procédure habituelle commença : enquête, citation, interrogatoire et, comme dénouement, l’escabeau de pénitence où les deux coupables, après avoir attendu à la porte de l’église jusqu’à la fin de la première prière, étaient conduits par le sacristain pour recevoir leur réprimande et demeurer pendant tout le sermon humiliés, exposés aux regards. Burns ressentit vivement l’outrage et garda une terrible rancune contre l’intransigeance puritaine et ce parti de sectaires arriérés qu’on appelait « la Vieille Lumière. » Des violences de ce genre agissaient sur lui comme une provocation. Sa liberté prend des airs de bravade et son audace devient fanfaronne. Surtout l’impatience de vivre gronde en lui. Bientôt il s’éprend d’une jolie fille de Mauchline, Jane, la fille du maître maçon Armour. Elle ne tarde pas à être sa maîtresse. Le père s’oppose au mariage ; Jane, circonvenue et dominée par ses parens, reprend sa parole et délie Burns de l’engagement écrit qui, en Écosse, équivalait au mariage civil. Autant par sentiment déçu que par orgueil blessé, dépit et colère, le jeune homme s’exaspère et s’affole. Son cœur, qui ne sait pas souffrir, est un étrange chaos de révolte et de désespoir. Comment démêler tant de fils mystérieux et brouillés ? Le plus obscur épisode de la vie de Burns se place à cette période confuse. Nous voulons parler de l’amour pour Mary des Highlands. Au moment où, se sentant comme perdu, il songeait à partir pour la Jamaïque, il rencontra une jeune fille, très douce et très humble, fille d’un matelot de la Clyde et petite laitière d’un domaine du voisinage. M. Angellier suppose, avec une grande vraisemblance, que Burns, meurtri par l’autre amour, allait vers cette douceur qui calme, apaise et console, vers cette enfant qui était tout le contraire de Jane. Six semaines environ après la rupture, Burns, qui se proposait de partir pour la Jamaïque, est fiancé à Mary : « La scène de ces fiançailles et de ces adieux est célèbre dans l’histoire de la poésie anglaise. Tout contribue à lui donner un caractère de grâce pastorale et de mélancolie : la beauté du lieu, la destinée des personnages, et la douceur des vers qu’elle a produits. » Près du domaine où servait Mary, dans le fond de vallée où la Flail et l’Ayr se réunissent, on montre l’aubépine au pied de laquelle les deux jeunes gens se rencontrèrent. Le printemps fleurissait les églantiers et les chèvrefeuilles ; les bruyères étaient semées de jacinthes violettes. Burns donna une Bible à sa fiancée ; et, le soir, ils se séparèrent, pour ne plus se revoir. Mary se rendait dans les hautes terres de l’Ouest afin de préparer son mariage. Le souvenir de cette journée délicieuse ne pouvait suffire à conjurer, dans un cœur aussi véhément et aussi tourmenté que celui de Robert Burns, les fantômes du passé ni les séductions prochaines. Il semble s’effacer bientôt ou du moins reculer devant la vie qui continue, ardente, agitée, incohérente et féconde. Durant l’été, les vers s’impriment à Kilmarnoch et, le 31 juillet 1786, paraissait « un humble volume de deux cents pages, avec sa grossière couverture de papier bleu, son papier rugueux et ses caractères lourds. Il portait comme titre : Poèmes, principalement en dialecte écossais, par Robert Burns. »


Cette poésie avait éclaté, durant les deux années et demie de Mossgiel, comme un printemps joyeux, fantasque et rebelle, tout bourdonnant, d’oiseaux persifleurs et de chansons provocatrices. Les premières pièces sont pleines de railleries, d’ironies et d’invectives. Une revendication de la liberté gronde sous la colère du poète ; une revendication de la gaîté sonne dans son rire. Le voici qui salue l’enfant né de sa première aventure : « Tu es la bienvenue fillette ! Bienvenue ! ma jolie, douce, mignonne fillette, bien que tu sois venue un peu sans être demandée, et bien que ta venue m’ait mis aux prises avec l’Eglise et le chœur ; cependant, par ma foi, j’avais fait ce qu’il fallait, ça, j’en donne ma parole[8] ! » Il a payé son plaisir assez cher : rappelez-vous l’enquête de la Kirk-session et l’escabeau de pénitence. Mais les pharisiens de « la Vieille Lumière » lui revaudront cela. Tout incident lui est bon pour faire pleuvoir les satires : une querelle entre deux pasteurs, le zèle excessif d’un « ancien » qui, sans être lui-même irréprochable, a inquiété un ami de Burns pour « négligence habituelle des ordonnances de l’Eglise. » Ecoutez le saint homme s’adresser au Seigneur : « Je bénis et je loue Ta puissance infinie, quand Tu en as laissé des milliers dans les ténèbres, de ce que je suis ici devant Ta vue, par Tes dons et Ta grâce, une lumière brûlante et éclairante pour toute cette contrée. » Certes, j’aurais pu être damné, dit ce bon apôtre de la grâce : « Cependant me voici… Je suis un pilier de Ton temple, ferme comme un roc, un guide, un bouclier, un exemple à tout Ton troupeau. » Et, dans une invocation tout enflammée de ferveur — ou plutôt de fureur — biblique, le Tartufe puritain pousse au ciel une prière trop dépourvue de toute charité, sauf celle que la sagesse vulgaire juge la mieux ordonnée : « Lord, au jour de la vengeance, visite-le ; Lord, ceux qui l’ont employé, visite-les ; dans Ta miséricorde, ne les oublie pas, n’entends pas leur prière ; mais, pour l’amour de Tes fidèles, détruis-les, ne les épargne pas. Mais, Lord, souviens-Toi de moi et des miens, dans Tes bontés temporelles et divines, que je puisse briller en fortune et en grâce au-dessus de tous ; et toute la gloire en sera Tienne, Amen, Amen[9]. »

La satire est cruelle, avec cette pointe aiguë de vérité qui perce jusqu’au vif. Et il y a des traits plus acérés encore. Saint Willie ne confessait-il pas tout à l’heure d’inattendus péchés avec une certaine Meg, puis avec la fillette de Lizzie, un vendredi qu’il était gris ? Le pauvre homme ! Il accepte cette déchéance comme un rappel de sa misère, et s’y résigne : « Peut-être laisses-Tu cette épine charnelle tourmenter Ton serviteur soir et matin, de crainte qu’il ne devienne exalté et orgueilleux des dons qu’il a reçus. Si c’est ainsi, il faut qu’il supporte Ta main jusqu’à ce que Tu la relèves[10]. »

La satire dépasse ici ceux qu’elle vise et atteint, par-delà les individualités odieuses, l’esprit même dont elles se réclament, non point seulement le puritanisme, cette forme rigide et pauvre de la pensée et de la pratique chrétiennes, mais l’idée même de violence à la nature et de contrainte morale qui est au fond du christianisme. Il ne faut point s’en étonner, car cette révolte qui inspire Burns le rattache à l’un des grands courans de la littérature anglaise, où, dans l’invective exaspérée de Swift, le débordement naturel de Fielding, la fureur provocatrice de Byron, elle apparaît non plus comme l’exception, mais comme la règle du génie. Cette forte race, trop comprimée, semble n’assurer la régularité un peu mécanique de sa vie qu’au prix d’explosions passagères. Elle jette ses laves brûlantes et, calmée, reprend le rythme apaisé de son existence.

Voilà donc les contraintes impatiemment secouées, et libérée la joie de vivre. Burns va la glorifier maintenant et entonner d’une voix forte le chant de provocation où il célèbre la gueuserie des vagabonds sans feu ni lieu, sans foi ni loi, la ribaudaille en liberté, l’ivresse en haillons, l’amour en guenilles, toute la bohème de grands chemins et d’auberges borgnes. C’est l’étonnant poème des Joyeux Mendians[11], qui a déconcerté tant de critiques et dont Carlyle, fort embarrassé lui-même, écrivait : « Peut-être pouvons-nous nous aventurer à dire que le plus poétique de tous ses poèmes est celui qui a été imprimé sous l’humble titre des Joyeux Mendians. A la vérité, le sujet est parmi les plus bas que présente la nature, mais cela montre d’autant plus le don du poète qui a su l’élever dans le domaine de l’art[12]. » La scène est au cabaret de Poosie Nansie. Ils sont là « une joyeuse vingtaine de gueux errans et vagabonds, » un ancien soldat, « en vieux haillons rouges, » assis bien étayé par ses sacs de farine, et son havresac bien en ordre ; une drôlesse saoule qui, couchée dans ses bras, lui « tend sa bouche goulue, comme une écuelle à aumônes ; » un paillasse et une autre luronne « qui avait décroché plus d’une bourse ; » un rétameur, un chanteur de ballades ; ils sont là « à boire leurs haillons superflus. Avec des rasades et des rires, ils s’ébaudissaient et chantaient. » — Chacun chante sa chanson ; tous reprennent les refrains en chœur : « Malgré tout ça et tout ça, et deux fois autant que tout ça, » ou « Sifflez sur le reste. » Et c’est le cynisme de la joie gonflé soudain en hymne de défi, de révolte et de guerre, une Marseillaise de truands : « Une figue pour ceux protégés par la loi ! La liberté est un glorieux banquet ! Les tribunaux furent érigés pour les lâches, les églises bâties pour plaire aux prêtres. »

Ne nous arrêtons pas à cette pitoyable philosophie que le flot du siècle dépose comme une écume corrosive sur l’âme du jeune paysan. Déjà, sous les colères et les bravades, le génie de Burns se caractérisait par la netteté de sa vue et la décision de sa prise. De cette main qui empoigne un morceau de la vie, rien ne filtre entre les doigts : elle garde tous les détails et les plus menus atomes. Nul réalisme n’égale celui-là. Le poète a vu les choses telles quelles, dans leur pittoresque ou dans leur beauté, sans que rien les déforme à ses yeux ni à son cœur. Il les a vues, il les a comprises, il les a aimées. Ce petit monde écossais, ces champs, ces villages, ces villes, Mossgiel, Mauchline, Kilmarnock, les êtres qui les peuplent, bêtes et gens, tout cela se reflète en lui avec une intensité merveilleuse, ou plutôt s’y presse, s’y anime et demande, à la magie de son art une vie plus riche, plus dégagée, plus expressive de toute beauté et de toute poésie. Voici les scènes populaires, les faits quotidiens, les coins de réalité[13]. Burns les a vus avec cette netteté de détail, cette sûreté et cette précision qui, amusées d’elles-mêmes, s’assaisonnent de gaîté pour former le savoureux mélange de l’humour. Familièrement, il en cause avec ses amis, le vieux Lapraik, le jovial Rankine ; il évoque une bonne rencontre, à la foire, à l’auberge :

« Aux courses de Mauchline, à la foire de Mauchline, je serai fier de vous y rencontrer ; nous donnerons une nuit de congé au souci, si nous nous retrouvons, et nous ferons échange de rimes l’un avec l’autre.

« Le pot de quatre quarts, nous le ferons tinter ; nous le baptiserons avec de l’eau bouillante. Puis nous nous assiérons et boirons notre coup, pour nous réjouir le cœur ; et, ma foi, nous serons de meilleures connaissances avant de nous quitter.

« Il n’y a rien comme de la bonne ale forte ! où verrez-vous jamais des hommes plus heureux, ou des femmes plus gaies, douces et savoureuses d’un matin à l’autre, que ceux qui aiment à boire une goutte dans le verre ou la corne[14] ? »

Le génie de Burns est en contact si direct avec la vie, il pénètre si bien les choses mêmes, qu’il leur devient intérieur et sans effort les exprime dans leur naturelle vérité. De cette communion naît la sympathie. On la sent déjà, cette sympathie, ou on la devine, secrète, inavouée, latente, dans le poème des Joyeux Mendians. Mais elle n’est encore qu’un oubli de soi, un détachement, une identification de l’auteur avec ses personnages, à la façon d’un Shakspeare, par exemple. La pièce est, à vrai dire, une scène dramatique. Ajoutez à cette communion parfaite un retour du poète sur soi, l’émotion personnelle et, vis-à-vis de tous les êtres ou de toutes les choses, cette sorte d’intuition d’une fraternité presque douloureuse, avec la rêverie qui l’accompagne ; admettez surtout qu’il s’agisse d’humbles existences n’ayant point de personnalité et auxquelles le poète peut prêter la sienne : vous avez tout le lyrisme de Burns. Ce n’est point celui de nos grands lyriques, qui ont dans leur propre cœur une source jaillissante de douleur et de joie, de détresse et d’extase. C’est un simple attendrissement devant les êtres et les choses, soudain mieux pénétrés et mieux compris, pénétrés jusqu’à leur propre cœur et compris jusqu’à l’amour. Ce lyrisme-là a donné dans l’œuvre de Burns de courts chefs-d’œuvre : La mort et les dernières paroles de la pauvre Mailie ; — Salut du jour de l’an d’un vieux fermier à sa vieille jument Maggie ; — A une pâquerette de montagne ; et surtout A une souris[15].

Enfin, le réalisme de Burns est plus original, plus savoureux encore et d’un plus étonnant humour lorsqu’il se mêle à une certaine imagination fantastique toute naturelle aux gens des campagnes et très commune chez les Écossais d’alors. L’enfance du poète avait été nourrie de contes, bercée de vieilles chansons, imprégnée de mille récits, histoires, légendes et traditions, éparses dans l’air et qui venaient se condenser dans la fumée des longues veillées autour d’un feu de tourbe. Il suffisait parfois d’un retour solitaire, la nuit, le long d’un chemin mal famé, pour que cette diablerie revînt hanter une cervelle troublée des vapeurs de l’ale ou du whisky. Ainsi advint-il à Tam de Shanter, et le récit de son aventure est un merveilleux poème, le meilleur peut-être, le plus achevé qu’ait écrit Robert Burns[16].

Tam s’était attardé à boire un soir de marché, dans la petite ville d’Ayr, avec son vieil ami Johnny, « un camarade ancien, fidèle et toujours altéré. Tam l’aimait comme un vrai frère. La nuit s’avançait dans les chansons et le bruit ; et toujours l’ale devenait meilleure. L’hôtesse et Tam se faisaient des gracieusetés, avec des faveurs secrètes, douces et précieuses ; le savetier disait ses histoires les plus drôles ; le rire de l’hôte était un chœur tout prêt. Dehors, l’orage pouvait rugir et bruire ; Tam se moquait de l’orage comme d’un sifflet. Le Souci, furieux de voir un homme si heureux, s’était noyé dans la bière ! Comme les abeilles s’envolent chargées de trésors, les minutes passaient chargées de plaisir. Les Rois peuvent être heureux, mais Tam était glorieux ; de tous les maux de la vie il était victorieux. »

Il faut pourtant partir, « et il se met en route par une nuit telle que jamais pauvre pécheur ne fut dehors par une nuit pire. » Monté sur sa jument grise, le voilà trottant à travers flaques et boue. Il tient bien son bon bonnet bleu et fredonne un vieux refrain écossais, sans doute pour se donner du cœur. L’orage redouble et Tam regarde avec prudence autour de lui, quand soudain, au milieu des éclairs, l’église d’Alloway apparaît à travers les arbres, tout illuminée. C’était là justement le mauvais passage ; celui que Tam appréhendait, sans se l’avouer, depuis le départ, car l’église d’Alloway a mauvais renom et nul n’ignore qu’elle est hantée. Ciel et terre ! Voici Meg, la jument grise, qui ne veut plus avancer. Mais « l’ale moussait si bien dans la boule de Tam » qu’il a l’audace de pousser sa bête vers la lumière. Alors il voit, à travers les vitraux flamboyans, dans un décor d’enfer, une danse échevelée et le diable en personne, assis sur l’appui d’une fenêtre, le vieux Nick, qui joue de la cornemuse. Tam demeure saisi, plus curieux encore qu’épouvanté ; puis comme ensorcelé, l’œil étrangement brillant et fixe : il vient de voir, parmi les sorcières fanées, grotesques, qui ont jeté leurs habits pour se trémousser plus à l’aise, une jolie fillette, engagée de cette nuit dans la bande, et dont la chemise, en toile de Paisley, « manquait tristement de longueur… Ah ! la respectable grand’mère ne savait guère que la chemise qu’elle acheta pour sa petite Nannie, avec deux livres écossaises (c’était toute sa fortune), ornerait un jour une danse de sorcières. » La fillette se démène, le diable joue plus fort, elle danse plus vite, tant qu’à la fin Tam n’y tient plus et rugit : « Bravo ! la chemise courte ! » Alors tout s’éteint, la porte s’ouvre, et il a à peine enlevé Maggie que la légion infernale est déjà dehors. C’est une course furieuse, une fantastique chevauchée dans les ténèbres. Si Tam atteint le vieux pont en dos d’âne, il est sauvé, car c’est un fait connu que les sorcières ne peuvent mener leur poursuite au-delà du milieu du plus proche cours d’eau. Encore un effort, Meg ! mais non ! Nannie a rejoint la bête : elle lui attrape la queue. Un bond affolé, et les voilà saufs, galopant toujours, tandis que la fillette à la chemise courte brandit rageusement la queue de Maggie.


II

Le volume de Kilmarnock eut un succès prodigieux. En moins d’un mois, l’édition fut enlevée et l’impression telle à Edimbourg que Burns, déjà présenté à Dugald Stewart en villégiature dans le voisinage de Mossgiel, conçut, vers le commencement de novembre, l’idée d’aller y tenter la fortune littéraire et chercher un éditeur pour une seconde édition, augmentée, de son œuvre. Il fit la route à cheval, accueilli, l’été, hébergé, tout le long de ce petit voyage de deux jours qui l’amena, vers le soir, devant la capitale de l’Ecosse. Pour la première fois, le poète approchait une autre vie que celle des campagnes et des bourgades ; il entrait dans la cité illustre qui allait lui offrir, avec toute l’histoire révolue, l’éclat d’un présent merveilleux.

Ce qui le frappe d’abord à Edimbourg, c’est le passé national, la survivance des temps héroïques et déjà légendaires où le royaume d’Ecosse ne relevait que de lui-même et suivait sa destinée. Burns se sent en communion avec cette histoire ; il sent frémir en lui cette vie réveillée au choc des nobles, images que lui présente la ville. Voici la masse du château, toujours dressée sur sa colline abrupte ; voici la longue pente de High-Street et de Canongate qui conduit, entre la double rangée des demeures féodales, jusqu’au palais d’Holyrood, vide et silencieux comme une apparition. Quel décor pour le rêve d’un poète d’Ecosse, épris d’un passé que la rébellion jacobite lui rendait tout proche et où il se plaisait à imaginer l’aclion de ses pères ! L’âme populaire restait fidèle aux Stuarts, et Burns dut céder, comme tant d’autres, au charme tout-puissant de la reine Marie, fantôme éternellement voilé de mélancolie et de gloire.

Deux ou trois protecteurs illustres l’attendaient à Edimbourg : le comte de Glencairn ; Henry Erskine, doyen de la Faculté des Avocats, et Dugald Stewart, qui le présenta à Mackenzie, le célèbre critique. Le 9 décembre, l’article du Lounger lui ouvrait toute grande la notoriété.

La société d’Edimbourg était alors une des plus brillantes et des plus distinguées de l’Europe. Cette ville de prédicateurs, d’avocats, de juges, de médecins et de professeurs offrait une rare variété de talens et de mérites : philosophes, théologiens, critiques, savans, historiens et jurisconsultes. L’Université traversait son âge d’or. L’historien Robertson à sa tête, elle comptait parmi ses professeurs Hugh Blair, Dugald Stewart, Adam Ferguson, Joseph Black en qui Lavoisier saluait « l’illustre Nestor de la révolution chimique, » tandis que Buckle nous le montre faisant accomplir à la physique, par sa théorie de la chaleur latente, « un immense pas vers l’idéalisation de la matière en force. » La magistrature, Court of Session, pouvait revendiquer les plus solides jurisconsultes du Royaume-Uni, comme ce lord Gardenstone qui avait plaidé devant le parlement de Paris, lord Braxfield, « le géant du Tribunal, » et lord Monboddo, dont la gracieuse fille, Bess Burnett, inspirera à Burns par sa mort une si touchante élégie. Le barreau, le clergé rivalisaient avec les autres corps. Adam Smith créait l’économie politique et renouvelait les analyses morales ; Hutton créait la géologie. Enfin, Walter Scott grandissait avec une génération d’écoliers qui comptait presque toute la rédaction de la Revue d’Edimbourg.

Dans ce milieu, Burns, au sortir de son village, ne parut pas un seul instant dépaysé. « Il arriva simplement, virilement, en homme qui est ferme sur ses jambes et peut regarder tout le monde en face[17]. » Il avait toujours pratiqué l’observation de soi-même et des autres ; et son discernement allait droit à la valeur individuelle, par-delà les étiquettes sociales ou les prestiges consacrés. Connaissant ses ressources et ses limites, apte à voir dans leur vrai jour ses relations avec l’élite intellectuelle de son temps et de son pays, il sut prendre sa place sans fausse modestie comme sans vanité. Et de cette place, il fit tout d’un coup la première. Durant ce mémorable hiver de 1786-1787, les salons fêtèrent le laboureur de l’Ayrshire, devenu le lion de la capitale ; l’aristocratie de la naissance et celle du talent, étroitement unies à Edimbourg, lui prodiguèrent leurs faveurs : on donnait des dîners et des soirées pour lui ; il fit monter le prix des modes !

Il y avait autre chose que de l’engouement dans ce succès du poète. Un homme se révélait, et la surprise était, à la lettre, de l’admiration. Tout en lui exprimait la sincérité, la réalité : nulle apparence ni artifice ne coloraient de faux reflets la beauté de la vie qui rayonnait à travers sa figure, son attitude et ses paroles. Voyez-le debout, dans le costume que portaient alors volontiers les libéraux et qui était aux couleurs de Fox : habit bleu, à boutons de métal ; gilet rayé de bleu et de jaune ; culotte de daim collante et bottes à revers au-dessous du genou. Ses cheveux noirs sans poudre sont noués par derrière, et sur le devant couvrent son front. On le prendrait, dit le professeur Dugald Stewart, pour quelque capitaine de navire marchand, de la classe la plus respectable. Avec tact, il a su choisir une tenue indépendante qui lui permet de se mêler au meilleur monde sans en imiter les façons et de rester un fermier bien habillé tout en devenant un gentleman. L’allure un peu lourde, le dos légèrement voûté, il rehausse de gravité pensive sa beauté solide de jeune paysan. Mais il parle : et voici que sa taille se redresse, son regard va droit devant lui ; sa physionomie s’anime, s’éclaire du feu de ses larges yeux sombres où flamboie son génie. Il parle, et les choses mêmes qu’il évoque vivent dans sa parole. Elles semblent apparaître pour la première fois telles qu’elles sont, dépouillées de tous voiles, arrangemens et artifices, dans leur vraie substance. C’est une révélation. Et c’est aussi un éblouissement, comme si le soleil entrait dans le faux jour des lustres ; et c’est enfin une ivresse, car, avec cette parole chargée de vérité et de vie entrent les parfums du printemps, les caresses de la brise, l’électricité de l’orage.

Il n’y eut qu’un cri pour saluer ce prodige. Les maitres de l’éloquence ou de la causerie avaient trouvé leur maître ; les femmes devinaient une grandeur inconnue : « C’est le seul homme, disait la duchesse de Gordon, dont la conversation m’ait fait perdre pied. » Burns restait calme dans ce triomphe, et de son clair regard, qui savait pénétrer la vie, découvrait sa destinée. Rien de plus pathétique que cette sereine vision à travers les feux de l’apothéose ; ce désenchantement d’une âme, si détachée de sa gloire éphémère à l’heure même où elle en respire les plus enivrantes fumées. Tous les biographes de Burns ont noté comme plus surprenante encore que son triomphe la façon dont il le soutint, ce tact admirable, fait de dignité dans la gratitude et de retenue dans la liberté : « Je méprise l’affectation de fausse modestie qui cache la satisfaction de soi-même. Que j’aie quelque mérite, je ne le nie pas ; mais je vois, avec de fréquentes angoisses de cœur, que la nouveauté de mon personnage et l’estimable préjugé national de mes compatriotes m’ont élevé à une hauteur tout à fait insoutenable pour mes capacités[18]. » Il percevait clairement qu’il n’était pas à sa place et que cela n’était pas bon pour lui. Certes, cette société était de qualité trop rare pour qu’un premier mouvement ne la portât pas à admirer ; mais la plus sincère admiration, chez ces gens pénétrés de l’esprit de classe et accoutumés aux hiérarchies sociales, ne pouvait faire du paysan de l’Ayrshire l’égal des lords, des révérends et des docteurs. Burns, avec sa profondeur d’observation et la finesse de son discernement, perçut cette nuance, à peine visible d’abord sous l’enthousiasme, et il en souffrit. Le froissement s’irrita en blessure. Une solitude invisible s’élargissait autour de lui. Les salons lui donnaient des nostalgies d’exilé. C’est que son cœur restait inoccupé ; son cœur toujours tourmenté de conquête, depuis la seizième année, et grisé de victoire. Le voici maintenant si près d’une réalité supérieure à tous ses rêves, et si loin d’elle, hélas ! Il demeure solitaire parmi ces femmes qui l’admirent, mais dont pas une ne pourrait songer à l’aimer, car le prestige même dont il brille à leurs yeux l’isole en un cercle enchanté. Et toujours, partout, dans ce milieu nouveau où on l’accueille comme un étranger d’espèce rare, il se sent hors de la vie. Qu’ils sont loin déjà, les beaux jours de Lochlea et de Mossgiel, où le monde lui renvoyait le rayonnement de son âme, où la poésie sortait pour lui de toutes choses ! Les quatre vents du ciel dispersaient ses soucis, apaisaient ses angoisses ; toute la nature s’offrait à la contemplation de ses jeunes yeux et à leur conquête ; les colères du village enflaient son cœur passionné qui frémissait au sourire des jeunes filles, et toutes les douceurs et toutes les ardeurs et toutes les chansons s’achevaient sur ses lèvres. Sa gaîté sonnait comme une diane audacieuse ; son rire provoquait comme une bravade insolente ; sa voix toujours franche était pleine d’ironies et de caresses. Et dans ce printemps qui éclatait avec une prodigalité de fleurs, de soleil et d’averses, le poète épanouissait ensemble sa jeunesse et son génie.

Jeunesse et génie défaillent maintenant du même vertige. Burns sent vaciller le plancher de théâtre qui soutient sa fortune, et déjà la terre l’attire : il aspire à y retrouver la société de ses égaux. En son cœur désemparé grondent le sentiment de son obscurité et une sourde colère contre l’injustice des naissances, l’absurdité des distinctions humaines. Une pointe de rancune perce sa revendication de la vie et une amertume altère ses paroles. L’élan brisé des belles années hésite, comme au bord d’un vide obscur, devant la misanthropie et le désenchantement. Alors le poète se rejette vers des divertissemens qui lui ressuscitent le passé ; il va demander à des compagnons plus rapprochés de lui la fraternité et le réconfort. Insensiblement, il délaisse les salons pour les tavernes. Au XVIIIe siècle, elles étaient, ces fameuses tavernes d’Edimbourg, « un des organes de la vie publique. C’est là que se commentaient les nouvelles et que se traitaient toutes les affaires. Il n’y avait pas si longtemps que les médecins y donnaient leurs consultations. Les plus grands avocats et les plus grands légistes de l’époque y donnaient encore les leurs. » Perdues au fond des cours, éparses le long des ruelles, blotties au pied des maisons, elles étaient de véritables réservoirs de vie écossaise. Là, Burns fut accueilli et fêlé pour lui-même par des hommes avec qui il se trouvait en complète sympathie. Ecrivains, professeurs, juges et avocats, tous gens de terroir, leur admiration était sincère et ils aimaient en lui le plus authentique représentant de leurs propres âmes. Dans ce milieu moins raffiné et cosmopolite que celui de la haute société littéraire ou mondaine, il y avait autant d’intelligence, mais moins de tenue et plus de hardiesse. L’éloquence du poète, sa fantaisie et ses sarcasmes pouvaient se donner libre carrière. Rien ne refrénait plus ses audaces de parole, qui rebondissaient sur les louanges, volaient en éclats, jaillissaient en éclairs.

Par malheur, Burns épuisait, dans l’excitation des longues veilles, dépensées à causer et à boire, cette intensité de vie qui naguère, enlevée de son propre élan, montait droit, comme une fusée de génie. La vie maintenant s’alourdit ; et la pensée, plus haut, semble veiller à l’écart. Divorce funeste, dans lequel il semble que l’âme ait abandonné son corps et que l’inspiration ait déserté cette âme. L’hiver d’Edimbourg fut stérile ; et de même aurait pu passer, sans rien donner, une éternité de jours pareils. La réalité quotidienne n’apportait plus au poète la substance de sa poésie. Mais, dans cette glorieuse capitale, toute pleine du passé, une autre réalité s’était révélée à lui, celle de la patrie écossaise. Le sentiment national gonflait son cœur. Les tragédies de l’histoire éveillaient dans son imagination une poésie où s’exprimait toute la destinée d’une race et qu’il rêvait de donner à son pays. Il conçoit le grand dessein d’être le poète de l’Ecosse et, pour puiser cette poésie à ses sources vives, il se propose de faire « quelques pèlerinages sur le sol classique de la Calédonie[19]. »


Au mois de mai 1787, il part avec un compagnon, Robert Ainslie, pour visiter la région des Marches, ces Borders dont Walter Scott devait, quelques années plus tard, recueillir l’éparse poésie. Merveilleux décor d’un passé de légende ! Des collines, des rivières, des vallées, des châteaux écroulés, des ruines d’abbayes, des tours solitaires, de vieilles petites villes, toute une romantique vision de mélancolie et de beauté, toute une évocation du rude temps des guerres de frontière. Et, flottant sur cette terre héroïque, mêlée au chant des ruisseaux et à la brise, invisible et partout présente comme l’âme même du paysage, une poésie populaire chargée de tous les sentimens, de toutes les émotions, de toutes les sensations de jadis. À ce contact, Burns eût rafraîchi son cœur et renouvelé son génie, si rien ne l’en eût séparé. Mais l’épaisse cordialité de ses hôtes, qui le fêtaient grossièrement, isola le poète dans un présent très vulgaire où, libéré de toute contrainte, de plain-pied avec tous, il laissa de beaux jours rouler parmi les médiocrités d’un triomphe de province.

Le réconfort espéré n’était pas venu ; le voyage n’avait pas réparé le mal causé par l’hiver d’Edimbourg. C’est un homme blessé, un être déchiré qui revient à Mossgiel, au foyer de la vieille mère, après huit mois d’absence. Comment les siens le retrouvèrent-ils ? Que fut sa vie, dans la famille heureuse de sa gloire et de son retour, au milieu des voisins qui accouraient le visiter, l’écouter ? Burns fit sans doute bon visage à cette fête. Mais comme son cœur était changé et quel ravage intérieur ! On demeure stupéfait devant une lettre de cette époque à son ami Nicol, d’Edimbourg. Son village, la maison où l’attendaient toutes les fiertés et toutes les tendresses, ses amis, ses deux petits jumeaux enfin et leur mère Jane Armour, il ne ressent devant tout ce passé retrouvé que de la colère et du mépris ; il ne fait entendre qu’un mauvais rire ! Parce que les parens de Jane, naguère si arrogans, sont devenus aujourd’hui servîtes, obséquieux, son attitude n’est que défi et révolte ! « Je n’avais jamais considéré le genre humain comme très capable de quelque chose de généreux ; mais la morgue des patriciens d’Edimbourg et la servilité de mes frères plébéiens (qui peut-être me regardaient de travers il y a quelque temps), depuis que je suis revenu chez moi, m’ont presque fait prendre mon espèce en dégoût. J’ai acheté un Milton de poche, et je le porte continuellement avec moi, afin d’étudier les sentimens, l’indomptable magnanimité, l’intrépide et inflexible indépendance, l’audace désespérée et le noble défi à la souffrance de ce grand personnage, Satan[20]. » Un tel éclat ne peut que nous déconcerter et nous indigner, si nous n’avons pas compris comme elle doit l’être cette crise dont la personnalité de Burns sort déchirée : il souffre dans son génie, qu’il sent isolé, stérile ; dans sa vie, qu’il voit perdue. Et c’est à Mossgiel, au contact de la vie ancienne, que se révèle toute l’étendue de cette infortune. Alors la sensibilité ardente du poète est traversée d’un frisson mortel, et son cri de désespoir a l’accent d’une malédiction. Puisque cette vie ne peut plus monter au ciel, qu’elle descende aux abîmes. Mais que sa chancelante misère s’arrête et se fixe, fût-ce en se raidissant dans l’altitude du prince des damnés !

Sa chute tient du vertige et rien ne saurait le retenir. Il est permis de croire que le plus doux souvenir, le plus pur de cette existence perdue, perça comme une clarté d’aurore la nuit présente et que Burns se dirigea vers sa lumière. C’est l’interprétation la plus plausible du voyage qu’il fit alors dans les Highlands de l’Ouest. Il serait allé visiter la terre natale de Mary, ses parens peut-être et sa tombe, car elle était morte au premier automne après leur séparation. Il aurait même écrit, à propos de cette visite, l’Elégie sur Stella, où il salue celle qui dort sous le gazon, sans qu’une pierre indique son nom, en face de la mer immense, et aspire, lui aussi, à un repos pareil. Hélas ! tout ce que nous savons de cette excursion de quelques jours ne nous représente qu’excès, colère et folie. Cette vie est désemparée, et sur la barque sans gouvernail le pilote qui n’a plus d’étoile vogue au hasard, ivre de mouvement, de danger, d’orage, en pleine mer.

On ne voit pas où est le port. Burns parle quelquefois de reprendre sa vie ancienne, de s’établir comme fermier. Mais il est découragé avant même d’entreprendre. « Je ne puis asseoir mon esprit. Le fermage est la seule chose dont je sache quelque chose, et le ciel là-haut sait que je n’y entends pas grand’chose ; je ne puis, je n’ose m’aventurer dans les fermes telles qu’elles sont. Si je ne me fixe pas, je partirai pour la Jamaïque. » Il a cette instabilité que donnent le mécontentement de soi et la fièvre intérieure. Il revient à Edimbourg, d’où il part aussitôt pour les Hautes-Terres. Ce voyage de trois semaines, en compagnie d’un jacobite fougueux, l’arrache enfin à lui-même et donne un aliment à son esprit. L’histoire d’Ecosse est là, sous les yeux du poète, dans ces villes de palais et de forteresses, dans ces plaines, dans ces moors, dans ces passes aux noms illustres. Il voit Linlithgow, le moor de Falkirk, Bannockburn, Stirling, Sheriffmuir et Killiecrankie. Il s’arrête au champ de bataille de Culloden, le dernier où le sang écossais ait coulé pour l’indépendance ; et, dans la campagne désolée qui l’entoure, dans ces vallées dépeuplées que, depuis la répression du duc de Cumberland, ce « boucher, » le voyageur traverse pendant des jours « sans voir une cheminée fumer ni entendre un coq chanter, » le poète oublie sa propre détresse et recueille pieusement les dernières larmes de l’Ecosse.

Son vœu d’être le barde national de sa contrée dut se renouveler plus ardent et se préciser devant ces souvenirs. Mais, à peine rentré à Edimbourg, il est repris par les incertitudes qui le paralysent. Le voilà de nouveau en présence de sa misérable condition ; il est las, découragé. Si déjà, en plein succès, en plein triomphe, quand il faisait monter le prix des bonnets de gaze, il ne gardait point d’illusion sur son avenir, qu’est-ce en ce nouvel hiver où nul ne fait attention à lui ? Ces crises d’angoisse et de désespoir déterminent toujours chez Burns des accès de dissipation et, comme s’il tournoyait sur un abîme ouvert, ce naufragé de la vie saisit la planche de l’amour. C’est souvent ainsi qu’aiment les poètes, en désespérés dont l’amour est la suprême ressource. Ils aiment pour eux et ne s’occupent point de l’objet de leur amour, qu’ils regardent à peine et ne connaissent point. C’est ce qui explique sans doute leur singulière puissance d’illusion, de transfiguration. Ce fut éminemment le cas de Burns ; c’est ainsi qu’il avait aimé Jane Armour et la pauvre Mary des Highlands ; ainsi qu’il aima, durant ce sombre hiver, Mrs Mac Lehose, la « Clarinda » d’une fastidieuse correspondance où, dans une métamorphose au goût du temps, il déploya beaucoup de littérature sous le nom de Sylvander. Il y avait bien peu de sincérité dans cet amour. Au même moment d’ailleurs, il apprenait que Jane Armour était de nouveau enceinte. Le mois suivant, il accourt, cherche un abri à Jane, que le père Armour vient de chasser pour cette seconde faute, puis il va visiter une ferme qu’il a vue près de Dumfries. Après une nouvelle quinzaine à Edimbourg et le règlement définitif de ses comptes avec son libraire Creech, il quitte cette ville où il ne devait plus revenir, combien différent de l’homme qu’il était en y arrivant dix-huit mois plus tôt !


Cette période, si curieuse en elle-même et si importante dans la vie de Burns, n’a pas beaucoup enrichi son œuvre. Elle aurait pu inaugurer pourtant une transformation de son génie. Nous avons vu, soit à Edimbourg, soit dans le voyage des Borders et celui des Highlands, poindre une aspiration vers la poésie nationale. Le poète détaché de lui-même, ne trouvant plus la poésie dans les circonstances de sa propre vie, semble un instant vouloir aller au-delà de sa vie, jusqu’à la destinée commune, jusqu’au passé de sa race, et chercher la poésie de l’histoire. Mais les quelques pièces écrites à cette époque ou, dans la suite, d’après les impressions de cette période[21] restent comme l’indication d’un mouvement qui ne se continue pas. Burns n’était point alors dans des dispositions favorables à la production, et d’ailleurs il n’avait peut-être pas cette imagination évocatrice qui se plaît à ressusciter le passé. A un autre égard, l’influence d’Edimbourg faillit lui être funeste. Non seulement son séjour dans la capitale avait rompu le charme de sa vie rustique, naïvement inspirée, mais encore le contact de cette aristocratie intellectuelle, de cette culture abstraite, de cette littérature oratoire et générale, l’exposèrent à une méprise. Lui si fort quand il suit sa nature et la tradition écossaise, le voilà séduit par les élégances factices du XVIIIe siècle anglais, au point d’écrire, un peu plus tard, toute une série de pièces dans le goût de 1740, dans ce style « reine Anne » qui lui convient si peu. Mieux valait pour le poète retourner à son humble destinée, épuiser la vie de misère où devait s’achever son génie.


III

Devant ce désaccord entre son désir et sa puissance, dans ce conflit entre des aspirations contradictoires, incohérentes, lassées de leur effort, et des nécessités chaque jour plus impérieuses, Burns fait le choix que lui imposait le passé : il épouse Jane Armour et paraît vouloir seulement vivre. L’installation à Ellisland se fait au milieu des plus sages résolutions. Mais comment ne seraient-elles pas éphémères ? Burns ne peut plus s’accommoder des circonstances et n’en pas souffrir. Le beau temps de Lochlea et de Mossgiel est passé. Il a de l’appréhension et de la fatigue ; il est découragé et défiant. « Une sensibilité excessive, qu’une série de malheurs et de déboires a irritée et portée à voir le côté sombre des choses, » l’a rendu trop frémissant, trop fébrile. Il cherchera à la satisfaire ou à l’étourdir ; il ne pourra vivre que dans une excitation factice, car sa vie, abandonnée à elle-même, tendrait plutôt vers la mort. « Je suis si lâche dans la vie, si fatigué du service que, comme l’Adam de Milton, il n’y a presque pas de moment où je ne souhaite me coucher avec joie dans le giron de ma mère et être en paix. »

Quelle vie, en effet, pour un poète ! Le voilà donc installé fermier, pour son propre compte cette fois. Il est le chef de sa maison ; le seul maître à qui incombent toutes les charges, toutes les responsabilités, tous les soucis. Un poète ! Une ferme ! « L’âme la plus vaste des terres britanniques[22] » devra s’enfermer dans le cercle des petits soucis et y tourner toujours, y épuiser son effort. Passe encore de s’astreindre à un travail et d’y songer pendant qu’on y est. Mais le fermier « doit y songer toujours, le soir en dételant ses bêtes, le dimanche en mettant son habit neuf, compter sur ses doigts ses œufs et sa volaille, penser aux espèces de fumier, trouver le moyen de n’user qu’une paire de souliers et de vendre son foin un son de plus la botte. Il ne réussira point s’il n’a pas la lourdeur patiente d’un manœuvre et la vigilance rusée d’un petit marchand[23]. » Burns sent qu’il n’est pas fait pour réussir. Il se porte de tout son effort hors de son état. « Le cœur de l’homme et la fantaisie du poète sont les deux grandes considérations pour lesquelles je vis. Si des sillons boueux ou de sales fumiers doivent absorber la meilleure partie des fonctions de mon âme immortelle, j’aurais mieux fait d’être tout de suite une corneille ou une pie ; car alors je n’aurais pas eu de plus hautes idées que de briser des mottes de terre et de ramasser des vers. » Avec une telle opinion de son métier, il ne pouvait pas être un fermier très zélé, et nous n’avons pas de peine à en croire le témoignage d’un de ses voisins qui nous assure que l’échec était fatal : « Considérez un peu. À cette époque, une étroite économie était nécessaire pour réaliser un bénéfice de vingt livres par an sur Ellisland. Or, il ne pouvait être question du propre travail de Burns ; il ne labourait, ni ne semait, ni ne moissonnait ; pas, du moins, comme un fermier attaché à sa besogne. En outre, il avait une ribambelle de domestiques qu’il avait ramenés d’Ayrshire. Les filles ne faisaient rien que cuire le pain, et les gars étaient assis près du feu et le mangeaient tout chaud avec de l’ale. La perte de temps et le gaspillage de nourriture atteignaient bien vite vingt livres par an[24]. »

Burns se persuada alors qu’une petite place dans l’Excise (ou Régie) lui donnerait plus de sécurité et de loisir. Ses amis de Mauchline y avaient déjà pensé après la publication de ses poèmes, et lui-même, à son retour définitif d’Edimbourg, au moment de son mariage, quand il ne savait pas encore s’il trouverait une ferme, s’était arrêté à cette idée et avait rempli les formalités. Lorsqu’il vit ses premières moissons, il conçut des craintes et demanda un emploi. L’année suivante, il est nommé, comme il le souhaitait, sur place. Cette situation lui parut d’abord un simple appoint à sa vie de fermier, qu’il espérait pouvoir continuer. Déjà, pourtant, l’accepter était un sacrifice. Robert Burns ne pouvait se voir avec plaisir petit employé de la Régie. Son nouveau métier s’entourait plutôt de défaveur ; et, pour un homme comme lui, indulgent à toutes les faiblesses, sociable à l’excès et habitué au bon accueil, il devenait plus particulièrement pénible. Par inclination, le poète des Joyeux Mendians eût mieux aimé peut-être se trouver du côté des contrebandiers que de celui des gabelous. En acceptant cet emploi, Burns songeait à ses devoirs. Il savait bien que le passé engageait l’avenir et courageusement il s’efforçait de ne point faiblir devant les tristesses et les fautes dont il avait encombré sa voie à jamais douloureuse. Son cœur s’éleva dans cet effort et, plus haut que la vie présente, rencontra un souvenir qui lui entr’ouvrit le ciel. Vers le milieu d’octobre, un soir de moisson, plus de tristesse encore que de coutume descendit sur son âme avec le crépuscule. Il sortit dans la cour de sa ferme, où il commença d’errer, absorbé par ses pensées. Sa femme l’y rejoignit bientôt et lui conseilla de rentrer, car la nuit d’automne devenait glacée sous les étoiles scintillantes. Le poète s’attarda de longues heures. Quand Mrs Burns, inquiète, revint vers lui, il était étendu sur un tas de paille, fixant du regard une belle planète « qui brillait comme une autre lune. » Enfin il rentra ; mais, au lieu de se coucher, il prit sa plume et écrivit d’un trait cette admirable pièce, A Mary dans le Ciel, où passe un cri de passion et d’espérance :

« O Mary, chère ombre disparue ! Où est ta place de repos bienheureux ? Vois-tu celui qui t’aime ici-bas prosterné ? Entends-tu les sanglots qui déchirent sa poitrine[25] ?… »

Comme si, hors de l’enfer d’ici-bas, sa Béatrix l’avait conduit au seuil du Paradis, l’idée d’un monde meilleur demeure en lui et le console. Deux mois plus tard, il écrit à sa plus fidèle amie, Mrs Dunlop : « Là, je retrouverais mon vieux père, maintenant à l’abri des coups d’un monde mauvais contre lequel il a si longtemps et si bravement lutté. Là, je retrouverais l’ami, l’ami désintéressé de ma jeune vie, l’homme qui se réjouissait de me voir, parce qu’il m’aimait et pouvait m’être utile… Là, avec une angoisse muette d’extase, je reconnaîtrais ma Mary perdue, ma toujours chère Mary, dont le cœur était chargé de vérité, d’honneur, de constance et d’amour. » Ne dirait-on pas que l’âme du poète se détache de la terre et y laisse seulement le corps misérable, la vie perdue ?… Voici venir les plus mauvais jours.

Avec l’Excise, commencent pour Burns une série de fatigues auxquelles de plus robustes que lui eussent à peine résisté. Sur le territoire, très étendu, de sa division, il va par tous les temps, faisant au moins 200 milles à cheval chaque semaine. Il rédige des rapports, des procès-verbaux, requiert devant le tribunal, porte ses versemens au bureau de Dumfries. Ses lettres ne révèlent plus que lassitude, usure des forces et de la volonté. « Je vous aurais écrit plus tôt, mais je suis tellement bousculé et fatigué par mes affaires de l’Excise que je puis à peine rassembler assez de résolution pour faire l’effort d’écrire à qui que ce soit (novembre 1789). » — « Je suis harassé de fatigue à en mourir (février 1790). » Il accomplit ses fonctions avec répugnance : « L’heure est venue où il me faut assumer l’exécrable office de rabatteur vers les limiers de la justice… » — « Je suis un misérable diable harassé, usé jusqu’à la moelle par le frottement de tenir le nez des cabaretiers sur la meule de l’Excise (août 1790). » En même temps, la ferme délaissée devient une affaire ruineuse. Burns se débat de nouveau contre la gêne qu’il croyait avoir conjurée. Les tracas et les angoisses achèvent de miner son âme aussi surmenée que son corps. La tristesse entre par toutes les brèches ; et déjà s’annonce l’effondrement de cette existence, parmi les faiblesses et les fautes.

Le métier de Burns lui donnait de perpétuelles occasions de boire. Tantôt il faisait ses tournées de l’Excise avec des collègues qui ne connaissaient pas de meilleur réconfort qu’un grog de whisky : tantôt les haltes harassées dans les auberges lui faisaient rechercher une excitation contre les brouillards de l’atmosphère et la brume plus épaisse, plus glaciale encore, de son âme. Que de fois il dut demander la bouilloire, la bouteille et le bol, dans ce décor où nous le fait apercevoir une de ses lettres : « Tandis que je suis assis ici, triste et solitaire, près du feu, dans une petite auberge de campagne, en train de faire sécher mes vêtemens mouillés (mars 1791)… » Le goût de l’ivresse, qu’il avait commencé de contracter à Edimbourg (et peut-être plus tôt encore, une première fois, à Irvine), devient une habitude tyrannique. Triste remède, qui irrite encore le mal et en aggrave les effets. Le poète se plaint de sa santé ; il passe tout un hiver à souffrir : migraines nerveuses, accidens de cheval, bras fracturés, jambes endolories. Était-ce la hâte d’expédier sa besogne, la fièvre de mouvement ou celle de l’alcool, qui le précipitaient ainsi en courses furieuses au bout desquelles il s’abattait exténué avec sa bête et se brisait les membres ? Il semble qu’un vertige emporte cette existence et, comme à tous les momens pareils, Burns se jette tête baissée dans l’amour. Une servante d’auberge de Dumfries devient mère en même temps que Jane Armour, qui, merveilleuse d’héroïsme, nourrit les deux enfans à la même poitrine. Le moment est venu de quitter la ferme, Burns ayant pu résilier un contrat ruineux pour lui. Il passe la fin de l’été seul dans la maison déserte. Et ce fut la tristesse de tout ce qui finit, l’agonie du passé, les ventes qui dispersent les objets familiers et vident les étables, enfin le départ derrière le chariot où s’entasse le pauvre mobilier. Le poète conduisait « vers les mesquines demeures des hommes » sa vie malheureuse et son génie vainqueur du pire destin[26].


Dumfries achève, après quatre années qui l’ont si fortement avancé, le travail de désorganisation commencé par Edimbourg. Voici de nouveau Burns à la ville. La famille s’installe dans trois étroites pièces, au premier étage d’une maison qui donne sur une venelle. Aux beaux espoirs, à la confiance de jadis, ont succédé la lassitude et le découragement. L’avenir est morne ; le présent peuplé de regrets et de remords. « Mon métier me harasse et mes péchés viennent me regarder en plein visage, chacun d’eux racontant une histoire plus amère que son compagnon. » Il est probable que Burns, dès les premiers jours, demanda l’oubli à la boisson. La petite ville de Dumfries était d’ailleurs un séjour dangereux pour lui. Elle avait des courses d’automne ; la noblesse du voisinage y passait l’hiver et les hunts ou clubs de chasse à courre s’y donnaient rendez-vous. Ces réunions attiraient des gens de plaisir et tout l’ordinaire cortège qui les suit : valets, coiffeurs, filles et porteurs de chaises. L’animation alternait avec des semaines inoccupées qui jetaient les désœuvrés dans les tavernes. Burns, dans sa nuit douloureuse, s’hypnotisait à toutes ces lumières. Sa renommée lui ouvrit le cercle des gentilshommes viveurs. Nul doute qu’il y retrouva les froissemens d’Edimbourg, plus pénibles encore dans une société moins raffinée, moins éprise des choses de l’esprit, moins respectueuse des talens. Insensiblement, il descendit à des fréquentations indignes de lui, qui lui aliénèrent ses amitiés mondaines. Son caractère s’aigrit de cet isolement. Les vieilles rancunes, les colères latentes grondaient en son âme troublée et y accumulaient des violences d’orage.

C’est alors que se propagent en Europe les commotions du cataclysme révolutionnaire. Burns en reçoit le choc, et aussitôt jaillit l’étincelle qui fait éclater, dans leur forme générale et oratoire, les revendications déposées par la vie au fond de lui-même. Un élan de liberté avait soulevé son adolescence et sa jeunesse embastillées dans les raideurs presbytériennes ; le droit de vivre s’était affiché dans ses audaces ; la joie de vivre avait éclaté dans son rire, et de ses poèmes semblait monter un chant de délivrance. Durant les belles années de Mossgiel, toute sa sensibilité passionnée, tout son frémissant orgueil réclamaient, proclamaient, acclamaient l’indépendance de la personne humaine et ses titres de dignité : « Un homme est un homme, après tout ! » Puis étaient venues les heures de succès, l’hiver d’Edimbourg, et le poète avait senti peser sur sa gloire le poids de l’inégalité sociale. Partout accueilli et fêté, il était demeuré solitaire, isolé dans sa condition de paysan de génie, à qui sa supériorité fait une place à part dans le monde, plutôt qu’elle ne lui y donne droit de cité. Et ces heures passées, enfin, il avait fallu rentrer dans l’ombre des jours difficiles, lutter, souffrir, voir la ruine toute proche ; accepter, que dis-je ? solliciter avec de véritables prières un emploi de « jaugeur » pour nourrir sa femme et ses enfans, puis quitter la ferme après la désolation des ventes, les outils dispersés, les bêtes emmenées, les serviteurs partis, la maison vide, les étables vides, les hangars vides. Toutes ces épreuves l’avaient préparé à saluer les idées nouvelles comme une libération. Mais, toujours voué aux excès, et plus que jamais en cette phase d’irritation maladive, celui que le sentiment avait fait jacobite va devenir, par sentiment encore, jacobin, « tant il est vrai que la politique de Burns n’est que le rayonnement de sa sympathie dans le passé historique ou l’actualité[27]. » A la fin de février 1792, il achète, à la vente d’un brick saisi, quatre caronades qu’il envoie à la Convention avec une lettre enthousiaste. La lettre et l’envoi furent arrêtés à la douane de Douvres. Bientôt le progrès des sociétés libérales en Grande-Bretagne amène la formation de sociétés conservatrices. La lutte éclate entre les deux partis. Les torys, qui tiennent toutes les places et disposent de toute l’influence, exercent une véritable proscription. Les carrières les plus indépendantes n’offrent aucune sécurité ; des avocats s’exilent d’Edimbourg ; des hommes comme Henry Erskine, Playfair, Dugald Stewart, ont à souffrir de leurs opinions libérales, si mesurées pourtant. Et c’est dans un tel milieu, à un tel moment, que le pauvre Burns, employé de l’Excise, fait des manifestations publiques, porte des toasts provocateurs, écrit et chante des chansons frondeuses. Il boit un jour « au dernier verset du dernier chapitre du dernier Livre des Rois. » En réponse à une santé de Pitt, il lève son verre en l’honneur de Washington. Un soir, au théâtre, il reste assis, le chapeau sur la tête, pendant le God Save the King, et, si l’on en croit ses accusateurs, demande le Ça ira. Puis, quand une enquête est ordonnée, il s’affole, proteste de son admiration pour la Constitution anglaise, « ce à quoi, après Dieu, je suis attaché avec le plus de dévouement, » et adjure ses protecteurs de le sauver. Déplorables excès d’une nature qui a perdu tout équilibre et se laisse ballotter, comme une épave, à tous les remous du mobile Océan.

Rien ne peut retenir cette existence perdue, entraînée à la dérive. Le souvenir de Mary n’amène plu ? dans la pensée du poète que des images de dissolution et de mort : ces lèvres pâles de la bien-aimée, ce regard fermé, ce cœur « retombé maintenant en poussière silencieuse[28], » c’est la vie même de Burns, c’est tout son passé endormi et couvert de cendres. Oh ! qui le réveillera ? qui ravivera la flamme ? En vain les excès enfièvrent une sensibilité surmenée, en vain l’illusion de l’amour dore encore les ruines d’un cœur dévasté. Comment les tavernes de Dumfries, ou même les yeux « si doux et bleus » de Jane Lorimer pourraient-ils rendre au pauvre Burns l’âme qu’il n’a plus ? Son corps même le trahit. Au mois de juin 1794, il écrit : « J’ai bien peur d’être sur le point de souffrir des folies de ma jeunesse. Mes amis médecins me menacent d’une goutte volante, mais j’espère qu’ils se trompent[29]. » Et six mois après : « Quelle chose pauvre est la vie ! Tout récemment, j’étais un enfant ; l’autre jour encore, j’étais un jeune homme, et déjà je commence à sentir la fièvre rigide et les jointures raides de l’âge s’emparer rapidement de mon corps[30]. » Il va douloureusement à son dernier repos, à travers la misère et les angoisses. L’hiver de 1795-96 est terrible pour lui. Il perd une petite fille de trois ans. Sa maladie le tient cloué au lit ou à la chambre ; il ne touche plus que la moitié de son traitement de l’Excise, à peine trois livres par mois. Et cinq enfans dans la maison, sa femme enceinte d’un sixième ! Un jour de janvier qu’il se trouvait un peu mieux, il se traîne à la taverne du Globe, d’où il sort, ivre, vers trois heures du matin. Etourdi par le froid, il tombe et s’endort sous une voûte. Ce fut le dernier coup pour sa santé déjà ruinée. Dès lors, il entrevoit sa fin prochaine et ne pense plus qu’aux siens : « Hélas ! Clarke, je commence à redouter le pire. Pour moi-même je suis tranquille, — je me mépriserais si je ne l’étais pas. Mais la pauvre veuve de Burns ; mais cette demi-douzaine de chers petits orphelins abandonnés ! Me voici faible comme une larme de femme. Assez de ceci ! C’est la moitié de mon mal. » Après une quinzaine passée dans un hameau désolé, pour essayer des bains de mer, et troublée des menaces de créanciers, il revient mourir à Dumfries, usé, brisé, par ses malheurs et par ses fautes.

Durant ces années de misère, de déchéance et de ruine, le génie de Burns s’est transformé. L’inspiration du poète ne pouvait plus sortir, comme à Mossgiel, des choses environnantes, car il n’avait plus en lui la force idéale qui les pénètre, ni de sa propre vie, qui retombait sur elle-même, lasse, stérile et vaincue. Le moment était grave. Les quelques pièces d’un sentiment historique et national que nous avons rattachées aux impressions d’Edimbourg et des voyages dans les Borders ou les Highlands, ni surtout les poèmes où, moins heureusement, il imitait les poètes anglais, n’auraient pas suffi à donner un pendant au merveilleux volume de Kilmarnock, à exprimer tout ce qu’il y avait encore de poésie profonde et pure dans cette âme troublée. Mais la destinée poétique de Burns n’était pas à son terme. Au moment où ce génie si sincère semble avoir perdu le pouvoir de traduire en poèmes la vie personnelle, locale, il trouve en lui l’écho d’une vérité plus lointaine qui revient chanter sur ses lèvres. On se rappelle avec quelle passion et quelle assiduité Burns avait lu, relu, étudié les vieilles chansons. Elles lui offraient l’essence même des pensées et des sentimens de sa race, déposée et conservée dans des formes qu’une longue tradition avait adaptées à leur office. L’idée de travailler sur ce riche fonds, à la fois si national et si humain, de reprendre cette matière déjà si souvent remaniée et de lui donner son achèvement suprême, cette idée, qui se fût peut-être imposée à Burns sans aucune sollicitation extérieure, devint vite pour son esprit, où la déposèrent les circonstances, la force directrice. Dès 1787, pendant l’hiver d’Edimbourg, un graveur, James Johnson, avait demandé la collaboration de Burns pour un recueil de chansons écossaises qu’il se proposait de publier avec la musique[31]. Au mois de septembre 1792, Thomson[32] lui fait une proposition analogue. Durant les sept dernières années de sa vie, 1789-1796, Burns ne se désintéressa pas un instant de cette tâche, actif à rechercher les vieilles chansons, à les retoucher, les compléter ou les récrire. Il en donna ainsi aux deux recueils près de 250[33], qui représentent une belle moitié de son génie et forment un des plus riches trésors lyriques de la littérature. Ces petites pièces sont pour la plupart des remaniemens. Tous les chanteurs connus ou inconnus qui ont le mieux senti et traduit les rêves de la race, ses émotions, ses tristesses, ses gaîtés, les variations de son humeur, ont préparé à Burns la matière de ses chants et l’ont dégrossie. Sa main délicate et sûre n’a plus qu’à donner la touche suprême. C’est ainsi qu’il achève en beauté et en signification les ébauches de ses prédécesseurs. Il les dépasse même, car, résumant en lui tout ce qu’il y eut de meilleur dans la vieille école écossaise, il atteint, à travers cette tradition de vérité et de poésie, l’inspiration éternelle qui fait l’âme humaine vivante et mélodieuse. Il lui a suffi d’être le plus national des poètes, — un poète de clocher d’abord, — pour en être aussi le plus humain et le plus universel. Et il réalisait ainsi du même coup, pour une inspiration plus pure et plus profonde, une forme plus absolue. Cette simplicité si nette, cette vigueur si aisée, cette fantaisie si juste, ce singulier bonheur d’expression directe et décisive, toutes ces qualités maîtresses réalisent le degré de maturité où seule atteint lentement une évolution naturelle. Oui, l’œuvre de Burns est là, sous nos yeux, fraîche et vive comme une éclosion de la nature. Il faut voir et respirer toutes ces fleurs sur leur tige, dans leur jardin et sous leur ciel. Le plus exquis de cette poésie est vraiment intraduisible. Il y a des strophes, qui ne sont rien, et qui sont divines ; des pièces qui « tremblent d’une flamme invisible » et font passer en nous « l’émotion que le frémissement de la voix donne à des mots insignifians[34]. » (Tibbie Dunbar, Eppie Adair.) Quatre vers suffisent pour évoquer un amour qui unit, à la beauté ardente et précise de la nature, la douceur inexprimable de l’infini : « Mon amour est comme une rouge, rouge rose qui est nouvellement éclose en juin ; mon amour est comme la mélodie qui est doucement jouée en mesure[35]. » Il y a des chansons d’une impertinence charmante ; il y en a d’audacieusement libertines, de tristes et de gaies, de railleuses, de mélancoliques, et d’autres qui disent tout, et d’autres qui laissent entendre ; il y a des comédies et des idylles, des madrigaux, des élégies et des satires, — toutes fines, alertes[36]. Prêtez l’oreille à la musique des mots, écoutez ce discret transport d’un cœur où l’amour s’achève en prière : For the Sake o’ Somebody. Chanson d’amour qui garde son mystère ? ou chanson jacobite des partisans réduits à se cacher ? Lisez ces couplets de joie, ce poème d’été, les Sillons d’orge, cette histoire d’une nuit passée sous le ciel bleu et les étoiles claires :

« J’ai été gai avec de chers camarades, j’ai été joyeux en buvant, j’ai été content en amassant du bien, j’ai été heureux en songeant. Mais tous les plaisirs que j’ai jamais vus, quand on les doublerait trois fois, cette heureuse nuit les valait tous, parmi les sillons d’orge.

« Les sillons de blé et les sillons d’orge, les sillons de blé sont beaux ! Je n’oublierai pas cette nuit heureuse, avec Annie, parmi les sillons[37] ! »


IV

Burns nous offre vraiment l’exemple d’une destinée où les mêmes circonstances qui concourent au malheur semblent collaborer au génie. Toute sa jeunesse l’amène à exprimer cette revendication de la vie, qui était aussi le besoin de son temps et de son milieu. Il n’a qu’à regarder autour de lui pour tirer sa poésie de toutes choses. En lui, la vieille Écosse rustique et populaire trouve son interprète. Il est le poète local. Puis, le voici à Edimbourg, dans la société lettrée et mondaine. Ce changement soudain ne le grise pas : il l’inquiète, au contraire, et presque l’épouvante. Pauvre, étranger par sa position et sa fortune à ce monde qui fête sa gloire toute neuve, c’est là qu’il sent le désaccord entre sa vie et son génie, car c’est là que ce désaccord éclate. Déjà la vie descend le long de la mauvaise pente ; alors le génie semble s’orienter vers le passé : Burns rêve d’être un poète national. Enfin les déboires et les fatigues de sa ferme, puis de l’Excise, exaspèrent sa sensibilité et l’abîment dans les souffrances et les fautes, tout au-dessus desquelles monte un chant dépouillé de vie personnelle et n’exprimant plus que ce qu’il y a dans le poète de pure humanité. Mais, de même que toute la vie écossaise transparaissait à travers l’inspiration accidentelle et locale, de même l’éternelle chanson garde encore dans sa bouche la saveur du terroir et l’accent du pays ; en sorte que, des Poèmes de Mossgiel aux Chansons d’Ellisland et de Dumfries, Burns est par-dessus tout, et quelque peu différemment sans doute de ce qu’il souhaitait à Edimbourg, mais bien plus profondément, le poète national de l’Ecosse.

En retour, l’admiration a pris envers lui le caractère d’un culte. Jamais peut-être la valeur d’un homme ne frappa plus vivement les contemporains. C’est que jamais non plus un poète n’était venu, avec plus d’excellence personnelle, dire à tous, dans la forme qui leur était depuis si longtemps familière, les choses qu’ils sentaient en eux-mêmes et qu’ils attendaient. Burns fut toujours compris, toujours aimé. Depuis ses camarades de Lochlea, qui gardaient le souvenir radieux des heures où ils coupaient à ses côtés la tourbe dans les marécages, jusqu’aux docteurs d’Edimbourg, étonnés, éblouis par l’originalité de son éloquence, tous ceux qui l’approchèrent subirent le prestige de cette voix si vraie, en écoutèrent les paroles comme une révélation. La première édition des Poèmes fut enlevée en quelques jours. Six mois après, l’édition d’Edimbourg était souscrite à 2 800 exemplaires, par quinze cents souscripteurs. « C’était un succès qui ne s’était pas vu depuis l’Iliade de Pope, et c’était un succès plus spontané et plus populaire. A côté des plus hauts noms de l’aristocratie écossaise, se trouvaient ceux de simples fermiers…, le collège écossais de Valladolid, le collège écossais de Douai, le collège écossais de Paris, le monastère écossais de Bénédictins de Ratisbonne et celui de Maryburgh[38]. » Savans ou ignorans, tous ressentaient sans doute ce que Pitt exprima si heureusement un jour à la table de lord Liverpool : « Je ne vois pas de vers, depuis Shakspeare, qui aient autant l’air de sortir doucement de la nature. » Sa renommée ne cessa de grandir, montant jusqu’aux plus hauts esprits, descendant jusqu’aux plus humbles. Un jour qu’il avait envoyé chercher des bois de construction à Dumfries, tandis qu’il bâtissait sa ferme d’Ellisland, tous les charpentiers se pressèrent autour du messager pour voir l’écriture du poète. Pendant ses tournées de l’Excise, quand il arrivait le soir dans une auberge, les serviteurs sautaient de leur lit et venaient faire cercle autour de lui. Enfin, lorsque le bruit de sa maladie se répandit par la ville, lorsqu’on sut qu’il allait mourir, ce fut un deuil public. Les gens s’interrogeaient dans les rues, s’arrêtaient consternés pour échanger des nouvelles. Un homme demanda : « Qui sera notre poète, maintenant ? » On lui fit d’admirables et touchantes funérailles.

Un siècle après, aux fêtes du Centenaire, les discours de lord Rosebery précisèrent le sentiment de l’Ecosse et la gloire impérissable de Burns. Comme ils sont loin des pauvretés officielles et ressemblent peu à ces harangues vides, laborieusement adaptées du dehors à la circonstance par un « délégué » qui accomplit une corvée ou un devoir sans que nul lien profond ne l’unisse à la grandeur qu’il loue ! Non seulement lord Rosebery évoque L’homme dans le décor de Dumfries où s’acheva sa destinée tragique ; non seulement il esquisse en traits larges et sûrs le génie du poète devant les auditeurs de Glasgow ; mais, avant tout et par-dessus tout, ici et là, c’est le représentant de l’Ecosse qui salue un illustre Écossais, ou plutôt les deux personnalités s’effacent et laissent transparaître l’âme même de la patrie écossaise, qui se reconnaît et prend conscience, dans le lord d’aujourd’hui, de tout ce qu’elle doit au jeune paysan de Mossgiel, au jaugeur de Dumfries. « L’humanité tout entière lui est redevable. Mais l’Ecosse a une dette spéciale envers lui. Burns a exalté notre race ; il a consacré l’Ecosse et la langue écossaise. Avant lui, nous venions de traverser une longue période où nous étions à peine reconnus ; nous étions sortis de la mémoire du monde. Depuis le temps de l’Union des couronnes, et plus encore depuis le temps de l’Union législative, l’Ecosse était tombée dans l’obscurité. Si l’on en excepte le hasard d’un complot ou d’un soulèvement jacobite, son existence était presque oubliée. Elle avait, il est vrai, ses Robertson et ses Hume, qui écrivaient l’histoire à l’admiration de tous, mais rien dans leurs ouvrages ne trahissait des auteurs écossais. C’est alors que Burns apparaît, se dresse sur ses pieds et revendique les prétentions de l’Ecosse à une existence nationale[39]… »

Là est le secret de cette gloire exceptionnelle. Là surtout est le secret de cet incomparable génie. L’Ecosse n’est plus qu’une nation idéale ; toute sa réalité est dans son passé, qu’elle honore avec ferveur, et dans sa vie spirituelle, qu’exprime le génie de quelques hommes : John Knox, Walter Scott et surtout Robert Burns. C’est pourquoi elle leur prodigue si libéralement son admiration et son amour. En aucun autre pays peut-être, l’expression de « poète national » ne présente un sens si plein et si fort. C’est que nulle part les circonstances ne donnèrent au poète le privilège d’une si éminente qualité représentative. Là, il eut vraiment à signifier seul toute la destinée d’un peuple ; seul, il se dressa pour témoigner d’une nation qui sans lui n’aurait plus d’histoire. Il ne la représente pas seulement : il la crée. Il a donné la mesure, l’harmonie, la perfection immortelle au chant intérieur qu’essayaient toutes les lèvres et qui, comme un secret inexprimé, tourmentait toutes les âmes. Pareil à l’alchimiste qui transmuerait en or tous les autres métaux, il a fait plus belle la vie de l’Ecosse et sa voix plus pure. « A travers les cordes de sa harpe éolienne, le vent qui passe est devenu mélodieux[40]. » Aussi, bien au-dessus des œuvres personnelles qui n’expriment qu’une individualité plus ou moins riche, son œuvre, au même titre que les œuvres anonymes où toute une race a mis son âme, exprime le pur génie de l’Ecosse ; et, pour avoir été bercé de vieilles chansons, de vieilles ballades et de vieilles histoires, pour avoir continué, achevé l’inspiration des vieux poètes de son pays, seul en ce XVIIIe siècle de littérature brillante et factice, seul au siècle d’Addison et de Pope, ce poète de village a quelque chose d’Homère. Qu’importe désormais la déroute de sa vie ? Il semble avoir lui-même élargi à la mesure de sa destinée, pour la symboliser tout entière, la dramatique histoire de Jean Grain-d’Orge, cette longue suite de destructions d’où sortent, avec l’aie et le whisky, la joie et l’ivresse de l’Ecosse :

« Tu seras tranché par la faux, meurtri par le fléau, broyé par la meule, brûlé par le feu, noyé par l’eau ; mais tu brilleras un jour dans des tasses d’argent, et tu triompheras au-dessus des fêtes humaines[41]. »


FIRMIN ROZ.

  1. Auguste Angellier : Robert Burns, I. la Vie, II. les Œuvres. Paris, 1893. — The Poetry of Robert Burns, Edited by William Ernest Henley and Thomas F. Henderson. Edinburgh, 1896-97 (Centenary Edition).
  2. Burns, to Charles Sharpe, 22 avril 1791.
  3. Plus exactement, Burnes. L’orthographe consacrée de ce nom célèbre apparaît pour la première fois dans une lettre du poète à John Ballantine (avril 1786). Sur les tragiques circonstances où se produisit ce changement de signature, voyez Angellier, I, 330.
  4. Autobiographical Letter to Dr Moore. — Indiquons ici, une fois pour toutes, que nos citations de Burns sont toujours données d’après les traductions de M. Angellier dans le livre mentionné en tête de cette étude.
  5. « J’aimais jadis une jolie fillette. » Centenary Edition, t. III, p. 197 et 442.
  6. Autobiographical Letter to Dr Moore.
  7. Angellier, Robert Burns, t. I, p. 73.
  8. A Poet’s Welcome to his love-begotten daughter. Centenary Edition, t. II, p. 37 et 334.
  9. Holy Willie’s Prayer, ibid., p. 25 et 320.
  10. Holy Willie’s Prayer.
  11. The Jolly Beggars. Centenary Edition, t. II, p. 1 et 291.
  12. Carlyle, Essay on Burns. Cité et traduit par M. Angellier. Robert Burns, t. II, p. 164-5.
  13. Voyez Address to a Haggis, Scotch Drink, to a Louse, the Holy Fair.
  14. Epistle to John Lapraik. Centenary Ed., t. I, p. 155 et 380.
  15. The Death and Dying Words of Poor Mailie ; the Auld Farmer’s New-Year. Morning Salutation to his Auld Mare Maggie ; to a Mountain Daisy ; to a Mouse.
  16. Tam o’ Shanter. Centenary Edition, t. I, p. 278 et 433.
  17. Angellier, t. I, p. 212.
  18. To Dr Moore, 15 février 1787. Voyez aussi d’autres lettres de cette période : To Robert Aiken, 16 décembre 1786 ; To Mrs Dunlop, le janvier 1787 ; To the Rev. G. Lawrie, 5 février 1787.
  19. To Dr John Moore, 23 avril 1787.
  20. To William Nicol, 18 juin 1787.
  21. Voyez Address to Edinburgh, Lament of Mary Queen of Scots, Scots wh a hae, The Battle of Sherramuir, Killiecrankie, the Lovely Lass of Inverness, the Highland Widow’s Lament, Strathallan’s Lament.
  22. Carlyle.
  23. Taine, Histoire de la Littérature anglaise, liv. IV, ch. i, § 2.
  24. Lockhart. Life of Burns, d’après une lettre d’Allan Cuningham. (Voyez Angellier, t. I, p. 408.)
  25. To Mary in Heaven.
  26. C’est dans le volume, The Works of Michael Bruce, edited with memoir by Alex. Grosart, que parut pour la première fois le fameux Tam o’ Shanter que Burns venait d’achever.
  27. Lord Rosebery, Discours de Glasgow, aux fêtes du Centenaire.
  28. Highland Mary. Centenary Edition, t. III, p. 255 et 480.
  29. To Mrs Dunlop, 23 juin 1194.
  30. To Mrs Dunlop, 1 janvier 1795.
  31. Johnson’s Musical Museum, 1787-1803.
  32. Thomson’s Scottish Airs, 1793-1818.
  33. Exactement 246 dans la Centenary Edition de MM. Henley et Henderson.
  34. Angellier, t. II, p. 281.
  35. A Red, Red Rose.
  36. Voyez When Rosy May comes in wi’ Flowers, Had y the Wyle, whistle and I’ll come to you, my lad, I hae a Wife o’ my ain
  37. The Rigs of Barley.
  38. Angellier, t. I, p. 233.
  39. Lord Rosebery, Discours de Glasgow.
  40. A soul like an Æolian harp, in whose strings the vulgar wind, as it passed through them, changed itself into articulate melody. Cité par Carlyle, Essay on Burns.
  41. John Barleycorn.