Richard Wagner jugé en France/Appendice/2

À la Librairie illustrée (p. 314-315).

LETTRE DE R. WAGNER
Écrite à M. Dujardin à propos de l’incident Neumann
et publiée dans la
Renaissance musicale.
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Bayreuth, le 17 mai 1882.
Cher Monsieur,

Un extrait de journal qu’on m’envoie, et que je vous communique, me prouve que la question de la représentation de Lohengrin à Paris est pleine d’obscurité ; je veux m’efforcer de l’éclairer.

Non seulement je ne désire pas que Lohengrin soit représenté à Paris, mais je souhaite vivement qu’il ne le soit pas, et pour les raisons suivantes : d’abord Lohengrin ayant fait son chemin à travers le monde n’en a pas besoin. Ensuite il est impossible de le traduire et de le faire chanter en français, de manière à donner une idée de ce qu’il est. Et, en ce qui concerne une représentation en allemand, je conçois que les Parisiens n’en aient pas envie.

Quant à l’exécution de fragments, je n’y ai rien eu à redire, alors que c’étaient vraiment des fragments ; mais maintenant que ce sont des actes entiers qu’on donne aux concerts, je ne puis vous cacher que cela m’est désagréable.

J’ai accordé à M. Neumann l’autorisation de représenter mes œuvres à Paris, franchement je vous l’avoue, sans beaucoup y réfléchir. Réflexion faite, j’ai prié M. Neumann de renoncer à Paris, et, comme ses entreprises ne sauraient avoir pour but de me contrarier, je compte bien le gagner à mon avis, que j’hésite à lui imposer, parce qu’il a déjà assez emmanché cette affaire pour en avoir des frais.

Mes œuvres sont essentiellement allemandes, et j’ai la confiance que ceux de vos compatriotes auxquels, à un titre ou à un autre, elles paraissent dignes d’attention, ne se refuseront pas à les connaître dans l’original.

Veuillez, cher Monsieur, publier ces lignes, afin que ceux qui tiennent à l’exactitude des faits, sachent à quoi s’en tenir sur mon opinion au sujet de la représentation de mes œuvres à Paris.

Et recevez l’assurance de mes sentiments distingués et dévoués.


Richard Wagner.