Rhythmes oubliés/Les Arabesques d’un tapis

Alphonse Lemerre, éditeur (p. 29-31).

LES ARABESQUES D’UN TAPIS

I

Quatre mains prirent un fragment de tapis, — d’un tapis inachevé, — tombé depuis bien longtemps de deux autres mains mortes.

II

Et nous vîmes alors se déployer les Arabesques de ce tapis, s’entrelaçant, se redoublant sur un fond sombre, fusée de laines aux couleurs mêlées comme la crinière d’un cheval qui court contre le vent, semis de constellations incompréhensibles qu’une aiguille rêveuse jusqu’à la folie avait sablées sur un ciel qui n’existait plus, tant il était noir !

III

La ligne mystérieuse et fantasque courait, se tordait, s’allongeait, se carrait, et prenait toutes les formes d’une géométrie impossible ; et cela nous faisait plus rêver, nous les monteurs de l’hippogriffe, que les plus belles formes de la nature, les types les plus purs et les plus magnifiquement complets.

IV

La pensée attirée, fascinée, courait sur ces Arabesques comme la flamme court sur de la poudre ; mais c’était en vain ! Elle n’y retrouvait pas à dévorer une seule des pensées qui y avaient couru sous l’aiguille distraite ou préoccupée.

V

Et cela faisait de ces Arabesques, inachevées par ces deux mains mortes, quelque chose de plus triste que leur horrible fond noir !

1854.