Revue scientifique - Quelques progrès de l’aéronautique

Revue scientifique - Quelques progrès de l’aéronautique
Revue des Deux Mondes6e période, tome 52 (p. 693-702).


REVUE SCIENTIFIQUE




QUELQUES PROGRÈS GUERRIERS
DE L’AÉRONAUTIQUE ET DE L’AÉROLOGIE





Les perfectionnements apportés par la physique à l’art de la guerre ont été particulièrement nombreux et remarquables dans cette branche nouvelle de la tactique qui a découlé de la navigation aérienne.

J’en voudrais donner quelques exemples qui seront forcément sporadiques, car pour être complet, il faudrait parcourir, sans en rien négliger, tout le champ de l’aéronautique et l’espace m’est beaucoup trop limité pour y pouvoir songer.

On sait que si les ballons dirigeables et surtout les Zeppelins ont fait à peu près faillite dans la guerre terrestre pour les raisons que j’ai données naguère ici même, il n’en a pas été tout à fait de même dans la guerre navale. Non seulement les dirigeables ont rendu, — surtout d’abord à nos ennemis, il faut le reconnaître, — des services signalés, comme éclaireurs lointains (notamment lors de la bataille du Jutland), mais nous les avons employés avec grand succès dans la chasse aux sous-marins.

Les grands dirigeables rigides construits récemment par l’Amirauté anglaise dont le rayon d’action dépasse 6000 kilomètres et la charge utile une cinquantaine de tonnes ont d’autre part donné dès leurs essais des résultats tels qu’on peut se demander dès maintenant si dans l’aéronautique pacifique de demain, — et contrairement à une prophétie maintes fois faite et qui pourrait bien subir le sort de beaucoup de prophéties — le ballon ne supplantera pas l’aéroplane.

Cela pourra être dû en grande partie à l’utihsation imprévue et récente de 1’« héUum » en aéronautique. Je m’explique. On sait que la cause principale qui a arrêté naguère les progrès des ballons dirigeables a été le risque continuel d’incendie et d’explosion qu’ils couraient à cause de l’hydrogène qui les gonfle. Cet hydrogène, par toute ouverture accidentelle de l’enveloppe, par les joints nombreux et forcément imparfaits et aussi par simple diffusion à travers les parois de l’enveloppe (on sait que la diffusion des gaz est d’autant plus intense qu’ils sont plus légers) s’échappe toujours plus ou moins du ballon et forme avec l’air ambiant un mélange détonant. La présence des moteurs dans les dirigeables y rend ce danger encore plus grand que dans les ballons ordinaires : mais ceux-ci ne sont pas non plus à l’abri de ces risques, soit par suite d’une imprudence, soit simplement par suite des effluves et décharges électriques de l’atmosphère. Les accidents ainsi causés ne se comptent plus. L’emploi des balles explosives et incendiaires et des fusées et projectiles spéciaux contre aéronefs a naturellement pendant la guerre multiplié ces risques.

Afin d’y remédier, les techniciens militaires et navals des États-Unis ont étudié le moyen de rendre les ballons ininflammables. Ce moyen venait d’être mis au point et allait être appliqué à la construction de dirigeables d’un type tout nouveau destinés à bombarder Berlin, lorsque l’armistice fut signé. Il n’y a plus d’inconvénient à parler de cette invention longtemps tenue secrète.

Elle consiste à gonfler les ballons non plus avec de l’hydrogène mais avec de l’hélium. Celui-ci est, après l’hydrogène (qui pèse à la même pression environ 15 fois moins que l’air) le plus léger des gaz connus ; bien que deux fois plus lourd que l’hydrogène il est près de huit fois plus léger que l’air. C’est dire que sa force ascensionnelle est considérable. Il n’est pas inflammable et son mélange à l’air atmosphérique n’est aucunement détonant. Si on n’avait jamais songé à employer l’hélium au gonflement des ballons c’est qu’il était un gaz très rare. Découvert d’abord dans le soleil (de là son nom) au moyen de l’analyse spectrale par l’illustre astronome anglais sir Norman Lockyer, il ne fut trouvé que bien plus tard, vers la fin du xixe siècle, sur la terre et en particulier dans le gaz de certaines sources thermales et dans certains minéraux. Il existe aussi dans l’air, mais en quantité infinitésimale (un peu plus d’un millionième du volume).

Les inventions des techniciens anglais et américains ont consisté précisément à découvrir, en Amérique surtout, des sources nouvelles de ce gaz et à l’en extraire à grand rendement par des procédés industriels et économiques. En particulier on a trouvé dans le Texas un puits débitant 7 000 000 mètres cubes par jour d’un gaz qui contient environ 1 pour 100 d’hélium. La séparation de l’hélium se fait par la liquéfaction de l’air dont on sépare ensuite les constituants par distillation fractionnée. Les Américains ont construit dans ce dessein 3 usines dont l’une utilise le procédé de liquéfaction de l’air de Linde, l’autre le procédé de Norton, l’autre celui de notre compatriote Georges Claude dont on retrouve le génie inventif dans presque tous les secteurs des inventions de guerre.

Par ces procédés, le prix du mètre cube d’hélium a pu être tellement abaissé qu’il est maintenant à peine la vingt-millième partie de ce qu’il était avant la guerre et que l’emploi en grand de ce gaz rare, ou plutôt ci-devant rare, est devenu possible.

Il ne faut d’ailleurs pas oublier que nous possédons aussi en France des sources d’hélium assez abondantes et encore inexploitées. En particulier le professeur Moureu a signalé la présence de l’hélium dans un grand nombre de nos sources thermales ; les belles recherches de ce savant ont montré notamment que les gaz de la source thermale de Maizières (Côte-d’Or) contiennent environ 5 pour 100 d’hélium ; ceux de Santenay (Côte-d’Or) 10 pour 100 ; ceux de Bourbon-Lancy (Saône-et-Loire) 2 pour 100.

Quoi qu’il en soit, le gonflement des ballons à l’hélium est devenu possible et facile. Primitivement destiné surtout à éviter aux aéronefs les risques de guerre, il aura sur la navigation aérienne de demain une influence énorme. En effet, d’abord il permet de placer les moteurs à r intérieur même des dirigeables ; c’est ainsi qu’avaient été conçus les modèles destinés à bombarder Berlin. Or cette disposition réduit dans des proportions énormes la résistance de l’air à l’avancement, multiplie d’autant la force portante, la vitesse et le rayon d’action des aéronefs. En outre l’ininflammabilité de l’hélium permettra de le chauffer à l’intérieur même des ballons, grâce précisément aux moteurs, et par conséquent de lui donner en le dilatant une force ascensionnelle bien plus grande encore et de compenser ainsi son poids supérieur à celui de l’hydrogène. Les aéronefs construits ainsi participeront donc à la fois de la Montgolfière et du ballon.

À bref délai sans doute des dirigeables gonflés à l’hélium sillonneront le ciel, doués de bien plus de rapidité et de puissance que lem-s aînés, mais surtout d’une sécurité sans égale qui leur assure un immense avenir.

N’y a-t-il pas quelque chose de bien fait pour émouvoir le philosophe dans l’histoire de ce gaz qu’un astronome perdu dans sa tour d’ivoire découvre au fond de cette petite étoile, le soleil, gaz dont personne pendant longtemps ne soupçonne l’existence dans l’air même que nous respirons, et qui un beau jour se trouve apporter à la guerre, puis à la paix, un outil de merveilleux pouvoir ?

Dans un ordre d’idées voisin, je ne saurais passer sous silence les beaux résultats obtenus depuis la guerre dans le problème du vol des avions aux hautes altitudes. Ces résultats sont dus pour une large part aux travaux d’un Français, l’éminent ingénieur Râteau que l’Académie des Sciences a récemment élu.

En temps de guerre, l’intérêt qu’il y avait pour les avions à pouvoir voler aussi haut que possible était évident ! On assurait mieux ainsi l’invisibilité de l’avion, son invulnérabilité aux tirs de défense. En outre, dans le combat d’avion contre avion ou aéronef, il est clair que l’avantage était nettement du côté de l’engin qui pouvait survoler son adversaire sans subir le même risque. Enfin, il y avait un autre avantage très grand (et qui subsiste dans l’aviation de paix), à pouvoir voler très haut : c’est que plus un avion vole haut, plus le rayon dans lequel il peut atterrir ou amérir par vol plané en cas de panne, d’arrêt du moteur, est étendu. D’où augmentation considérable de la sécurité et de l’élasticité d’emploi de l’avion.

Mais ce n’est pas tout et voici l’essentiel : en s’élevant dans l’atmosplièie la densité de l’air diminue assez vite, et partant la résistance de l’air. J’ai déjà indiqué ici même des chiffres édifiants à cet égard. La diminution de la résistance de l’air avec l’altitude est précisément le phénomène qui, utilisé par les Allemands, leur a permis de réaliser les portées énormes et presque incroyables… un moment, des canons qui bombardèrent Paris. Eh bien ! l’avion n’est lui aussi qu’un projectile traversant l’air, et de même qu’aux hautes altitudes et à vitesse initiale égale un obus va bien plus vite, bien plus loin, bien plus longtemps, de même fera l’avion. Autrement dit et toutes cJioses égales d’ailleurs, un avion aura une vitesse et partant un rayon utile considérablement augmenté s’il peut voler très haut, et plus il pourra voler haut, plus il en sera ainsi. Ceci montre d’abord que les « records » d’altitude que se disputent en ce moment les aviateurs n’ont pas seulement un intérêt purement sportif, mais qu’il s’y attache aussi des conséquences extrêmement pratiques. Mais pour que l’augmentation de vitesse d’un avion avec l’altitude soit possible, il faut, comme je le disais, que toutes choses soient égales d’ailleurs ; c’est-à-dire il faut que les moteurs marchent à même rendement. Or, il n’en est pas ainsi.

Tout d’abord, la force portante de l’air, la poussée sustentatrice diminue elle aussi avec l’altitude puisqu’elle est précisément fonction de la densité et de la résistance aérienne. Pour que l’avion possède très haut les mêmes qualités portantes que très bas, il faut que la poussée de l’air soit augmentée quand on s’élève. Augmenter la surface des ailes à mesure qu’on s’élève, il n’y faut pas encore pratiquement songer bien que cela ait été proposé.

En revanche, comme la poussée de l’air dépend (je l’ai déjà expliqué ici même) de l’angle d’incidence, de l’angle d’attaque des surfaces portantes, on peut obtenir le résultat cherché en augmentant l’angle d’attaque des ailes avec l’altitude. De là sont nés les avions à incidence variable dont on peut mécaniquement changer l’inclinaison des ailes, et dont le maniement a donné d’excellents résultats entre les mains de pilotes habiles, mais exige de leur part une finesse exceptionnelle et qui, pour ce motif, n’ont pas été adoptés par l’armée.

Il y a enfin un dernier moyen, c’est d’augmenter la vitesse ; c’est ainsi que l’accroissement de la vitesse avec l’altitude se trouve être non seulement une conséquence possible de la raréfaction de l’air, mais en même temps une condition nécessaire de la conservation des qualités utilisables de l’avion.

Je ne dirai qu’un mot en passant du problème ardu et d’ailleurs secondaire en l’espèce de la variation du rendement de l’hélice avec l’altitude. Il est clair que l’angle d’attaque optimum des pas de l’hélice n’est pas le même dans des atmosphères de densités différentes et que, par conséquent, idéalement, les avions qui montent très haut devraient avoir des hélices à angle d’attaque et à pas variable. Mais ce point-là est en réalité bien moins important que celui dont je vais parler maintenant.

On sait que dans les moteurs à explosion, le mouvement est produit par l’explosion d’un mélange d’air et de vapeur d’essence. Il faut une certaine quantité à peu près constante d’air et plus exactement d’oxygène pour assurer la combustion d’un gramme d’essence.

L’air nécessaire au moteur est aspiré par lui, et les moteurs sont construits pour que cette aspiration ne soit ni trop forte ni trop faible, de manière à assurer le mélange d’air et d’essence en proportions exactement convenables et correspondant à la combustion totale de l’essence, sans résidu d’air, de manière à avoir le meilleur rendement. Or quand la densité de l’air diminue, son aspiration et sa compression par le moteur se font moins bien, le mélange gazeux devient proportionnellement moins riche en air, trop chargé en essence, les explosions sont incomplètes, la puissance du moteur diminue.

Le calcul montre que la puissance du moteur diminue ainsi avec l’altitude à peu près proportionnellement à la pression atmosphérique. C’est ainsi, pour prendre un exemple, que la pression atmosphérique n’étant à 10 000 mètres d’altitude que le quart environ de ce qu’elle est au niveau du sol, la puissance d’un moteur d’avion donné ne sera plus que le quart de sa valeur à 10 000 mètres de haut. Voilà la principale pierre d’achoppement du vol des avions aux hautes altitudes. Je ne note que pour mémoire quelques autres petits inconvénients de la hauteur, telle que la diminution de la température qui, elle aussi, est défavorable à la marche des moteurs, à cause de l’allumage moins aisé, de la viscosité diminuée ou même parfois de la congélation des huiles, à cause aussi de la vaporisation moins facile de l’essence. Des dispositifs simples arrivent à réduire beaucoup ces petits inconvénients.

Quant à la question primordiale de l’abaissement de la puissance du moteur avec la densité de l’air, elle a été résolue tout récemment de façon magistrale par l’ingénieur Râteau et ses collaborateurs, notamment M. Bastion. Le procédé mis au point par eux consiste à alimenter le moteur aux hautes altitudes avec de l’air comprimé, de manière à rétablir des conditions physico-chimiques de fonctionnement du moteur analogues à celles qui existaient au sol.

Étant donné qu’à 10 000 mètres d’altitude la pression est environ le quart de la valeur au niveau du sol, il faudra donc réaliser un dispositif fournissant au moteur 4 fois plus d’air (en volume) à 10 000 mètres que près du sol.

C’est ce que réalise commodément, avec beaucoup de simplicité et d’élégance, l’appareil mis au point par MM. Rateau et Bastien et qu’ils ont appelé turbo-compresseur. Le principe en est fort ingénieux : il consiste à utiliser les gaz d’échfippement, les gaz brûlés et chauds qui s’échappent du moteur, pour faire tourner une petite turbine intercalée sur leur trajet dans la tuyauterie qui dégage ces gaz dans l’atmosphère. Cette petite turbine porte un léger arbre métallique portant lui-même une roue à palettes qui aspire et refoule dans un tuyau voisin de l’air extérieur amené par une tubulure.

Cette roue aspiratrice à palettes peut tourner ainsi que la turbine à laquelle elle est liée à une vitesse d’environ 20 000 tours par minute. Il est clair que la quantité d’air aspirée ainsi est, à une altitude donnée, proportionnelle à la vitesse du turbo-compresseur. Cet air est refoulé et comprimé par l’appareil vers le carburateur, et tout le problème est de l’y comprimer a une pression et à une température qui soient à peu près celle de l’air au niveau du sol, et qui, par conséquent, assurent au moteur des conditions de fonctionnement constantes et indépendantes de l’altitude.

Rien n’est plus facile, et le pilote varie à volonté la vitesse du turbo-compresseur simplement par le jeu d’une simple vanne qui y admet une proportion plus ou moins grande des gaz d’échappement du moteur. A chaque altitude (donnée par le baromètre) correspond un degré d’ouverture de cette vanne, et on conçoit même que le dispositif puisse être rendu absolument automatique.

J’ajoute que l’air aspiré étant assez fortement échauffé par sa compression dans le turbo-moteur (on sait que la compression échauffe les gaz) on le fait passer par un radiateur qui le ramène à la température normale et qui est placé sur la tubulure conduisant l’air comprimé du turbo-compresseur au moteur.

Il va sans dire que la réalisation pratique de ce dispositif a été délicate ; elle a nécessité beaucoup d’ingéniosité pour aboutir à des organes suffisamment légers. En particulier il a fallu utiliser des métaux spéciaux pour que la turbine pût résister à la très haute température des gaz d’échappement qui la font tourner.

Les résultats obtenus n’ont pas déçu les espérances. Non seulement le turbo-compresseur assure le vol aux hautes altitudes, mais il permet, — par une conséquence qu’on entrevoit immédiatement, — de les atteindre beaucoup plus vite. C’est ainsi qu’un avion donné monte en 20 minutes à 5 000 mètres avec le turbocompresseur alors qu’il lui fallait auparavant 30 minutes.

La « suralimentation » aérienne des moteurs d’avion aux hautes altitudes ouvre de vastes espoirs à la navigation aérienne et non pas seulement aux avions, mais aussi aux dirigeables, car il est clair que tout ce qui vient d’être dit des moteurs d’avions, s’applique également à ceux des ballons. C’est, en tout cas, grâce au turbo-moteur que nous pouvons espérer de voir bietitôt des avions dépasser aux. hautes altitudes toutes les vitesses connues, et atteindre avant longtemps, sans doute, des vitesses de 500 kilomètres à l’heure. Ce jour-là la traversée aérienne des océans ne sera plus qu’un jeu ; un jeu aussi le tour du monde tout entier et qui, à cette allure, se fera, sous nos latitudes, non plus en 80 jours mais en 80 heures.

Et puisque, par la pensée, — qui reste, en dépit de tout, le plus léger et le plus rapide des aéronefs, — nous sommes dans les hautes régions de l’atmosphère, je voudrais indiquer brièvement comment la météorologie a apporté aussi une aide précieuse à la technique militaire, qui, — par un choc en retour assez fréquent en ces matières, — a suggéré des progrès météorologiques importants.

L’artillerie d’abord a dû des progrès importants de son tir à la météorologie : la trajectoire des obus dépend essentiellement de la température, de la densité des diverses couches d’air et de la vitesse des vents qui y régnent. Des différences de plusieurs hectomètres en portée et en direction peuvent être produites par ces causes si on n’en tient pas compte. Mais il y a plus. On sait que dans les obus fusants le départ du coup allume un petit cordon de poudre situé dans la fusée et de telle sorte qu’il provoque l’éclatement de l’obus à une distance donnée du canon. Or ce petit cordon de poudre brûle plus ou moins vite suivant la pression barométrique. Il peut se produire de ce fait des écarts de portée dépassant un kilomètre entre la distance pour laquelle l’obus a été débouché et celle où il éclate réellement. Enfin, la vitesse initiale de l’obus, produite, comme on sait, par la combustion de la charge de poudre propulsive, dépend essentiellement de la température ambiante.

Pour toutes ces raisons, et en ce qui concerne l’aviation il y avait des raisons analogues, la connaissance continue des éléments météorologiques a été une des nécessités les plus nettes de la dernière guerre. En ce qui concerne la température, la pression, l’humidité dans les diverses couches de l’atmosphère, on a opéré classiquement par des sondages aérologiques faits notamment au moyen de ballons captifs ou de cerf-volants portant des baromètres et thermomètres inscripteurs.

Pour le vent, l’importance des déterminations est plus grande encore, d’abord parce que le vent agit énormément sur la portée de la direction des trajectoires de tir, ensuite parce qu’il est l’élément fondamental dont la connaissance est nécessaire à l’aviation. Les vents d’intensité suffisante pour doubler ou au contraire annuler la vitesse normale d’un avion par rapport au sol ne sont pas rares aux altitudes moyennes.

Pour déterminer le vent à un instant donné dans les diverses couches de l’atmosphère, on a beaucoup utilisé les ballons pilotes. Ce sont de petits ballonnets en caoutchouc ou en papier gonflés à l’hydrogène et de telle sorte que leur force ascensionnelle soit d’une valeur donnée. On lâche le ballon pilote à un instant convenu. Deux observateurs munis de lunettes, ou plutôt de théodolites, placés à une certaine distance l’un de l’autre et communiquant par téléphone, visent simultanément le ballonnet. À chaque instant, par une triangulation, — analogue à celle qui sert dans le tir contre avions ou plus prosaïquement à celle que les arpenteurs utilisent couramment, — on détermine ainsi la position du ballonnet dans l’espace. Sa vitesse et sa direction aux diverses altitudes, et partant celles du vent, s’en déduisent immédiatement.

Le sondage aérologique avec deux théodolites, tel qu’il vient d’être décrit est théoriquement parfait, mais il est assez compliqué, car les deux observateurs doivent combiner leurs opérations dont le résultat n’est pas immédiatement connu.

Aussi l’a-t-on souvent remplacé par le sondage à un seul théodolite, qui est pratiquement presque aussi précis, et beaucoup plus simple. Il consiste à lâcher un ballonnet à un instant donné et à le suivre avec un théodolite en relevant périodiquement (par exemple toutes les minutes) l’inclinaison et l’orientation horizontale (ou, comme on dit entre astronomes, l’azimuth) de la lunette, ce que des cercles gradués vertical et horizontal permettent de faire facilement. On part de l’hypothèse dont la pratique a démontré l’exactitude approximative, qu’un ballon-pilote lâché librement monte verticalement avec une vitesse sensiblement constante et qu’on connaît d’ailleurs, le ballonnet ayant été, à cet effet, soigneusement lesté et pesé avant le lâcher par le procédé décrit ci-dessus. On connaît donc à chaque minute l’altitude du ballonnet. On connaît donc l’un des côtés du triangle rectangle que forme le ballonnet, sa projection sur le sol et le théodolite, et on connaît aussi, par ce dernier, l’angle opposé à ce côté. Dans ces conditions, rien n’est plus facile que de calculer immédiatement l’autre côté de l’angle droit de ce triangle-on a ainsi de minute en minute la vitesse et la direction du vent aux diverses altitudes successives du ballonnet.

Ces procédés ont donné de précieux résultats aux armées. Ils ne sont malheureusement applicables que si le ballonnet est visible dans la lunette, c’est-à dire jamais la nuit, et s’il y a des nuages au-dessous du ballonnet.

Dans ces derniers cas, on a utilisé d’autres procédés fort ingénieux, notamment celui-ci : un anémomètre est porté à très haute altitude par un ballon captif ou un cerf- volant. Le câble de retenue de celui-ci comporte deux fils électriques qui permettent à chaque instant, grâce à un système de contacts électriques produits à chaque tour de la girouette anémométrique, de connaître au sol la vitesse de cette girouette. Ce procédé a été ingénieusement perfectionné par M. Rothé, aujourd’hui professeur à l’Université de Strasbourg. Le perfectionnement a pour effet de supprimer un des deux fils électriques du câble. L’invention de M. Rothé consiste à employer, pour transmettre au sol les indications de l’anémomètre, non plus un courant électrique, mais les ondes de la T.S.F. À chaque tour l’anémomètre, par un contact électrique, émet une étincelle hertzienne dont les ondes sont transmises au sol par le fil unique du câble de retenue jouant le rôle d’antenne.

Enfin, un procédé fort curieux a été employé par notre armée, qui permet les sondages jusqu’à des altitudes bien supérieures à celles des méthodes précédentes, et qui est utilisable par tous les temps, et de jour et de nuit. Ce procédé, qui a été décrit tout récemment à l’Académie des Sciences par le général Bourgeois, directeur du Service géographique de l’armée, constitue une ingénieuse application du repérage par le son. On se souvient de la description sommaire que j’ai faite ici de cette invention française qui permet de repérer les canons au moyen des observations du son faites en trois stations, par les recoupements des hyperboles construits sur la carte au moyen de ces observations.

Eh ! bien, de même qu’on peut repérer par le son la position et la direction d’un canon invisible, de même on peut repérer par le son la position dans l’espace d’un ballonnet portant des pétards qui éclatent à des intervalles de temps convenables.

La trajectoire du ballonnet est ainsi déterminée et jalonnée dans l’atmosphère par les observations sonores et on en déduit facilement la vitesse et la direction du vent à toutes les altitudes franchies par le ballon. Les résultats obtenus par ce procédé ont été précieux et sont riches d’avenir.

Ainsi le repérage par le son, cette invention française dont l’histoire étrange sera écrite quelque jour et qui, sans être tombée du ciel, a dû peut-être son origine à l’astronomie, remonte en quelque sorte à son point de départ. Et par elle l’étude du ciel, du moins de ce petit ciel bas où ne règne qu’Éole, pourra faire quelque progrès.

Charles Nordmann.