Revue scientifique - Les grands médiums à ectoplasme

Charles Nordmann
Revue scientifique - Les grands médiums à ectoplasme
Revue des Deux Mondes7e période, tome 11 (p. 930-941).
REVUE SCIENTIFIQUE

LES GRANDS MEDIUMS A ECTOPLASME

En somme, ainsi qu’il ressort de l’exposé récent que nous avons fait de la question [1] tous ceux qui ont étudié et assurent avoir observé l’ectoplasme sont d’accord pour affirmer que c’est un plasma d’origine psychique émanant du médium. Certains ajoutent qu’il est la substance dont sont faits les esprits désincarnés, ou du moins la substance par l’intermédiaire de laquelle ils se manifestent dans certaines circonstances. Mais encore un coup, cette interprétation particulière du phénomène ectoplasmique, qui est l’interprétation spirite, n’est pas admise ni considérée comme nécessaire par beaucoup de ceux qui croient à la réalité de l’ectoplasme. Ceci nous permet donc d’aborder l’étude de ce phénomène sans craindre de froisser des croyances illusoires ou fondées, mais en tout cas infiniment respectables, comme tout ce qui touche au domaine de la conscience et du sentiment.

Tous ceux qui assurent avoir observé l’ectoplasme sont d’accord pour affirmer qu’il possède certaines propriétés, certaines capacités en quelque sorte mécaniques qui lui permettent de déplacer des objets matériels et de modeler des figures et des membres humains.

C’est là que cesse l’accord entre les observateurs de l’ectoplasme.

Un éminent technicien américain, M. James Black, vient de se livrer à une étude très serrée [2] des contradictions qu’on relève au sujet de l’ectoplasme. Cette étude très objective vaut que nous en retenions les points essentiels.

Les autorités le plus souvent invoquées en ce qui concerne l’ectoplasme sont le docteur Geley et le baron allemand Schrenk-Notzing, auxquels il faut ajouter le docteur Crawford dont nous étudierons ultérieurement les conclusions. D’après le docteur Geley, l’ectoplasme émane en général de la tête du médium sous forme de nodosités, de rubans, de franges de différentes couleurs. Quelquefois il est rigide et quelquefois mou et élastique ; et toujours il se rétracte lorsqu’on veut le toucher. Avec ses médiums et principalement avec le médium Franck Kluski, le docteur Geley assure avoir non seulement vu l’ectoplasme sous forme de membres matérialisés, mais en avoir fait des moulages. Nous reviendrons sur ce point essentiel.

Pour l’instant, continuant l’examen des remarques de M. James Black, nous observerons que les ectoplasmes observés par le docteur Crawford, contrairement à ceux du docteur Geley, émanaient de la partie inférieure seulement du corps de son médium, donnaient des coups sur le plancher, déplaçaient et soulevaient les tables, et portaient même parfois des coups violents dans les respectables côtes du professeur Crawford lui-même. Les ectoplasmes du docteur Geley étaient infiniment moins brutaux et mieux élevés, puisqu’ils consentaient, lorsque le docteur le leur demandait, à venir docilement se plonger dans un bain de paraffine préparé à cet effet, afin de s’y mouler.

L’ectoplasme du docteur Geley est lumineux et visible et l’effet de la lumière est de le faire résorber instantanément dans le corps du médium. Mais Crawford, dans ses 87 expériences, n’a jamais vu l’ectoplasme et pour lui il n’est ni lumineux, ni phosphorescent, ni fluorescent. Crawford et Conan Doyle (car l’illustre écrivain anglais fait partie des hommes éminents qui croient dur comme fer à l’ecto- plasme) sont d’accord pour affirmer que la mystérieuse substance se résorbe instantanément à la lumière. Cette instantanéité ne doit pourtant pas être parfaite, puisque Geley et Schrenk-Notzing ont, à ce qu’ils assurent, photographié l’ectoplasme au magnésium.

Des contradictions encore plus graves paraissent ressortir, dans l’opinion de M. James Black, de l’analyse même de la substance ectoplasmique. Geley assure que la substance ne peut pas être analysée, car en en détachant un fragment, on blesserait grièvement et on tuerait peut-être celui-ci [3]. Pourtant Schrenk-Notzing donne une analyse (il ne nous dit pas que le médium ait été le moins du monde tué ni blessé par le prélèvement nécessaire à cette analyse ; c’est peut-être, après tout, parce qu’on ne se vante pas d’un crime). De cette analyse il ressort que la substance serait formée d’une matière cellulaire telle, que celle qu’on trouve dans la bouche et la gorge. Stanley de Brathe, le traducteur du livre de Galey (je cite M. James Black), nous dit que d’après l’analyse, on trouve 50 pour 100 d’eau, du soufre et de l’albumine el il donne la formule chimique de l’ectoplasme comme étant à peu près C120 A1134 Az218 S5 O249. Cette formule représente quelque chose de très net pour un chimiste, mais, ajoute M. James Black, « il n’appellera pas ce corps ectoplasme. » On peut d’ailleurs remarquer à ce propos que ces données supposées un instant exactes, battent fortement en brèche la théorie spiritualiste, — j’emploie ce mot pour ne blesser personne, — de l’ectoplasme et ramènent celui-ci en plein matérialisme. Lebiedeinski, un métapsychiste polonais, a donné des analyses de la substance ectoplasmique d’où il ressort que celle-ci serait formée de graisses et de matière cellulaire humaine, et offrirait une apparence semblable à celle du blanc d’œuf battu. Enfin Conan Doyle nous assure que la science ne connaît absolument rien au sujet de l’ectoplasme, et ajoute aussitôt que l’analyse prouve qu’il est composé de carbonates, de phosphates et d’autres corps inconnus ! !

Et poursuivant son impitoyable discussion, M. James Black se croit fondé à conclure : « Un esprit logique et scientifique est absolument incapable d’imaginer qu’un tel amas de données contradictoires puisse passer sous le nom d’évidence scientifique. Essayez d’imaginer une substance qui se dissout dans la lumière et ne s’y dissout pas ; qui peut être analysée et ne peut pas être analysée ; mais qui, lorsqu’on l’a analysée, se trouve consister en un groupement d’éléments, et aussi en plusieurs autres groupements absolument différents ; qui recule et se résorbe devant tout contact, mais qui soulève les tables et les chaises ; dont la science ne sait rien, mais dont bien vite elle nous dit tout. Sir Arthur Conan Doyle remarquait récemment que les savants et les psychologues sont « scandaleusement sceptique au sujet de l’ectoplasme. » Ne siérait-il pas aussi de parler d’une scandaleuse crédulité ? »

Et M. James Black synthétise ainsi sa manière de voir : « Aucune de ces investigations n’a été conduite d’une manière le moins du monde scientifique. N’importe quel étudiant en science serait excusable de considérer que l’ectoplasme, — étant donné la nature des preuves qu’on en a données, — est principalement une inflammation de l’imagination, »

Eh bien ! quelque serrée et logique que soit la discussion de M. James Black, quelque scrupuleuse que soit son objectivité, quelque rigoureuse que soit son ironie, je ne veux pas encore souscrire à sa conclusion. Il se peut en effet, du moins il n’est pas impossible, a priori, — puisque nous sommes ici dans un domaine en maître de la science, — il n’est pas absolument impossible, encore que cette hypothèse soit choquante, que l’ectoplasme ait des propriétés et une nature différentes, lorsque c’est le docteur Geley qui l’examine ou lorsque c’est le docteur Crawford. Il n’est pas absolument impossible que la mystérieuse matérialisation ait une sorte de variabilité physique et même chimique, une sorte d’idiosyncrasie qui la modèle différemment selon les temps, les lieux et les expérimentateurs. Je sais bien que ces hypothèses bénévoles n’ont rien de scientifique, puisqu’il n’est de science que du général ; mais j’estime que c’est toujours un devoir de faire la part belle à ceux que l’on discute, et qu’un recul stratégique, — fût-il de dix kilomètres. — destiné à prouver la loyauté des intentions qu’on a, peut avoir son utilité aux yeux de l’histoire impartiale, et des neutres.

Nous admettrons donc provisoirement que les contradictions si amplement relevées par M. James Black, ne sont peut-être pas absolument démonstratives et de nature à prouver irrémédiablement l’inexistence de l’ectoplasme.

Car, rappelons-le, c’est de l’existence même de l’ectoplasme qu’il s’agit avant tout, et non pas de son explication, au sujet de laquelle se sont élevées déjà diverses controverses, peut-être prématurées. Avant de savoir ce qu’est l’ectoplasme, il s’agit de savoir s’il est.

Ce qui importe, ce qui est nécessaire pour pouvoir conclure, c’est d’examiner individuellement les faits allégués, sans idées préconçues dans un sens ou dans l’autre.

Les médiums fameux avec lesquels ont été obtenus récemment, — selon les observateurs, — les matérialisations les plus étonnantes, sont le Scandinave Einer Nielsen, l’Américaine Ada Bessinet, miss Goligher (le célèbre médium avec lequel a opéré le docteur Crawford), Éva Carrère (héroïne des expériences du docteur Geley et de Schrenk-Notzing), et enfin les médiums polonais (Gusik et surtout Kluski sur qui le docteur Geley a attiré l’attention d’une façon retentissante par les moulages d’ectoplasme qu’il assure avoir obtenus avec ce médium).

Examinons successivement le cas de chacun d’eux.

Einer Nielsen était un médium célèbre dans le Nord de l’Europe. On l’appelait « le grand Nielsen. » Ce médium à matérialisation a fait tant de bruit, que les corps savants ont été amenés à s’en occuper. Deux séries d’expériences scientifiquement organisées ont eu lieu il y a quelques mois, dans le dessein de vérifier les faits extraordinaires annoncés. Les premières ont été faites à l’Université de Christiania par un comité de professeurs éminents désignés à cet effet, par le Recteur de l’Université, sur la demande de la Société Norvégienne pour lies recherches psychiques. Le procès-verbal des séances faites avec Einer Nielsen à l’Institut physiologique de l’Université est très intéressant et catégorique. Voici les passages essentiels de ses conclusions :

« Pendant le contrôle, organisé par le Comité, le médium Einer Nielsen n’a pu produire aucun phénomène d’ectoplasme (les Scandinaves disent téléplasme) ni aucun phénomène dépassant ce qui est généralement connu dans la science. Le seul cas où le médium ait, dans une des séances, cherché à convaincre deux des membres du Comité de la production du téléplasme repose, d’après l’avis unanime du Comité, sur une supercherie consciente ou inconsciente. »

En outre, de considérations longuement motivées relatives aux Détails et conditions des expériences le Comité se croit autorisé à conclure que les phénomènes de téléplasme d’Einer Nielsen reposent sur une supercherie. Et voici la conclusion essentielle du rapport des professeurs Schjellerup, Stœrmer, Torup et Vegaard :

« Le Comité peut aussi tirer des conclusions de la façon dont le médium a systématiquement cherché à faire relâcher le contrôle.

« S’appuyant sur les renseignements qu’il a recueillis concernant le médium Einer Nielsen et touchant les conditions de la production des phénomènes de matérialisation qui sont données par les auteurs des recherches dites psychiques, comme le résultat des cinquante dernières années d’expérience scientifique, le Comité peut déclarer qu’il est convaincu que ces conditions peuvent, en réalité, être considérées comme formant un système ingénieusement imaginé pour rendre un contrôle difficile et rendre possible la supercherie de la part des médiums.

« En raison des faits constatés, le Comité peut considérer comme vraisemblable que les phénomènes dits de téléplasme reposent d’une manière générale sur une supercherie.

« Le fait que des savants estimés se laissent si souvent duper par des médiums trompeurs provient, d’après l’opinion du Comité, de ce que les médiums n’ont pas seulement un moyen, mais un grand nombre de moyens différents pour tromper, et varient d’une séance à l’autre leur manière d’agir suivant la façon dont a lieu le contrôle. Il n’est donc pas suffisant d’exclure les unes après les autres les possibilités de supercherie, en examinant, par exemple, dans une séance le cou et le nez, dans une autre l’estomac, dans une troisième l’anus et le rectum, et ainsi de suite. Pour que le contrôle soit effectif il faut faire tous ces examens à chaque séance. Même dans le cas, où un médium a produit dans une séance des phénomènes, bien qu’une possibilité déterminée de supercherie ait été exclue, rien ne s’oppose naturellement à ce qu’il profite précisément de cette possibilité la prochaine fois. Un médium trompeur peut donc aussi permettre que tous les contrôles soient exercés, pourvu qu’ils n’aient pas tous lieu à chaque séance, ce qui peut naturellement être facilement empêché, vu que le contrôle dans les recherches psychiques est exercé, en réalité, d’après les règles des médiums eux-mêmes.

« Il y a pour le Comité quelque chose de plus important que la définition du cas particulier d’Einer Nielsen : c’est que par son contrôle il a obtenu une connaissance, basée sur l’expérience personnelle, de la pratique qui s’est développée dans les recherches dites psychiques, et de la méthode qui, dans ses recherches, est considérée comme nécessaire dans l’examen scientifique des phénomènes se rapportant aux médiums. Cette méthode constitue, d’après l’opinion du Comité, un sérieux danger et n’offre aucune garantie scientifique. Elle a en réalité pour effet que les recherches et le contrôle ont lieu d’après des règles que donne le médium lui-même par son esprit dit de contrôle. C’est donc le médium qui expérimente avec les savants chargés de l’examen, plutôt que ce n’est le contraire.

« Le Comité termine donc son rapport en mettant sérieusement le public en garde contre toute crédulité sur ce terrain et en le prévenant du danger que les méthodes employées dans les recherches dites psychiques, constituent pour l’opinion générale, sainement scientifique. »

Mais, — pourraient dire, et ne manqueraient pas de dire certains, — c’est là tirer bien des conclusions en somme très catégoriques, d’expériences purement négatives. Ces expériences ont pu être négatives, simplement parce que l’ambiance n’était pas favorable à la production de l’ectoplasme, parce que le médium n’était pas bien disposé, etc. C’est exact ou du moins possible, encore que les tentatives démasquées de fraude de Nielsen soient bien symptomatiques. Mais voici maintenant d’autres expériences laites avec Nielsen et où les résultats ont été au contraire parfaitement positifs.

Ce sont des expériences entreprises par la Société norvégienne pour les recherches psychiques elle-même, à la suite des discussions passionnées auxquelles a donné lieu en Scandinavie le rapport dont nous venons de reproduire les conclusions les plus caractéristiques.

Or le rapport des expériences faites qui est daté du mois de mars dernier est catégorique. Il en résulte avec netteté : 1° que le médium n’a pu produire aucun ectoplasme quand on lui tenait les deux mains ; 2° que dans les séances où un résultat positif a été obtenu, celui-ci a été dû à une fraude manifeste et aussitôt dévoilée. En quoi consistait cette fraude ? Je voudrais l’expliquer congrûment et je n’aurais pour cela qu’à citer les termes extrêmement nets et en quelque sorte médicaux du rapport. Mais qui dit médical, dit quelquefois rabelaisien. Je me bornerai donc à indiquer ici que le soi-disant ectoplasme était de la gaze de soie que le médium avait préalablement dissimulé, — comment dirai-je ? — dans son rectum, et qu’il en extrayait au moment propice pour le porter à sa bouche, y insuffler de l’air et le réingurgiter. Il est indispensable, si peu ragoûtants que soient ces détails, de les donner ici.

Cette identification du prétendu ectoplasme a été faite d’abord par l’analyse chimique qui n’a laissé aucun doute, puis par les photographies au magnésium que l’un des examinateurs n’a pas craint de prendre à l’instant favorable sans crainte des dangers de l’ectoplasme. Le cas de Nielsen est ainsi réglé d’une manière qui ne peut laisser subsister aucun doute.

De Norvège passons maintenant aux États-Unis. Le plus célèbre médium à ectoplasme était, récemment encore, là-bas, Ada Bessinet, de Toledo (Ohio). Le British College of Psychic Science a arrangé une série de séances sous la direction de M. J. -H. Mackensie, directeur du collège, afin de mettre en évidence et d’étudier les phénomènes médiumniques de miss Bessinet. Celle-ci est un médium très sensible qui ne peut produire ses phénomènes que dans l’obscurité absolue.

Dans une séance où elle n’avait pas été fouillée et où elle était assise sans être attachée sur une chaise, elle a réalisé les figures, visages et lumières ectoplasmiques usuels, toutes ces matérialisations étant d’ailleurs produites dans la proximité immédiate de sa tête et de ses mains. Ensuite, quand on lui tint les mains, elle réalisa encore des phénomènes, mais dans un espace beaucoup plus limité et d’une manière moins variée. Dans une autre expérience, la possibilité de fraude a été encore resserrée en enfermant le médium dans un cabinet dont les parois étaient formée» par un filet dont les mailles avaient un peu plus de deux centimètres. Le résultat fut décevant. Peu de phénomènes apparurent et la lumière ectoplasmique ne dépassa jamais le filet de plus d’un ou deux centimètres. A la séance suivante, on fouilla le médium et également le cabinet. Les résultats furent négatifs. Un examen préalable minutieux avait mis en fuite l’ectoplasme.

Dans la dernière séance, il se passa des choses remarquables. On ne fouilla ni n’examina miss Bessinet ; elle garda ses vêtements habituels et on ne fit aucun effort pour l’empêcher de frauder. Elle s’attacha à une chaise avec l’aide d’un de ses esprits familiers et entra en transe.

Bientôt les apparitions ectoplasmiques furent visibles et se déplacèrent beaucoup plus loin que ne pouvait faire le médium attaché sur sa chaise. Au bout d’un moment, un des visages ectoplasmiques admirablement clair et lumineux s’approcha lentement de la table où étaient assis les investigateurs et se mit à planer dans l’obscurité tout près du visage de l’un d’eux. Ceci fut considéré comme un moment favorable à un examen plus approfondi et M. Mackensie fit éclater l’éclair d’un instantané au magnésium. Et alors, qu’est-ce qui fut constaté ? On constata que la théorie de la résorption de Geley et la théorie de l’absorption de Crawford recevaient un coup vigoureux. L’extériorisation immatérielle du médium, l’ectoplasme radieux n’était que miss Bessinet elle-même, en chair et en os, sa main droite restant sur la table, son corps se déplaçant vers un des assistants et dans sa main gauche une petite lampe électrique de poche tournée vers son visage, et qui produisait la lumière ectoplasmique. Une draperie de soie enroulée autour de sa tête complétait harmonieusement l’effet à obtenir. Une inspection de la corde et de la chaise montra que l’ « esprit » qui avait attaché le médium n’ignorait rien des mystères du nœud coulant et l’avait enchaînée de telle sorte qu’elle pouvait aisément se dégager.

Un indicateur et enregistreur électrique, préalablement disposé sous la chaise où miss Bessinet était censée être attachée, révéla qu’elle avait en réalité été éloignée du siège, et debout, pendant plus de la moitié de la durée de la séance.

Et maintenant des États-Unis, patrie de miss Bessinet et pays de tout ce qui est colossal, — fût-ce la mystification, — nous allons rentrer dans la vieille Europe en faisant d’abord escale en Irlande.

Les expériences fameuses du professeur Crawford avec miss Katleen Goligher ont été considérées pendant longtemps et jusqu’à ces tout derniers temps comme les démonstrations les plus incontestables des matérialisations ectoplasmiques qui aient été apportées.

C’est avec cette jeune personne que le professeur Crawford avait obtenu les résultats ectoplasmiques étonnants qu’il a publiés et qui sont évoqués à chaque instant comme parole d’évangile par les tenants de l’ectoplasme, et notamment par le docteur Geley dans tous ses écrits. Or, le professeur Crawford s’est suicidé le 30 juillet 1920 (il n’est pas sûr que l’ectoplasme n’y soit pas pour quelque chose). Son élève préféré et le dépositaire de sa pensée scientifique, M. Fournier d’Albe, docteur ès sciences des universités de Londres et de Birmingham, afin d’exécuter les dernières volontés de Crawford, entreprit avec miss Goligher, une nouvelle série d’expériences destinées à fermer définitivement la bouche aux incrédules (dont M. Fournier d’Albe ne faisait nullement partie, car il n’avait alors aucun doute sur l’exactitude des recherches de Crawford).

Or, la conclusion fortement motivée à laquelle est arrivée le docteur Fournier d’Albe, après une consciencieuse série de longues séances, est écrasante :

« Après une étude attentive des livres de feu le docteur Crawford et les longues recherches que j’ai effectuées moi-même sur place et qui ont été décrites dans les pages qui précèdent, j’estime que tous les phénomènes dont je fus le témoin ont été produits par des moyens physiques normaux. »

Et le savant ajoutait dans un article récent de Light : « Je suis arrivé à Belfast convaincu de la réalité des phénomènes ectoplasmiques. Pendant cinq séances, je gardai ma foi et mon enthousiasme. Mais vinrent... les efforts faits pour éviter le contrôle, les preuves de supercherie. La vue du médium soulevant le tabouret avec son pied me plongea dans la stupeur et le désappointement le plus amer. La « simple et honnête famille » (du médium) se changeait graduellement en un groupe habile, cauteleux, inquiétant, de praticiens fort bien disciplinés. Je finis par démêler tout le sens de cette histoire qui avait commencé par des farces de jeune fille et qui finissait en tragédie. » (Allusion au suicide de Crawford.)

Nous en arrivons maintenant au célèbre médium Éva Carrère dont on a beaucoup parlé depuis quelque temps, et qui est... ou du moins fut le seul médium français à matérialisation, à ectoplasme.

Avant d’être l’objet, ou pour mieux dire le sujet des récentes expériences de la Sorbonne qui ont tant fait couler d’encre, Éva Carrère avait longuement expérimenté avec le Dr Geley et le baron Schrenk-Notzing. J’ai lu attentivement les comptes rendus faits par ces auteurs de leurs recherches avec Éva Carrère. Ces comptes rendus sont présentés comme des contributions d’un caractère exclusivement scientifique à nos connaissances. On y cherche pourtant en vain l’indication de méthodes vraiment scientifiques dans le détail des expériences. Le Dr Geley nous assure qu’il n’y avait aucune possibilité de fraude de la part du médium, mais il néglige de mentionner quelle était la nature des mesures de contrôle et de précaution qui s’imposaient, de sorte que nous ne savons même pas si de telles mesures ont été prises. Quant à M. Schrenk-Notzing, il ressort de ses textes que dès qu’il fait quelque tentative pour se préserver des méthodes frauduleuses que pourrait employer le médium, le résultat indique clairement que la fraude a été non seulement possible mais hautement probable.

Les expériences du Dr Geley ont eu lieu dans l’obscurité. Le médium se plaçait dans un cabinet et entrait en transe. La substance ectoplasmique commençait à s’échapper, à exsuder en quelque sorte du médium et s’organisait sous forme de mains, de visages et quelquefois de têtes complètes couvertes de vrais cheveux à travers lesquels l’expérimentateur passait ses doigts, oubliant un moment que l’ectoplasme ne doit pas être touché sans danger grave. Les têtes et les visages apparaissaient toujours dans le voisinage du médium, jamais à plus de soixante-dix centimètres du cabinet, à peu près la longueur du bras. Le développement de l’ectoplasme, son organisation avait lieu derrière le rideau du cabinet. La tête ou le visage partiellement formé apparaissait soudain dans une ouverture du rideau, disparaissait, puis réapparaissait au bout d’un temps très court, dans un état de développement plus avancé. La même chose se produisait en sens inverse lors de la dématérialisation de l’ectoplasme. Il se passait, comme on voit, beaucoup de choses derrière le rideau, c’est-à-dire à l’abri de tout contrôle sérieux et technique dont il ne semble pas que dans tout ceci on se soit préoccupé outre mesure.

M. James Black, dans l’examen critique aigu qu’il a fait des expériences, trouve bien regrettable que le Dr Geley n’ait pas songé à empoigner solidement, à garder dans sa main, les cheveux qu’il pénétrait de ses doigts. On ne peut que s’associer à ce regret, car on aurait peut-être su alors si Éva n’était pas par hasard tout à côté de ces cheveux.

La British Society for Psychic Research a invité récemment Éva Carrère à Londres afin d’y démontrer sa médiumnité. A une séance tenue sous les auspices de la Société, Éva fut soumise à un examen rigoureux et à des conditions de contrôle strictes, mais qui ne pouvaient pourtant en rien paralyser les phénomènes. Avant d’entrer dans le cabinet, on la fouilla soigneusement et le cabinet lui-même fut examiné à fond. Rien de suspect ne fut trouvé. Éva entra en transe et ne produisit absolument rien, ni têtes, ni visages, ni mains, enfin aucun ectoplasme. Éva incrimina l’atmosphère de Londres pour expliquer ces résultats négatifs. Certains seront tentés de conclure que la chose devrait peut-être plutôt être résumée ainsi : pas de contrôle, phénomènes ; contrôle, pas de phénomènes.

La vraisemblance de cette manière de voir résulte avec plus de netteté encore des expériences récentes faites au laboratoire de physiologie de la Sorbonne, avec le même médium Éva, par les professeurs Lapicque, Pierron, Dumas et Laugier, tous techniciens, physiologistes et psychologues réputés, et n’ignorant rien des nécessités de la méthode scientifique.

Ces expériences ont eu lieu sur l’initiative de M. Paul Heuzé, dont il faut louer les efforts tenaces pour contribuer à apporter un peu de clarté dans ces questions.

Les expériences de la Sorbonne ont été conduites dans des conditions parfaitement rigoureuses. Un grand nombre de séances ont eu lieu dans lesquelles aucune condition restrictive de nature à empêcher la production n’avait été imposée au médium.

Quoi qu’il en soit, les conclusions du procès-verbal publié et qui est un modèle de clarté, d’objectivité scrupuleuse et de prudence scientifique sont entièrement négatives. Ce procès-verbal constate que à deux reprises (sur quinze séances d’expérience), les savants ont cru constater, dans des conditions d’éclairage très mauvaises, l’émission par la bouche du médium d’une sorte de substance inerte qui n’avait aucune des apparences de formes vivantes habituellement attribuées à l’ « ectoplasme ; » cette substance était entièrement inerte, elle était maintenue par les lèvres du médium, n’avait que les mouvements imprimés par la bouche, et ne disparut qu’après que le médium l’eut mâchée et avalée, comme s’il s’agissait d’un objet de caoutchouc ou de quelque chose d’analogue.

La conclusion très nette des savants est la suivante : « En ce qui concerne l’existence d’un ectoplasme qui serait inexplicable au moyen des données actuelles de la physiologie, nos expériences ont abouti à des résultats qui ne peuvent être considérés que comme entièrement négatifs. »

On voit que les expériences de la Sorbonne conduisent à la même conclusion dubitative et même négative que les expériences scientifiques antérieures faites en Scandinavie et à Londres.

Mais certaines personnes pourront objecter à cela, et ont effectivement objecté qu’« un résultat négatif ne prouve jamais rien et ne saurait en aucun cas être mis en balance avec des résultats positifs. » Il y a comme nous verrons beaucoup à répondre à cela, mais encore un coup il sied de ne négliger en ce domaine si délicat aucun argument même médiocre.

Avant donc de conclure cette étude, il nous reste un devoir strict à remplir, — c’est d’examiner et de discuter non seulement les résultats négatifs, mais les plus positifs et les plus étonnants de tous les résultats positifs qui aient jamais été obtenus en matière de matérialisation : je veux parler des expériences avec moulage d’ectoplasme qui ont été faites récemment par le Dr Geley et le médium Kluski.


CHARLES NORDMANN.


P. -S. — Comme suite à ma chronique les Télescopes en rumeur, du 15 août 1922, je crois utile de préciser les points suivants : 1° ’C’est en 1884 que l’amiral Mouchez a proposé dans un rapport le transfert de l’Observatoire (rapport dont les conclusions n’ont d’ailleurs pas été adoptées par l’Académie des Sciences consultée). L’illustre Leverrier était mort en 1877, sept ans auparavant. 2° Les raisons qui, autrefois, y pouvaient paraître militer en faveur de ce transfert étaient parfaitement plausibles, en 1884, car les grands travaux modernes de l’Observatoire qui ont démontré l’inutilité de ce projet sont postérieurs à cette date. 3° L’amiral Mouchez a d’ailleurs été pour beaucoup dans l’instauration de ces grands travaux modernes (carte photographique du ciel, de la lune etc.), qui, menés à bien sous ses successeurs, ont été entrepris sous son heureuse direction à la suite des congrès de 1887, 1889, 1891.

  1. Voyez la Revue du 15 septembre.
  2. Scientific American, septembre 1922.
  3. La lecture des innombrables publications que je me suis fait un devoir, — parfois peu divertissant, — de lire au sujet de l’ectoplasme, m’a pourtant convaincu qu’on n’a jamais cité le cas d’un seul médium qui ait été blessé si peu que ce soit, parce qu’on avait touché ou voulu détacher un fragment de l’ectoplasme. On peut donc se demander sur quoi le docteur Geley appuie son affirmation.