Revue scientifique - Les distances des étoiles

Revue scientifique - Les distances des étoiles
Revue des Deux Mondes6e période, tome 55 (p. 457-468).




REVUE SCIENTIFIQUE
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COMMENT ON MESURE LES DISTANCES DES ÉTOILES[1]


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Le champ des études astronomiques s’est depuis quelque temps magnifiquement développé. Confiné naguère à notre système solaire, il embrasse maintenant le système des étoiles tout entier. Les résultats obtenus récemment dans cet ordre d’idées sont de nature à rabaisser singulièrement notre orgueil géocentrique et l’héliocentrisme lui-même. Notre soleil, avec son médiocre cortège de négligeables planètes, n’apparaît plus maintenant que comme un îlot insignifiant dans l’océan stellaire, comme un grain de sable de l’Univers. Mais peut-être, après tout, ces études qui nous montrent notre petitesse spatiale sont-elles moins qu’on ne pourrait croire de nature à rabaisser notre superbe, puisque du même coup elles nous incitent à admirer la puissance et la beauté des méthodes qui, issues du cerveau humain, permettent de mesurer, d’embrasser et de concevoir un univers sans cesse agrandi.

Le monde des étoiles peut être examiné à bien des points de vue : sa constitution chimique, ses mouvements individuels et collectifs, son âge et le degré d’évolution de ses divers membres, leur température, le rythme de leurs pulsations diverses ont fourni ces dernières années d’amples moissons de découvertes. Mais avant d’aborder ces études qui constituent, si j’ose dire, la physiologie de l’Univers stellaire, un problème primordial se pose d’abord, c’est celui des distances et des dimensions de cet univers. C’est en un mot son anatomie.

Dans l’étude du corps humain, avant d’étudier le fonctionnement et l’évolution des organes, il est indispensable de connaître leur situation et leurs dispositions relatives. Il en est de même dans l’étude de l’immense organisme stellaire dont nous faisons partie… La connaissance de la distance des étoiles est essentielle pour la détermination de ses autres données, de sa position, de sa vitesse, de sa luminosité, de sa masse, etc. C’est pourquoi on peut dire, comme l’écrivait naguère l’astronome hollandais Kapteyn, que le problème de la structure actuelle de l’univers est le problème des distances stellaires.

Quelles sont les méthodes permettant de mesurer, malgré leur énormité, ces distances ; comment ces méthodes se sont depuis peu singulièrement enrichies et développées, c’est ce que j’examinerai d’abord. J’indiquerai ensuite les résultats étonnants auxquels ces méthodes ont conduit, et qui ne paraîtront plus invraisemblables, malgré leur caractère presque féerique, puisqu’on en aura compris la genèse.

La distance des astres les plus rapprochés se mesure par une méthode identique en principe à celle qu’emploie un arpenteur lorsqu’il veut mesurer l’altitude d’un point difficilement accessible, comme le sommet d’un clocher.

Que fait pour cela l’arpenteur ? Il vise le sommet du clocher au moyen d’une petite lunette en se plaçant successivement à une certaine distance de part et d’autre du clocher. Un niveau dont est muni l’instrument permet de connaître les deux angles faits successivement par la ligne de visée avec l’horizontale, et il suffit de connaître la distance des deux points d’où les visées ont été faites et qu’on appelle la base pour en déduire facilement l’altitude du sommet du clocher. L’angle que fait le sommet du clocher avec les deux positions successives de l’opérateur est ce que les astronomes appellent la parallaxe du clocher.

Prenons un exemple : considérons deux observateurs placés à une certaine distance l’un de l’autre et visant un objet placé à la même distance de chacun d’eux, de telle sorte donc que l’objet et les deux observateurs forment les sommets d’un triangle équilatéral. L’angle au sommet d’un pareil triangle est, comme chacun sait, égal à 60 degrés (2 tiers d’angle droit). La parallaxe de l’objet par rapport aux observateurs sera donc de 60 degrés. Si l’objet était dix fois plus loin la position des observateurs ne changeant pas, sa parallaxe ne serait plus que de 6 degrés ; elle ne serait plus que d’un sixième de degré (dix minutes d’arc) s’il était cent fois plus loin, etc… En un mot, la parallaxe, cet angle par lequel les astronomes ont l’habitude de définir la distance d’un astre, est d’autant plus petite que cette distance est plus grande.

C’est donc par une méthode analogue à celle des arpenteurs qu’on a mesuré la distance des astres les plus rapprochés. Par exemple, pour la lune on a pris comme base la distance qui sépare deux points suffisamment éloignés de la surface terrestre (l’un, en France, l’autre en Amérique).

Il est clair que la mesure est d’autant plus exacte que la base est plus grande. Pour mesurer la distance du soleil et des planètes nos voisines, les bases utilisables sur la terre (et dont la plus grande est évidemment égale au diamètre de la terre, soit environ 12 000 kilomètres) ont été suffisantes. Il n’en a plus été de même lorsqu’on a voulu apprécier la distance des étoiles. Il est aussitôt apparu que celles-ci étaient infiniment plus loin de nous que le soleil. Même en visant simultanément les plus brillantes d’entre elles, de deux points situés aussi loin que possible l’un de l’autre sur la terre, les positions des deux lunettes de visée se trouvaient absolument parallèles, dans la limite des erreurs d’observation. C’est-à-dire que la distance des étoiles était pratiquement infinie par rapport aux dimensions de la terre et qu’il fallait chercher une base plus grande pour les mesures.

On a trouvé cette base plus grande en visant les étoiles à six mois d’intervalle, c’est-à-dire lorsque la terre est à deux extrémités du diamètre de son orbite autour du soleil, c’est-à-dire en prenant pour base de la triangulation ce diamètre lui-même. Comme il est égal à environ 300 millions de kilomètres, la nouvelle base se trouvait près de 30 000 fois plus grande que la plus grande base terrestre.

C’est ainsi qu’on a réussi pour la première fois à mesurer les parallaxes, c’est-à-dire les distances de quelques étoiles.

Et encore, malgré l’énormité de cette base, la parallaxe, l’angle qui joint l’étoile aux extrémités de la base se trouvait tellement petit qu’il a fallu toute la précision des méthodes et des instruments astronomiques modernes pour le déceler.

La parallaxe de l’étoile la plus rapprochée de nous est un angle inférieur à une seconde d’arc. Or qu’est-ce qu’un angle d’une seconde d’arc ? c’est un angle sous lequel on voit deux objets lorsque la distance à laquelle on les regarde est 200 000 fois plus grande que celle qui les sépare. Autrement dit, et par exemple, c’est l’angle sous lequel on verrait un cercle d’un mètre de diamètre placé à 200 kilomètres de distance, ou encore c’est l’angle sous lequel on verrait un objet d’un millimètre placé à 200 mètres. Or la parallaxe de l’étoile la plus rapprochée n’atteint pas cette valeur. Autrement dit, la distance de l’étoile la plus voisine de nous est plus de 200 000 fois supérieure à la base qui a permis de la mesurer. Cela veut dire que cette étoile est plus de 200 000 fois plus loin de la terre que le soleil lui-même qui en est à environ 150 millions de kilomètres.

Pour illustrer immédiatement tout ceci par une donnée concrète, je rappelle que l’étoile la plus rapprochée de nous était, d’après ce qu’on croyait encore il y a très peu de temps, l’étoile Alpha de la constellation du Centaure, étoile visible seulement dans l’hémisphère austral.

La parallaxe de cette étoile est de 76 centièmes de secondes d’arc, c’est-à-dire que sa distance à la terre est 2 800 000 fois plus grande que celle qui nous sépare du soleil, et qu’elle est de quarante mille milliards, de quarante trillions de kilomètres.

En réalité, un fait nouveau s’est produit récemment dans cet ordre d’idées : l’astronome anglais Innes a découvert que l’étoile la plus voisine connue n’est pas Alpha du Centaure, mais une très petite étoile placée d’ailleurs dans les mêmes parages, et dont la parallaxe est égale à 78 centièmes de seconde d’arc. C’est donc l’étoile connue la moins éloignée de nous. On l’a appelée Proxima Centauri. Elle n’a été observée que récemment parce que c’est une étoile très peu brillante (de 13e grandeur, tandis qu’α Centaure est de 1re grandeur). C’est d’ailleurs par la photographie que M. Innes a mesuré sa parallaxe. Cette curieuse étoile offre cette particularité d’être, de toutes les étoiles connues, celle qui a le plus petit éclat réel connu, puisque sa luminosité, la quantité totale de lumière répandue par elle n’est que la dix-millième partie de celle que répand notre soleil, qui n’est pourtant, de loin, pas une des plus brillantes parmi les étoiles. Mais ceci est une autre question sur laquelle je reviendrai quelque jour.

De tout cela il résulte, pour ne pas nous écarter de notre sujet qui est la mensuration de l’univers, qu’il est mal commode, fastidieux et vain, de vouloir exprimer en kilomètres les distances des étoiles, car on arrive alors à des nombres avec lesquels notre imagination n’est pas familiarisée et qui, à cause de leur grandeur même, finissent par ne plus rien nous représenter de précis. On a donc cherché à exprimer les distances stellaires avec d’autres unités plus commodes. On s’est adressé pour cela à la vitesse de la lumière.

On sait que la lumière parcourt environ 300 000 kilomètres en une seconde (distance qui correspond à huit fois le tour de la Terre à l’équateur). Il ne faut guère qu’une seconde à la lumière pour franchir la distance de la Terre à la lune ; il lui faut huit minutes pour franchir la distance de la Terre au soleil. Il lui faut donc environ quatre ans pour nous parvenir de l’étoile la plus rapprochée. On voit par cet exemple la commodité d’exprimer les distances stellaires par le temps qu’il faut à la lumière pour les parcourir. L’année de lumière, c’est-à-dire l’espace parcouru par la lumière en un an, a donc été longtemps adoptée pour exprimer les distances stellaires. Mais cette unité, qui avait quelque chose de plaisant pour l’imagination et de suggestif puisque le temps y prêtait ses ailes à l’espace, avait un inconvénient ; elle n’était pas dans un rapport numérique simple avec les parallaxes, avec les angles par lesquels les astronomes continuent également à exprimer les distances astrales.

Depuis peu, pour ce motif, on emploie en astronomie une nouvelle unité. C’est la distance qui correspond à une parallaxe d’une seconde. On a donné à cette unité astronomique internationale, maintenant généralement adoptée et très commode, le nom de parsec, nom qui cesse de paraître étrange lorsqu’on remarque qu’il est formé des premières syllabes de parallaxe et de seconde, ce qui fait qu’il dit fort bien et pour tout l’univers ce qu’il veut dire, puisque les mots parallaxe et seconde (second, sekunde, secunda, etc.) sont communs aux principales langues civilisées.

Un parsec est égal exactement à 206 265 fois la distance moyenne Terre-Soleil. Un parsec est donc égal, comme on peut le calculer facilement, à un peu plus de trois années de lumière, exactement à 3,256.

L’emploi de la photographie a permis de multiplier les mesures directes de distances d’étoiles au moyen de la triangulation qui prend pour base les positions successives de la terre à six mois d’intervalle. Considérons en effet un objet dont nous voulons mesurer la distance et reprenons l’exemple du clocher de tout à l’heure. Photographions-le de deux positions successives et en nous déplaçant légèrement. Sur les deux clichés il se projettera sur des points différents de l’horizon très éloigné et si nous avons sur cet horizon des points de repère (sommets de colline, etc…) il est clair que la distance du clocher à l’opérateur se déduira immédiatement de la différence des distances qui sur ces clichés séparent les deux images du clocher d’un point de repère donné. Pour prendre un autre exemple familier, il en est de même lorsqu’en chemin de fer on observe par la portière les poteaux télégraphiques ou les arbres : ceux-ci paraissent se déplacer par rapport à l’horizon éloigné qui reste à peu près immobile. Leur déplacement par rapport à lui est d’autant plus grand que les arbres sont plus près du train, et il est clair qu’en mesurant la valeur de déplacement entre deux bornes kilométriques successives franchies par le train, un voyageur curieux pourrait reconnaître assez exactement les distances qui le séparent des objets qu’il voit défiler devant lui. Remplacez l’œil de notre voyageur par une lunette photographique, l’arbre voisin par une étoile dont on veut mesurer la distance, les points de repère immobiles de l’horizon éloigné par les images des étoiles les plus éloignées, c’est-à-dire en général les moins brillantes, ou plus exactement par la position moyenne apparente sur le cliché de toutes les étoiles faibles ; remplacez encore les deux bornes kilométriques successives par les positions de la terre à six mois d’intervalle de part et d’autre du soleil ; remplacez enfin… ou plutôt d’abord, car c’est la condition primordiale, le wagon par notre terre elle-même emportée à 24 kilomètres à la seconde dans sa course ronde autour du soleil, et vous comprendrez comment on mesure maintenant par la photographie les distances de beaucoup d’étoiles.

Par ces méthodes on a mesuré assez exactement les distances des étoiles dont la parallaxe n’est pas inférieure à un vingtième de seconde d’arc, c’est-à-dire dont la distance ne dépasse pas vingt parsecs, c’est-à-dire n’est pas de plus de quatre millions de fois celle qui nous sépare du soleil. Mais la plupart des étoiles sont beaucoup plus loin encore et il a fallu trouver d’autres méthodes pour mesurer leur éloignement.

Tout d’abord on a eu l’idée ingénieuse et féconde d’employer comme base pour la triangulation, non pas le diamètre de l’orbile terrestre qui, avec ses 300 millions de kilomètres, n’est qu’une bien petite chose dans l’espace, mais la distance constamment croissante qui est due au mouvement de tout le système solaire à travers l’espace. Déjà le grand Herschel avait remarqué à propos des petits mouvements propres des étoiles, c’est-à-dire des petits déplacements de leurs positions relatives qu’on observe d’une année à l’autre, que ces mouvements apparents pouvaient être dus en partie à un déplacement du soleil et de son cortège de planètes.

Si vous parcourez l’avenue de l’Opéra le soir, en partant du Théâtre Français, les lampadaires qui illuminent l’avenue et les fenêtres éclairées des maisons paraîtront s’écarter les uns des autres du côté de l’Opéra à mesure que vous vous en rapprochez, et se rapprocher au contraire les uns des autres du côté du Théâtre Français à mesure que vous vous en éloignez. Il en est de même dans le ciel. Or, on a constaté qu’en général les mouvements propres des étoiles sont tels que certaines constellations paraissent s’agrandir, se dilater en quelque sorte d’année en année, tandis qu’au contraire les constellations situées du côté opposé paraissant se contracter et leurs étoiles semblent se rapprocher. On en a déduit avec évidence que le soleil est entraîné dans la direction des premières et s’éloigne des secondes. La direction vers laquelle nous sommes ainsi emportés n’est pas très éloignée de la belle étoile bleue boréale connue sous le nom de Véga. De nombreuses recherches ultérieures ont confirmé ce point. Il a notamment été bien établi au moyen de méthodes empruntées à l’analyse spectrale de la lumière, méthodes dont j’ai déjà eu l’occasion de parler ici, qui utilisent le principe dit de Doppler-Fizeau, et qui ont permis non seulement de définir la direction où est emporté le système solaire, mais de déterminer avec précision la vitesse de ce mouvement, qui est de 19 kilomètres et demi par seconde par rapport à l’ensemble des étoiles. Ce mouvement transporte le système solaire en un siècle à une distance plus de 400 fois supérieure à la distance séparant la terre du soleil. Il nous fournit donc pour la triangulation de l’univers une base qui, au bout de vingt ans, est 40 fois plus grande que la base constituée par le diamètre de l’orbite terrestre.

Si toutes les étoiles étaient stationnaires, les distances de millions d’entre elles pourraient être déterminées ainsi. Mais, en fait, elles ont généralement des déplacements individuels analogues à ceux du soleil, car le ciel tout entier avec ses étoiles « fixes » n’est en réalité qu’une gigantesque fourmilière en continuel mouvement. Il n’en est pas moins vrai que les mouvements individuels des étoiles peuvent être considérés, lorsqu’il s’agit d’un grand nombre d’entre elles, et ainsi que l’ont montré divers savants, comme se faisant en tous sens, s’éliminant par les moyennes, et c’est ainsi que les distances moyennes d’un grand nombre d’étoiles ont pu être déterminées par la méthode qui vient d’être indiquée.

Nous touchons ici à une méthode indirecte de mesure des distances stellaires qui a été également beaucoup employée. Cette mélhode est fondée sur la comparaison photométrique des éclats apparents des diverses étoiles. Si, pour reprendre ma comparaison de tout à l’heure, je n’ai pas d’instrument me permettant de mesurer les distances angulaires apparentes des lampadaires de l’avenue de l’Opéra, je ne pourrai déduire leur éloignement ; mais si j’ai un photomètre, un instrument permettant de mesurer leur éclat apparent, je ne serai pas embarrassé pour avoir la distance de chacun d’eux. Je sais en effet que l’éclat d’une source varie comme le carré de la distance, c’est-à-dire est réduit à un quart quand la distance a doublé, à un centième quand la distance a décuplé. Appliquée aux étoiles cette méthode a fourni également des données précieuses, et concordantes avec celles des méthodes précédentes, sur leurs distances, et plus exactement sur les distances moyennes qui correspondent à leurs divers éclats apparents.

J’en arrive maintenant à des méthodes extrêmement ingénieuses et d’ailleurs remarquablement concordantes, ainsi qu’on verra, avec les précédentes, et qui tout récemment nous ont ouvert des horizons prodigieux sur les distances de certains groupes d’étoiles lesquels par leurs distances énormes paraissaient naguère devoir échapper longtemps encore à notre emprise.

Voici d’abord la curieuse méthode imaginée par l’astronome américain Adams, directeur adjoint du grand Observatoire de Mount-Wilson. On sait, je l’ai déjà expliqué maintes fois ici même, que les spectres des étoiles, ces petites bandes dans lesquelles on résoud leur lumière à travers le spectroscope, sont caractérisés par une série de petites raies sombres ou lumineuses qui définissent et permettent de connaître la constitution chimique de chaque étoile. On sait que la lumière des étoiles, comme celle du soleil lui-même, est émise presque exclusivement par une certaine couche superficielle de l’astre qu’on appelle pour ce motif la photosphère.

Depuis longtemps on avait remarqué que l’intensité relative des raies d’un spectre donné, — du spectre du fer par exemple, — dépend des diverses conditions physiques et notamment de la pression sous laquelle la vapeur de fer est rendue incandescente. Il était donc probable que, puisque les diverses étoiles ont des dimensions et par conséquent des masses souvent différentes et que par conséquent la pression à la surface de la photosphère doit varier d’une étoile à l’autre, on observerait dans les intensités relatives des raies des spectres stellaires des différences qui nous renseigneraient sur les masses et les grosseurs relatives de diverses étoiles du même type spectral.

C’est précisément ce qu’a vérifié Adams. En comparant des étoiles de distances inégales et d’ailleurs connues, et dont on connaissait aussi les éclats réels, il a constaté dans les intensités relatives des diverses raies de leurs spectres, correspondant à un métal donné, des différences. Or, en appliquant le même procédé à toute une série d’étoiles dont la distance et partant les éclats réels étaient connus, il a constaté qu’il y avait toujours les mêmes rapports numériques entre les intensités relatives des raies spectrales et les éclats réels des étoiles. De l’intensité relative des raies Adams s’est proposé de déduire les éclats réels relatifs ; il a trouvé ainsi par exemple que pour une étoile donnée de même éclat apparent qu’une autre dont la distance était connue, l’éclat réel était neuf fois plus grand que celui de celle-ci. Par conséquent, elle devait être trois fois plus loin de nous. Or tel était bien le cas. Les résultats ainsi obtenus se sont trouvés remarquablement concordants avec ceux qu’on connaissait déjà par la mesure des parallaxes pour un grand nombre d’étoiles ainsi étudiées. Il est donc légitime de généraliser la méthode.

Il y a là un procédé d’un immense avenir qui permet, par une simple étude spectroscopique de la lumière, de connaître les distances des étoiles les plus éloignées. Les limites de la méthode sont pratiquement presque infinies puisqu’elle est applicable chaque fois que la lumière de l’étoile est assez intense pour être analysée au spectroscope.

Il existe dans le ciel un certain nombre, — d’ailleurs sans cesse accru par l’étude photographique de l’univers stellaire, — un très grand nombre d’étoiles dites variables, parce que leur éclat apparent n’est pas constant comme celui des étoiles d’éclat fixe qui constituent la majorité des constellations visibles à l’œil nu : la plus célèbre de ces étoiles est bêta de la constellation de la lyre, ou pour lui laisser son vieux nom arabe : Algol.

Tous les deux jours à peu près, — et ce phénomène est visible à l’œil nu, — l’éclat de cette étoile diminue assez brusquement de près de moitié, puis reprend sa valeur normale. Ce phénomène est dû au passage d’un satellite, d’une autre étoile moins brillante qui tourne autour d’Algol et qui vient périodiquement et partiellement l’éclipser en s’interposant entre elle et nous. Or en appliquant la loi de Képler à la gravitation de ces deux étoiles l’une autour de l’autre et en utilisant les données que fournit le photomètre sur la durée, la vitesse et l’amplitude de la variation lumineuse, données caractérisant ce qu’on appelle la « courbe de lumière, » on peut en déduire des précisions sur la masse de l’étoile, son éclat réel et partant sa distance. On a pu ainsi obtenir les distances d’un grand nombre d’étoiles binaires à éclipse analogues à Algol. Ce qui montre qu’on peut attacher une réelle valeur à ces déterminations, c’est que pour les étoiles de ce type (et il y en a un certain nombre) dont les distances ont pu être mesurées à la fois par ce procédé et par la détermination directe des parallaxes, les résultats obtenus montrent un accord excellent. Parmi les étoiles binaires du type Algol ainsi étudiées notamment par Russell et Shapley, un bon nombre sont à plus de 300 parsecs (mille années de lumière) de nous et quelques-unes sont à plus de 1 500 parsecs.

C’est-à-dire que la lumière qui nous arrive en ce moment de ces étoiles en est partie il y a plus de 5 000 ans. Lorsque nous les voyons diminuer d’éclat dans nos télescopes, nous assistons donc à une éclipse, à un phénomène qui s’est produit plus de 3 000 ans avant l’ère chrétienne.

La distance fait ce miracle de changer pour nous le lointain passé en lumineux présent et de nous rendre vivantes des choses mortes et périmées depuis longtemps.

Il est enfin une autre espèce d’étoiles variables dont l’étude nous a fait pénétrer bien plus loin encore que les précédentes dans les profondeurs naguère inaccessibles de l’immensité stellaire. Ce sont les céphéides, ainsi génériquement appelées à cause de la plus connue des étoiles de ce type qui est l’étoile delta de la constellation de Céphée. Tandis qu’Algol, ainsi que nous venons de le voir, a un état constant qui ne varie que pendant quelques heures pour revenir bien vite à la luminosité fixe qu’elle gardera de nouveau pendant plus de deux jours, au contraire, la variation (d’ailleurs observable à l’œil nu) de Delta de Céphée est absolument continue. Cette étoile augmente d’éclat pendant un certain nombre d’heures, puis, arrivée à un certain éclat maximum, se met à s’éteindre progressivement, mais plus lentement, jusqu’à un minimum, au delà duque et aussitôt sa lumière croît de nouveau suivant le même cycle qu’auparavant et cela indéfiniment. Il y a dans ce rythme particulier des céphéides quelque chose d’assez analogue à celui de la marée qui dans nos océans monte et descend sans cesse suivant une norme semblable.

Ces étoiles variables céphéides ont pris depuis peu une importance capitale dans l’astronomie stellaire. On a trouvé un moyen simple et direct, — beaucoup moins compliqué que dans le cas des variables du type Algol, — de connaître l’éclat réel et partant la distance de ces étoiles.

Naguère, une astronome américaine, miss Leavit, de l’observatoire de Harvard, en étudiant un assez grand nombre d’étoiles variables céphéides qui se trouvait dans un petit amas d’étoiles appelé la Nuée de Magellan, a remarqué que la longueur de leur période de variation, c’est-à-dire la durée qui sépare deux maxima ou deux minima successifs de ces étoiles, dépend étroitement de leur éclat relatif. Toutes les étoiles de la petite nuée de Magellan sont manifestement liées physiquement, par conséquent sont à peu près à la même distance de nous. Or il se trouve que parmi les Céphéides de ces amas les plus brillantes, c’est-à-dire les plus grosses, ont une durée de variation plus grande que les plus petites. Cette durée varie pour les Céphéides de cet amas entre 1 jour et 127 jours, et miss Leavit a montré qu’il existe une relation numérique simple entre la grosseur réelle ou plutôt l’éclat réel d’une Céphéide et sa période de variation. Cette loi qui est en accord avec certaines conclusions de la dynamique stellaire sur lesquelles ce n’est pas le lieu d’insister, — a été vérifiée sur d’autres amas d’étoiles contenant des Céphéides et aussi sur plusieurs Céphéides brillantes relativement voisines de nous et dont on connaissait les distances par la mesure directe des parallaxes. La loi s’est toujours trouvée rigoureusement exacte.

C’est ainsi qu’on sait que l’éclat réel d’une Céphéide dont la période de variation dure un jour est cent fois plus grand que celui du soleil, et que son éclat est 1 500 fois plus grand que celui du soleil, quand la période atteint 10 jours, etc.

Cette méthode a permis de connaître les éclats réels et partant les distances d’un très grand nombre d’étoiles, et de jeter un nouveau et vaste coup de sonde dans les profondeurs inexplorées du ciel.

Il me reste à exposer les résultats surprenants de tous ces vastes sondages de l’univers. Dès maintenant et pour laisser à l’imagination le solide étai d’un chiffre, je me bornerai à dire que la distance de la nuée de Magellan dont il vient d’être question a été trouvée égale à 1 000 parsecs environ, c’est-à-dire qu’il faut plus de 30 000 ans, — 300 siècles, — à la lumière, pour nous venir de cet amas d’étoiles qui est pourtant, comme nous verrons, presque notre voisin dans l’immensité astrale. Tout est relatif.

À la distance qui est celle de ce petit amas d’étoiles, — je veux dire, en employant cet adjectif, qu’il est petit pour nos sens, même aidés des plus puissants instruments, — une étoile qui aurait l’éclat réel de notre soleil serait une étoile de vingtième grandeur seulement et n’apparaîtrait pas sur les clichés photographiques pris avec les plus puissantes lunettes et qui nous montrent les étoiles de cet amas, lesquelles sont notablement plus brillantes. Je rappelle à ce propos que ce qu’on appelle la grandeur d’une étoile est une mesure conventionnelle de son éclat apparent exprimé par un nombre d’autant plus grand que cet éclat est plus petit. Ainsi une étoile de dixième grandeur est moins brillante qu’une étoile de neuvième, etc.

Le rapport des éclats de leurs grandeurs stellaires successives est d’environ deux et demie. Cela veut dire qu’une étoile de dixième grandeur est environ deux fois et demie plus brillante qu’une étoile de onzième grandeur, etc.

Toutes les étoiles de l’amas considéré, visibles sur les clichés sont donc beaucoup plus lumineuses que le soleil. Les moins brillantes d’entre elles le sont cent fois plus que lui et certaines sont des étoiles géantes dont chacune équivaut à plus de mille fois notre soleil par la lumière qu’elles émettent.

À côté de ces lampadaires éblouissants qui éclairent là-bas, tout au fond de l’espace, les solitudes glacées de l’infini, notre soleil n’est plus qu’un pâle et médiocre lumignon. Mais il ne faut point trop le dédaigner pourtant, puisque c’est à lui qu’est suspendue la vie terrestre et la plus noble de ses manifestations : la pensée.

Charles Nordmann.
  1. NOTE DE L’AUTEUR parue dans : Revue scientifique - Amas stellaires et nébuleuses : (même tome, p. 929)
    Les lecteurs de la Revue auront rectifié d’eux-mêmes, par le contexte, deux coquilles typographiques qui se sont glissées dans ma dernière chronique : 1o ce qu’on appelle la parallaxe d’une étoile, ou plus exactement sa parallaxe annuelle, c’est par convention l’angle sous lequel est vu de cette étoile non pas le diamètre, mais le demi-diamètre de l’orbite terrestre ; 2o puisque la distance de la nuée de Magellan équivaut à 30 000 années de lumière environ, cette distance est voisine de 10 000 parsecs et non pas de 1 000 parsecs comme il a été imprimé par omission typographique d’un zéro.