Revue scientifique - L’ultra-violet et la vie

REVUE SCIENTIFIQUE

L’ULTRA-VIOLET ET LA VIE

Les effets biologiques récemment découverts des rayons ultra-violets sont à tous égards remarquables. Il nous ont ouvert sur le mécanisme de la vie des perspectives nouvelles. Mais ils ne sont pas seulement importans au point de vue purement scientifique et pour cette petite élite qui, dans les laboratoires, et sans souci des conséquences, travaille fiévreusement pour savoir. Ils ont franchi bien vite les fenêtres trop haut perchées des savantes tours d’ivoire. De là, ils se sont répandus, comme une volée d’oiseaux bienfaisans dans la libre atmosphère que tout le monde respire : les applications biologiques des rayons ultra-violets ne peuvent être indifférentes à personne, parce qu’elles nous ont sur plusieurs points fourni des armes nouvelles contre la maladie, et parce qu’elles sont, pour l’hygiène générale, d’une grande importance.

Nous examinerons aujourd’hui, rapidement, quelques-unes des actions de l’ultra-violet sur les animaux : sur les microbes d’abord, puis sur les êtres supérieurs et sur l’homme, et particulièrement sur sa vision ; en outre, les applications qu’on en a faites à la thérapeutique et à la stérilisation des eaux. Enfin les effets biochimiques de ce rayonnement nous montreront comment des lumières toutes nouvelles ont été apportées, grâce à lui, dans l’étude des transformations d’énergie que réalise le monde végétal, et en parti cuUer dans la fonction la plus importante peut-être pour la conservation de la vie terrestre : l’assimilation chlorophyllienne.


L’ULTRA-VIOLET ET LES MICROBES

Les rayons ultra-violets exercent une action violemment destructive sur les cellules animales et végétales ; les êtres monocellulaires, microbes et bactéries sont rapidement tués par eux. Cette action abiotique de l’ultra-violet, comme l’a très heureusement appelée M. Dastre, n’a guère été mise en évidence qu’à la fin du siècle passé. Pourtant, dès 1877, Downes et Blunt, étudiant l’action de la lumière solaire sur les bactéries, avaient remarqué qu’en exposant au soleil des cultures microbiennes dans des tubes en verre rouge, jaune, bleu et blanc, les cultures témoins tenues dans l’obscurité se développaient plus vite que celles des tubes rouges et jaunes, tandis que les cultures contenues dans les tubes bleus et blancs ne se développaient pas du tout. Cela déjà montrait que les rayons solaires les plus abiotiques sont les rayons des plus petites longueurs d’onde.

Puis Duclaux, Arloin, d’Arsonval, Roux développaient et complétaient de diverses manières ce résultat, et nous arrivons enfin aux expériences de l’Anglais Marshall Ward qui le premier étudie complètement l’action microbicide des rayons ultra-violets eux-mêmes. Il montre notamment que la lumière de l’arc électrique au charbon est plus active que celle du soleil lorsqu’il n’y a pas de verre interposé entre l’arc et les microbes. Les rayons les plus actifs sont donc très absorbables parle verre et se trouvent bien au delà du spectre visible.

Dès lors deux explications théoriques étaient en présence : pour les uns l’atmosphère au voisinage des microbes jouait un rôle essentiel, et l’ultra-violet devait agir en ozonisant l’oxygène ambiant (on sait que l’ozone est un stérilisant énergique). Pour d’autres au contraire, il agissait directement et chimiquement sur les cellules microbiennes elles-mêmes, et certaines expériences tendaient en effet à prouver que l’action n’est pas moins intense en l’absence d’oxygène. Nous verrons tout à l’heure comment les expériences récentes de M. Victor Henri viennent de fournir un critérium définitif entre ces diverses théories des effets abiotiques de l’ultra-violet.

Enfin aux environs de 1900, et jusque vers 1905, les travaux les plus remarquables sur ce sujet ont été faits à Copenhague par Finsen et ses élèves. Ceux-ci sont à peu près exclusivement connus en France pour leurs recherches photothérapeutiques. Comme il arrive souvent, les découvertes de Finsen sur le lupus ont fait passer dans l’ombre les remarquables expériences de laboratoire qu’il a entreprises sur des sujets un peu difîérens. Le grand public, et parfois aussi le public savant, ont sur les penseurs des idées souvent tyranniques. Ils n’admettent pas qu’on soit l’homme de deux idées ; ils vous rivent dans un sillon unique dont il est interdit de sortir sous peine de perdre leur faveur. Ils n’imaginent pas lorsqu’un créateur a fait une chose très belle qu’il en puisse produire d’autres disparates, de même que le soleil resplendissant de midi leur fait oublier les étoiles qui, par myriades, brillent autour de lui. Et pourtant les étoiles sont aussi des soleils ; s’ils ne les voient pas en même temps, c’est seulement parce que leur œil est imparfait. Cet état d’esprit est cause sans doute que ces travaux de l’école de Finsen sur l’ultra-violet sont peu connus en France, et que dans une bibliographie récente du sujet que cite M. V. Henri[1] aucun des 32 mémoires publiés par cette école sur les actions ultra-violettes ne soit même cité. On nous permettra donc d’indiquer d’un mot quelques-uns des résultats obtenus à Copenhague. D’une part, ils ont établi que lorsque la lumière de l’arc électrique au charbon est condensée par une lentille de quartz au lieu d’une lentille de verre, l’action microbicide est plus de 1000 fois plus rapide (à une certaine distance, le prodigiosus est tué, dans le premier cas en 2 secondes, dans le second en 35 minutes). On a montré d’autre part que l’arc électrique éclatant entre métaux, et notamment l’arc au fer a une action cinquante fois plus énergique que l’arc au charbon. On a aussi comparé à l’institut Finsen l’action des rayons ultra-violets sur divers microorganismes et constaté ceci : les cultures des microbes jeunes sont bien plus sensibles que les cultures âgées ; les levures et champignons sont bien moins sensibles aux rayons ultra-violets que les microbes ; enfin ni la taille ni la pigmentation des infusoires ne se trouve en rapport avec leur résistance à ces rayons ; il semble que ces inégalités de sensibilité doivent être attribuées à des différences dans la composition chimique du protoplasma cellulaire. Enfin M. Bang a, dans un travail très complet, comparé la vivacité de l’action des rayons de diverses longueurs d’onde de la lumière de l’arc au charbon ; si on veut bien se souvenir que l’énergie de ces divers rayons décroît régulièrement du rouge vers l’ultra-violet, on trouvera d’autant plus frappans les résultats suivans de Bang :

Rouge………………… Aucune action après… 7 680 secondes.
Jaune………………… Aucune ac 7 680 sec
Vert…………………… Aucune ac 7 680 sec

Bleu………………… Durée mortelle après… 7 680 secondes.
Violet………………… Durée mor 960 secdes
Ultra-violet 360 à 340 μ Durée mor 480 sec
300 à 280 μ Durée mor 120 sec
260 à 240 μ Durée mor 2 sec
220 à 210 μ Durée mor 30 sec
210 à 200 μ Durée mor 120 sec


Il n’y a donc aucun rapport entre l’énergie correspondant aux rayons ultra-violets et leur action bactéricide. On aurait pu croire, d’après les résultats résumés dans le tableau précédent, et on a cru longtemps qu’il existait une longueur d’onde pour laquelle l’action abiotique de l’ultra-violet passe par un maximum. Mais Mme Victor Henri a montré récemment qu’il n’en est rien, que seul le faible rendement de l’arc dans l’ultra-violet extrême est cause de ce maximum apparent, et qu’en réalité le pouvoir abiotique des rayons ultra-violets augmente, aussi loin qu’on peut l’étudier à mesure que la longueur d’onde diminue. Nous avons vu dans notre dernière chronique qu’il en est de même de leur pouvoir d’être absorbés par les corps. De fait, ces rayons ne pénètrent que très peu dans le protoplasma par lequel ils sont complètement arrêtés sous une épaisseur très minime, à l’encontre de ce qui se passe pour les rayons du radium et les rayons X. Ceci est sans doute la cause qui limite aux organismes microscopiques l’action abiotique de l’ultra-violet.

La construction de la lampe à vapeur de mercure a permis de perfectionner beaucoup ces recherches, à cause de sa richesse en rayons très réfrangibles. Tout récemment les physiologistes de l’école de Munich ont montré que la sensibilité à l’ultra-violet des microorganismes et même des êtres pluricellulaires augmente beaucoup lorsqu’on leur ajoute, même en quantité extrêmement faible, certaines substances fluorescentes. C’est ainsi que lorsqu’on fait une injection sous-cutanée, par ailleurs inoffensive, de 2 milligrammes d’hématoporphyrins à des souris blanches et qu’on les expose ensuite à la lumière de l’arc, elles meurent rapidement tandis qu’à l’obscurité elles ne présentent aucun trouble. On n’est pas d’accord sur la cause de ce curieux phénomène. Mais il n’est peut-être pas inutile de remarquer que les substances fluorescentes absorbent énormément l’ultra-violet (nous y reviendrons à propos des effets de celui-ci sur l’œil) et que l’énergie abiotique de ce rayonnement paraît liée à sa faculté d’être absorbé.

Ce rapide examen serait incomplet si nous passions sous silence les beaux et tout récens travaux exécutés par M. Victor Henri au laboratoire de physiologie de la Sorbonne. Le résultat le plus important obtenu par M. Victor Henri est la démonstration faite récemment par lui, à l’aide de méthodes microchimiques ingénieusement variées, que les rayons ultra-violets agissent non par l’intermédiaire da milieu ambiant, mais directement sur le microbe lui-même, en y produisant une coagulation du protoplasma et des réactions chimiques modifiant l’affinité des microorganismes pour les couleurs. Ainsi se trouve résolue la controverse qui s’était élevée, comme nous l’avons vu, entre les divers théoriciens de l’action abiotique de ces rayons.


LA STÉRILISATION DES EAUX PAR L’ULTRA-VIOLET

Comme il fallait le prévoir, l’action mortelle de l’ultra-violet sur le microorganisme prend une place de plus en plus importante dans l’arsenal des moyens qui servent à défendre la vie humaine contre ses plus dangereux ennemis : les microbes pathogènes. Déjà nous profitions depuis longtemps de l’action assainissante de ces rayons grâce à la lumière solaire, et l’exposé précédent nous aide à comprendre pourquoi les logemens où cette lumière ne pénètre jamais sont les moins hygiéniques, pourquoi les villes industrielles où les fumées obscurcissent le ciel et absorbent fortement les rayons solaires les plus réfrangibles sont en général moins saines que les autres, pourquoi enfin les pays brumeux du Septentrion sont souvent moins favorables à la santé que les régions ensoleillées du Midi. Après tout, la propreté tant vantée des pays du Nord, si souvent mise en balance avec la négligence et, disons le mot, la saleté qui règne parfois dans ceux du Midi est peut-être un résultat naturel de l’adaptation : ceux-ci ont moins souci de l’hygiène parce qu’elle leur est moins nécessaire, et que les rayons solaires y sont autant de balais aux fibres dorées nettoyant l’air de ses microbes. C’est sans doute ce qui autorise les services de balayage municipaux de tant de villes méridionales à se faire des loisirs ; mais il en est qui exagèrent vraiment leur confiance dans le soleil.

La stérilisation des eaux potables, si importante pour la santé publique, a fait grâce à l’ultra-violet des progrès importans. On a beaucoup discuté depuis quelque temps sur les questions de priorité relatives à cette application. En définitive, il semble bien que les expériences faites en 1892 par M. Mashall Ward sur les eaux de la Tamise, et dont nous avons déjà parlé, ont constitué le premier pas décisif dans cette voie. Trois ans après, un ingénieur français, M. Charles Lambert, à l’occasion d’un concours ouvert par la Ville de Paris, préconisait, dans un remarquable mémoire adressé au Service des Eaux, l’action de la lumière ultra-violette pour l’épuration des eaux de rivière. Naturellement, le mémoire fut mis au panier : il ne convient pas d’être trop en avance sur son temps. Mais c’est seulement ces toutes dernières années, depuis l’invention de la lampe à vapeur de mercure, que la question est réellement entrée dans la pratique. Parmi les travaux les plus importans à ce sujet, il faut citer surtout ceux de de Mare, ceux très remarquables de Courmont et Nogier, qui ont les premiers réalisé la stérilisation ultra-violette de grandes quantités d’eau ; ceux de Victor Henri et Stodel, etc.

Parmi les procédés antérieurement les plus répandus pour assurer l’épuration des eaux, le filtrage est un des plus économiques, et c’est lui qu’emploie encore à peu près exclusivement la Ville de Paris. Mais il n’assure qu’une stérilisation très incomplète. On a essayé aussi dans certains cas d’urgence, — et notamment durant l’été de 1911, — des purifications chimiques, mais elles laissent dans l’eau des produits qui ne sont pas sans inconvéniens, et les Parisiens n’ont sans doute pas oublié le goût prononcé d’eau de Javel qu’eut il y a deux ans l’eau soi-disant potable qui coulait de leurs robinets. En fait, il n’existe guère à l’heure actuelle que deux procédés stérilisant les eaux dans des conditions pratiques et sans altération : le procédé par l’ozone produit électrochimiquement et le procédé par l’ultra-violet. Du premier qui sort du cadre de cette chronique nous dirons seulement qu’il a fourni des résultats très favorables qui lui permettent, sans qu’on sache lequel l’emportera, d’entrer en balance avec le second. Il se peut d’ailleurs que l’un et l’autre aient un avenir également brillant, et que les progrès de l’un entraînent les progrès parallèles du second, comme il est arrivé dans la lutte pour l’éclairage entre le gaz et l’électricité.

La lampe à vapeur de mercure stérilise à peu près instantanément l’eau sous une épaisseur de 30 à 50 centimètres. Dans ces conditions, des eaux qui contiennent jusqu’à 1 million de colibacilles par centimètre n’en contiennent plus un seul après une minute d’exposition. Certains microbes qui sont susceptibles de résister à l’ébulHtion de l’eau contenue pendant plusieurs heures, comme le Bacillus mesentericus, sont tués presque instantanément. Cela suffirait à prouver que la chaleur des rayons ultra-violets n’est pour rien dans leur action. On peut d’ailleurs calculer que l’énergie de ces rayons lorsqu’ils stérilisent l’eau serait à peine capable d’élever sa température d’un cent-millième de degré (Victor Henri). L’ultra-violet ne modifie aucunement par ailleurs la composition chimique de l’eau, son odeur ou sa saveur. Enfin l’expérience a montré que la stérilisation par l’ultra-violet n’est efficace que lorsque les eaux sont limpides et ne contiennent pas de matières étrangères opaques en suspension. Il faut donc l’accompagner d’une préfiltration. Des essais ont été faits en grand à Marseille en 1910 et tout récemment aux usines d’Ivry à Paris. Bien qu’ils laissent encore en suspens certaines questions concernant la durée des lampes, la nécessité de les Immerger ou non dans l’eau, l’utilité de contrôler souvent leur rendement, il n’est pas douteux qu’elles permettent d’entrevoir le plus utile avenir pour la stérilisation des eaux potables par l’ultra-violet.

Dès maintenant la stérilisation des eaux est faite par ce procédé à Lunéville, à Saint-Malo, à Gênes notamment. On a même créé des appareils mobiles pour la guerre dont l’un a fait la campagne du Maroc pendant neuf mois, dont un autre a suivi récemment, et avec de bons résultats, les manœuvres de l’armée austro-hongroise.

On a voulu appliquer à d’autres liquides que l’eau ce procédé de stériUsation, mais on a constaté que la plupart d’entre eux (vin, bière, cidre, etc.) sont, à cause des colloïdes qu’ils tiennent en suspension, peu transparens à l’ultra-violet, ce qui exige qu’on ne les fasse couler sur la lampe qu’en couches très minces et rend l’opération peu économique. En revanche, diverses applications secondaires ont été réalisées avec succès : beaucoup de brasseurs stérilisent leurs fûts vides en y promenant quelques instans une lampe à vapeur de mercure. Des compagnies d’eaux minérales stérilisent de cette façon l’eau ordinaire qui leur sert à laver leurs bouteilles. Des sociétés agricoles stérilisent de même l’eau de lavage des beurres, ce qui améliore notablement la conservation de ceux-ci.


LA THÉRAPEUTIQUE ET LA PHYSIOLOGIE DE L’ULTRA-VIOLET

Toute la série animale s’étage entre les infiniment petits et l’homme, ce qui ne veut point dire, hélas ! que celui-ci soit un infiniment grand. On n’a guère recherché jusqu’ici qu’aux deux extrémités de cette échelle les effets de l’ultra-violet, et leur étude pour les diverses espèces intermédiaires est encore une page à peu près blanche de la physiologie.

Signalons cependant que divers animaux (fourmis, daphnies, insectes, vers) présentent, comme Lubbock, Forel, Loeb et d’autres l’ont montré, un phototropisme négatif vis-à-vis des rayons ultraviolets, c’est-à-dire qu’ils voient ces rayons auxquels la rétine humaine est complètement aveugle, et qu’ils fuient les endroits éclairés par eux. M. et Mme Victor Henri ont en outre découvert récemment que, sous l’action de ces rayons certaines espèces de petite taille, et notamment ces petites crevettes d’eau douce qu’on appelle les cxjclops et qui n’ont qu’un ou deux millimètres de longueur, présentent des réactions très nettes et aussi constantes que celles d’un appareil de physique parfaitement gradué. En étudiant le mécanisme de cette excitation ultra-violette chez ces animaux, M. Victor Henri et M. Larguier des Bancels ont obtenu des résultats qui nous ouvrent des horizons remarquables sur le mécanisme de la mémoire et de plusieurs autres facultés psychiques, et apportent un argument nouveau aux idées de Loeb, dont nous avons parlé récemment et qui assimilent les plus hautes facultés de l’âme au phototropisme. Nous y reviendrons quelque jour.

En ce qui concerne l’homme, l’ultra-violet a des effets physiologiques variés dont les plus redoutables sont sans conteste ceux qu’il produit sur l’œil. On a cité des expérimentateurs qui, pour avoir regardé quelques instans, sans précautions, des lampes à vapeur de mercure, avaient perdu la vue. Chose remarquable, cette action nocive de l’ultra-violet, comme d’ailleurs en général les effets abiotiques de ce rayonnement, ne se produit d’une manière marquée que pour les rayons de longueur d’onde inférieure à 0, 29 μ, c’est-à-dire à partir de la limite de l’ultra-violet solaire, tel qu’il nous parvient après la traversée de l’atmosphère. Leibnitz n’eût pas manqué de voir là une harmonie préétabUe. Nous dirons plus simplement que c’est sans doute un effet naturel de l’adaptation progressive des êtres à la lumière du jour. Malbeureusement, cette adaptation n’existe pas encore pour les sources artificielles de lumière, bien plus riches en ultra-violet, et c’est ainsi que se produisent des accidens variés qu’un éminent ophtalmologiste français, M. le professeur Terrien, a étudiés et discutés avec beaucoup de finesse. La série des troubles causés par beaucoup de lampes électriques employées sans précaution, comme aussi dans certains cas, lorsqu’une étincelle électrique éclate inopinément près des yeux, dans le cas de court-circuit par exemple, cette « ophtalmie électrique, » comme on l’a appelée, produit des effets complexes : des réactions inflammatoires avec rougeur et gonflement des paupières, et de la conjonctivite très tenace, des troubles fonctionnels (éblouissemens, diminution de l’acuité et du champ visuel), des troubles nerveux variés dont les plus fréquens sont les névralgies.

Le cristallin de l’œil garantit contre les effets nocifs des rayons ultra-violets la rétine qui, en son absence, est attaquée par eux comme on l’a montré par des expériences sur les lapins. Le cristallin, en même temps qu’il absorbe ces rayons devient très vivement fluorescent sous leur action ; et on a actuellement de nombreuses raisons de croire que ce phénomène produit à la longue des modifications cellulaires de cette lentille visuelle, et diminue sa transparence. M. Terrien a cité divers cas de cataracte (on sait que celle-ci est une opacification du cristallin) produits par l’ultra-violet, et on a une tendance à croire actuellement que la cataracte sénile pourrait être due à une accumulation d’effets de ce genre. Il faudrait, pour en être tout à fait sûr, examiner si les statistiques indiquent une fréquence plus grande de la cataracte depuis l’emploi des lampes riches en rayons ultra-violets.

Il est évident en tout cas que la meilleure lumière artificielle au point de vue de l’hygiène de l’œil est la moins riche en ultra— violet. Par contre, c’est aussi la moins éclairante, puisque, comme nous l’avons vu, l’éclat des sources lumineuses est en général proportionnel à leur température et augmente en même temps que leur richesse en rayons très réfrangibles. Il faut donc se garantir le mieux possible contre les effets nocifs de nos lampes modernes qui toutes, — surtout les lampes à arc, — sont riches en ultra-violet. On a essayé dans ce dessein protéger les yeux par des verres de diverses couleurs ou fumés, mais c’est insuffisant ; on a construit aussi des verres spéciaux qui absorbent fortement l’ultra-violet, et notamment des verres contenant des substances fluorescentes comme l’esculine. On en obtient de très bons résultats.

L’ultra-violet agit très fortement sur la peau et produit des sortes de brûlures, qu’on a appelées « coups de soleil électriques. » Il n’est pas douteux que les coups de soleil si fréquens en montagne sont dus à la richesse plus grande en petites longueurs d’onde du rayonnement solaire aux altitudes notables. Comme la transparence à l’ultraviolet de notre atmosphère varie beaucoup d’un jour à l’autre, on s’explique aussi que l’on puisse recevoir des coups de soleil au niveau de la mer, certains jours qui en apparence ne diffèrent pas des autres. Enfin la neige et la glace ont un pouvoir réflecteur presque parfait pour l’ultra-violet de la lumière du jour, et cela nous aide à comprendre pourquoi les longues stations dans les champs de neige ou les glaciers produisent des brûlures du visage. La peau attaquée par l’ultra-violet se défend d’abord par une congestion des capillaires cutanés produisant une desquamation, puis par la formation de pigmens. C’est donc l’ultra-violet qui produit le teint bronzé des individus longtemps exposés au soleil ; c’est lui qui, dans le cours des siècles, a noirci la face camuse des descendans de Cham.

Il paraît bien prouvé aujourd’hui que l’action bienfaisante de l’héliothérapie dans un grand nombre d’affections cutanées est due aux rayons les plus réfrangibles de la lumière solaire. Cette action est, comme nous l’avons vu, uniquement superficielle. Si cependant l’héliothérapie a souvent im retentissement heureux sur diverses maladies générales, c’est évidemment par une action indirecte, et parce que, il convient de ne pas l’oublier, le fonctionnement du système nerveux tout entier est lié à celui de la peau.

Dans le domaine de la dermatologie, les succès de l’ultra-violet ne se comptent plus. La gloire en revient presque exclusivement au Danois Finsen, dont la mort prématurée ne peut empêcher l’œuvre d’être impérissable. Finsen opéra d’abord avec la lumière solaire dont il filtrait, par des procédés ingénieux, les rayons extrêmes, puis avec des arcs électriques au charbon et au fer. Aujourd’hui, on opère de préférence avec les lampes à vapeur de mercure sous la forme commode que leur a donnée le dermatologiste Kromayer. Un grand nombre d’affections de la peau ou des muqueuses, d’origines variées et surtout tuberculeuse, et dont la nomenclature complète sortirait des limites de cette étude, sont aujourd’hui guéries ou très améliorées par ces méthodes. En particulier, dans le lupus vulgaire, cette maladie cutanée d’origine tuberculeuse, et dont aucun traitement ne venait vraiment à bout antérieurement, Finsen a pu fournir des statistiques de plusieurs centaines de cas avec un pourcentage de 97 pour 100 de guérisons. Les naevus, les épithéliomas et tumeurs superficielles, l’acné, l’herpès, la pelade, ont fourni des résultats analogues.

Si l’action thérapeutique uniquement superficielle des rayons ultra— violets semble encore limiter un peu leur emploi, il n’est pas douteux qu’un jour prochain le perfectionnement des appareils et la réduction de leurs dimensions permettront d’aller, jusque dans les cavités les plus cachées du corps humain, frapper à mort les microbes pathogènes sous le choc de ces rayons sauveurs.


l’ultra-violet et les transformations du monde végétal

Les rayons ultra-violets ont contribué à fournir récemment l’explication d’une des énigmes les plus passionnantes de cette planète sublunaire, d’une de celles qui intéressent le plus l’humanité, parce que le problème de la vie terrestre tout entier est suspendu à sa solution comme la vie d’Œdipe fut suspendue jadis aux lèvres du sphinx. Je veux parler de l’assimilation chlorophyllienne des végétaux. On sait que le carbone, le charbon, est l’élément fondamental de la substance vivante. C’est lui qui constitue en majeure partie les organismes. C’est lui que la respiration des animaux combine dans leurs poumons à l’oxygène de l’air pour le rejeter dans l’atmosphère sous forme d’acide carbonique. On sait tout cela depuis Lavoisier. On sait aussi que la respiration des plantes vertes est différente : sous l’action de la lumière solaire elles puisent au contraire dans l’air l’acide carbonique exhalé par les animaux ou par les combustions naturelles et industrielles, en assimilent le carbone qui se transforme dans leur sein en hydrates de carbone ou sucres et leur permet de croître, et rejette dans l’air l’oxygène qu’elles ont arraché au gaz carbonique. Les plantes servent ainsi à maintenir constante la teneur en oxygène et acide carbonique de l’air, et à équilibrer et compenser les effets de la respiration animale et des autres combustions. Mais ce n’est pas tout : le carbone nécessaire aux animaux, ceux-ci ne le peuvent assimiler qu’en se nourrissant de végétaux. Ces derniers sont donc l’intermédiaire, le courtier indispensable qui permet aux animaux d’assimiler le carbone minéral, la houille, qui est elle-même l’énergie du soleil emmagasinée par les végétaux durant la période carbonifère.

Seules les plantes pourvues de cette matière colorante verte qu’on appelle la chlorophylle sont aptes à remplir cette fonction et on croyait jusqu’à ces dernières années que celle-ci était une fonction nettement vitale et irréductible aux actions chimiques ordinaires.

Il n’en était rien. En 1893, M. Bach a exécuté au Collège de France une expérience fondamentale. Il a montré que la lumière solaire, agissant sur l’acide carbonique et l’eau en présence de sels d’urane, combine ces corps en formant de l’aldéhyde formique, à partir duquel on peut faire facilement la synthèse des sucres et des matières fondamentales des végétaux. Ainsi se trouvait réahsé pour la première fois artificiellement le phénomène essentiel de l’assimilation chlorophylhenne.

On a établi depuis peu que, dans cette expérience, les sels d’urane agissent coname catalyseurs (nous avons expliqué ce terme), que la chlorophylle est elle-même un catalyseur, et que son action à ce point de vue est hée à son état colloïdal. Récemment MM. Daniel Berthelot et Gaudechon ont fait faire un pas nouveau et fondamental à la question en montrant que cette synthèse de l’aldéhyde formique, à partir du gaz carbonique, peut se faire en l’absence même de tous catalyseurs, lorsque, au lieu de lumière solaire, on emploie les rayons ultra-violets. Ceux-ci permettent donc de faire directement ce que fait la lumière solaire dans les plantes, et sans les accessoires (chlorophylle) dont elle a besoin pour son œuvre. Enfin on a montré tout récemment qu’en faisant agir l’ultra-violet sur l’aldéhyde formique en liqueur alcaline. celui-ci se transforme directement en sucre. Cet ensemble de recherches mémorables constitue sans doute une des conquêtes les plus belles de la science contemporaine : non seulement elles résolvent le problème naguère si mystérieux de l’assimilation chlorophyllienne, mais elles nous donnent de ce problème une solution plus élégante et plus simple que celle-là même qu’avait réalisée la nature.

Enfin nous devons à MM. Victor Henri et Bierry de savoir que les rayons ultra-violets sont encore, dans un ordre d’idées voisin, des agens biologiques puissans : entre leurs mains ces rayons ont réalisé des réactions chimiques que l’on croyait, depuis Pasteur et encore récemment, l’apanage exclusif des êtres vivans, des microorganismes : nous voulons parler des fermentations.

À propos de ces recherches récentes, on peut se proposer de calculer la quantité d’énergie solaire emmagasinée par les plantes grâce à l’assimilation chlorophyllienne. On sait que l’énergie reçue du soleil par la Terre est énorme : en la supposant concentrée toute sur le lac de Genève, elle suffirait en moins de 20 minutes à porter de zéro à 100 degrés, c’est-à-dire à faire bouillir la masse du lac tout entier, qui est pourtant de 400 milliards de mètres cubes. En partant de ce fait qu’un champ fixe par an et par mètre carré 100 grammes de carbone (et en admettant que l’activité végétale de la Terre est en moyenne 10 fois moindre), on peut calculer que les végétaux fixent, dans l’assimilation chlorophyllienne, un peu plus du millionième de l’énergie totale fournie par le Soleil et qui est supérieure à un septillion de calories. Étant donné que l’homme a besoin pour vivre d’environ un milliard de petites calories par an, l’énergie solaire fixée par l’assimilation chlorophyllienne suffirait à nourrir 13 milliards et demi d’hommes. La population du globe n’étant guère que d’un milliard et demi, on voit qu’elle peut, suivant le précepte de l’Écriture, croître et se multiplier encore quelque temps sans avoir à redouter une disette de ses ressources en végétaux.

Charles Nordmann.
  1. Journal de Physiologie et de Pathologie générales, novembre 1911.