Revue scientifique - L’Appendicite

Revue scientifique - L’Appendicite
Revue des Deux Mondes4e période, tome 154 (p. 207-218).
REVUE SCIENTIFIQUE

L’APPENDICITE


F. Legneu, L’appendicite, Masson et Cie. 1897, Paris. Ch. Monod et J. Vanverts, L’appendicite, Masson et Cie, Gauthier-Villars et fils, 1898, Paris.


La médecine est sujette de la mode. Il y a des remèdes en vogue ; ii y a des nouveautés, en fait de traitement et d’opérations ; il y a des maladies en faveur. L’appendicite en est une. C’est une affection nouvelle ; on entend bien que nous voulons dire : nouvellement définie et nommée. Il y a dix ans, personne n’en savait l’existence, ni médecins, ni malades. Aujourd’hui, elle est connue de tous. Chacun voit autour de soi des gens qui en ont été atteints ; les uns ont été guéris par la bonne nature ; mais d’autres ont été sauvés par une opération opportune qui les a séparés de leur appendice. À côté de ceux-là, malades caractérisés, il y a le grand nombre des malades méconnus, de ceux qui ont été légèrement atteints, et dont l’affection atténuée et bénigne n’a pas été diagnostiquée. Au total, c’est donc une affection répandue, très répandue même, et, pour employer l’expression de deux de ses historiens, MM. Ch. Monod et J. Vanverts, « follement fréquente. » C’est pour cela sans doute que le public, si exposé à cet accident, souvent bénin, mais quelquefois grave, s’est intéressé à le connaître. La question de l’appendicite, qui depuis ces dernières années a si souvent défrayé les séances des sociétés compétentes, la Société de Chirurgie, la Société médicale des Hôpitaux et l’Académie de Médecine, n’est pas restée confinée dans ces milieux spéciaux. Elle a été portée devant l’Académie des Sciences, et de temps à autre, par la presse scientifique, devant la masse des lecteurs.

Le public veut savoir non pas tout ce qu’ont enseigné au monde médical tant de savantes discussions, mais ce qui lui importe particulièrement. Et d’abord les risques que court chacun d’être atteint, et les circonstances qui l’y exposent. Il plaît aux vieillards d’apprendre qu’ils en sont à peu près indemnes. C’est une maladie de l’âge mûr, mais surtout de la jeunesse. C’est entre dix et vingt ans qu’elle est le plus fréquente. Le régime alimentaire y prédispose lorsqu’il est trop abondant, trop épicé et indigeste ; et, comme ces excès de régime sont plus communs en Angleterre, en Amérique, et en Allemagne, c’est aussi dans ces pays qu’on observe le plus grand nombre des cas d’appendicite, comme aussi on y trouve en général le plus d’exemples d’irritation intestinale.

L’appendice iléo-cæcal est, en effet, une dépendance du tube digestif. Bichat en faisait un « petit intestin accessoire. » Il est situé au point d’union de l’intestin grêle et du gros intestin. On sait, sans être très riche de connaissances anatomiques, qu’il existe en ce point une disposition qui n’est pas des plus heureuses ; il s’en faut que l’on y puisse admirer l’ingéniosité de la nature. Le gros intestin, au lieu de continuer bout à bout l’intestin grêle, s’y branche à angle droit à quelque distance de son extrémité. Il y a là un changement de direction qui est bien propre à créer des embarras dans la circulation des matières. Cet inconvénient est aggravé par l’existence de l’espèce de cul-de-sac, ou cæcum, qui subsiste au-dessous du point d’abouchement des deux conduits. Pour comble d’imprévoyance, au fond de cette impasse vient s’implanter une sorte d’étroit canal qui la prolonge ; c’est l’appendice iléo-cæcal ou vermiforme. L’Anatomie et surtout la Pathologie distinguent bien ces deux organes, dont le second ne semble que la continuation du premier. La Physiologie établit entre eux une différence assez profonde : le cæcum est un réservoir pour les matières qui parcourent l’intestin : l’appendice leur est fermé ; elles n’y doivent point pénétrer. C’est dans cette région de choix que se trouvent réunies toutes les conditions les plus favorables à l’obstruction des voies digestives et à la stagnation des matières. De là des causes permanentes d’irritation, d’inflammation, et de lésions graves qui peuvent s’étendre au péritoine.


I

Le péril vient-il de l’inflammation de l’appendice ou de celle du cæcum, de l’appendicite ou de la typhlite ? C’est la première question à débattre. La médecine a mis plus d’un siècle à la résoudre. Elle en a entrevu d’abord une bonne solution : puis elle a adopté la mauvaise : et enfin, depuis dix ans environ, elle est revenue à la vérité première. C’est ce retour au passé qui est le fond de la découverte dont se fait honneur la médecine contemporaine.

L’appendicite n’était donc pas entièrement inédite avant ces dernières années. De bons observateurs, tels que Mestivier au milieu du siècle dernier, Jadelot au commencement de celui-ci, mais surtout Mélier en 1827, avaient entrevu d’abord, puis nettement reconnu l’existence d’un état inflammatoire localisé à l’appendice à l’exclusion du cæcum, et pouvant aboutir à l’ulcération, puis à la perforation de ce diverticule, c’est-à-dire à une issue de matières dans la cavité de l’abdomen et, en fin de compte, aux diverses formes de la péritonite. Quelques médecins distingués, Grisolle, Forget, Leudet, confirmèrent cette vue, d’après laquelle le point de départ de ces accidens intestinaux plus ou moins redoutables serait dans l’appendice.

C’est l’autre alternative qui fut adoptée et devint classique. La partie incriminée fut le cæcum, non l’appendice. On admit que l’arrêt des matières ou d’autres circonstances, mal connues, étaient capables d’en provoquer l’inflammation (typhlite) ; celle-ci pouvait être suivie de perforation, soit en avant, dans la cavité abdominale (péritonite), soit en arrière (abcès de la fosse iliaque).

L’erreur a été redressée depuis quelques années. Des chirurgiens américains, à la suite de Reginald Fitz en 1886, intervenant au début des accidens de la prétendue typhlite, furent surpris de trouver un cæcum indemne et un appendice lésé. Les anatomistes vinrent à la rescousse en montrant que les principes et les faits s’opposaient à ce que l’inflammation du cæcum pût se communiquer directement au tissu cellulaire de la fosse iliaque. Ces résultats s’accordaient avec ceux des autopsies, révélant aux praticiens que les lésions les plus constantes et les plus profondes siégeaient du côté de l’appendice, et non point du cæcum. On avait donc indûment attribué à l’un des organes ce qui appartenait à l’autre. Les choses ont été remises au point ; et finalement l’appendicite a détrôné la typhlite ; elle l’a remplacée dans le cadre nosologique.

Les erreurs classiques ont la vie dure. Il est plus facile d’établir une vérité nouvelle que de détruire une erreur ancienne. La lutte de l’appendice contre le cæcum a donc exigé beaucoup d’efforts et de pénétration ; elle a fait couler beaucoup d’encre ; après beaucoup de dissections et d’opérations, elle a donné lieu à beaucoup de joutes oratoires. Le mérite du succès revient à plusieurs champions : à Reginald Fitz et à ses confrères américains ; aux Allemands Matterstock, Kümmel et Sonnenburg ; à M, With, de Copenhague ; à M. Roux, de Lausanne ; à M. Talamon, de Paris.

Il ne faut pas trouver l’effort disproportionné au résultat. On aurait tort de considérer avec dédain cette querelle séculaire relative à la localisation des accidens intestinaux dans l’un ou l’autre de ces organes contigus, le cæcum, l’appendice. Deux raisons, l’une générale, l’autre particulière, doivent nous en empêcher. Les procès scientifiques dont l’objet est le plus limité, comme celui-ci, ou le plus humble en apparence, se relèvent et se haussent au niveau des plus importans, parce que la procédure pour la distinction de la vérité et de l’erreur y est la même, et parce que la démonstration y est aussi la même des efforts qu’il faut à l’observation directe pour triompher des préventions établies. En second lieu, cette question de théorie offre un intérêt pratique qui n’est pas à dédaigner. Le cæcum est intangible, inopérable ; s’il est la cause du mal, le chirurgien ne peut songer à supprimer ce mal. Au contraire, l’appendice vermiforme est parfaitement accessible ; son ablation est possible. On sait, depuis Morgagni et Portal, qu’elle peut être faite sans dommage chez les animaux. Elle le sera avec profit chez l’homme, et elle amènera la guérison des accidens, si véritablement ils ont leur principe dans cet organe.


II

Il ne suffit pas de savoir que l’appendice est le véritable point de départ des accidens intestinaux. Ce n’est là qu’un préambule. Il faut chercher comment et pourquoi il s’enflamme. Il faut résoudre toutes les questions relatives à la marche de la maladie, à ses symptômes, à ses complications, à son pronostic et à son traitement. C’est à quoi ont été employés, depuis quelques années, les efforts des médecins et des chirurgiens de tous les pays. Cette histoire, trop spéciale, n’a passa place ici, naturellement : nous n’en devons signaler que quelques points.

Les anatomistes, depuis Vidius en 1561 et Bauhin en 1605, ont donné une certaine attention à ces organes, le cæcum et l’appendice ; ils en ont fourni des descriptions exactes. La physiologie les a négligés ; elle ne leur voyait pas de rôle. De fait, il semble bien qu’ils n’aient d’intérêt que par leur nuisance pathologique. Leur présence semble être le résultat d’une opération incomplète de la nature, qui, au cours de l’évolution de l’espèce, a insuffisamment réduit et atrophié le cul-de-sac cæcal qui s’étendait, chez les animaux herbivores, assez loin au-dessous du point d’union des deux intestins. L’atrophie a été plus marquée vers l’extrémité : celle-ci a été ainsi réduite à un tube étroit, du diamètre d’une plume d’oie : c’est l’appendice. La partie supérieure, moins modifiée, forme le cæcum.

Chez les divers animaux, ces organes sont très inégalement développés. Il n’y a aucune partie qui soit aussi sujette à varier. Les oiseaux possèdent deux cæcums, l’un à droite, l’autre à gauche. Chez les mammifères, à l’exception d’un petit nombre d’Édentés, tels que le Dasype, il n’y en a ordinairement qu’un seul ; l’organe est impair. Il atteint quelquefois des proportions considérables ; et cette circonstance parait en rapport avec le régime. Chez les herbivores, il constitue ainsi, à l’extrémité du petit intestin, une sorte de panse supplémentaire où le contenu intestinal séjourne et macère de manière à compléter peut-être sa lente digestion. Le cæcum du lapin, à lui seul, possède une plus grande capacité que le gros intestin tout entier : il se termine par un appendice cæcal qui a le volume du petit doigt et qui n’est autre chose qu’une énorme glande de Peyer. Les grands carnassiers, beaucoup d’insectivores, les Chéiroptères n’ont ni cæcum ni appendice. Certains rongeurs, les loirs par exemple, en sont également dépourvus ; chez d’autres au contraire, le cæcum l’emporte par ses dimensions sur l’estomac lui-même. Chez les anthropoïdes, seuls singes où il existe, il est ordinairement plus développé que chez l’homme.

En ce qui concerne l’appendice, les anciens anatomistes avaient déjà remarqué la richesse de son revêtement en glandes muqueuses et en follicules clos. Chez le lapin, il n’est pas autre chose qu’une énorme glande lymphatique. C’est un organe sécréteur et non pas absorbant. En règle générale, le contenu de l’intestin n’y pénètre point ; mais, au contraire, c’est lui qui déverse un liquide muqueux. Ce liquide est plus ou moins actif, grâce aux microbes qui s’y cultivent. On peut penser, avec M. Clado, que cette sécrétion est capable de contribuer à la fermentation digestive des matières végétales accumulées dans le cæcum. S’il en est réellement ainsi, si l’appendice a effectivement un rôle dans la digestion de la cellulose végétale, il n’a plus guère d’office à remplir chez l’homme, omnivore. Il subsiste comme un témoin atavique du régime végétarien de ses ancêtres primitifs. Son rôle est fini. Il ne peut être qu’inutile ou nuisible à l’homme actuel. En le supprimant, le chirurgien corrige judicieusement la nature.


III

Sous quelles influences se produit l’inflammation de l’appendice ? C’est une question sur laquelle il y aurait le plus grand intérêt à être fixé. Elle a donné lieu à de nombreuses discussions, et à des théories ingénieuses. Elle n’est pas entièrement élucidée.

Il y a, comme nous l’avons dit, des sujets prédisposés par l’âge, et les habitudes alimentaires ; il y en a aussi par l’hérédité. Les appendicites sont fréquentes dans certaines familles. M. Roux (de Lausanne) a noté l’hérédité dans près de la moitié des cas. M. Dieulafoy fait de cette affection une manifestation de la même diathèse qui se traduit par la goutte, le rhumatisme, la gravelle. Beaucoup de chirurgiens la considèrent comme un patrimoine familial.

Mais il ne s’agit là que d’une prédisposition aux accidens intestinaux. Pour en provoquer l’explosion, il faut une cause déterminante. Cette cause, M. Talamon estime que c’est la pénétration d’un corps étranger dans la cavité du diverticule.

L’examen d’un grand nombre d’appendices malades avait montré dans leur intérieur l’existence d’un corps étranger. On y trouvait, obstruant plus ou moins le conduit, une masse solide, une sorte de dépôt formé autour d’un pépin, d’un noyau de cerise, de graines de groseilles ou de fraises ; d’autres fois, c’était un fragment d’os, une arête de poisson, une épingle, un corps dur. L’opinion vulgaire a incriminé les écailles d’huîtres et, plus récemment, les débris d’émail arrachés aux ustensiles de cuisine : quelques médecins ont donné créance à cette supposition. Les ustensiles de tôle émaillée, plats et casseroles, tendent à devenir d’un usage de plus en plus commun et qui s’explique par la modicité de leur prix et la facilité qu’il y a à les tenir propres. Lorsqu’ils sont soumis à des alternatives de chauffe et de refroidissement, l’inégale dilatation du métal et de sa couverte d’émail suffit à craqueler celle-ci et à en détacher des éclats qui peuvent être mêlés aux alimens et absorbés avec eux. Ces parcelles d’une matière formée de silicates alcalino-terreux et métalliques, c’est-à-dire absolument réfractaire aux agens digestifs, puisqu’elle l’est aux actions chimiques les plus énergiques, peuvent évidemment s’arrêter dans le cæcum à l’orifice du conduit appendiculaire, comme les graines et les noyaux de fruit.

Pour s’y engager, il ne leur faut plus qu’une circonstance favorable, une occasion. Elle est facile à imaginer. Une pression forte, un coup, une chute sur le flanc, des jeux violens, des exercices de gymnastique, une marche forcée, la danse, le saut ; et voilà le corps introduit. De fait, les médecins ont souvent observé, chez les enfans, des attaques d’appendicite survenant après les exercices physiques.

Tout cela est très logiquement déduit ; et il n’en a pas fallu davantage pour convaincre une partie du public médical.

En réalité, la doctrine est par trop simpliste. M. Talamon lui avait donné une forme plus savante. À ces corps étrangers qui stationnent dans le cæcum, attendant une occasion, c’est une contraction ou une pression qui la fournit. Que la pression puisse avoir cet effet, c’est possible et même vraisemblable ; il suffit d’un faible effort pour repousser la membrane valvulaire de Gerlach, qui sépare le cæcum de l’appendice. Mais il ne semble pas qu’il en soit de même de la contraction ; on doit admettre que l’appendice se contracte synergiquement avec le cæcum et l’intestin et se vide du même coup.

D’ailleurs, ces corps étrangers que l’on a trouvés dans l’appendice ne viennent pas tous du dehors : ce ne sont pas toujours des objets ou des parcelles qui ont été avalés par mégarde et véhiculés le long de l’intestin et qu’une attention soigneuse aurait pu écarter. Une fois sur deux (cent six fois sur cent soixante et onze, d’après les relevés), ce sont des concrétions formées dans l’intestin lui-même, des scybales ou des calculs. M. Talamon croit que ce sont des amas de matière intestinale moulés et façonnés dans le cæcum. De son côté, M. Dieulafoy veut que ce soient de véritables calculs appendiculaires, qui n’ont pas eu la peine de s’introduire dans l’appendice, puisqu’ils y seraient nés sur place, et y auraient grandi par apposition de couches successives, comme les calculs qui se constituent dans le foie ou dans le rein. Il peut se former, en effet, dans toute partie de l’intestin des concrétions de ce genre, sous des conditions qu’on physiologiste allemand bien connu, L. Hermann, a autrefois précisées et réalisées expérimentalement.

En résumé, il peut exister dans l’appendice une enclave, corps étranger, scybale ou calcul, venu du dehors ou formé sur place. Mais ce n’est pas encore suffisant pour créer l’état inflammatoire.


IV

L’inflammation de l’appendice est une infection microbienne. Dans les conditions normales, l’appendice, comme d’ailleurs le reste du tube digestif, contient une flore microbienne très riche. On y trouve, à l’état atténué et inactif, la plupart des micro-organismes pathogènes. Pour que l’état infectieux soit créé, il faut que ces organismes soient exaltés dans leur virulence, et qu’ils deviennent capables de pénétrer par effraction dans l’épaisseur de la paroi. L’explication de l’appendicite réside dans la détermination des circonstances qui exaltent cette activité toxique et permettent cette pénétration.

On avait pensé que la présence de corps étrangers dans la cavité appendiculaire réalisait cette circonstance favorable. C’est ce que M. Talamon a essayé de montrer dès assez longtemps, en 1882. La théorie mise en avant par ce médecin distingué consiste à supposer que le corps étranger, oblitérant l’orifice supérieur du canal appendiculaire, en amène la distension par l’effet de la sécrétion qui s’amasse en amont de l’obstacle. C’est à cette distension que l’on attribue la douleur sourde ou violente, suivant les cas, qui se produit dans le flanc droit et qui est à peu près le seul signe local de la maladie. D’autre part, la distension gène la circulation du sang dans les parois. Une gêne analogue résulte encore de la compression exercée par le corps étranger lui-même, pressant comme un bouchon le goulot de l’appendice. La diminution de circulation entraîne la diminution de vitalité, et celle-ci rend les élémens anatomiques impuissans contre l’agression des microbes.

Une autre théorie, qui ne diffère d’ailleurs de celle-ci que par des détails secondaires, a été mise en avant par M. Dieulafoy et soutenue par le brillant professeur avec une éloquence et une ardeur remarquables. C’est la théorie de la cavité close. Comme tout à l’heure, on fait intervenir le corps étranger, le calcul appendiculaire ; il bouche le canal et produit l’accumulation de la sécrétion muqueuse en amont. Les microbes emprisonnés dans ce vase clos deviennent nocifs, d’indifférens qu’ils étaient tout u l’heure : ils deviennent capables de traverser le barrage formé par le revêtement muqueux, de se répandre dans les tissus sous-jacens, et jusqu’à la séreuse péritonéale et d’y diffuser l’infection. Les expériences directes justifient cette assertion. MM. Roger, Josué, Gervais de Rouville, en introduisant des cultures microbiennes dans des cavités appendiculaires fermées par une ligature, ont réalisé de véritables appendicites infectieuses chez les animaux. Qu’on exprime ce résultat en disant que la virulence du microbe s’exalte, comme M. Dieulafoy, ou en disant, comme M. Talamon, que la résistance des tissus s’abaisse, la différence n’est pas très sensible. La seule divergence notable porte sur l’origine de ces corps étrangers, calculs autochtones, selon le professeur de la Faculté, simples concrétions intestinales venues du cæcum, selon le fondateur de la doctrine.

Le facteur essentiel de l’infection, c’est donc le microbe, dont on renforce la virulence ou auquel on oppose des adversaires plus affaiblis. On connaît cet agent ; c’est le coli-bacille. La médecine, qui le désigne ici comme l’artisan secret de la-péritonite, a bien d’autres occasions de le rencontrer dans les nombreuses infections d’origine intestinale. Mais il n’est pas seul en cause. Bien d’autres microbes, qui végètent inoffensifs et atténués dans leur virulence, et comme désarmés, à la surface de l’intestin, voient se réveiller leur activité pathogène en même temps que le coli-bacille. Tels les streptocoques, les staphylocoques, le pneumocoque. Ils prospèrent et pullulent comme lui et mêlent leur malfaisance particulière à la sienne. L’infection se complique : les manifestations générales prennent un aspect plus complexe. La fièvre, la haute température du corps, la petitesse et la fréquence du pouls, la sécheresse de la langue, les vomissemens alimentaires, puis bilieux, rabattement, le faciès grippé, forment comme toujours le fond du tableau symptomatique. Mais sur ce thème invariable des variations s’ajoutent comme une lugubre broderie sur le canevas commun, signalant l’entrée en scène du reste de la bande.

Si l’abattement est plus rapide et plus profond, si le pus qui baigne l’organe est plus fétide, s’il y a tendance de la paroi à la gangrène, c’est, comme l’ont montré MM. Veillon et Zuber, la marque des microbes anaérobies. Et de même, il peut arriver que les agens pathogènes d’autres affections qui ont assailli l’organisme, tel que le bacille de la tuberculose, se joignent à la troupe des agresseurs ou, souvent, qu’ils la précèdent et lui ouvrent la porte.

Ainsi s’expliquent les appendicites qui surviennent au cours de la fièvre typhoïde, de la dysenterie, ou même, comme l’ont vu MM. Reclus et Beaussenat, à la suite d’une inflammation accidentelle du gros intestin. Mais, le plus souvent, dans les cas ordinaires, le coli-bacille domine les manifestations de ses co-associés. Il n’est pas rare qu’il les étouffe eux-mêmes et qu’on le retrouve subsistant seul ou à peu près seul dans les humeurs et les tissus malades.


V

C’est la variété de ces agens secondaires d’infection, dominés par l’agent principal, qui donne à l’appendicite sa diversité d’aspects sous un type commun. Quels sont ces aspects ? Par quels symptômes se manifeste l’appendicite ? Ce sont précisément les signes généraux de ces infections que nous avons mentionnés tout à l’heure. A ceux-ci s’ajoute un trait en quelque sorte signalétique qui précise le point de départ de l’infection ; c’est la douleur limitée au flanc droit. Après un ou deux jours de malaise, cette douleur apparaît dans la fosse iliaque droite ; elle naît dans un point très précis, le point de Mac Barney, qui répond à la place de l’organe atteint, l’appendice ; de là, elle s’irradie bientôt au flanc tout entier, aux organes voisins, à la jambe, quelquefois engourdie et gênée dans ses mouvemens.

Si la forme doit rester légère, les symptômes généraux se réduisent au minimum : la langue est sèche, le pouls fréquent, la température un peu fébrile, il y a des vomissemens. C’est le tableau d’une grippe légère. La confusion a souvent été faite. Mais s’il y a perforation, on voit éclater brusquement les symptômes foudroyans de la péritonite d’emblée, ou les troubles grandissans de la péritonite progressive.

Tout ce qui a été dit jusqu’ici ne se rapporte qu’à une forme de la maladie, à l’appendicite par corps étranger ou appendicite calculeuse. Ce n’est pas la seule, c’est à peine la plus fréquente. Dans près de la moitié des cas, dans un tiers au moins, il n’existe point de corps étrangers dans la cavité de l’appendice. Ce n’est plus le vase clos qui opère. La raison de l’exaltation de virulence du coli-bacille, de sa pénétration à travers les parois, de sa diffusion vers le péritoine, n’est plus la simple exaspération résultant de son internement, comme le veut M. Dieulafoy. C’est quelque autre cause — et il n’en manque pas qui soient capables d’agir, — depuis la simple indigestion, jusqu’aux dyspepsies et aux affections gastro-intestinales si fréquentes à notre époque.


VI

La question qui a le plus divisé les médecins et les chirurgiens, dans ces mémorables et interminables discussions, est celle du traitement. Faut-il ou ne faut-il pas opérer ? C’est celle aussi que le malade se pose avec le plus d’angoisse : faut-il se résigner à l’opération ?

Ce grave problème ne comporte pas de solution unique. Il faut distinguer les cas. Il y a des points sur lesquels les médecins, qui représentent les tendances pacifiques, et les chirurgiens, qui se plaisent aux interventions armées, sont pourtant tombés d’accord. Il y en a d’autres à propos desquels le désaccord subsiste.

En fait d’appendicites, les chirurgiens, comme le disent fort bien MM. Monod et Vanverts, n’observent guère que celles qui peuvent exiger le secours de leur ministère, c’est-à-dire les plus inquiétantes, et ils ont une propension à considérer l’affection comme grave. Les médecins qui sont consultés nombre de fois pour des crises atténuées avortant ou guérissant spontanément la regardent comme plus bénigne.

L’examen des statistiques ne permet pas de décider. Celles qui portent sur la totalité des cas ne peuvent inspirer qu’une médiocre confiance. Elles visent les crises de la maladie, plutôt que la maladie elle-même. Un malade, par exemple, a quatre attaques légères et meurt à la cinquième : dans un relevé fidèle il témoignera quatre fois de la bénignité et une fois seulement de la gravité d’une affection qui la mis au tombeau. Les enquêtes faites par la Société de Médecine interne de Berlin et la Société clinique de Londres, en 1891, donnent, au total, une moyenne de 10 morts sur 100 cas. En Suisse, M. Sahli arrive au chiffre approchant, de 9,8 p. 100. En France, M. Dieulafoy, qui, par principe, fait opérer dès que la maladie est diagnostiquée, indique 7 décès sur 61 cas, soit une mortalité de 11,4 p. 100. La statistique de l’armée, d’après M. Chauvel, a fourni, jusqu’à une date récente, 181 cas d’appendicite. 98 ont été opérés et la mortalité s’est élevée à 31,8 p. 100 ; 83 ne l’ont pas été et la mortalité a été de 30 p. 100. Ces chiffres s’équilibrent : ils n’apportent pas de clarté nouvelle.

Il est plus instructif d’envisager les différentes formes que revêt la maladie. Ces formes ne sont en quelque sorte que les stades divers où s’arrête une évolution toujours la même. La crise simple s’arrête à un premier degré : elle correspond au cas où l’inflammation ne dépasse point la paroi de l’organe. Si elle vient à atteindre le péritoine de la région, tout au moins n’y détermine-t-elle pas de formation de pus ; elle reste plastique, adhésive, fibrineuse. — Ce qui veut dire que les leucocytes phagocytaires suffisent à nettoyer la région de tous les microbes envahisseurs, sans subir eux-mêmes de pertes appréciables. La guérison est alors de règle et se produit rapidement. — Un pas de plus, et la suppuration se produit ; mais elle se circonscrit ; des adhérences s’établissent, qui limitent la collection purulente, et la transforment en un abcès. La règle est ici nettement tracée. Il faut opérer. Néanmoins la guérison spontanée est encore possible quoique chanceuse : l’abcès peut s’ouvrir de lui-même à la peau ou dans l’intestin ; il peut à la rigueur se résorber ou s’enkyster.

Le troisième cas est celui où l’inflammation ne se limite pas ; elle s’étend brusquement ou successivement à une grande étendue de péritoine. Si la généralisation se fait d’emblée, rien ne peut sauver le malade, pas même l’opération. Si la propagation se fait progressivement et d’une manière plus lente, c’est le cas de choix pour l’intervention chirurgicale. Celle-ci peut sauver le malade qui, sans cela, serait fatalement voué à la mort.

Toute la difficulté est de savoir si l’accès que l’on observe va se limiter à tel ou tel autre de ces stades. On répète à juste raison ici ce que les médecins ont coutume de dire à propos de la pleurésie ; « On sait comment elle commence : on ne sait jamais comment elle finit. » Il y a des accès qui se réduisent à une simple crise douloureuse ; il y en a d’autres qui aboutissent très rapidement à la perforation et à la péritonite suraiguë. Ces formes foudroyantes sont fréquentes surtout chez les enfans. Elles ne laissent pas au médecin le loisir de temporiser et de voir venir.

La plupart des chirurgiens anglais, et beaucoup de chirurgiens français avec eux, préconisent au début un traitement médical, consistant en repos au lit sous une vessie de glace, diète absolue et emploi de l’opium à hautes doses. Ce traitement favorise la localisation de la maladie ; il aide la nature qui tend au même but. Il échoue naturellement dans le cas d’une infection péritonéale généralisée d’emblée ; mais alors tout échoue et l’opération chirurgicale elle-même est sans espoir.

Le cas le plus embarrassant, et aussi le plus discuté, est celui de la conduite à tenir après la guérison spontanée d’une première crise. Le rétablissement n’est pas toujours absolu ; il est rarement suivi d’une restitution complète, ut ante ; c’est plutôt un assoupissement qu’une extinction définitive du foyer. L’incendie peut renaître. C’est alors que les chirurgiens sont unanimes à conseiller une opération à froid, en pleine paix, pour ainsi dire. Et c’est à cette prudente mesure, à cette intervention préventive que les médecins hésitent à acquiescer et les malades à se soumettre.

Le cours des choses amènera évidemment la solution de ces questions litigieuses. Les problèmes sont posés. L’expérience de nos successeurs les éclairera ; et cette expérience ne manquera pas de matériaux, s’il est vrai, comme le prétendent quelques médecins à la suite de Bogoluboff, que l’appendicite devient de plus en plus fréquente et qu’elle semble même prendre quelquefois un caractère épidémique.


A. DASTRE.