Revue scientifique — Perles fines et perles japonaises

Charles Nordmann
Revue scientifique — Perles fines et perles japonaises
Revue des Deux Mondes7e période, tome 8 (p. 459-470).
REVUE SCIENTIFIQUE

PERLES FINES ET PERLES JAPONAISES

Il y a en ce moment une question qui émeut une bonne partie de la Terre et toutes les étoiles... je parle de celles qui aiment à se parer de joyaux dont le rapt éventuel pourra consacrer dans les gazettes une gloire qui brûle d’éclater au grand jour.

Cette question, qui dans les conversations féminines passe infiniment en importance le problème des réparations ou celui de l’armée nouvelle, est celle des perles dites « japonaises. » Est-il vrai qu’une rivale imprévue et redoutable de la perle fine d’Orient soit sur le point de supplanter ou du moins d’égaler celle-ci ? C’est ce que je voudrais examiner ici. La question est d’importance à divers points de vue. Au point de vue mercantile d’abord, puisque le commerce des perles est un des plus considérables qui soit, et puisque d’ailleurs beaucoup de personnes privilégiées possèdent de véritables fortunes en perles, ayant placé sous cette forme l’excès de leurs capitaux pour le mettre plus sûrement à l’abri des vicissitudes auxquelles sont exposés par le temps qui court les placements classiques. On nous permettra de négliger ici complètement ce point de vue très particulier.

C’est d’un angle exclusivement scientifique et technique que j’examinerai si l’ingéniosité industrieuse de l’homme a réellement réussi à reproduire, avec toute leur beauté et toutes leurs propriétés particulières, ces objets qui, dès avant Cléopâtre, n’ont pas cessé d’être considérés comme des merveilles de la nature.

Je prendrai pour cette étude le plus compétent et le plus savant des guides, le professeur Louis Boutan, de la Faculté des sciences de Bordeaux, directeur du laboratoire de biologie de la Société scientifique d’Arcachon et dont mon maître Dastre signalait, il y a plus de vingt ans déjà, les remarquables travaux sur les perles.

M. Louis Boutan vient de présenter à diverses sociétés savantes, et notamment à l’Académie des Sciences, plusieurs communications remarquables au sujet des perles japonaises. Ce sont ces communications dont je m’aiderai ici. et aussi des travaux récents réalisés en Angleterre et qui conduisent aux mêmes conclusions.


Mais tout d’abord, qu’est-ce que les perles fines ? Qu’est-ce que ces joyaux fastueux aux reflets tendres comme des regards et si inutilement jolis dont l’Orient, la Grèce et Rome nous ont transmis le goût ? On sait qu’ils se trouvent dans le corps de certains mollusques et surtout de ce grand bivalve qui, sur les côtes d’Asie, donne encore aujourd’hui les perles les plus pures : l’huître perlière ou méléagrine. A vrai dire, les naturalistes savent que celle-ci n’est pas une huître, mais appartient à un autre genre assez différent de mollusques : les avicules. Nous continuerons cependant à l’appeler huître perlière, car s’il fallait désigner toutes les choses par leur nom, on risquerait de n’être plus compris de personne. Les anciens Hindous croyaient que la perle était une goutte de rosée tombée dans le mollusque et que le soleil y avait figée. La science, cette vilaine empêcheuse de déraisonner en rond, a vaporisé cette gracieuse légende. Nous savons aujourd’hui que la perle fine (qu’il ne faut pas confondre avec sa parente pauvre, la perle de nacre) est produite d’une manière beaucoup moins poétique.

Pour certains naturalistes, la perle (qui est faite chimiquement de calcaire et d’eau avec très peu de matière organique) n’est qu’un petit kyste formé dans l’intérieur même de l’huître et que celle-ci calcifié pour en débarrasser ses tissus sains, de même que certains vertébrés calcifient les lésions que leur cause la tuberculose. D’autres assurent que ce kyste de l’huître perlière est produit par les larves de certains vers parasites analogues au ténia. On trouve en effet souvent de ces larves au centre des perles. Celles-ci seraient donc, à beaucoup d’égards, analogues aux kystes dont est affligée notre triste humanité, au kyste hydatique du foie, par exemple. Pour d’autres enfin, la perle serait une concrétion calcaire sécrétée par le rein du mollusque et pareille à nos calculs néphrétiques et urinaires. Toutes ces explications ont un point commun et bien établi : la perle n’est qu’une maladie de l’huître perlière. Que celle-ci soit un malheureux être graveleux ou mangé par les vers ou kysteux, une chose reste certaine : la perle n’est qu’une monstruosité pathologique. Difformité maladive et répugnante en deçà de la coquille huitrière, joyau divin au delà ! Vérité, voilà bien de tes coups !

Malgré son origine morbide, la perle ne mérite point le dédain, car elle est belle. Les irisations suaves des perles paragonnes où l’œil retrouve toutes les nuances de l’arc-en-ciel, tous les chatoiements si doux d’un jet d’eau qui déferle dans un ciel gris d’automne, sont dus au même phénomène optique qui cause les teintes magiques des bulles de savon : les interférences de la lumière qui se produisent, comme Newton l’a montré, dans les lames très minces et transparentes. La perle est constituée en effet par des couches très fines de calcaire, qui font assez ressembler sa coupe à celle d’un oignon. La méléagrine fournit aussi la nacre de ses coquilles qui ira orner les tables de marqueterie, les souples éventails, et, — comble d’honneur, — l’épée majestueuse et anodine des académiciens.

La mort de la perle est due à une attaque de sa surface calcaire sous l’injure des agents extérieurs, surtout des acides. Comme les sécrétions des plus belles peaux du monde sont acides, le contact de ces épidermes charmants est pour les perles une longue agonie.

Certaines personnes trop raisonnables penseront que si la formation des perles est un phénomène pathologique, leur achat en est un aussi. Elles auront tort. Nos élégantes savent que, nées comme elle de l’écume marine, les perles doivent être consacrées au culte d’Aphrodite. Elles ont, j’en suis sûr, trop de noblesse dans l’âme pour vouloir, lorsqu’elles se mettent un licol de joyaux, seulement étaler leur richesse et humilier leurs sœurs qui n’ont point de mollusques à leur disposition. Elles ont une pensée plus raffinée et plus artiste et qu’il serait peu galant de croire inconsciente : le culte de l’inutile lorsqu’il est beau, le sentiment qu’il n’y a rien au monde de plus utile que l’agréable.

C’est une façon comme une autre d’être idéaliste et il y a plus d’un trait d’union entre les amantes des perles et les pécheurs de lune. D’ailleurs, la lune elle-même, lorsque la nuit la dépose toute ronde, sur un écrin de suie veloutée, n’est peut-être après tout qu’une perle nacrée de bleu et de rose, mise à la devanture du divin joaillier pour la tentation des filles d’Eve. Plus d’une déjà a dû rêver qu’elle saisissait soudain cette perle suave qui pèse un nombre incalculable de carats et quatre fois plus encore de grains, et que toutes les dames de la ville en desséchaient de jalousie . O bonheur !


Et maintenant, avant d’en arriver aux perles japonaises, il nous reste à marquer les principales étapes qui ont jalonné les efforts faits par l’homme pour imiter la nature dans la fabrication des perles. Ces efforts datent de loin, car c’est une tendance naturelle à l’artificieux bipède qui domine cette planète, de chercher à singer la nature dans ce qu’elle réalise de beau, de rare et surtout de précieux. J’imagine que ces efforts sont surtout stimulés par le prix et la valeur marchande des objets à reproduire, plus que par leur valeur esthétique.

Quoi qu’il en soit, les perles ont subi à cet égard les mêmes vicissitudes, que l’or dont la synthèse hante depuis l’antiquité tant de cerveaux, et que le diamant, dont le fameux Lemoine affirma naguère si audacieusement avoir assuré la fabrication en s’inspirant d’expériences encore assez contestés du grand Moissan.

Tout d’abord une question de terminologie se pose. On doit penser avec M. Louis Boutan qu’il est tout à fait injuste de désigner sous le nom de perles artificielles les perles qui proviennent d’une opération de culture chez un mollusque dont on provoque et dirige dans un certain sens la sécrétion nacrée. Qui oserait prétendre que des fruits obtenus par greffe ou des melons élevés sous cloche soient des fruits artificiels ?

Il semble donc raisonnable par analogie d’appeler perles cultivées les perles produites par un mollusque dont on a provoqué ou excité la sécrétion, et de réserver le nom de perles artificielles aux imitations, d’ailleurs souvent très belles, mais où l’animal n’est pour rien, et qui sont entièrement le résultat de l’industrie humaine, et dont d’ailleurs la substance est très différente de celle des perles vraies ou cultivées. Pareillement, il sied de distinguer la fabrication et la culture des perles. La première s’entend des perles artificielles, la seconde des perles cultivées.

Quant à la question de savoir si la dénomination perles fausses doit être réservée exclusivement aux perles artificielles, ou si les seules perles vraies sont les perles naturelles à l’exclusion des perles cultivées, nous nous proposons précisément de l’examiner ci-dessous.

D’après M. Seurat, qui a publié sur la question des études fort remarquées, notamment dans le Bulletin de l’Institut océanographique de Monaco, la fabrication des perles artificielles est très ancienne, et était connue des Chinois dès le septième siècle de notre ère. Leur procédé a été oublié et on ignore s’il se rapprochait du procédé actuel qui est d’origine française.

Celui-ci consiste à utiliser, pour faire les perles, des globules de verre que l’on souffle à la lampe d’émailleur. On emploie des verres opalins dont on s’attache à obtenir des globules très minces. On y introduit une goutte d’essence d’Orient, dite aussi « blanc d’ablette, » et qui n’est autre que la substance argentée des écailles d’ablette frottée dans une eau pure qui est ensuite tamisée. La matière recueillie est ensuite conservée dans l’ammoniaque et l’enduit qu’on en fait sèche rapidement sur la surface interne du globule de verre où il est répandu. Il ne reste plus qu’à remplir l’intérieur du globule avec un peu de cire blanche fondue pour lui donner du poids et de la solidité.

Venons-en aux essais anciens de culture des perles. Depuis une haute antiquité, les Chinois de la province de Tché-Kiang et dans le voisinage de Hou-Tchéou-Fou, utilisent une coquille d’eau douce pour faire recouvrir de nacre des figurines de petits « boudhas » ou des rangées de petites perles qu’on trouve couramment dans les boutiques d’Extrême-Orient.

En Europe, dès 1761, l’illustre Linné fit savoir au Roi et à la diète de Suède qu’il pouvait contraindre les mollusques à produire des perles et offrit de faire connaître sa méthode pour le bénéfice de l’État. On lui vota une récompense, mais on rejeta sa proposition de parquer et d’exploiter les moules perlières, par son procédé qui consistait à aller à travers la coquille du mollusque irriter son « manteau » et à l’obliger ainsi à produire des perles de nacre.

C’est que la perle de nacre, bien que chimiquement semblable à la perle fine et composée comme elle d’une sécrétion calcaire, n’en a point l’éclat sans pareil, la beauté, l’orient délicieux. Nous verrons tout à l’heure à quoi semblent tenir ces différences.

Ce « manteau » dont il vient d’être question, — pallium, — est une lame membraneuse qui est appliquée sur la face interne de la coquille et entoure le corps du mollusque. C’est la sécrétion du manteau qui, semble-t-il, forme la coquille et la nacre, et éventuellement la perle.

Parmi les tentatives plus ou moins analogues à celles de Linné, celles de M. Boutan sont parmi les plus remarquables. Elles ont porté sur certains gastéropodes et notamment sur l’Haliotis, mollusque abondant dans la Manche et dont la robustesse se prête bien à cette sorte de vivisection.

Moyennant des opérations assez compliquées sur le détail desquelles on me permettra de ne pas insister, — et dont la moindre est la trépanation, — M. Boutan a obtenu la production par ces animaux non pas de perles de nacre ni de perles fines, mais de ces perles de qualité et d’orient intermédiaires qu’on appelle des demi-perles.

L’étude au microscope de la structure comparée des perles fines, de la-nacre et des demi-perles a conduit M. Boutan à des conclusions fort importantes. Ces observations microscopiques ont été récemment reprises avec les demi-perles dites japonaises. Ces demi-perles sont connues dans le commerce depuis une vingtaine d’années. Celles qu’on put voir dès lors à l’exposition universelle de 1900 se composaient de deux lentilles plan-convexes de nacre tournée collées par leur surface plane. L’hémisphère supérieur est recouvert d’une couche de nacre perlière de quelques dixièmes de millimètres et d’un joli éclat. Cette couche n’existe pas sur l’hémisphère inférieur de la demi-perle, lequel a l’aspect de la nacre de nos boutons de chemise Le diamètre de cet hémisphère inférieur est plus grand que celui de l’autre, de façon que ce dernier ne fasse pas saillie.

Ces demi-perles japonaises étaient évidemment obtenues en introduisant dans l’huître un hémisphère de nacre tournée sur laquelle l’huître dépose ses concrétions perlières. On accole après coup à l’hémisphère ainsi cultivé un autre hémisphère de nacre. Si, dans cette fabrication déjà ancienne, on ne cultivait qu’un hémisphère et non pas une sphère complète, c’était évidemment à cause de la nécessité de poser, de fixer la pièce à recouvrir sur la face interne de la coquille du mollusque, de manière que celui-ci ne puisse l’expulser. D’ailleurs, le manteau de l’huître se modèle sur un objet introduit sur la coquille en formant une sorte de capuchon qui ne peut recouvrir l’objet que partiellement et donne une perle incomplète. Nous verrons tout à l’heure comment les Japonais ont tourné cette difficulté et réussi la culture des perles entières qui viennent de faire leur apparition d’une manière si retentissante.

Certaines de ces demi-perles japonaises, — celles qui sont obtenues avec la méléagrine, — présentent d’ailleurs microscopiquement tous les caractères des perles fines et elles méritent le nom de perles fines incomplètes. On en fait depuis une quinzaine d’années un merveilleux usage dans les bijoux qui ne doivent présenter à la vue qu’une fraction plus ou moins complète de la sphère perlière, — barrettes, bagues, etc., à l’exclusion des colliers.

Dès longtemps un savant japonais réputé, M. Mikimoto, dans l’exploitation qu’il avait organisée dans la baie d’Ago, près de l’île de Tadoko, sous l’inspiration du professeur Mitsukuri, cultivait les perles incomplètes dont nous venons de parler.

C’est précisément M. Mikimoto, qui, pour le couronnement d’une longue et patiente suite d’efforts, vient de réaliser les perles complètes de culture japonaise. En 1909, le professeur Raphaël Dubois écrivait :

« La culture des huîtres perlières est dans son enfance, mais elle promet d’être brillante. Si à la culture des perles incomplètes peut être ajoutée la production des perles libres, comme on en a l’espoir, ce sera un grand triomphe pour la zoologie appliquée. »

Il semble bien que cette prophétie ait, comme on va voir, été réalisée par les travaux récents de M. Mikimoto, auxquels M. Boutan rend hommage en ces termes :

« Quoique ce résultat provienne de découvertes japonaises, je suis heureux de le constater comme naturaliste français. »

C’est il y a quelques mois que les journaux français et anglais annoncèrent qu’un grand nombre de perles fines japonaises cultivées avaient été jetées sur le marché. Parfaitement rondes, mais possédant à leur intérieur un gros noyau qui permettait, en cas de rupture, de les reconnaître, ces perles avaient, disait-on, si bien par ailleurs l’aspect de perles naturelles du Japon, que les joailliers eux-mêmes ne pouvaient les distinguer.

Avant de voir si ces informations se sont trouvées vérifiées et ce qu’on en peut conclure, il importe d’abord d’exposer par quel procédé M. Mikimoto a pu obtenir ces perles cultivées complètes. Nous avons là-dessus des renseignements de diverses sources et ceux notamment qu’un savant anglais réputé, M. Lyster Jameson, a donnés naguère dans le périodique scientifique anglais Nature (mai et juillet 1901, The Japanese artificially induced pearl).

« Depuis longtemps, écrit-il, M. Mikimoto faisait des expériences en vue de la production des perles complètes sans attaches avec la coquille par une modification des procédés employés jusque-là. Il obtint un premier résultat heureux dans les environs de 1912 et je fis cette même année une communication à ce sujet à la British Association. D’après les informations que m’avait fournies M. Ikeda, un des conseillers de M. Mikimoto, dans une lettre du 30 mai 1914, le premier échantillon notable de perle ronde cultivée avait été obtenu dans l’automne de 1913.

« La méthode par laquelle M. Mikimoto produit ces perles a été brevetée par lui au Japon et en d’autres pays. Son procédé comprend une manipulation délicate et minutieuse qui ne paraît pouvoir être entreprise que par des artisans choisis et entraînés.

« La coquille est enlevée tout entière sur une huître perlière, de façon à mettre à nu le manteau. Dans cette huître sacrifiée, on place un petit noyau de nacre, de manière à le mettre en contact avec la face externe de l’épithélium palléal. Cet épithélium qui est composé d’une simple couche de cellules épidermiques est disséqué et enlevé de l’huître. Il va devenir l’enveloppe du noyau. L’on s’en sert pour entourer le noyau qui se trouve ainsi dans un petit sac épithélial dont on ligature l’ouverture.

« Ce petit sac, qui contient maintenant un noyau, est transplanté dans une huître perlière et introduit dans ses tissus sous-épidermiques. La ligature du sac est enlevée et la blessure cicatrisée par des réactifs appropriés.

« L’huître perlière, garnie de son petit sac à noyau, est prête à retourner à la mer pour le nombre d’années nécessaires à la formation des couches assez nombreuses autour du petit noyau pour constituer une perle stable. »

D’autre part, le professeur Joubin, de l’Académie des Sciences, qui est en France la plus haute autorité en matière d’ostréiculture, et dont les beaux travaux sont réputés dans le monde entier, a bien voulu nous donner du procédé la description suivante qui concorde bien avec celle de M. Lyster Jameson, mais est encore plus frappante :

« Voici comment opèrent les Japonais, moins quelques tours de main que nous ne connaissons pas. Ils prennent deux huîtres : l’une est ouverte et par conséquent sacrifiée. Ils découpent dans le manteau un carré de membrane qu’ils isolent ; ils y déposent une petite boule de nacre de deux millimètres environ de diamètre, relèvent les coins du lambeau et les attachent, de façon à former un petit sac. C’est le premier temps de l’opération.

« Ils entrebâillent alors la seconde huître et sur son manteau greffent le petit sac provenant de la première. C’est le second temps. Le tout doit être fait assez rapidement et sans trop entrebâiller l’huître, car si on dépassait la limite, elle périrait des déchirures ainsi produites. L’huître perlière est remise à l’eau, et il n’y a plus qu’à attendre le résultat plusieurs années, car il faut sept ans, paraît-il, pour que la petite boule de nacre soit recouverte d’assez de couches de perle pour arriver à un diamètre total de 4 millimètres. L’opération peut aussi ne pas réussir, la greffe ne pas prendre... et le Japonais ne rien trouver dans l’huître qu’il sacrifie au bout de ce temps. »

En somme, dans la production des perles cultivées incomplètes, on réalisait, par l’introduction d’un corps étranger entre la coquille et le manteau un encapuchonnement de celui-ci qui recouvrait de substance nacrée la partie encapuchonnée du corps étranger. Dans la production des perles naturelles, l’huître ferme elle-même, par un mécanisme encore inconnu, le capuchon autour d’un corps étranger introduit accidentellement. Enfin, dans le procédé Mikimoto, on fabrique de toutes pièces et on greffe le sac perlier qui doit résulter naturellement de cette fermeture du capuchon.


Il nous reste maintenant à comparer la perle complète ainsi cultivée aux perles fines naturelles, et c’est ici le point scientifiquement et esthétiquement le plus important.

L’étude microscopique des perles de nacre, des demi-perles et des perles fines démontre que l’orient particulier de ces dernières est lié à la structure de leur surface, qui seule, comme nous allons voir, permet de définir les perles fines et qui se trouve identique dans celles-ci et dans les perles cultivées complètes.

On a voulu quelquefois considérer l’élasticité des perles fines comme un de leurs caractères spécifiques, et on a maintes fois raconté des histoires de colliers royaux ou princiers dont, le fil s’étant rompu, on avait vu les perles commencer sur le parquet une série de bonds et de rebondissements étourdissants sous les regards ébahis de la cour.

La vérité est tout autre : les perles fausses (en verre) tombant d’une certaine hauteur rebondissent plus haut que les perles fines et les perles cultivées lesquelles ne présentent d’ailleurs pas à cet égard de différences observables entre elles.

On a parlé aussi de la dureté et de la densité des perles. A ces deux points de vue également, les perles cultivées et les perles fines sont indiscernables.

Quand on sectionne une perle fine et une perle japonaise, on constate que le noyau nacré de celle-ci est généralement plus gros ; mais les noyaux des perles fines varient beaucoup de nature et de structure interne, sans d’ailleurs que cette nature et cette structure aient la moindre influence sur l’orient de la perle. Les expériences optiques de M. Boutan établissent nettement que les qualités de la surface de la perle sont dues aux seules couches superficielles, et non au noyau. Une perle colorée en noir peut être blanche à l’intérieur, et l’inverse est possible, sinon fréquent.

Donc « les caractères du noyau invisible extérieurement ne peuvent fournir un critérium ni important ni accessoire à la définition de la perle fine, et le noyau de la perle n’a pas d’influence directe sur sa beauté. »

Restent donc à examiner ces seuls critères que constituent les qualités de surface caractéristiques de la perle fine et qui sont l’éclat, le lustre et l’orient.

Il semble que l’éclat de la perle, l’intensité de la lumière qu’elle diffuse et renvoie soit dû exclusivement à la réflexion presque totale de la lumière sur la couche la plus superficielle de la perle. Cette qualité qui est aussi développée dans la nacré que dans la perle ne permet pas de différencier spécifiquement l’une de l’autre.

Restent le lustre et l’orient qui constituent à proprement parler l’eau de la perle. L’étude optique montre que ces rares qualités, les seules qui soient réellement spécifiques et différentielles, sont dues à la structure microscopique particulière de la perle fine.

Pour résumer l’état de la question, auquel les recherches de M. Boutan ont apporté de si importantes contributions, il me suffira de dire que, tandis que le microscope montre en général sur la nacre des traits grossièrement rectilignes et entrecroisés, il montre à la surface de la perle fine une structure toute différente caractérisée par de légères bosselures et des sortes de courbes de niveau arrondies assez analogues à celles des cartes géographiques. Les demi-perles offrent au microscope une structure intermédiaire.

Il semble que dans la perle fine, — à l’encontre de la nacre proprement dite, — l’épithélium du sac perlier, par suite de phénomènes d’excitation exagérés, ait imprimé en fines bosselures sa structure dans la couche calcaire sécrétée.

En un mot, l’examen microscopique permet seul de différencier spécifiquement la perle fine de la perle de nacre. Or, si l’on examine au microscope les perles cultivées complètes, on constate qu’elles sont à cet égard absolument indiscernables des perles fines naturelles, et très différentes elles aussi des perles de nacre et des demi-perles.

Tous les autres moyens scientifiques et particulièrement optiques qu’on a expérimentés pour différencier les perles cultivées complètes et les perles fines naturelles ont conduit au même résultat négatif.

Le grand journal scientifique anglais Nature vient en particulier de publier le résultat d’une étude toute récente du technicien remarquable qu’est M. Lyster Jameson, laquelle met définitivement fin aux discussions soulevées à cet égard dans la presse anglaise.

Ni la lumière polarisée, ni les rayons X, ni la photographie, n’ont permis de distinguer une perle cultivée d’une perle naturelle.

La seule différence établie entre elles est que les perles cultivées du Japon, lorsqu’on les compare aux perles fines de l’Inde, manifestent une fluorescence un peu différente sous l’influence de la lumière ultra-violette. Cette différence est due à une légère dissemblance dans les propriétés optiques de la nacre perlière des huîtres du golfe Persique et de celle des huîtres japonaises. Mais cette différence se produit aussi entre les perles naturelles de l’Inde et les perles naturelles du Japon. Elle ne peut donc pas servir à distinguer les perles naturelles des perles cultivées, mais seulement les perles (naturelles ou cultivées) des Indes des perles du Japon, lesquelles ont une beauté et une valeur égales.

On peut donc conclure avec M. Boutan et tous les savants éminents qui se sont occupés de la question qu’il est réellement impossible de distinguer une perle cultivée d’une perle naturelle.

« La perle fine n’a de valeur que par ses qualités superficielles. Personne n’ignore que beaucoup de perles fines naturelles ont pour point de départ, pour noyau un grain de sable ou un corps organique d’origine animale. La variété même de ce noyau fait qu’il ne peut entrer en ligne de compte pour estimer la valeur de la perle, et l’homme est parfaitement en droit de choisir lui-même le noyau qui lui paraîtra le plus favorable pour forcer l’huître à élaborer la perle fine. »

Il faut donc conclure : scientifiquement, la perle fine cultivée a, au même titre que la perle fine naturelle, le droit d’être appelée perle vraie.

La culture des perles fines va-t-elle avilir le prix des perles naturelles ? Ni le professeur Joubin, ni le professeur Boutan ne le croient, — du moins pour un avenir immédiat, — à cause de la difficulté, des aléas, et de la durée de la culture. Ils estiment que le prix des perles ne pourra fléchir que dans les faibles limites où fléchirait le prix de l’or ou du diamant, si l’on découvrait de nouvelles mines.

En tout cas, — et puisque nous effleurons en passant le côté commercial de cette question toute scientifique, — le procédé Mikimoto a, au point de vue français, une très grande et très heureuse importance. D’une part, en effet, il permettra d’organiser aux portes mêmes de la France, sur les côtes de Tunisie, suivant les prévisions si bien étudiées de M. Raphaël Dubois, la culture de l’huître perlière.

D’autre part, la France possède, dans ses colonies de l’Océanie, et notamment aux Nouvelles-Hébrides, les plus vastes bancs d’huîtres perlières et nacrières qui soient au monde. Il est très probable que, si les perles fines naturelles y étaient néanmoins peu abondantes, c’est à cause de la rareté, dans ces parages, du parasite qui semble provoquer la formation de ces perles. Grâce au procédé Mikimoto, si nous voulons et savons rappliquer, cet inconvénient disparaît, et la France possède une source non pareille de prodigieuses richesses.

Que si quelque jour, et par l’abondance même des perles cultivées, le prix des perles fines devait quelque peu baisser, il faudrait, dussent quelques intérêts particuliers en souffrir, s’en réjouir dans l’intérêt général, et ne pas s’arrêter aux objections d’un malthusianisme néfaste.

Quant aux élégantes qui, depuis que Cléopâtre en créa la mode, se plaisent à orner leur beauté de perles somptueuses, j’imagine que ces éventualités ne peuvent que leur agréer. Car comment imaginer sans leur faire injure qu’elles aiment les perles parce qu’elles sont chères et non pai-ce qu’elles sont belles ?

S’il en était autrement, on serait mal fondé à considérer le margarita ante porcos comme péjoratif à l’égard de ces pauvres animaux. Car enfin, il prouverait seulement qu’ils ignorent la valeur de l’argent. Est-ce une infériorité ?


CHARLES NORDMANN.