Revue pour les Français Mai 1907/I

Collectif
Imprimerie A. Lanier (2p. 643-652).

CE QUI SE PASSE DANS LE MONDE



Des entrevues, beaucoup d’entrevues souveraines, un prince et de nouveaux députés en Espagne, de nouveaux ministres en Belgique, une lutte qui s’esquisse en France entre le gouvernement et la Confédération générale du travail, des révoltes agraires en Moldavie, l’ouverture en Finlande d’un parlement singulier, la réunion à Londres d’une conférence coloniale fort intéressante par l’ampleur des intérêts qui s’y trouvent en présence, le rapport et la retraite de Lord Cromer, la prolongation des désordres marocains, des incertitudes russes et des inquiétudes allemandes — tel est en quelques mots, le bilan des dernières semaines.

Franc, froid et sensé.

On ne sait pas bien pourquoi le roi Édouard vii a mis cette fois-ci tant d’ostentation dans ses gestes méditerranéens. Les hommes d’État prennent plaisir d’ordinaire à rassembler en leurs mains le plus possible de fils politiques, mais ils s’abstiennent d’attirer sur ce fait l’attention universelle. Après qu’il s’était lui-même rencontré à Carthagène avec son neveu Alphonse xiii et que, d’autre part, les rois de Grèce et d’Italie avaient sous ses auspices échangé à Athènes les compliments les plus sincères, il était assurément superflu que le monarque anglais, entre deux visites à Paris, fit tenir une double conversation avec Victor-Emmanuel et s’entourât à Gaète d’un apparat aussi suggestif. L’empereur Guillaume peut mesurer ce qu’il a gagné à échanger comme chef de la politique internationale M. Delcassé contre Édouard vii. Au temps où M. Delcassé remplissait pour le meilleur profit de son pays une si importante fonction, il la remplissait de façon discrète et sage. Peut-être, en vieux gambettiste impénitent, mettait-il une pointe de coquetterie à souligner la revanche pacifique mais certaine que comportait pour la France l’isolement diplomatique de l’Allemagne. Encore cet isolement était-il relatif et le ministre français n’avait nullement l’intention — ses actes le prouvent — de travailler à en forcer les effets. C’est là ce qu’est en train de faire le roi d’Angleterre dans un but qui nous échappe. S’entendre avec l’Espagne pour avoir le droit d’utiliser en cas de guerre les ports dont la nature l’a si généreusement pourvue, s’entendre avec la Russie pour établir en Extrême-Orient un statu quo qui ne sera pas indéfini mais peut durer un lustre ou deux, ce sont là de bonnes précautions. Les chancelleries, sous l’impulsion royale les eussent prises de façon à la fois intégrale et silencieuse. Qu’était-il besoin d’entourer des actes si graves d’une dangereuse publicité et d’adresser sous une forme inédite mais directe un véritable défi à une puissance déjà trop portée à relever de la part de ses voisins, les moindres marques d’animosité. L’Allemagne a évoqué, depuis deux ans, par désir de diversions à ses difficultés intérieures, le spectre d’un péril français qui n’existait pas. On lui rend le service de donner à tous ses enfants la notion d’un péril anglais évident et indéniable. Cette modification si inquiétante dans la situation internationale se traduit déjà par un notable changement de ton dans les harangues germaniques. Tandis que l’unanimité nationale rapproche jusqu’aux socialistes et fait évanouir outre-Rhin les derniers vestiges des doctrines antimilitaristes, le chancelier n’éprouve aucune peine à prononcer les paroles qu’il eût fallu pouvoir dire il y a deux ans — mais qu’il ne pouvait pas dire alors parce que la situation, en réalité, ne les comportait point. En ce temps-là les expressions étaient inégales et souvent malencontreuses, les arguments portaient à faux, les raisonnements péchaient par la base. Aujourd’hui le prince de Bülow a le droit de présenter les choses tout simplement comme elles sont. Le Times a dit que son discours au Reichstag avait été franc, froid et sensé. C’est là le plus grand éloge qu’on en put faire. Par malheur c’est aussi la plus amère critique que l’on put adresser à la politique personnelle d’Édouard vii. Éloge et critique sont mérités.

Un instrument de révolution.

La fameuse « Confédération générale du Travail » contre laquelle le gouvernement français, quel qu’il soit, sera bien forcé de s’escrimer désormais est issue du congrès de 1894 qui se tint à Nantes. Depuis lors une multitude de congrès ouvriers s’assemblèrent — à Limoges, à Tours, à Toulouse, à Rennes, à Lyon, etc. — qui tous ou presque tous apportèrent quelque modification de détail à cette organisation difficile. Il s’agissait en somme de mettre d’accord deux ordres de groupements ; d’une part les syndicats professionnels ou syndicats de métiers, de l’autre les bourses du travail des différents régimes et les unions ouvrières englobant toutes les professions. Cet accord a fini par s’établir à mesure que les milieux syndicalistes s’imprégnaient de cette idée qu’une secousse violente était nécessaire pour transformer utilement la société et que l’évolution politique n’y saurait réussir. Nous parlons bien entendu des syndicats rouges car les syndicats jaunes professent une doctrine toute différente et, sans attendre grand bien de l’action politique, attendent grand mal de l’action révolutionnaire. Leur tendance est de se cantonner sur le terrain technique. Ce que représente la Confédération générale du Travail c’est l’effort groupé et global des éléments révolutionnaires. Les gouvernants qui depuis dix ans l’ont laissée se former ont agi avec une nigauderie dont la postérité sans doute se gaussera, mais qui présentement gêne beaucoup leurs successeurs, obligés d’intervenir pour maintenir au moins un semblant d’ordre.

Tout syndicat affilié à la C. G. T. est tenu d’adhérer à la bourse de sa localité. Un comité confédéral composé d’un délégué par fédération ou bourse faisant partie de la C. G. T. l’administre. Les bourses paient 0 fr. 60 centimes de cotisation annuelle par syndicat, et les fédérations 4 fr. 80 par cent membres. Un secrétaire et un trésorier appointés font marcher la machine. En 1899, il n’y avait encore que 21 fédérations affiliées et les recettes se montaient à 3.700 francs. L’année dernière, il y avait 2.399 syndicats représentant un total de 2.030.000 membres, et les recettes se tenaient aux environs de 19.000 francs. Cette organisation peu connue du public et d’ailleurs assez compliquée n’a pris corps devant l’opinion que par les prétentions de certains fonctionnaires, employés des postes, instituteurs surtout — de former des syndicats et de les affilier à la C. G. T. Alors l’opinion a saisi la portée du conflit et les pouvoirs publics ont commencé de s’émouvoir. La partie qui va se jouer est pleine d’intérêt et sera suivie attentivement dans le monde entier, car la question des syndicats de fonctionnaires, si elle n’est encore posée nulle part avec autant d’acuité qu’en France, est pourtant de celles dont les prémisses sont agitées en d’autres pays. C’est de plus une question très nette, très simple et très compréhensible, à la portée par conséquent de toutes les intelligences. Il est enfin très curieux de voir de quelle façon s’exercera en cette querelle l’intervention des « jaunes ». Il y a en tous lieux des « rouges » et des « jaunes» ; ils portent d’autres noms mais cela n’importe. Les ouvriers anti-révolutionnaires, en général silencieux et très nombreux, ne pourront tarder à dire leur mot dans une affaire qui touche si complètement leurs intérêts primordiaux.

Grèves italiennes et désordres roumains.

La France ne connaît pas encore une spécialité de la gréviculture dont l’Italie vient de fournir un curieux spécimen. Huit mille paysans de la région environnant la petite ville d’Argenta ont cessé le travail sans désordre d’ailleurs et non sans motifs. Une entente intervenue l’an passé entre travailleurs et propriétaires avait notablement amélioré la situation des premiers. Les contrats de métayage qui sont habituels en ce pays avaient revêtu des formes nouvelles très avantageuses pour eux : si avantageuses même qu’à l’usage, les propriétaires se repentant d’avoir trop cédé préférèrent dénoncer en grand nombre lesdits contrats. C’était leur droit absolu mais ce n’était peut-être pas très équitable quand même. Ainsi éclata cette grève qui s’étend sur 7.000 hectares environ et va causer au bas mot pour plus d’un million de francs de pertes. Les résistances de part et d’autre sont fortement organisées. D’un côté, les grévistes dont l’association siège en permanence dans une ancienne église désaffectée et qui est parvenue à réunir une vingtaine de mille francs de secours, lesquels permettent la distribution quotidienne des vivres indispensables ; huit cents enfants d’ailleurs ont été soustraits à la misère quand même menaçante par la générosité des villes voisines ; ils sont hospitalisés dans des familles ouvrières à Bologne, à Forli, à Imola, etc… D’un autre côté se dresse la ligue de défense constituée par les propriétaires ; ceux-là sont quatre cents et le fonds de réserve qu’ils ont formé s’alimente par le versement d’un franc par hectare. Une circonstance très caractéristique s’ajoute aux nouveautés de cette situation. En vertu d’un vieux privilège datant du xve siècle, l’archevêque de Ravenne donnait tous les vingt neuf ans aux propriétaires une investiture fictive de leurs terres dont il était censé être le possesseur primordial. En échange, il recevait d’eux une subvention annuelle. Cette subvention a été refusée cette année. Il est peu probable qu’elle soit rétablie.

L’Italie éprouve en même temps sur d’autres points des soucis différents. La grève des aciéries de Ferni présente ceci d’exceptionnel que le personnel a menacé de quitter en masse pour émigrer et, comme l’État s’y fournit de canons et de projectiles, la fermeture même momentanée de pareils établissements serait de grave conséquence. Quant aux troubles de Moldavie, ils ont revêtu un aspect tragique et paraissent nettement antisémite dans leur origine et leur évolution. Quarante mille paysans révoltés ont mis à sac près de trois cents propriétés, et faute d’avoir su prendre en temps voulu les mesures nécessaires, le gouvernement roumain s’est trouvé un moment en face de la situation la plus inquiétante. Il semble qu’il y ait en Moldavie un véritable trust sur les fermages mis sur pied par des israélites autrichiens et qui n’engloberait pas moins de 79 communes. Au dire d’un haut fonctionnaire roumain, 915 fermiers étrangers détiendraient aujourd’hui dans ce pays 855.687 hectares de terre arable « si bien que les paysans ne trouvent plus de terre à cultiver pour leur propre compte et qu’ils sont obligés de travailler pour les trusteurs à des conditions ne leur laissant guère d’espoir de s’assurer quelque bien-être par leur travail ». S’il en est ainsi, l’État roumain qui a loué au trust un domaine de 160.000 hectares, a été bien coupable et bien imprévoyant. Il l’a été plus encore en ne prenant pas dès longtemps des mesures pour enrayer l’usure. Comme le dit fort bien M. Roland de Mares dans l’Indépendance Belge, « à force de prêter à de gros intérêts la fortune des uns passe inévitablement aux mains des autres et quand il se trouve dans une contrée quelques centaines de familles ainsi dépossédées, elles s’assemblent et tentent de reprendre par la violence ce qu’elles ont dû abandonner aux prêteurs. Au fond de tous les massacres d’Arménie, au fond de toutes les persécutions juives, on trouve cette cause première ».

Ministres et députés nouveaux.

Une des conséquences des événements de Moldavie a été de jeter à bas le cabinet conservateur qui gouvernait à Bukarest. M. Cantacuzène a céder la place à M. Demetrius Stourdza, chef du parti libéral. Le groupe conservateur dissident dirigé par M. Carp apportant son appui au nouveau cabinet, on peut espérer que celui-ci trouvera la force de présenter et de faire voter des lois propres à remédier intelligemment à l’accaparement des terres. Le nouveau ministère belge n’est issu d’aucune grande secousse et ne voit point se dresser devant lui d’aussi grands labeurs. M. de Trooz remplace le comte de Smet qui était président du conseil depuis nombre d’années et avait fait preuve des plus sérieuses qualités. Sa situation toutefois s’était peu à peu ébranlée. Il se retire, momentanément sans doute, avec l’estime de tous. Quant à la crise hollandaise, elle fut un tantinet ridicule. Ouverte le 11 février, elle n’était pas encore résolue à la fin de mars. La question était si complexe que la Chambre, en reprenant ses travaux, passa quatre jours à l’élucider sans y réussir. À cet incident, il est une morale, c’est que pour changer de gouvernement, il ne suffit point de renverser l’ancien, mais qu’il faut encore pouvoir édifier le nouveau. Les députés oublient fréquemment cette vérité et par fois les chefs d’État la négligent de leur côté. Les élections d’Espagne sont peu satisfaisantes. Sans doute ayant fait passer 262 conservateurs, M. Maura possédera une majorité d’une cinquantaine de voix ; encore faudrait-il être sur que cette majorité sera stable et disciplinée. Mais ce qui va faire complètement défaut, c’est une opposition raisonnable. Le parti libéral qui n’a su profiter ni des circonstances ni de la faveur du roi, est réduit à soixante-trois sièges ; les républicains en ont trente. Enfin, une forte coalition catalane englobant des carlistes et des républicains, va se trouver à même de semer sur le pays la mauvaise graine fédéraliste. Rêver d’installer la République à Madrid est déjà la preuve d’un jugement imparfait, mais rêver d’une république fédéraliste est une pure insanité. L’Espagne est convalescente d’une maladie de langueur, suite d’excès séculaires. Il s’agit avant tout de ne point troubler, sous prétexte de remèdes fortifiants, la réfection naturelle de son organisme.

En Égypte.

Le rapport qu’annuellement Lord Cromer adressait à son gouvernement au sujet des affaires égyptiennes confiées à ses soins, présentait cette fois un intérêt exceptionnel. Le haut commissaire anglais ne manquait point d’y aborder la question de l’attitude à prendre vis-à-vis du mouvement nationaliste égyptien ; il l’abordait toutefois — comme il proposait de la résoudre — c’est-à-dire de biais. Au lieu de discuter en la désapprouvant, l’idée d’un parlement autonome, il offrait de constituer un conseil législatif composé de telle façon que les tendances nationalistes y fussent représentées assez largement, mais tenues en échec par les éléments d’ordre. Ce Conseil aurait compris quatre fonctionnaires égyptiens, un juge européen de la Cour d’appel indigène, six juges des cours mixtes, vingt membres élus et cinq membres non fonctionnaires désignés par le gouvernement Khédivial.

Ce plan ingénieux sera sans doute exécuté tant il comporte d’avantages et pour l’Angleterre et pour l’Égypte. Mais ce n’est pas lord Cromer qui en sera chargé. Après un proconsulat de plus de vingt ans, on l’a discrètement invité à demander sa retraite pour raison de santé et on lui a donné comme successeur Sir Eldon Gorst. Ceci apparaît comme une sorte de victoire personnelle du Khédive. Autant lord Cromer s’était rendu antipathique au prince, autant Sir Eldon Gorst lui est sympathique. Or ce sont là questions de nuances, de formes et de tempérament. Au fond, il faut bien reconnaître que le nouveau Haut commissaire anglais ne saurait faire plus pour l’Égypte que n’a fait l’ancien car l’œuvre de celui ci apparaît, vue d’ensemble, simplement admirable. Les finances restaurées, une police vigilante, une justice impartiale, la construction du barrage d’Assouan et du réservoir d’Assiout dont on peut dire qu’ils transforment l’avenir économique du pays, l’abaissement des taxes, la suppression de la corvée des droits d’octroi et des droits de navigation, la réduction des tarifs de transports et l’augmentation du réseau des routes et voies ferrées, la vente aux fellahs de terrains domaniaux, le développement du crédit agricole, le doublement de la production indigène, l’élévation de douze millions de livres subie en dix ans par les exportation, voilà le bilan des travaux de lord Cromer. Il est infiniment respectable. Le revers de la médaille, c’est la manière non pas cruelle mais autocratique dont ces progrès furent réalisés, avec la volonté formelle de concentrer entre les seules mains anglaises le pouvoir et l’administration et de réduire le souverain, ses conseillers et ses représentants, au rang de fantoches ridicules. Lord Cromer alla trop loin dans cette voie, trop loin surtout pour un cabinet libéral qui, venant de distribuer des faveurs plus ou moins autonomes au Transvaal, à l’Irlande, à l’Inde même, ne pouvait en Égypte adopter une ligne de conduite si opposée. Lord Cromer lui-même sentit la nécessité de certains changements ; il en proposa de fort sages, mais il était trop tard. Il dut résigner ses fonctions comblé d’ailleurs d’éloges et d’honneurs. Désormais donc l’élément égyptien va être admis à jouer un rôle quelconque dans l’administration et le gouvernement. Ne perdons pas de vue que c’est là la rentrée de l’influence française dans les sphères officielles ; et certes les Français ont droit de s’en réjouir sans manquer le moins du monde aux stipulations ou même à l’esprit de la convention de 1904.

Nicaragua et Honduras.

Ces deux pays sont en guerre comme on sait, guerre civile uniquemment déterminée par des divergences politiques. Avec la meilleure volonté du monde en effet il est impossible de considérer le Nicaragua et le Honduras autrement que comme deux morceaux d’une seule patrie. Même sol ou peu s’en faut, pittoresque et montueux, même étendue de côtes baignées par les mêmes eaux, même superficie d’environ 120.000 kilomètres carrés et même chiffre de population (ici 600.000 et là 550.000 habitants). Tegucigalpa et Managua, les deux capitales, sont des villes de 30.000 âmes. Inutile de dire que la race et la langue sont également semblables. La constitution nationale du Honduras et celle des Nicaragua consacrent du reste ces similitudes puisqu’elles stipulent que tout citoyen de l’un des deux États peut être élu député dans l’autre ; enfin un même drapeau symbolise l’absence de frontières réelles. Une seule différence ; la dette du Nicaragua n’est que de trois millions et demi de pesos or alors que celle du Honduras s’élève à cent millions. Mais comme ce dernier pays a contracté, il y a trente ans déjà, l’habitude de n’en plus payer les intérêts, cette différence est devenue théorique et n’affecte personne. En ces parages, on joue à la bataille comme font les enfants. Un temps viendra ou les habitants de ces régions fortunées deviendront les concierges d’une rue interocéanique. En ce temps-là, l’énorme lac du Nicaragua, long de 22 lieues et large de 12, verra passer les steamers de toutes les nations. De l’Atlantique au Pacifique, la voie déjà à demi tracée par la nature aura été complétée par le génie de l’homme. Mais les indigènes regretteront peut-être l’heure ils se disputaient entre eux en un passionnant foot-ball politique.

Le passé de Monaco.

Cinq siècles avant Jésus-Christ, les Monégasques étaient déjà des gens tranquilles et bien à leur aise. D’origine phénicienne, ils s’étaient établis au pied du rocher de la Tête de Chien ; ils contemplaient les jeux de la belle lumière, cultivaient la vigne et l’olivier et bâtissaient des temples aux lignes harmonieuses. Du monde extérieur ils n’avaient cure et le monde extérieur ne les connaissait pas. On se battit derrière eux. Annibal et Marius passèrent sans les voir. Plus tard, comme ils étaient riches, ils durent tout de même payer tribut aux Césars.

Et l’an xii avant Jésus-Christ, des montagnards s’étant rebellés, l’empereur Auguste en personne les força à rentrer dans l’ordre ; pour commémorer sa victoire, il édifia au sommet de la Tête de Chien un monument gigantesque qu’on appelait le Trophée des Alpes. On vécut encore des années satisfaites. Et puis vinrent les barbares, Visigoths, Burgondes, Ostrogoths, Lombards ; et après ceux-ci, les Arabes. Quelque repos sous Charlemagne et tout aussitôt le ravage reprit. En luttant sous la conduite d’un comte de Provence, fils du roi d’Arles contre des bandes hongroises, un Grimaldi se distingua. Othon ier conféra à ses descendants le titre princier. Les premiers princes furent belliqueux, prirent part aux croisades, annexèrent les seigneuries voisines, se disputèrent avec les Génois et les Pisans qui, coalisés, assiégèrent en vain Monaco. Charles-Quint y plaça une garnison Espagnole que la France tenta d’en chasser. En 1641, celle-ci établit son protectorat. Les Grimaldi auxquels Louis xiv conféra le duché de Valentinois s’éteignirent en 1731 et, par la faveur du roi de France, le gendre du dernier prince se substitua au défunt et continua sa dynastie. Pendant la révolution, le prince Honoré iii fut déposé par ses sujets et la Convention annexa le territoire de Monaco à la France. La principauté fut rétablie en 1814. Honoré v et son fils Florestan qui régnèrent de 1819 à 1846 furent malheureux en leurs tentatives de réformes économiques et financières. On chansonna les « monacos », les petites pièces de cuivre dont personne ne voulait ; Honoré v qui était philosophe se consolait de ses déboires en allant siéger au Luxembourg en tant que pair de France… Monaco depuis 1815 était occupée par une garnison sarde et ce fut sous le protectorat piémontais que se plaça la minuscule république proclamée en 1848. En 1856, Napoléon iii parvint à remettre sur le trône le fils de Florestan auquel il assura une rente de 200.000 francs en compensation de la perte des villes de Menton et de Roquebrune empressées à proclamer, la guerre d’Italie, après leur annexion à la France… Tels sont les traits principaux de la longue histoire de Monaco que nous conte la Revue d’Italie. C’est une histoire à laquelle personne ne songeait et qui n’est pas sans intérêt. La visite à Berlin du prince Albert, l’océanographe, lui donne quelque actualité.


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