Revue littéraire - Les Romans de Pierre Loti

Revue littéraire - Les Romans de Pierre Loti
Revue des Deux Mondes3e période, tome 60 (p. 212-224).
REVUE LITTÉRAIRE

LES ROMANS DE PIERRE LOTI.

Aziyadé, 1879. — Le Mariage de Loti, 1880. — Le Roman d’un spahi, 1881. — Fleurs d’ennui, 1882. — Mon Frère Yves, 1883, 5 volumes; Calmann Lévy.

C’est vraiment un plaisir, c’est une satisfaction d’une espèce assez rare, quand on a pu craindre qu’un écrivain, jeune encore et d’un réel talent, n’allât compromettre ses meilleures qualités dans une voie qui n’était peut-être pas précisément la bonne, de le voir de lui-même reconnaître son erreur, et, comme l’auteur du Mariage de Loti, revenant un beau jour à la vérité, nous donner Mon Frère Yves après le Roman d’un spahi. S’il y avait en effet quelques qualités dans ses premiers récits, il y avait bien des défauts; s’il y avait certainement du talent, il n’y était pas toujours employé comme il eût fallu : trop d’exotisme, si je puis ainsi dire, et, selon l’aveu de l’auteur lui-même, trop d’amour troublant. Souhaitons au moins que Mon Frère Yves ait marqué dans le progrès du talent de Loti une époque décisive, et puisse le succès assuré de sa nouvelle manière le préserver de retomber désormais dans les affectations de l’ancienne! Les vrais et bons naturalistes commencent décidément à se sentir honteux de se voir dans le miroir que leur présentent leurs maladroits imitateurs; en s’y reconnaissant, ils se condamnent; l’auteur de la Faustin s’indigne d’avoir couvé celui de Ludine, et Charpentier lui-même rougit en feuilletant les livres que publie à Bruxelles Henry Kistemseckers. Les premières œuvres de Loti peuvent être enveloppées dans un bref jugement d’ensemble. Aziyadé, le Mariage de Loti, le Roman d’un spahi, sont trois récits de valeur assez inégale, je serais quasi tenté de dire trois récits de valeur décroissante, mais trois récits, au fond, de la même famille et de la même nature d’intérêt : trois aventures d’amour, dont le fortuné Loti, sous divers déguisemens, costumé tantôt à la turque et tantôt à la polynésienne, est toujours le héros ; dont les héroïnes, sous les noms plus ou moins bizarres d’Aziyadé, de Rarahu, de Faton-gaye, la blanche, la rouge et la noire, sont assez semblables l’une à l’autre, et dont les détails enfin, les accessoires, le cadre seuls diffèrent un peu profondément: — Constantinople pour Aziyadé, Tahiti pour le Mariage de Loti, le Sénégal pour le Roman d’un spahi. C’est joli quelquefois, mais toujours très décousu ; c’est vivant, et cependant bien factice; et c’est poétique, si l’on veut, mais tout de même trop artificiel. Par une disposition d’esprit sans doute assez singulière, j’aime à comprendre ce que je lis, et je suis curieux de bien voir ce que l’on me dit que l’on me montre. C’est pourquoi les « couronnes de rêva-rêva, » les « colliers de soumaré, » les mœurs maories, les modes khassonkées, les « champs de Dialakar » eux-mêmes, et la « plage de Papéuriri, » tout cela, je l’avoue, ne me dit pas grand’chose; et pour un peu de vérité humaine je donnerais tout ce paillon, tout ce clinquant, toute cette verroterie romantique. C’est un grand avantage que d’avoir voyagé, mais il n’en faut pas abuser ; le turc est sûrement une belle langue, et le tahitien aussi, mais pas quand on écrit en français; et si je fais grand cas de l’art de peindre, c’est à la condition de pouvoir juger de l’exactitude, et de la ressemblance, et de la vérité de la peinture : une exagération de couleur locale me gâte ces premiers récits.

Entre autres influences littéraires, il n’en est pas beaucoup que l’auteur de Mon Frère Yves ait plus docilement subies que celle de Flaubert. Il a raison. Dans l’art de la description, Flaubert demeurera longtemps encore un maître que l’on ne saurait trop étudier. Nous ne demanderons donc à Loti que de se souvenir que l’auteur de Salammbô n’existerait seulement pas, comme on nit familièrement, s’il n’était en même temps l’auteur de Madame Bovary. L’imitation de la nature n’est pas, quoi qu’on en dise, l’unique objet de l’art; mais, dans la mesure où l’art est une imitation de la nature, il faut que nous puissions contrôler la nature de l’imitation. En fait, nous n’apprécions véritablement de la description la plus polynésienne ou la plus carthaginoise, — toutes les fois du moins qu’elle n’est pas inintelligible, — que ce que justement elle enveloppe en soi de moins punique et de moins maori.

Une autre influence, dont les traces ne sont pas moins visibles dans les deux premiers de ces récits, c’est l’influence de Byron, ou, si l’on aime mieux, de Musset, j’entends le Musset des Premières Poésies, celui qui buvait certainement dans son verre, mais un peu aussi, quand on ne le regardait pas, dans le verre de Byron. S’il n’y a rien dans le Mariage de Loti qui rappelle Paul et Virginie (comme on l’a dit fort imprudemment), ni rien (car c’est à quoi l’on eût dû songer tout d’abord), qui rappelle Graziella; quelques traits d’Aziyadé, non pas d’ailleurs des plus heureux, peuvent rappeler Namouna d’assez loin, et, au travers de Namouna, le dandysme affecté de Don Juan. Un désordre voulu, calculé pour l’effet, des notes de voyage, des croquis de touriste jetés au milieu de l’imbroglio léger de l’aventure d’amour, des tirades philosophiques, des effusions de lyrisme, du scepticisme, de la désespérance, des descriptions, des costumes, des cris de rage, et, — comme on disait au commencement du siècle, — des sanglots de volupté : c’est le livre qu’au temps du collège tous les hommes qui vont aujourd’hui vers la quarantaine ont plus ou moins rêvé d’écrire, et, au talent près, qui par places est déjà remarquable, c’est le roman d’Aziyadé. Les lecteurs du Mariage de Loti n’ont sans doute pas manqué d’y noter encore quelques-uns de ces traits. Il y en a jusque dans le Roman d’un spahi, et jusque dans Fleurs d’ennui. Si nous ajoutons que ce dernier volume, comme aussi bien son titre le semble franchement déclarer, procède pour une large part de l’inspiration de l’auteur des Fleurs du mal, nous l’aurons jugé d’un mot. Il ne se dégageait du Roman d’un spahi qu’une grande impression de chaleur; il ne se dégage de Fleurs d’ennui qu’une impression très vive de désappointement. Sans difficulté, de tout ce que nous a donné l’auteur de Mon Frère Yves, il n’a rien écrit de plus faible. Ce sera donc en retour lui donner un avis utile que de lui conseiller de renoncer à un genre pour lequel il n’est vraiment pas fait.

On ne s’étonnera pas qu’au lieu d’analyser des récits qui d’ailleurs ne supporteraient guère l’analyse, nous tâchions plutôt de rapporter à ses premières origines le talent de leur auteur. C’est, en effet, ainsi que chacun de nous va tâtonnant, s’exerçant, se faisant la main d’imitation en imitation et de modèle en modèle, jusqu’à ce qu’il en rencontre un enfin au contact de qui sa véritable originalité se dégage. Ou nous nous trompons fort, ou l’auteur de Mon Frère Yves n’est devenu tout à fait lui-même que dans ce dernier récit, et au contact de l’auteur de Jack. Tout en y notant quelques-unes des mêmes qualités que dans le Mariage de Loti, ou dans le Roman d’un spahi, je voudrais surtout montrer en quoi Mon Frère Yves en diffère, et que son principal mérite est justement d’en différer.

En fait de romans maritimes, puisque cette singulière désignation est communément reçue, ce que nous avions de mieux, c’étaient les souvenirs du bonhomme Jal, quelques récits d’Eugène Sue, qui n’était pas tout à fait un ignorant des choses de la mer, et les romans de l’honorable M. de La Landelle. Je les rappelle avec intention, parce que si, par hasard, quelque lecteur de Loti ne les connaissait pas, je voudrais qu’il les lût, qu’il les parcourût au moins, non pas pour s’y plaire, mais pour y apprendre à mieux apprécier par contraste toute la nouveauté, toute l’originalité, toute la vérité de Mon Frère Yves. Ce qui manquait le plus dans ces romans maritimes, c’était la mer; elle remplit Mon Frère Yves de son infinie diversité. Mais laissons les comparaisons. N’imitons pas surtout ces admirateurs intempérans qui, comme ils avaient prononcé le nom de Bernardin de Saint-Pierre à l’occasion du Mariage de Loti, n’ont pas craint, à l’occasion de ce dernier récit, d’enchérir encore et de prononcer le grand nom de Chateaubriand. De pareils éloges, assénés sur la tête d’un débutant, l’assomment. L’avenir seul dira quelles œuvres du présent soutiendront la comparaison des chefs-d’œuvre du passé. Contentons-nous donc de noter dans Mon Frère Yves une faculté singulière d’imprégnation des sens par la forme, la couleur, l’odeur même des choses; et cette faculté servie par une puissance d’expression non moins rare, pour les rendre exactement telles qu’on les a senties. Relisez attentivement quelques-unes de ces descriptions: « La Sevre marche tout doucement dans une brume épaisse, poussant de minute en minute un coup de sifflet qui résonne comme un appel de détresse sous le suaire humide qui nous enveloppe. Les solitudes grises de la mer sont autour de nous, et nous en avons le sentiment sans les voir; » ou bien encore celle-ci: «La mer de corail! Rien que le bleu immense. Autour du navire qui file doucement, l’infini bleu déploie son cercle parfait. L’étendue brille et miroite sous le soleil éternel. Partout, tout est pareil. C’est la grande splendeur des choses inconscientes et aveugles que les hommes croient faites pour eux. » Combien d’autres que je pourrais choisir au hasard, mais où le lecteur peut assez facilement se reporter, sans que je prenne ici la peine de les reproduire! S’il ne manquait pas, dans le Mariage de Loti ni même dans le Roman d’un spahi, de jolies ou hardies descriptions, l’effet en était trop souvent accroché, si je puis ainsi dire, à quelque vocable exotique, aux branches d’un « goyavier, » ou d’un « palétuvier. » Nous sommes rentrés ici dans la vérité de l’art, qui consiste à décrire les choses les plus particulières par les termes les plus généraux, et d’autant plus généraux qu’il s’agit de nous communiquer l’impression de choses plus particulières. Car, ou l’oublie trop souvent parmi nos poètes et nos romanciers, à moi qui ne les ai jamais vues, ce ne sont pas les mots propres ou spéciaux qui me donneront la sensation de la mer de corail ou des brumes intenses de la Manche, mais une combinaison propre et spéciale des termes du commun usage : « les solitudes grises de la mer, » ou « le miroitement de l’étendue sous le soleil éternel. » En trois ans de temps, depuis le Mariage de Loti, ce n’est pas le moindre progrès qu’ait accompli l’auteur de Mon Frère Yves.

On n’appréciera pas moins ses descriptions de la terre de Bretagne, un peu nombreuses peut-être, et peut-être, à ce qu’il semble d’abord, un peu répétées, mais d’une couleur si juste et d’un accent si vrai ! La gradation surtout en est merveilleusement observée. Je doute si jamais on a plus profondément senti le charme lent, successif, insensible de cette terre mélancolique ; — avec ses landes incultes, son granit à fleur de terre, ses chênes rabougris, son ciel bas et pluvieux, tout enfin ce qu’elle a de laideurs expressives qui finissent par conquérir à sa tristesse les plus rebelles eux-mêmes; — et je doute si jamais on l’a plus fidèlement rendu. Et puis, car nous ne saurions trop le répéter à l’auteur, et puis c’est la Bretagne ; c’est un pays connu, ce sont des tableaux auxquels notre œil est comme fait par avance, et dont nous n’avons pas besoin d’avoir vu les modèles pour louer la ressemblance, puisqu’ils ne sont après tout que des associations nouvelles d’élémens anciens, de formes familières tt de couleurs accoutumées. « La pluie tombait, fine, froide, pénétrante, continue ; elle ruisselait sur les murs, rendant plus noirs les hauts toits d’ardoise, les hautes maisons de granit, elle arrosait comme à plaisir cette foule bruyante du dimanche, qui grouillait tout de même, mouillée et crottée, dans les rues étroites, sous un triste crépuscule gris… L’air aval : quelque chose de tellement terne, de tellement éteint qu’un ne pouvait se figurer qu’il y eût quelque part un soleil ; on en avait perdu la notion. On se sentait emprisonné sous des couches et des épaisseurs de grosses nuées humides qui vous inondaient ; il ne semblait pas qu’elles pussent jamais s’ouvrir et que derrière il y eût un ciel. On respirait de l’eau. On avait perdu conscience de l’heure, ne sachant plus si c’était l’obscurité de toute cette pluie ou la vraie nuit d’hiver qui descendait. » Connaissant tous ces mots, je puis voir effectivement toutes ces choses. Et c’est précisément pourquoi je n’ai pas besoin d’avoir vu Brest pour le reconnaître sous cette pluie. Mais ceux qui le connaissent ajouteront seulement que, même dans un temps où la moderne école a poussé si loin l’art de la description, on n’a pas souvent décrit avec cette justesse et cette sincérité.

Ce n’est pas tout que de décrire. Quelques sceptiques ici seraient même capables de prétendre que c’est assez peu de chose, parce qu’en effet, s’il est de nos jours une partie de l’art qui soit réduite en procédés et par conséquent s’apprenne, c’est sans aucun doute la description. Il y en a d’autres encore qui ne sont pas éloignés de croire que les cadres ont été faits pour entourer les toiles, et non pas les toiles inventées pour remplir les cadres. Je les trouve gens de bon sens. Toutes ces descriptions de Mon Frère Yves, à quoi servent-elles donc, et, dans leur bordure si savamment ouvragée, qu’encadrent-elles? Comme il m’a paru que quelques-uns au moins ne l’avaient pis discerné très nettement, essayons de le leur faire voir.

Ce serait y mettre assurément de la mauvaise volonté que de refuser de reconnaître, — même à l’auteur d’Aziyadé et du Mariage de Loti, — ce que l’on appelle aujourd’hui le don de la vie. Entendons-nous bien sur le mot. Quand vous voudrez éprouver si le poète ou le romancier ont réellement reçu ce don, faites attention que ce n’est pas d’abord aux personnages principaux qu’il vous faut regarder. On s’y trompe fréquemment. Mais les personnages principaux, ceux qui doivent animer de leur présence jusqu’aux parties de l’œuvre dont ils sont matériellement absens, ceux-là, pour les faire vivre de la vie de l’art, il y faut d’autres qualités : les qualités supérieures de l’invention et de la composition. Regardez donc aux personnages épisodiques ou secondaires, dont le rôle est de côtoyer l’action presque sans s’y mêler, que le romancier, pour cette raison, a dû se contenter d’esquisser en silhouette, et, s’ils vivent, ne cherchez pas plus loin et n’hésitez pas davantage, vous pouvez dire hardiment que le romancier a le don de la vie. Ils vivent dans Mon Frère Yves. Et dans ce récit qui semblerait n’avoir qu’un seul homme pour héros, vous seriez peut-être étonné, vous-même qui l’avez !u, si je voulais énumérer un à un tout ce qu’il y a de personnages réels qui passent en nous laissant un souvenir inoubliable d’eux-mêmes. Je veux faire au moins mention de ces dames de Brest, Mme Kerdoncuff et Mme Quéméneur, qui n’ont que deux scènes, comme on dit au théâtre, mais deux scènes d’un comique si amer et si profond. Je ne puis pas ne pas rappeler encore la femme d’Yves et sa sœur Anne, et la vieille mère des Kermadec, et le vieux Corentin Keremenen. Mais je tiens à signaler tout particulièrement la petite Corentine et le petit Pierre comme deux des plus jolies esquisses d’enfant qu’il y ait dans le roman contemporain, où je ne sais pourquoi nous en rencontrons si peu. Tout ce monde vit, d’une vie réelle, d’une vie intense, et comme il serait à souhaiter que l’on sût toujours le faire vivre, non point par l’effet du détail accumulé, mais par le choix, la force, et la netteté du trait. En ce genre difficile de faire, comme on disait jadis, quelque chose avec rien, la procession de Toulven et le retour du pardon de Plougastel sont des morceaux achevés.

J’aime moins le personnage principal et je dirai tout à l’heure pourquoi. Mais, tout en l’aimant moins et même beaucoup moins, ce n’est pas une raison de n’y pas louer une étude vraiment hardie de passion et de caractère. C’est un lieu-commun, je le sais, qu’il n’y aurait pas de vrai roman sans amour. Pourquoi cela ? Il peut y en avoir, il y en a. Le Silas Marner de George Eliot est un chef-d’œuvre : c’est une étude d’avare. L’Abbé Tigrane, de M. Ferdinand Fabre, est une œuvre de prix : c’est une étude d’ambitieux. L’Assommoir, de M. Émile Zola, n’est certes pas une œuvre méprisable : c’est une étude d’ivrogne. Ainsi de Mon Frère Yves. L’amour n’y tient que le peu de place qu’il occupe dans la vie de tant de nos semblables, et puis l’auteur, dans ses précédens récits, a déjà si souvent parlé d’amour que plus que personne peut-être il avait conquis le droit de s’en taire une fois. Le roman n’en est pas pour cela moins roman. Libre aux dégoûtés de dire cavalièrement que c’est un beau sujet de drame que de savoir, à chaque tournant de l’action, si Kermadec s’enivrera ou ne s’enivrera pas. Et après ? Comme si, dans Manon Lescaut, par exemple, l’intérêt était autre que de savoir si Des Grieux quittera Manon ou s’il ne la quittera pas ! ou comme si généralement, dans quelque roman que ce soit, et quand il aurait dix volumes, comme Clarisse Harlowe, il s’agissait d’autre chose que de savoir si quelque chose arrivera ou n’arrivera pas ! Il est probable que l’amour, c’est-à-dire tout ce que l’on enveloppe sous ce nom de diversité d’appétits, de désirs et de sentimens, gardera longtemps encore, pour beaucoup de raisons, dans la poésie, au théâtre, et surtout dans le roman, la supériorité d’intérêt qu’il a sur les autres passions. Mais les autres passions, quoique ne l’ayant pas au même titre universel, n’auront pas moins quelque droit d’y être, elles aussi, représentées, et d’y prendre leur place, puisqu’elles l’ont bien dans la réalité. Partout donc où la nature, c’est à-dire la race, le tempéramant, l’instinct auront mis quelque principe de plus grande action ; partout où ce principe rencontrera des obstacles à son développement ou, au contraire, des facilités ; partout enfin où ce développement, en vertu de la solidarité de la famille ou de cette solidarité plus générale qui nous lie chacun à plus de gens que nous ne croyons, risquera de compromettre la fortune, le bonheur, la vie de plusieurs personnes humaines ; que ce principe soit ce que l’on voudra, qu’il soit l’appétit de l’or ou l’ambition du pouvoir, et qu’il soit l’amour du vin ou même la fureur de l’opium, il y aura toujours matière à psychologie et conséquemment toujours matière au drame ou au roman. Ce sera seulement plus difficile. Toit le monde, en effet, comprend assez ce que peut avoir de puissance l’attrait d’un sexe vers l’autre. Moins de gens comprennent l’attraction de l’avare pour l’or et l’affinité de l’ivrogne pour le vin. Il faut donc d’abord les leur expliquer. Les leur a-t-on expliquées, il reste à les dramatiser. C’est encore où l’on a les plus grandes chances d’échouer, parce que ce sont là des passions solitaires, qui ne tendent pas à la possession effective d’une personne humaine, maîtresse d’elle-même et de ses actes. L’avarice, l’ambition, l’ivrognerie ne développent qu’indirectement, et comme par contrecoup, leurs effets dramatiques. Il est donc bien moins aisé de nous y intéresser, parce qu’il y faut bien plus d’observation, d’analyse, de psychologie.

Dans cette tentative qui honore toujours beaucoup ceux qui l’ont faite, — et même quand ils ont manqué le but, — je ne sais si l’auteur de Mon Frère Yves a complètement réussi. J’aurais voulu, par exemple, qu’il creusât le personnage un peu plus profondément, et qu’il nous en expliquât la passion par quelque chose de plus psychologique et de moins facile à noter, une fois pour toutes, que la fatalité de l’instinct héréditaire. Les Bretons boivent, le père d’Yves Kermadec a bu, ses frères boivent : ce n’est pas assez pour me demander de m’intéresser à lui. « Oh! la boisson! la boisson! dit-il lentement, ses yeux se détournant, à demi fermés, avec une expression farouche... Mon père! mes frères!.. à présent, c’est mon tour. » Soit; mais de quelque poésie mystérieuse et sombre que l’auteur ait essayé d’envelopper cette hérédité du vice, on attendait quelque chose de plus, et il y a là une lacune dans le caractère de son personnage. Mais j’aurais voulu surtout qu’il lui donnât de son vice une conscience plus éclairée, plus élevée même, et qu’il en mît la violence en lutte plus ouverte, et plus dramatique par conséquent, avec quelque autre chose que la « discipline du bord » et le respect de son officier. Il a failli plusieurs fois le faire. A plusieurs reprises, il y a dans le récit comme des points d’attache où l’on attendait la lutte à commencer enfin, mais le fils, le mari, le père se dérobe, il ne demeure que la brute, et la lutte ne s’engage pas. Cependant nos matelots, quel que soit sur eux l’effet de cette vie hors nature qu’ils mènent, ont leurs affections naturelles, ils ont leur sentiment, confus peut-être, mais très certain, de la dignité de l’homme, et leur idée plus ou moins vague, plus ou moins nettement définie, mais très positive du devoir. C’est ce que l’on regrette, je ne dirai pas de ne pas trouver, — c’en serait trop dire, — mais de ne pas voir assez fortement marqué dans Mon Frère Yves. L’auteur avait le droit d’étudier l’ivrognerie; c’est un vice qui s’empare assez profondément de ceux qu’il a une fois touchés ; et dans l’existence de nos marins comme dans celle de nos ouvriers les conséquences en sont d’ailleurs assez tragiques. Seulement, dans la peinture que nous en offre Mon Frère Yves, il manque un peu de cette élévation dont les plus incultes et les plus grossiers eux-mêmes ne doivent pas être tout à fait destitués, et pour cette raison bien simple que, s’ils l’étaient réellement, cela suffirait pour qu’ils fussent indignes d’être étudiés et représentés par l’art.

Si nous appuyons tant sur ce défaut, c’est qu’il n’eût probablement dépendu que de l’auteur de le réparer. C’est du moins ce que me font espérer quelques scènes de Mon Frère Yves, — non plus sénégalaises ou polynésiennes, celles-là, mais vraiment humaines ; — d’une grande force de sentiment et d’une belle simplicité d’exécution. Telle est cette scène où la vieille mère, par l’intermédiaire de sa fille, qui traduit son breton en français, recommande Yves à son frère et lui fait jurer solennellement, sur une image du Christ, de veiller toujours et partout sur ce dernier né des Kermadec, le seul de ses huit garçons qui lui reste et que la passion de boire n’ait pas encore fait déserter ou tué. Telle est cette autre scène encore où le malheureux, après trois jours de bordées, vient annoncer à sa femme qu’il déserte, et « doucement, avec un calme sombre, » sans colère et presque sans remords, comme quelqu’un qui voit échoir une fatalité depuis longtemps prévue, dépose sur la table « deux cents francs en grosses pièces d’argent ; » le prix qu’il vient de vendre à une espèce de corsaire un peu plus que sa vie, puisque ce sont toutes ses raisons de vivre : la liberté, la famille, le coin de sol natal et le droit de revoir jamais le ciel de la patrie. Telle est enfin, pendant une campagne d’Yves, la visite de Marie, pour la première fois, à sa belle-mère : le froid accueil que fait la vieille femme à celle qui, en lui prenant son fils, lui a enlevé le dernier soutien de sa misère et de sa solitude, l’enfant qu’elle embrasse dans les coins, « en se cachant, » le petit Pierre, son petit-fils, et quand vient le jour de la séparation, quand la mère et l’enfant roulent déjà dans la voiture qui les remporte à Brest, cette course après la diligence et toute cette glace qui se fond dans un adieu suprême, parmi les larmes et des baisers. C’est à quoi ne nous avait pas habitués l’auteur du Mariage de Loti. Voilà qui est trouvé, peut-être parce que c’est ce qu’il a le moins cherché. Mais ce qu’il a fait là une fois, deux fois, trois fois, et dans plusieurs autres endroits encore, rien sans doute ne s’oppose à ce qu’il le refasse. Et qu’il soit bien persuadé que si ses descriptions l’ont déjà, presque dès ses débuts, classé parmi les artistes, ce sont des scènes de ce genre qui seules le classeront parmi les romanciers.

Un autre mérite que nous ne saurions omettre de signaler dans Mon Frère Yves, c’est l’originalité de la note personnelle. Si l’auteur a eu quelque peine à se dégager des influences littéraires, simultanées ou successives, qu’il a subies, il semble qu’il y soit désormais parvenu. Je ne parle pas de la forme : dans la forme je retrouve trop d’effets connus, trop d’imitations ou de réminiscences de l’auteur de Jack et de celui de Salammbô. Sans parler de telle phrase, comme celle-ci : « La chola chante une zamacuéca en s’accompagnant sur sa diguhela, » qui me rappelle trop la phrase légendaire du maître : « Dans la quatrième dilochie de la douzième syntagme, trois phalangites se tuèrent à coup de couteau, » il est vraiment telle page, d’une vigoureuse étrangeté, que l’on jurerait écrite par Flaubert : « Alors on entendit au dehors des gongs et des sonnettes, des frôlemens de soie, de petits rires aigres des femmes... Et les danseuses entrèrent... Peintes comme des images chinoises, couvertes d’or et de pierres brillantes, des yeux à demi fermés, pareils à de petites fentes blanches, elles s’avançaient au milieu de nous avec des sourires de femmes mortes, tenant leurs bras en l’air et écartant leurs doigts grêles, dont les grands ongles étaient enfermés dans des étuis d’or... Les gongs sonnaient plus fort, et ces fantômes dansaient, gardant leurs pieds immobiles, exécutant une espèce de mouvement rythmé du ventre avec des torsions de poignets.» Telle autre page, d’un tout autre caractère, et d’un tout autre style, pourrait être écrite par M. Daudet : « Petit Pierre pleurait assez doucement, baissant sa petite tête, et cachant toujours sous son tablier ses pauvres petites mains qui avaient froid... Les lanternes à gaz venaient de s’éteindre, et il faisait très noir... Pauvre petite plante saine et fraîche, née dans les bois de Toulven, comment était-il venu s’échouer dans cette misère de la ville ? Il ne s’expliquait pas bien ce changement, lui; il ne pouvait pas comprendre encore pourquoi sa mère avait voulu suivre son mari dans ce Brest, et habiter un logis sombre et froid, au fond d’une cour, dans une des rues basses avoisinant le port. » Mais, s’il demeure encore dans la forme quelque trace des leçons de Flaubert ou de M. Daudet, outre que c’est assez peu de chose, le fond n’appartient bien désormais qu’à Loti. Toute affectation de byronisme ou de baudelairisme a heureusement disparu. Rien ou presque rien ne demeure ici de ce qu’il y avait d’artificiel encore dans le Mariage de Loti ou dans Aziyadé. C’est vraiment une façon tout originale de sentir et de rendre. Il y a certainement un homme qui pense, sous cet impressionniste, et sous ce peintre hardi, quelquefois même brutal de la réalité, certainement, il y a un poète; un poète avec son idéal et ses moyens à lui.

Une curiosité sans mesure, presque aiguë, de ce qui se dissimule de vraiment différent sous la diversité des apparences, le perpétuel souci de la nuance qui distingue la Circassienne Aziyadé de la Tahitienne Rarahu, la négresse Fatou-gaye de Pasquala la Monténégrine; — un sentiment de la fragilité des choses, profond, intime et presque maladif, comme le sont au surplus tous les sentimens très profonds; — une tendance très particulière, non pas tant à grandir ou grossir la réalité qu’à la continuer, la prolonger, la déformer dans le rêve jusqu’à ce qu’elle s’y évanouisse ou, pour ainsi dire, s’y absorbe : tels sont les traits, si je ne me trompe, qui pourraient servir à le caractériser. Là-dessus on pourrait même trouver qu’il abuse du rêve, n’y ayant pas jusqu’à présent de tous ces récita un seul qui ne contienne un rêve, à l’instar d’une tragédie classique : Aziyadé rêve, Rarahu rêve. Loti rêve, Yves rêve, Marie rêve, tout le monde rêve. Il faudrait peut-être prendre garde à ne pas tant rêver. Peut-être aussi certaine note funèbre, quasi macabre, revient-elle bien souvent dans Mon Frère Yves. « Là aussi, sans doute, quand moi, je serai mort ou cassé par la vieillesse, là on couchera mon frère Yves ; il rendra à la terre bretonne sa tête incrédule, et son corps qu’il lui avait pris. Plus tard encore y viendra dormir le petit Pierre, si la grande mer ne nous l’a pas gardé, et sur leurs tombes, les fleurs roses des champs de Bretagne, les digitales sauvages, l’herbe haute de juin, pousseront comme aujourd’hui, au beau soleil des étés. » Et plus loin : « C’était singulier la joie de ce petit monde breton, rose avec de longs cheveux de soie jaune; à peine éclos à la vie, et déjà dans des costumes et des modes du vieux temps, exubérans d’une joie inconsciente, comme autrefois leurs ancêtres, et ils sont morts. » Et ailleurs encore. Trop est trop. Il n’est effet si particulier qui ne s’use par la répétition. Le lecteur sent le procédé. La tentation lui vient de mettre en doute la sincérité du poète. Le voilà sur la défensive, et prêt à résister contre son émotion.

Mais, en dépit de l’abus, ce sont bien les traits d’un poète, c’est-à-dire d’une imagination capable de concevoir quelque chose d’ultérieur à la réalité. Nul n’a mieux rendu que l’auteur de Mon Frère Yves ce que l’on pourrait appeler le caractère celtique de la Bretagne, ce qu’il y a de mélancolique jusque dans ses joies, ce qu’il y a de primitif dans ses usages et dans ses paysages, ce qui semble en faire enfin comme un îlot du vieux monde entre cette mer lourde et violente qui, de trois côtés, brise furieusement sur son rivage et, de l’autre, la civilisation qui la bat depuis tant de siècles presque sans l’entamer. C’est ici plus que de la description et plus que de la peinture, c’est le sens intime des choses dégagé des symboles qui l’enveloppent; et, au travers de la sensation, c’est la nature perçue directement; et c’est ce qui explique par suite que cette poésie s’élève parfois jusqu’à la métaphysique. Je n’exagère pas. Des expressions comme quelques-unes de celles que l’on a sans doute remarquées : « l’étendue qui brille et miroite sous le soleil éternel, » ou la « notion des durées qui se perd dans la monotonie du temps » ne sont pas seulement des trouvailles de mot?, ce sont proprement des pensées, dont plus d’un philosophe pourrait envier au romancier la force et la netteté d’expression. Il y en a d’autres, comme celle-ci par exemple : « A la surface des eaux courent des souffles vivifians que personne ne respire; la chaleur et la lumière sont répandues sans mesure ; toutes les sources de la vie sont ouvertes sur les solitudes silencieuses de la mer et les font étrangement resplendir, » qui nous aident positivement à pénétrer plus avant dans l’esprit des anciennes cosmogonies orientales.

Je ne voudrais pas, maintenant, demander à l’auteur de Mon Frère Yves de forcer son talent et d’essayer de mettre dans un prochain récit des qualités qui ne sont pas les siennes : je ne puis cependant ne pas lui demander de serrer un peu sa composition. Si le progrès est remarquable, si l’on n’est pas détourné dans Mon Frère Yves à chaque instant, comme on l’était dans Aziyadé, comme on l’était dans le Mariage de Loti, par quelque intermède inutile ou même saugrenu, si la plupart des détails enfin y concourent à l’objet principal, on y pourrait cependant encore indiquer d’utiles coupures. Il y a encore trop de longueurs et plus d’une répétition.

L’école moderne, en vérité, s’est pourvue de théories trop commodes. Ce qu’elle fait profession d’apprécier par-dessus tout, c’est la note, la note rapide, l’esquisse jetée au courant de la plume, l’impression toute vive des choses sur l’œil ou sur l’esprit. Mais, comme le dit lui-même quelque part l’auteur de Mon Frère Yves, ce que ces notes ont de dangereux, c’est qu’elles seraient tout autres si, pour les prendre, on avait attendu de connaître un peu mieux les choses et les hommes dont elles prétendent fixer le caractère. Vous traversez Constantinople ou vous passez six mois à Tahiti ; si vous y passiez une année tout entière, vos impressions seraient vraisemblablement très différentes, auquel cas je ne vois pas bien le genre d’intérêt qu’il peut y avoir à me communiquer les premières, à moins que les secondes n’interviennent pour les compléter en les corrigeant et les expliquer en les contredisant. C’est en quoi consiste proprement, dans le roman comme ailleurs, le grand art de la composition. Il s’agit d’abréger au lecteur le chemin que l’on a parcouru soi-même pour entrer en possession de son sujet; ou, en d’autres termes encore, il s’agit de trouver une disposition des parties qui place d’abord le lecteur au point précis qu’il faut pour comprendre sans effort et sentir sans fatigue ce que vous avez voulu lui faire sentir ou lui faire comprendre. En la cherchant, on s’aperçoit alors que la répétition, comme moyen de rhétorique, est l’enfance de l’art; et l’on prend les longueurs pour ce qu’elles sont effectivement : des inutilités qui débauchent l’attention. La manière analytique de nos nouveaux romanciers a sans doute son prix. Qu’ils sachent toutefois que nous n’en sommes pas dupes. L’analyse n’est qu’un instrument, le bat est la synthèse. C’est un art que de composer, et un art assez rare ou assez difficile pour que quiconque n’y atteint pas soit suspect à bon droit de ne l’avoir pas pu. La liberté, pas plus ici qu’ailleurs, ne consiste à violer les lois absolues des genres, mais à s’y conformer et, en s’y conformant, ne s’en pas trouver autrement gêné.

J’ajouterai que si l’auteur avait dépensé sur la composition de l’ensemble un peu de l’effort qu’il a dépensé sur la perfection du détail, on lui reprocherait moins de manquer d’invention. C’est son principal défaut. La question est aujourd’hui pour lui de savoir s’il en triomphera. Qu’il ne croie pas là-dessus que nous lui demandions des aventures, des situations de drame, des combinaisons, extérieures à la réalité, des choses qu’il n’ait point vues ou qu’il n’ait point vécues, comme répondent fort mal à propos tous ceux à qui l’on reproche de manquer un peu d’invention. Nous constatons, disent-ils; et il nous serait aussi peu possible d’inventer ce que nous n’avons pas vu qu’il l’était jadis aux romantiques d’imiter ce qu’ils voyaient. Mais ils se font vraiment la partie trop belle. Dans le roman, comme au théâtre, inventer, c’est faire de la psychologie ; rien de plus, mais rien de moins. Quelque passion, condition ou situation que l’on se propose d’étudier, inventer, c’est trouver en même temps que les traits qui caractérisent uniquement cette situation, condition ou passion, les raisons qui peuvent nous intéresser au dénoûment de l’une, au développement de l’autre, à l’étude de la troisième. Nous en avons tout à l’heure assez dit sur ce point en essayant de dire ce qui manquait, selon nous, au principal héros de Mon Frère Yves. Ce que je voulais seulement indiquer à l’auteur, c’est que, d’ordinaire, tout effort que l’on fait pour mieux ordonner, selon les lois d’une simplicité plus savante, la composition du livre, sert d’autant à la découverte psychologique et, par conséquent, à la véritable invention. L’aphorisme célèbre a plus de portée que l’on ne croit : « On l’a dit avant vous. — Qu’importe? si je le dis dans un ordre nouveau. » Et je ne sais s’il n’est pas plus vrai de la littérature d’imagination que de toute autre.

Toutes ces critiques et toutes ces restrictions ne nous empêcheront pas, en terminant, de louer dans Mon Frère Yves une œuvre des plus remarquables. Ou plutôt, pourquoi ne dirions-nous pas que nous y aurions assurément relevé moins de défauts si nous y avions vu moins de qualités? Beaucoup d’œuvres estimées, et d’ailleurs estimables, n’ont cependant pas assez de qualités, ni surtout des qualités assez fortes, assez solides, assez résistantes pour supporter une franche critique d’elles-mêmes. Ce qu’elles ont de charme très réel mais subtil, s’évanouirait au milieu des réserves qu’il faudrait apporter aux éloges. Il se pourrait bien que ce fût, pour en prendre un exemple sans quitter notre auteur, le cas du Mariage de Loti. Si l’on voulait dire ce que l’on en aime, il y faudrait signaler tant de choses que l’on n’en aime pas que l’œuvre risquerait d’y fondre, et que le lecteur se demanderait peut-être ce que nous croyons aimer dans une œuvre que, tout en l’aimant, nous maltraiterions si fort. Mais pour Mon Frère Yves, quand nous trouverions encore plus à redire, on a vu, je crois, la place qui restait à l’éloge. C’est qu’une œuvre originale n’est pas du tout, comme on se le représente quelquefois, une œuvre où l’on puisse écrire au bas de chaque page: « Beau! admirable! sublime! » c’est tout simplement une œuvre derrière laquelle, quand on a dit tout ce que l’on en voulait dire, il faut avouer qu’il y a quelqu’un, et il faut l’avouer de Mon Frère Yves, et on n’a pas occasion de l’avouer tous les jours.


F. BRUNETIERE.