Revue littéraire, 1863/03


accru ; ceux que la foule semblait avoir adoptés de préférence ont même perdu un peu, si ce n’est beaucoup, de leur prestige. Est-ce l’heure de la justice qui est arrivée ou celle de l’indifférence ? Les uns ont cessé de vivre, les autres ne donnent plus que de la prose ou de faibles vers ; leur génie est plus loin de nous, et la médiocrité est plus près, comme une marée montante qui menace de tout recouvrir. Les reproches de la critique d’alors passeraient au-dessus de la tête des rimeurs actuels. Aujourd’hui le mauvais et l’absurde le cèdent encore à l’insignifiance des élucubrations poétiques.

Mais il faut laisser le dédain absolu aux esprits que n’intéresseront jamais les destinées de la poésie : si tant d’œuvres avortées nous fatiguent, tâchons du moins d’en faire notre profit par quelque côté. Rien n’abâtardit les esprits comme le spectacle perpétuel du médiocre. Mieux vaudraient certes les folles hardiesses d’un autre temps : parfois, au milieu du plus détestable chaos, perçait un éclair de talent. Le mauvais n’est-il pas d’ailleurs, en mainte occasion, l’envers du talent même ? Mais quelle triste chose quand il n’est que la doublure du médiocre ! Une telle misère rend plus rigoureux les devoirs de la critique, chargée de la défense du beau et du vrai ; c’est là-dessus que nous voudrions arrêter un instant l’attention du public. Au point où nous sommes parvenus, le médiocre même et le mauvais peuvent indiquer la voie qu’il faut prendre en montrant celle qu’il ne faut pas suivre, et leur présence en toute chose, grave symptôme de la débilité des esprits, réclame un remède énergique.

Plus d’un va répétant que la critique ne sert de rien. C’est là une erreur étrange. Sans compter que la critique rappelle au souci d’eux-mêmes et du bon sens les écrivains de mérite égarés, pour peu qu’ils aient de bonne foi, et encore bien qu’ils refusent d’en convenir, elle instruit le public et ne fait pas de ce côté une besogne inutile. Lorsque le talent domine, c’est assez de le discuter et de l’apprécier ; lorsqu’il est absent, il importe d’en provoquer le retour par un appel sévère au goût du public, de ce public qui est précisément la foule cultivée d’où sortent les écrivains et les poètes. Si vous êtes juste, et dur au besoin, vous découragerez une partie de ceux qui ne devraient pas écrire, et quant aux esprits qui ont en eux un germe de talent, vous les empêcherez de gaspiller ce germe par une indulgence prématurée pour eux-mêmes ; vous leur imposerez, par le fait seul de votre critique lue, méditée, acceptée bon gré, mal gré (puisque nous la supposons équitable), un frein et une discipline.

Mais que de patience exige cette revue du médiocre ! C’est toujours le même écho de M. de Lamartine, le plus imité et le plus imitable de nos poètes modernes ; c’est toujours la même protestation de modestie, que dément la publication du livre, et que dément encore l’inévitable exegi monumentum par lequel l’auteur se console à l’avance des attaques de la critique, insensible aux accens de sa muse. C’est toujours le même certificat de talent donné par un poète en renom et la même invocation des gloires de la littérature contemporaine, comme si un tel certificat et une telle invocation avaient de quoi suppléer au défaut de souffle et de vigueur. Enfin c’est toujours la même logomachie et le même thème éternellement rebattu : Contemplation, Ascension vers Dieu, Tristesse d’amour, l’Idéal, la Chanson de la brise, etc. Quant aux étoiles, aux fleurs, aux parfums, aux rayons, aux larmes, à l’infini, il en est fait dans ces vers un abus effroyable. La muse d’aujourd’hui (si c’est là une muse) s’en va reprendre, comme une servile discoureuse, le langage usé des précédentes années. Quand Rabelais peignait si plaisamment ces gens qui « de néant faisoient choses grandes, et grandes choses faisoient à néant retourner, » qui a coupoient le feu avecques un Cousteau et puisoient l’eau avecques un rets, » il ne croyait se railler que des abstracteurs de quintessence philosophique ; mais la moqueuse allégorie s’applique fort bien aussi aux poursuivans malheureux de la poésie.

L’un écrit le Poème de la Vie[1], ou ce qu’il juge tel, en quatre épisodes : Eula, Roger, Marguerite, la Voix des Morts, et prévient obligeamment le lecteur de ce qu’il doit trouver dans ces quatre épisodes. Le lecteur ne trouve rien qu’une versification vulgaire et une langue à l’avenant, que nulle idée n’illumine, que nulle vive émotion n’échauffe. Un autre[2], associé correspondant de l’académie de Clermont, publie un volume d’Isolemens ! Ce pluriel barbare annonce un recueil de comédies et de poèmes. Le théâtre se compose de deux comédies et d’un proverbe où l’auteur ne badine pas. Quant au style et au goût raffiné de l’écrivain, en voici un exemple. Une marquise dit élégamment d’un fauteuil où son mari s’asseyait :


....... De mon défunt époux
Il encadrait, hélas ! les momens les plus doux.


N’est-ce point le cas de dire avec Cathos, dans les Précieuses ridicules : « Ah ! mon Dieu, voilà qui est poussé dans le dernier galant ? » Évidemment la poésie n’est pas le fait de l’auteur. Que n’use-t-il de la prose ? Le compliment de M. Jourdain n’était pas rimé.

L’auteur des Rêves poétiques[3] s’est aussi trop pressé d’acheter


....... La triste expérience
Sous les feux dévorans de la publicité.


Il se félicite un peu tôt de la liberté grande et de la bonhomie du public. Quelle nécessité le presse, s’il fait des vers depuis qu’il est né (il l’avoue), de « fouiller ce tas poudreux » pour nous « chercher quelque chose ? » Après avoir prié le public de ne pas siffler encore, il s’enhardit et invite le lecteur à le venir voir sous sa treille :


Et ta main de lauriers ceindra mon front vainqueur.


Nous ne prétendons pas troubler le contentement de l’auteur, ni lui interdire de chanter cacalaca avec le coq, dont le cri n’est décidément plus cocorico ! Il ne faut pas contrarier les gens pour si peu ; mais à quoi bon se montrer en public pour célébrer d’une façon banale des poètes mille fois applaudis ? À quoi bon appeler M. de Lamartine un cygne


Dont l’admiration poursuit la trace d’or ?


Est-il urgent d’exalter M. Victor Hugo chaque fois qu’il soufflera dans sa trompe sonore ? La trompe d’ailleurs n’est pas un instrument heureux. L’auteur paraît l’aimer à l’excès ; mais pourquoi le prêter si libéralement aux autres ? M. Victor Hugo, qui en gratifie le vent de la mer, ne voudrait peut-être pas en agréer l’hommage pour lui-même.

Un versificateur dés colonies[4] entre fièrement en lice de la sorte : « Ce volume a une physionomie particulière ; il peint un ciel, un climat, des mœurs, qui forment un contraste frappant avec le ciel, le climat, les mœurs de la vieille Europe. Cette circonstance doit en faire l’originalité, si l’exécution répond au sujet lui-même. » Malheureusement, pour être né aux Antilles, pour avoir rêvé sous des bananiers ou des cocotiers, au lieu de rêver sous des hêtres ou des sapins, et pour avoir vu mûrir le fruit du manguier et s’étendre les champs de cannes « au sein des campagnes de la Guadeloupe, » l’auteur ne possède pas l’art de répandre sur les choses qu’il décrit « une vraie couleur locale. » Ces Fleurs des Antilles n’ont ni plus ni moins de parfum que les fleurs étiolées d’Europe dont nous parlions tout à l’heure ; quelques noms exotiques font tous les frais de cette poésie, alimentée par les lieux communs de la poésie la plus ordinaire. L’auteur chante le Tropique du même ton qu’il dirait, s’il avait écrit les Isolemens :


Prends ta mante,
Ma charmante, etc.


Les vers qui doivent nous peindre « les mœurs de la race noire » n’ont guère plus de couleur ni d’accent. On ne trouve rien dans les Congos ; le Vieux nègre est une espèce de complainte dolente, la Vieille négresse et le Bamboula offrent quelques vers meilleurs : mais la principale qualité du volume, c’est d’être mince.

Tel n’est pas le mérite d’un livre prosaïque, imprimé très fin et comprenant un poème en trois chants compactes, Valdésie[5], épopée moderne où l’expulsion des Vaudois au XVIIe siècle par la maison de Savoie, leurs années d’exil et leur rentrée au pays natal, en 1689, devaient être célébrées tout au long ; mais, trente chants n’ayant point suffi au fils des Vaudois pour toutes ces péripéties, il s’est contenté d’achever la première partie, qui raconte « la guerre d’expulsion, » et de résumer le reste a dans un court épilogue. » Et voilà comment ce poème a été limité aux proportions dans lesquelles il paraît aujourd’hui ! L’auteur est venu prouver une fois de plus que ce n’est pas assez des intentions les plus honnêtes pour mériter le titre de poète. Assurément l’histoire des Vaudois est émouvante ; mais la moindre page de vérité nue ferait bien mieux notre affaire que les trente chants d’un poème dont le style confus et embarrassé n’est même pas toujours exempt de fautes de langue et de grammaire : témoin ce vers :


Pourquoi trembler l’hiver dans la saison des fleurs ?


Trembler est mis là pour craindre, appréhender. Et plus bas il est dit :


Les troupeaux que l’on garde en ces lointains parages
Hésitent d’avancer


Montons d’un degré au-dessus de ces rimeurs empêchés dans leurs propres pièges. M. Van Hasselt n’est pas un versificateur novice, et il nous présente solennellement des poèmes, des paraboles et des odes[6] qui ont l’ambition de régenter le monde par les vérités qu’ils révèlent. M. Van Hasselt embrasse dans un langage symbolique les destinées de l’humanité. C’est un penseur, que dis-je ? c’est un prophète ! Et malheur aux traînards qui signalent en lui des tendances mystiques ! Il les terrasse du regard, il repousse avec force ces « frelons jaloux, » ces « vils buissons » ou, si vous le préférez, ces « typhons » en révolte qui osent faire obstacle aux volontés du génie ! Malgré les Études rhythmiques dont le recueil termine le volume, et qui auraient dû introduire la variété dans l’œuvre de l’auteur, il gardé par-dessus tout le culte de l’alexandrin inflexible. En outre, ni dans l’Établissement des Chemins de fer, ni dans la Mission de l’Artiste, ni dans le But de l’Art, ni ailleurs on ne découvre trace d’originalité. Quelques vers élégans dans le Poème des Roses, quelques beaux vers dans les Quatre Incarnations du Christ, où l’on entend les voix du monde romain, quelques petites pièces d’un rhythme gracieux, voilà tout ce qu’on peut remarquer dans ce volume. Le Ruisseau dans les montagnes n’est qu’une fable de La Fontaine, la Rivière et le Torrent, déguisée en parabole. Dans le poème des Quatre Incarnations, l’auteur abuse des personnifications de la nature inanimée. Il est en cela de l’école de M. de Laprade, qui anime un peu trop volontiers les glaciers, les lacs, les sapins et les vieilles armures. M. Van Hasselt évoque successivement et fait parler l’étoile de Bethléem, les temples païens, l’église future, un rocher de Syène, un marais, la harpe de David, l’avenir, le Golgotha, les coteaux d’Engaddi, l’éponge du Calvaire ; j’en passe la moitié. Voilà de singuliers personnages ! Les poésies de l’auteur dénotent un vif désir d’omnipotence littéraire ; mais tout en lui est artificiel, et c’est pourquoi il n’embrasse que de pâles effigies, privées de sang, de couleur et de mouvement. Retenu par le poids des vérités qu’il porte, M. Van Hasselt ne saurait ni courir ni marcher, et reste majestueusement en place. Il voudrait cependant avoir a le pied familier avec l’inaccessible, » ce qui ne laisse pas d’être malaisé ; mais rien ne coûte à qui rêve. Seulement, pour faire entendre


....... aux foules amassées
La langue des grands cœurs et des mâles pensées,


il faut d’abord avoir des pensées et une langue intelligibles, une sensibilité qui émeuve les cœurs ; il faut écarter le voile des légendes, au lieu de l’épaissir. On acquiert ainsi quelque droit aux sympathies de la foule, on gagne en chaleur et en force tout ce qu’on perd en gravité de commande.

Continuons courageusement la tâche commencée. Les Légendes dorées[7] de M. Charles Fournel empruntent leur titre au recueil fameux de Jacques de Voragine, bien que M. Fournel prenne de toutes mains les légendes qu’il rime. Si celle de Saint Christophe par exemple est donnée par Jacques de Voragine, celle de l’Homme et la Mort est prise dans la Bibliothèque bleue, et n’est qu’une version de l’histoire du Bonhomme Misère, bien plus intéressante sous la forme traditionnelle que dans les vers de l’auteur, où l’on reconnaît l’influence du conte napolitain recueilli par M. Prosper Mérimée dans Federigo. La légende du Moine et de l’Oiseau céleste est extraite d’un sermon de Maurice de Sully, évêque de Paris au XIIe siècle, et M. L. Moland cite le texte même dans le livre des Origines littéraires de la France. M. Fournel aurait pu indiquer ces sources diverses dans un court appendice ; le volume y eût gagné d’être plus complet et plus curieux. Plusieurs de ces légendes rimées renferment de jolis vers et des tableaux empreints de la couleur chrétienne des vieux temps. Pourtant l’archaïsme de M. Fournel n’est pas toujours acceptable. « Ces emprunts au langage du passé, dit-il, ne sauraient m’être reprochés ; nous avons le droit de puiser au trésor que nous ont laissé nos pères… Les fables et les diverses poésies du plus charmant auteur du temps de Louis XIV ne contiennent que très peu de vers écrits dans la langue de Boileau et de Racine : c’est un illustre exemple. » Rien de plus vrai ; mais un tout petit point décide l’usage ou l’abus : La Fontaine est un grand artiste, et tel n’est point le cas de M. Fournel. Il manie mal le vers libre, si léger aux mains de nos conteurs. Il le laisse aller au hasard, et nous lui reprocherons encore d’être prolixe et terne où il faudrait être vif, enjoué, tout au moins facile, ce qui ne veut pas dire incorrect. Un écrivain soucieux de la langue ne dira jamais, sous prétexte de style familier :


....L’hôtellerie
Était bien humble et dépérie.


Reproduire jusqu’aux gaucheries gothiques des œuvres du moyen âge, c’est un peu trop d’exactitude dans l’imitation.

Essayons d’un autre volume. Mme Penquer, l’auteur des Chants du Foyer[8], est une Bretonne ; mais elle ne s’inspire pas de Brizeux, tant s’en faut. C’est M. de Lamartine qu’elle adopte pour dieu et qui lui témoigne le désir « de voir de si beaux sentimens reproduits, non-seulement pour lui, mais pour la poésie et pour la France. » La poésie et la France doivent-elles des actions de grâces à Mme Penquer ? Franchement il nous paraît que non. Bien que M. de Lamartine lui ait dit (ne s’exagère-t-elle pas les choses ?) :


....Madame, il faut ouvrir votre aile !
L’avenir vous prépara une page immortelle !


nous doutons de cette aile et de cette page ; nous aurions cependant prêté l’oreille aux humbles prémisses de Mme Penquer, si elle n’avouait dans une post-face, qui n’est pas humble, que ce a faible embryon » voudrait « cueillir des lauriers ; » si, en le nommant un « pauvre mendiant » et un « petit aveugle-né, » elle ne le nommait aussi un aiglon ; si elle ne le léguait enfin (sans se mettre en peine d’accorder toutes ces métaphores) :


À ceux qui marchent sur la terre,
À ceux qui planent dans l’azur.


Nous ignorons ce que peuvent en penser les élus qui planent dans l’azur ; pour nous qui marchons sur la terre, nous n’acceptons le legs de cet aiglon que sous bénéfice d’inventaire. À parler net, Mme Penquer, dont le vers est harmonieux et souvent bien venu, en eût tiré un tout autre parti, si elle se fût rendue l’interprète des beautés poétiques de la Bretagne, qu’elle appelle « ma triste Bretagne. » Le meilleur de ce qu’elle offre au public est dans trois ou quatre pièces qui ont un peu de la saveur du pays, comme Kérouartz, l’Ange du château de Penmarch, la Ferme, l’Aven ; mais l’auteur reflète plutôt d’habitude la phraséologie des Harmonies et de Jocelyn qu’il n’exhale des sentimens bien personnels. On s’aperçoit que la fluidité de cette poésie ne laisse rien après elle. Comment tout ce qui entourait l’auteur, tout ce qu’on cherche si loin et qui est si près quelquefois, comment l’originalité, absente des nuages, des étoiles et de l’immensité, présente dans le pays natal, dans la race, dans le foyer aimé, ne semble-t-elle pas l’avoir frappée ? C’est que Mme Penquer s’est nourrie de mots avant d’avoir vécu et pensé :


À l’âge où les enfans maudissent les études,
.................
À l’âge où le cœur dort, où l’esprit se mutine,
Moi, je savais déjà des vers de Lamartine.


De là ce besoin de rimer sans cesse, en s’abandonnant aux caprices d’une imitation qui s’ignore ; de là une poésie aisée et molle, que nulle saine discipline ne contient. Le vrai poète, dit l’auteur naïvement,


C’est celui dont le vers est libre, audacieux,
Sans effort et sans frein, sans travail, sans rature.


Mme Penquer n’imagine pas un moment les difficultés que l’artiste doit vaincre pour émanciper le poète. Elle est punie pour avoir pris trop à la lettre ce précepte qu’elle émet quelque part :


Tous les jours tu liras des vers de Lamartine.


Elle eût rencontré mieux et trouvé plus de vers dignes d’être retenus, si elle fût restée fidèle aux sentimens exprimés dans ce passage :


Ô vallon de l’Aven, où le mûrier sauvage
S’enlace au jonc noueux qui croit sur le rivage !
Ô sentiers ombragés ! ô rochers ! ô menhirs !
Je vous dédie ici mes meilleurs souvenirs !


Nous en étions là de nos lectures, cherchant quelque brin de fraîche poésie et n’apercevant guère que des fleurs fanées, lorsqu’un petit volume de modeste apparence est tombé sous nos yeux. Le Roman de la vingtième année[9] est un recueil d’une soixantaine de pages, ne contenant que de courtes pièces de vers ; mais l’auteur, M. Francis Pittié, est dans ce peu de rimes plus réellement poète que tous les rimeurs dont nous avons cité les essais. Il est vrai que la moitié peut-être du recueil se compose de traductions ou d’imitations des poètes étrangers, des poètes allemands surtout : Louis Uhland et Henri Heine ont bien inspiré le jeune poète. Là aussi brillent les noms de Goethe, de Rückert, de Petoefi, d’OEhlenschlaeger et de Miçkiewicz. Il serait curieux de comparer l’imitation d’une poésie de Burns, Nannie, donnée par M. Pittié, avec l’imitation du même morceau par M. Leconte de Lisle. L’illusion déçue, traduite bien des fois, rappelle la charmante version d’Alfred de Musset, le Rideau de ma voisine. C’est une tendance caractéristique de notre temps que ce besoin de traduire les pensées et les émotions d’autrui, et c’est une tendance qui date de peu d’années. À mesure que la sève nationale s’est retirée, on s’est de plus en plus rattaché aux productions du dehors, quand on ne copiait pas servilement les poètes français de quelque valeur, ou quand on ne s’avisait pas de suppléer à la poésie par les artifices d’un archaïsme infécond. La tâche du traducteur était et est restée utile ; mieux vaut, si l’on ne crée, populariser les créations d’autrui que s’user en redites vulgaires. Le bagage de M. Pittié, pris en bloc, est peu considérable ; il l’est moins encore, si on le réduit aux poésies purement personnelles. Pourtant nous en dirons quelques mots. Aujourd’hui la voix du poète est faible, mais elle est douce et pure, elle n’est pas celle du voisin : c’est quelque chose, en un temps d’effacement ou de grossières excentricités, qu’un accent distinct. Bien qu’il traduise les poètes du Nord, l’auteur n’est pas Allemand de langage. Il aime Brizeux et lui emprunte l’épigraphe de ce recueil ; comme lui, il chante une Marie qui lui tient lieu de muse. Voici quelques vers de M. Pittié :


Je sais un chemin creux où le lierre, qui grimpe,
Au col des grands tilleuls s’enlace en verte guimpe :
Réduit impénétrable au passant affairé,
Cadre fait tout exprès pour ton front adoré.
Comme un grand éventail qu’on remûrait à peine,
La brise parfumée y retient son haleine ;
La mésange au front noir, le merle et les pinsons,
De rameaux en rameaux, égrènent leurs chansons.


Il manque au poète novice plus de force et plus d’art, mais il donne la note juste. « Je suis moins un poète, je le sais, dit-il, qu’un homme ardemment et sincèrement, épris de tout ce qui est délicat et pur, grand et noble. » Cette réserve est de meilleur augure pour l’avenir poétique de l’auteur que l’orgueil anticipé de la plupart des rimeurs qui débutent. Qu’il se défie toutefois de l’attrait des vers faciles, qu’il se fortifie par l’étude des maîtres, et, plus jaloux de l’art que des chimères d’une imagination nuageuse, qu’il préfère le moindre sentier fleuri et connu de lui aux courses effrénées par monts et par vaux, entre ciel et terre, courses dont l’esprit se lasse, qui laissent le cœur froid, et sont de nul profit tant pour la recherche du beau que pour celle du vrai.

Somme toute, le trésor de la muse contemporaine est pauvre. Quelques heureux emprunts faits aux génies étrangers ne régénèrent en rien le principe même de notre poésie ; le retour vers les âges lointains est tout aussi indifférent à ses destinées futures. De fait, point de puissance nouvelle qui s’atteste par des œuvres. Où est l’accent profondément ému ? où est de nos jours l’âme de la poésie ? La critique attend la renaissance d’un art qui, après un éclat extraordinaire, ne donne plus signe de vie ; elle ne souhaite rien tant que, de pouvoir en présager le retour. Les chercheurs d’abîmes et de rimes sonores bataillent volontiers contre la critique, interprète en dernière analyse du sentiment public. Ils se plaignent qu’on rebute leur poésie. Eh ! non, vraiment ; ils se méprennent à plaisir : c’est le manque de poésie qu’on déplore dans leurs œuvres, et c’est pourquoi la critique les renvoie si peu satisfaits, quand d’aventure elle parle d’eux.

Le vrai poète n’entre pas dans le monde comme un conquérant d’opéra-comique, ni comme un géant des contes de fées, voulant tout escalader et croyant tout dominer d’un mot. Il ne procède pas au moyen de formules sibyllines. Il est ému avant tout, hésitant et timide, même lorsque le talent reconnu doit lui donner plus tard l’assurance et l’audace. Il sait bien que, pour chanter l’homme et la nature, il faut les comprendre, ce qui demande quelques réflexions. Au lieu de franchir les Alpes d’une enjambée et de vouloir prendre la mer dans une coquille, comme l’enfant de la légende, il s’arrête pensif en face de tant de choses qui l’attirent, le saisissent et lui imposent réellement ; mais il n’affecte pas de voir en tout des symboles, des mystères fantastiques, de causer avec l’infini, d’aller à cheval sur un rayon de soleil, ni de prendre les étoiles à la pipée. On dirait que l’ode et l’élégie peuvent seules répondre aux aspirations grandioses de nos poètes. Quand ils ne pleurent pas de gaîté de cœur ou quand ils ne déclament pas, ils se croient déchus de leurs privilèges de noblesse. Si l’épopée ne convient qu’aux jeunes races, n’est-il plus de forces vives pour le drame, plus de verve joyeuse pour la comédie, plus de verve caustique pour la satire ? Avons-nous su enfin tirer parti de la poésie intime, que des maladroits ou des niais ont faussée ? Quand donc chantera-t-on les affections de la famille, les sentimens de l’homme qui lutte contre les nécessités réelles de la vie ? Quand chantera-t-on aussi la tâche du citoyen en dehors de la guerre, et quand renouvellera-t-on cette alliance de l’art avec la science de la nature inaugurée par Lucrèce ? Mais, pour entreprendre quelque œuvre de ce genre, il faut commencer par apprendre la vie ou la science, et l’on veut, pour être poète, se passer de tout apprentissage. De là vient que le mérite est rare, la prétention universelle, et que, poussé par cette impuissance vaniteuse, on va chercher en songe (ce qui est commode) la poésie au-delà des monts, en Orient, dans le ciel, aux antipodes, avant de l’avoir saisie et pénétrée dans le coin de pays que l’on habite, dans les choses familières dont on est enveloppé, comme on veut aussi rêver de la grande humanité en dédaignant la petite, qui peuple la patrie, la province et le canton où l’on vit. Folie et chimère ! C’est la prétention qui, plus que tout, empêche la poésie d’éclore, quand celle-ci existe en germe ; c’est elle encore qui provoque aux essais malheureux les imaginations faites pour la prose et le travail commun. Quand on sentira davantage en toute chose la poésie qui s’en exhale, on aura plus de sévérité pour ceux qui l’exprimeront mal ou faiblement ; on aimera davantage ceux qui l’exprimeront avec un accent ému, et ce sera là le remède au débordement de vers médiocres et à l’indifférence en matière de poésie qui nous désolent aujourd’hui.


FELIX FRANK.

M. Auguste Cartelier, avait laissé une traduction inédite d’un discours d’Isocrate. Cette œuvre, entreprise et achevée avec une sorte de religion littéraire et qui mettait pour la première fois en français un des morceaux les plus curieux de l’éloquence grecque, méritait de ne pas périr. L’intime ami de M. Cartelier, M. Havet, professeur au Collège de France, s’est fait un pieux devoir de recueillir cette relique, et, pour la rendre plus digne encore d’être offerte au public savant, il l’a complétée par des notes, une notice et une grande introduction, mêlant son travail de plusieurs années à celui du traducteur et prenant pour ainsi dire un dernier et triste plaisir à confondre encore ses pensées avec celles de son ami. Jamais on n’a paré un tombeau avec plus de soin, de goût, de mesure, et en respectant mieux le caractère de celui qu’on veut honorer. Il y a dans cette mesure à la fois une preuve de loyauté envers le public et une délicatesse suprême envers celui dont la candeur n’aurait pas souffert la pensée qu’il pût être loué après sa mort autrement que par des vérités modestement exprimées. Si c’était ici le lieu de nous étendre sur certains détails des mœurs universitaires, ce serait pour nous une satisfaction de montrer comment ces sortes d’unions fraternelles, commencées à l’École normale, resserrées par la communauté des études et des sentimens, sont précieuses pendant la vie et même après la mort, puisque le survivant peut encore assurer à son ami un peu de cette renommée qui est souvent la seule récompense d’obscurs travaux. M. Havet nous donne à tous un exemple qui ne sera point perdu, et si nous n’insistons pas sur ce sujet, c’est pour imiter la discrétion si virile de M. Havet lui-même, et pour ne rien dire qui soit en dissonance avec cette réserve qu’il a su garder partout dans son livre, et qui est comme la pudeur de l’amitié et des regrets.

En prenant le discours de l’Antidosis pour objet d’une longue étude, M. Cartelier se laissait tenter par l’honneur de traduire le premier un texte grec découvert en 1812 par André Mustoxydis dans un manuscrit de Milan et publié par lui la même année, mais qui depuis resta peu connu, parce qu’on ne lit point ce qui n’est pas traduit. La nouveauté d’ailleurs n’était pas le seul intérêt de cette pièce d’éloquence. Comme dans ce discours Isocrate plaide pour sa gloire d’orateur à l’âge de quatre-vingt-deux ans, qu’il fait les honneurs à sa personne et à son talent, qu’il se cite lui-même, encadrant dans son plaidoyer les plus beaux morceaux de ses autres discours, il se trouve que l’Antidosis offre la fleur de son éloquence. Nous y voyons tout Isocrate, réduit, il est vrai, mais comme il voulait être vu, et pour ainsi dire paré de ses propres mains. Enfin ceux qui ont connu M. Cartelier savent ce que cet esprit, voluptueusement littéraire, trouvait de douceur dans la langue attique, dans cette perfection oratoire où l’honnêteté des sentimens est une satisfaction pour le cœur, où les raffinemens même de l’art sont une lumière pour l’esprit, où la diction est un enchantement pour l’oreille, et dont la simplicité étudiée est un défi jeté au traducteur, et par conséquent pour lui une tentation. Il a fallu bien des soins et du loisir pour rendre avec agrément en français cette éloquence paisible, qu’on se figure si ornée, et qui souvent n’est belle que de son élégante nudité. Comment faire sentir dans une langue étrangère et peu musicale les exacts rapports des mots et des choses, l’aisance dans la dignité, les mille convenances de la pensée et du style, et toutes les grâces coulantes de l’atticisme ? M. Cartelier a fait effort pour retenir du moins le principal, la justesse précise, l’ampleur des tours, une certaine égalité de mots qui flatte, et en tout cette correction lucide qui est le lustre de la simplicité, et qui, à force d’être nette, reluit. Cette traduction, sans cesse repolie, n’a pas été faite comme une tâche qu’on est pressé de finir et de livrer au public ; elle a été l’objet de tous les scrupules de la conscience littéraire, on ne l’a entreprise que pour le plaisir de la faire, comme ces ouvrages que les artisans d’autrefois se proposaient et achevaient avec amour, non pour en tirer profit, mais pour élever l’industrie jusqu’à l’art et pour se montrer à eux-mêmes jusqu’où pouvait aller l’habileté de leur main.

Dans une grande introduction, qui nous paraît un modèle de goût, de science et de style, M. Havet a fait une étude complète d’Isocrate, où l’on voit sous un jour nouveau cet orateur singulier que jusqu’ici la critique avait mal jugé, non pas méconnu peut-être, mais maladroitement célébré. Les louanges sans discernement qu’on lui a prodiguées lui avaient fait plus de tort que les reproches. Il n’est pas étonnant du reste qu’il n’ait pas été bien apprécié, et que sa renommée ait flotté entre une admiration de commande et un dédain ignorant. Quand nous lisons aujourd’hui, avec nos préoccupations modernes et notre esprit pratique, ces discours fictifs qui ne sont que des œuvres de rhétorique, nous sommes tentés, au premier abord, de les trouver assez peu dignes d’une sérieuse étude. Pour les comprendre et les goûter, il faut se faire Athénien, se transporter à l’époque où l’on créait les belles formes oratoires, s’associer au goût d’un peuple épris de beau langage, étonné de voir que la prose peut avoir son harmonie comme les vers, se laissant charmer, non-seulement par les savantes cadences, mais par le choix des termes, un emploi plus juste des mots et une logique déliée qui se déroule avec grâce dans les détours d’une longue période. Les Grecs, qui n’avaient entendu que les fortes improvisations de leurs hommes d’état, le langage souvent saccadé et sans haleine de l’Agora, se pâmaient d’aise devant ces perfections nouvelles de l’art. Athènes prit plaisir à draper sa pensée dans ces vêtemens plus amples, plus riches, mis à la mode par les sophistes, comme une adolescente heureuse de ses premiers atours. Il faut bien que les Grecs se soient laissé fasciner par les prestiges de cette rhétorique, puisque Isocrate, qui a vécu près d’un siècle, a joui d’une gloire incontestée, que, sans être un homme vraiment politique et militant, il a été considéré, au milieu des agitations de la liberté, comme le plus grand orateur, comme l’éloquence même, qu’il ne fut pas trouvé ridicule de mettre dix ans à polir un discours de cinquante pages, et qu’après sa mort on lui éleva des statues. Les Athéniens étaient amoureux d’éloquence, comme nous pouvons l’être de musique, admirant l’art pour l’art, ne demandant pas plus à l’éloquence d’être utile que nous ne demandons à une symphonie de Beethoven d’être probante. Un orateur tel qu’Isocrate, un artiste en discours, λογοδαίδαλος, était un compositeur qui fait un beau morceau sur un sujet fictif, et qui l’exécute lui-même devant une assemblée d’amateurs. Et quand le morceau avait réussi, on le jouait de nouveau, et d’habiles récitateurs se chargeaient de le faire valoir. Le maestro de l’éloquence leur donnait ses instructions sur la manière de le lire, notait les inflexions et les repos pour ne pas fatiguer l’auditoire. Ainsi chaque discours pouvait avoir un nombre indéfini de reprises, car nous sommes bien obligé d’emprunter la langue d’un art qui ne sert qu’au plaisir pour faire comprendre les caractères de cette éloquence oisive, mais ravissante pour des Grecs.

Le rhéteur Isocrate, dont on ne s’occupe guère aujourd’hui, est devenu sous la plume de M. Havet un personnage des plus intéressans. L’artiste, l’homme si longtemps défiguré par des éloges insipides revit devant nous et s’empare de l’attention. On aime à voir cet Athénien si bien doué et sachant si bien aussi jouir de tous ses dons, beau, riche, élégant, pacifique, heureux même de ses infirmités physiques et morales, redevable à sa faible voix et à son débile courage de pouvoir éviter les mêlées oratoires, où la dignité personnelle risque d’être froissée et de souffrir, passant sa longue vie à se composer un beau personnage, image de son irréprochable éloquence, sophiste honnête, qui, dans sa vie comme dans ses discours, se montre à la postérité dans les plus belles attitudes morales. Ce doux philosophe, cet excellent, mais faible citoyen, a été une sorte de prédicateur au service des sentimens civiques ; mais, toujours artiste en même temps que citoyen, il consacrait son éloquence à embellir la gloire de sa patrie avec d’autant plus de zèle et de persévérance que la gloire de sa patrie servait à embellir son éloquence. Il a été plus qu’un simple rhéteur, il a été, dans sa vie comme dans ses discours, l’exemplaire le plus accompli de la plus décente rhétorique. Si Démosthènes se sert de la parole comme un honnête homme d’un habit pour se couvrir, on peut dire qu’Isocrate s’en est servi comme un honnête homme qui veut faire belle figure. Comment blâmer d’ailleurs cette espèce de luxe oratoire qui ne se compose que de sagesse, d’élégance et de patriotisme ? Il a commis des fautes sans doute, mais sans le savoir ; il a traité avec Philippe, au lieu de s’en défier ; il lui a écrit une belle lettre pour l’entretenir dans de bons sentimens ; il s’en est fait le garant auprès de ses concitoyens, au risque d’endormir leur vigilance patriotique ; il a servi naïvement le Macédonien, ne pouvant se figurer qu’il n’eût pas converti celui qu’il avait prêché, car n’oublions pas d’ajouter qu’à cet homme heureux les dieux avaient donné par surcroît une vanité innocente, douce aux autres, souriante à lui-même, qui lui permettait de jouir de toutes ses qualités, de ne pas voir ses erreurs, de faire sans cesse le tour de ses propres perfections, défaut si l’on veut, mais défaut délicieux pour celui qui en est doué, et sans lequel le génie même ne peut vivre en joie.

M. Havet a peint en quelques pages exquises cet orateur honorable dont toutes les qualités confinent à des défauts, et dont le portrait, pour être ressemblant, demande les plus fines nuances. Il ne s’est pas proposé de faire un panégyrique, mais une étude vraie, sincère, qui estime à leur juste prix cet art factice ou minutieux, ce talent placide, cette magnificence de formes souvent un peu vide ou mensongère, puis cette noblesse de caractère sans énergie, cette raison timide et cette sagesse un peu courte. Toutes ces faiblesses de l’homme, du citoyen et de l’artiste n’empêchent pas d’ailleurs ce personnage si distingué d’exciter la sympathie et même une certaine admiration. Cet homme en tout semblable à lui-même, dont le talent répond si bien au caractère et dont la gloire est comme composée de bienséances oratoires et morales, n’est pas assurément un sophiste vulgaire, et n’est pas indigne de devenir le sujet d’une étude profonde, même pour un grave esprit. Aussi M. Havet n’a-t-il pas craint de démêler son art, et en rectifiant les jugemens qu’on a portés sur lui, en le comparant de près ou de loin à tous les écrivains dont on l’a quelquefois indiscrètement rapproché, il l’a ramené avec la plus lumineuse précision à sa véritable originalité. La partie littéraire de cette étude est d’une rare finesse, comme il convient à une critique qui se propose de marquer les plus insaisissables différences de l’éloquence et du style. En quelques traits nets et rapides, tracés avec une grande sûreté de main, l’auteur fait connaître non-seulement Isocrate, mais tous les écrivains anciens ou modernes qui passent pour relever de lui : analyse pénétrante où se fait jour un goût très vif pour toutes les délicatesses de la pensée et de la parole, mais où l’on ne voit nulle complaisance pour les petitesses et les vanités de l’art.

M. Havet, agrandissant son sujet sans en excéder les limites, a fait à propos d’Isocrate une forte esquisse de l’histoire morale d’Athènes. Pour mieux juger l’orateur, il a dû peindre la société athénienne, le mouvement de cette démocratie turbulente, les opinions, les partis, le rôle des philosophes et des orateurs. Au milieu de ce tumulte, on apprend à bien connaître cette éloquence sereine qui ne resta pas entièrement étrangère aux agitations de la vie publique, et qui ne laissa pas d’exercer une certaine action politique. Les tièdes discours du rhéteur philosophe paraissent s’animer quand on voit dans quelles circonstances ils ont été composés, et à quoi ils répondent. On sent que l’esprit de M. Havet se plaît dans ces grands sujets, que ce spectacle d’Athènes a pour lui comme un intérêt présent, et qu’en parlant de cette ville, qui fut en philosophie, en politique comme dans les arts, l’institutrice des peuples, il s’échauffe comme s’il s’agissait de la patrie. À voir cette chaleur, cette décision dans les jugemens, et je ne sais quel frémissement de pensée, on devine que cette étude n’a pas seulement pour l’auteur un intérêt littéraire, et que son esprit passionné ne se serait pas résigné à se renfermer pendant des années dans la calme école d’Isocrate, s’il n’avait pas entendu au dehors et à côté le bruit de l’Agora. Du reste, cette chaleur et cette décision sont un des caractères les plus remarquables de ce livre. Les jugemens politiques et littéraires y sont nets et accentués comme des professions de foi, les pensées rapides comme si elles étaient décochées. C’est un style actif, militant, qui va droit au but, court vêtu pour être agile. Dans ses peintures, l’auteur tient moins à la couleur qu’à la finesse des contours et à la vigueur du trait. Tout dans ce livre est si mesuré, si bien défini, que la grâce même y est précise. Il nous paraît assez inutile de gâter ici notre plaisir et1 celui du lecteur en marquant certains points où nous sommes en dissentiment avec l’auteur, d’autant plus que ce livre se défend de tous côtés par sa parfaite circonspection littéraire, et que la critique n’a guère de prise sur cette solidité polie.


C. MARTHA.


V. DE MARS.


  1. Roger, poème de la vie, par le marquis de Valori. — Dentu, 1863.
  2. Isolemens, comédies et poèmes, par M. Louis Chalmeton. — Taride, 1863.
  3. Rêves poétiques, par M. Alfred de Montvaillant. — Dentu, 1863.
  4. Fleurs des Antilles, par M. Octave Giraud. — Dentu, 1862.
  5. Valdésie, poème, par M. A. Muston. — Hachette, 1863.
  6. Poèmes, Paraboles, Odes et Études rhythmiques, par M. Adrien Van Hasselt. — Paris, Goubaud, 1862.
  7. Légendes dorées, par M. Charles Fournel. — Durand et Aubry, 1862.
  8. Chants du Foyer, par Mme Auguste Penquer. — Didier, 1862 (seconde édition).
  9. Le Roman de la vingtième année, suivi de Notes poétiques (1851-1855), par M. Francis Pittié. — Claude Vanier, 1862.