Revue du Pays de Caux N°2 mars 1903/IV

L’IMPASSE RUSSE



Le récent manifeste, par lequel l’empereur Nicolas ii s’est adressé à ses sujets, respire à chaque ligne la bonne volonté et l’impuissance. On y devine un désir franc et une résolution ondoyante. L’affirmation du désir est le fait du tsar et l’honore ; l’hésitation à rien décider est le fait des circonstances et l’excuse.

C’est qu’en effet le gouvernement Russe se trouve aujourd’hui au fond d’une impasse et voici quelle est cette impasse. Déjà chef d’un état immense et d’une confession nombreuse, le tsar est devenu en outre chef d’une banque colossale et d’une énorme maison de commerce. Or dans l’exécution de ces devoirs écrasants et multiples, il n’a personne pour l’aider ; il est seul. Nul souverain, nul gouvernement ne se trouva jamais en face d’une situation plus difficile.


L’enrichissement forcé

La configuration de la Russie, son histoire, sa philosophie nationale, ses caractéristiques ethniques, tout devait la pousser dans la voie du progrès matériel : vastes étendues plates sur lesquelles il suffisait de poser des chemins de fer, débouchés maritimes vers lesquels l’effort collectif devait forcément tendre, production abondante de céréales, main-d’œuvre à bon marché et surtout nécessité, pour les dirigeants, de capter et d’endiguer les aspirations naissantes d’un peuple s’éveillant à l’intelligence de ses intérêts. Ce vaste domaine d’ailleurs s’ouvrait aux capitaux Européens à l’heure où ceux-ci commençaient à trouver certaines difficultés pour s’employer fructueusement dans les vieux pays, où l’Amérique du Nord elle-même se tassait et devenait moins accueillante aux faiseurs d’affaires. Comment l’activité du siècle ne se serait-elle point jetée sur cette terre privilégiée par où l’on arrivait à la mer Noire, au golfe Persique et à Pékin ? D’autre part les besoins pécuniaires de l’empire allaient croissant. Il fallait de l’argent ; pour tant de motifs, le tsar était condamné à la politique financière et comme toutes choses, dans ses domaines, aboutissent à lui, comme il est le centre omnipotent des moindres innovations, le signataire universel des moindres décrets, de nouvelles séries de signatures vinrent s’ajouter à sa besogne quotidienne la rendant de plus en plus pesante ; car Nicolas ii a la conscience trop haute pour accepter le rôle aveugle d’une machine à signer, ignorante et sans souci. Peut-être a-t-il cru, et ses ministres aussi, pouvoir demeurer le maître du mouvement, rester en quelque sorte l’éclusier de la fortune publique. Illusion. On arrête un conspirateur : peut-on arrêter le chemin de fer ? On immobilise un bataillon : peut-on immobiliser le télégraphe ? De tous côtés les routes ont allongé leurs tentacules vers les limites maritimes qu’une poursuite séculaire assignait à l’effort Russe ; les succursales des grandes banques d’Europe ont ouvert des guichets de plus en plus lointains ; la bureaucratie capitaliste s’est implantée au sein des steppes sauvages. Et l’administration centrale est demeurée solitaire, unique, pliant sous des responsabilités largement accrues, exposée à des exigences de plus en plus redoutables.


Aristocratie et Bourgeoisie

« Il n’y a sur la terre Russe, écrivait Samarine en 1862, que deux forces vivantes : l’autocratie au sommet, la commune rurale en bas ; mais les deux forces au lieu d’être rattachées ensemble sont, au contraire, séparées par toutes les couches intermédiaires ». Et cela est parfaitement exact. Tout le problème Russe tient dans cette constatation. Rien à attendre de l’aristocratie. Catherine ii lui conféra vainement d’exorbitants privilèges ; elle n’eut ni le goût ni le moyen de s’en servir ; de nouvelles et plus récentes tentatives pour lui attribuer un rôle efficace échouèrent pareillement. La noblesse reste ce qu’elle fut toujours, une isolée tirant sa force des faveurs du trône ou des lois de l’État et non de son propre organisme, ne pouvant, par conséquent, servir d’appui ni au trône ni à l’État. La plupart des nobles Russes sont de sang étranger, Georgiens, Grecs, Valaques, Lithuaniens, Suédois, Allemands ou bien ce sont des anoblis du Tchine, le mandarinat fonctionariste de Pierre le Grand. À cette imperfection d’origine est venue s’ajouter l’action des coutumes testamentaires. La Russie est un pays de « partage égal ». Elle répugne au droit d’aînesse et l’usage des majorats, malgré les encouragements donnés en haut lieu, n’a pu s’implanter sérieusement ; les biens se divisent, le titre appartient également à tous les fils. Sur ces grandes plaines uniformes d’ailleurs, la féodalité n’eut jamais prise et le « château » n’est ordinairement qu’une habitation toute moderne reconstruite après maints incendies et pas toujours à la même place. La noblesse n’est pas plus capable de s’émanciper du joug de la royauté que d’imposer à la démocratie sa domination morale : elle continuera de refléter l’une et d’ignorer l’autre. La cour restera son centre d’attraction et les préséances, le but de ses désirs.

La bourgeoisie tient un rôle encore moindre. Si effacée comme pouvoir public qu’au premier abord on ne l’aperçoit pas et qu’on est tenté de nier son existence, elle se complait dans son effacement. Au temps de l’élection de Michel Romanoff, la vacance du trône n’avait éveillé chez les bourgeois d’alors, ni le désir ni le sens de la liberté. Tels ils étaient, tels ils sont encore. Cette incapacité qu’éprouve le Grand Russien des classes moyennes à s’intéresser aux choses de la politique a toujours charmé les slavophiles ; on ne sait trop pourquoi ils s’en montrent si fiers mais elle constitue, à coup sûr, une particularité du caractère national. La même indifférence et la même tendance à l’abstention ont marqué l’administration des villes par les corporations de marchands selon le système mis en vigueur par Catherine et supprimé en 1870 seulement ; sous le régime nouveau dans lequel la représentation est basée sur la propriété, l’enthousiasme n’est point né ; en 1893 le gouvernement a dû compléter d’office le conseil municipal de Saint-Pétersbourg que les électeurs ne parvenaient point à former. Le symptôme, du reste, le plus probant à cet égard c’est l’absence de discussions politiques. En d’autres pays, plus la politique est frappée d’interdit, plus elle a d’attraits. Si les actes du pouvoir échappent au contrôle des citoyens, ils n’échappent point à leur critique. Mais en Russie où pourtant les discussions particulières sont très libres, il semble que ce sujet n’offre point d’intérêt.


Les Intellectuels

Ils ne sont nulle part d’un grand secours au point de vue gouvernemental ; leur esprit pratique est, en général, totalement absent et les solutions qu’ils préconisent sont plus aptes à créer de nouveaux problèmes qu’à résoudre les anciens. Mais cela est particulièrement vrai des intellectuels Russes qui poursuivent le plus vague des rêves philanthropiques ; leur conception sociale est sans contours et sans angles, sans ombres et sans lumière. On ne voit pas l’empire organisé d’après leurs idées, et la constitution que rédigerait un Tolstoï risquerait fort d’avoir une existence éphémère et peut-être de périr de façon sanguinaire. Tolstoï représente à merveille l’intellectualisme Russe ; il l’incarne. Rien de discutable ne s’offre en dehors de ses livres et de ses doctrines. Or, parmi les admirateurs de ce noble esprit, nul n’osera prétendre que de telles doctrines soient applicables de nos jours à des hommes en chair et en os…


Le moujik

« Le peuple libre sous un tsar omnipotent » telle est la formule favorite des slavophiles. Anxieux de ne rien emprunter à l’occident, ils se persuadent que la civilisation Slave tient en réserve une combinaison gouvernementale inédite, originale, permettant d’éluder les difficultés contre lesquelles Latins et Germains se débattent péniblement. En attendant, la démocratie rurale est isolée. Les fonctionnaires et les politiciens dont le pouvoir ne peut se passer contribuent à le séparer d’elle, à accroître la densité des couches intermédiaires qui empêchent le tsar et le moujik de se connaître et de se comprendre. On est étonné que la démocratie rurale soit si lente dans son évolution ; étant donné qu’elle sort d’une servitude de trois siècles, cet étonnement n’est pas de mise. Du reste, son avenir n’est guère indécis, tant les traits qui la distinguent sont déjà marqués. D’abord le nombre et l’uniformité ; les paysans représentent 85 % de la population totale — chiffre énorme dont leur similitude accroît la signification ; ils sont partout les mêmes, à la fois réalistes et mystiques, absolus ou dissimulés, sachant souffrir patiemment et attendre indéfiniment. C’est en second lieu leur conception du pouvoir et de la propriété ; pour eux, le tsar est tout puissant, non pas en fait, mais (ce qui est plus grave) en droit. L’expropriation implicitement contenue dans l’acte d’émancipation de 1861 n’a pu, bien entendu, que les confirmer dans ce radicalisme. Tout le monde sait que beaucoup d’entre eux n’en furent pas satisfaits. « Petit père, disaient les délégués d’une commune à un seigneur, que les choses restent comme par le passé ; nous vous appartenons, mais la terre est à nous. » Cette offre est topique : la terre est à eux ! Au fond, depuis trente-neuf ans, ils n’en ont pas démordu ; il y a là une conviction qui se transformera, mais qui ne s’effacera pas. Une troisième caractéristique, c’est l’organisation de la commune, si robuste qu’elle a pu traverser intacte la longue période d’asservissement. « Il est peu d’États en Europe et en Amérique, a dit M. Leroy-Beaulieu, où la commune ait vis-à-vis du pouvoir central une telle autonomie ; il n’en est peut-être pas un où elle garde sur ses membres une telle puissance. » Toutes les fonctions y sont électives et salariées, le collectivisme y a posé plus d’un germe, et d’autre part, l’esprit de clocher n’y règne pas ; ils sont tous pareils, les clochers, sur la terre russe, et le moujik semble avoir gardé quelque chose de ces tendances nomades qui décidèrent jadis Féodor et Boris Godounof à le fixer au sol, afin qu’il n’échappe point, par ses constantes pérégrinations, au service et au fisc.

Il ne faudrait pas conclure de tout ceci que la commune Russe menace de devenir un foyer révolutionnaire. Bien au contraire, les paysans répugnent à toute propagande anarchiste. Mais il n’en est pas moins vrai que « la Russie est le seul pays du monde où l’on pourrait supprimer la propriété par décret »[1], et cela, ils s’en rendent compte ; ce seul fait est pernicieux pour l’ordre social. Il implique l’existence d’un malentendu très difficile à dissiper ; seigneurs et fonctionnaires s’y emploieraient en vain ; les paysans n’ont pas foi en eux. Le tsar lui-même échouerait ; Alexandre iii, s’adressant aux starostes (maires de village) réunis à Moscou à l’occasion de son couronnement, leur a dit loyalement que l’organisation de la propriété était définitive ; cette parole ne semble pas avoir fait sur eux la moindre impression. Serait-il prudent, d’ailleurs, de trop insister ? Le dogme de la toute puissance impériale est pour beaucoup dans la stabilité du pays, et ce dogme comporte, aux yeux de ses sujets, la qualité de propriétaire universel attribuée au souverain.

On voit combien, étant données les circonstances, l’espoir des slavophiles est chimérique. Le contact entre le trône et la commune, l’appui mutuel que se prêteraient le tsar et le moujik ne sont point réalisables. Il serait mille fois plus aisé de réunir la mer Noire à la mer Caspienne pour rendre à celle-ci son niveau que de tracer à travers la masse indécise des classes aisées le chemin qui irait du palais à l’isba. Pourtant, nous l’avons vu, le statu quo est impossible ; aujourd’hui, les réformes sont utiles ; demain, elles seront urgentes. Rien ne servirait d’en prendre la formule à l’étranger puisqu’on ne trouverait pas en Russie des éléments pour l’appliquer, mais il n’y a pas davantage à espérer faire jaillir du sol Russe une formule nouvelle ; on s’en rend compte, d’ailleurs, jusque sur les bords de la Néva ; il faut bien reconnaître maintenant que les beaux projets conçus au lendemain de l’émancipation des serfs se sont évanouis comme des mirages sur la steppe.


Vénalité et Corruption

À première vue, le tsarisme moderne fait assez bonne figure dans le monde : il semble réaliser cet idéal de « despotisme éclairé » dont la France s’était éprise au début du règne de Napoléon iii. On le voit porter partout la marque de sa sollicitude ; il n’est pas pour lui d’insignifiants détails ; il conçoit et exécute de beaux desseins tels que l’émancipation des serfs et tout récemment la conférence de la Paix ; sa force repose sur l’affection constante de tous ; c’est un fait indéniable qu’en Russie la famille impériale est chérie plus encore que respectée par la grande masse de la Nation. Il en était déjà ainsi quand l’empereur s’appelait Paul ou Nicolas ier. Ce n’est pas le passage sur le trône d’un prince aussi vertueux qu’Alexandre iii qui a pu affaiblir de tels sentiments. Tout cela est vrai, mais il est également vrai que toute une part de gouvernement se trouve — tant par la force des choses que par le rôle intéressé de certains fonctionnaires — soustraite au contrôle du tsar et que partout où ce contrôle fait défaut, la vénalité et la corruption ont libre carrière. En supposant même que par un effort presque surhumain on parvienne à extirper ces vices qu’une longue tradition a profondément enracinés, que pourrait-on contre la méfiance qui répond d’en haut à la confiance d’en bas ? Un pouvoir despotique est tenu d’être méfiant ; plus le pays est vaste, peuplé et actif, plus ses gouvernants sont incités à rendre la surveillance étroite. Il n’est pas indispensable que leur police soit sanguinaire comme le fut l’inquisition d’État créée par Pierre le Grand ; il est même superflu qu’il y en ait deux s’espionnant l’une l’autre comme le voulait Nicolas ier ; mais elle n’en demeure pas moins la seule source de renseignements, l’unique sécurité.

De la, ces « façades » innombrables qui, dans les institutions Russes, trompent à chaque instant le regard. On n’élève plus sur le passage du souverain, comme au temps de Catherine, des villages de carton, peuplés de figurants et destinés à masquer le caractère inculte de la contrée et par suite le détournement des crédits affectés à son développement. Mais on n’a pas renoncé à simuler des réformes et à tourner habilement les difficultés qui pouvaient en résulter. Des lois de détail viennent amender la loi fondamentale qui reste seule en vue ; ou bien on a recours aux « règlements temporaires » qui, sans modifier le principe du droit, en suspendent l’application. Certains délits sont soustraits « provisoirement » aux juridictions compétentes et déférés à des tribunaux d’exception ; de toutes façons, les concessions accordées en bloc sont reprises une à une. Après cela, on peut se vanter que la peine de mort soit abolie (sauf en matière politique), qu’une partie de la magistrature soit élue, qu’il y ait un jury ou que la presse soit libre…, c’est exact en théorie et faux en pratique. L’instruction publique révèle des contradictions plus surprenantes encore. La méfiance, ici, est universelle et incessante. Un Russe a pu dire que, dans son pays, tous les efforts du ministre de l’Instruction publique étaient dirigés contre l’enseignement populaire. Ce n’était pas un paradoxe.

À vrai dire, aucun de ces abus n’est prémédité. La volonté de réformer, d’améliorer est sincère. On ne donne pas avec la pensée de retirer ensuite ; mais on retire parce qu’on ne peut pas faire autrement, parce que rien n’est prêt pour acclimater une liberté, si humble soit-elle ; parce que la méfiance est l’unique moyen de gouvernement et la police, l’unique instrument. Et le mal ne fera qu’empirer.


L’unique remède

Cependant le problème gouvernemental n’est pas insoluble ; il serait même près de trouver sa solution le jour où le tsar voudrait se rappeler qu’il n’est pas seulement l’empereur des Grands-Russiens, mais qu’il règne aussi sur 20 millions de Petits-Russiens, qu’il est souverain des provinces Baltiques et de la Lithuanie, roi de Pologne et grand-duc de Finlande. Ses domaines, en effet, sont peu homogènes. L’énorme Moscovie qui en occupe le centre est comme encerclée dans une série d’États autonomes qui en diffèrent essentiellement ; mœurs et aspirations politiques, organisation sociale, croyances religieuses, coutumes successorales, régime de la propriété, tout est dissemblable. C’est dans ces divergences précisément que réside le secret de la politique future. On affiche à Pétersbourg des prétentions d’unité et d’uniformité qui constituent une façade de plus ; derrière cette architecture trompeuse, il n’y a, en réalité, ni unité ni uniformité. Si la Pologne, par exemple, est nominalement assimilée aux provinces de l’Empire, c’est à la condition d’être exclue du bénéfice de toutes les lois un peu libérales qui règlent le sort de ces provinces. L’Esthonie et la Livonie, peuplées d’Allemands, de Letto-Esthoniens et de Finnois, ont été l’objet de mesures d’exception très rigoureuses. Le privilège des assemblées provinciales, créées par Alexandre ii, a été refusé non seulement à la Pologne et à la Lithuanie, mais à toute la Russie Blanche, à la Podolie et à la Volhynie ; par contre, on l’étendit aux Cosaques du Don qui pétitionnèrent ensuite auprès d’Alexandre iii pour être débarrassés de ces gênantes institutions. Les Tatars de l’est furent mieux traités que les Roumains de Bessarabie.

Enfin, tout récemment, une audacieuse tentative a été dirigée contre les libertés Finlandaises ; en admettant même qu’il n’y ait pas eu là une entorse au droit et à la foi jurée, la maladresse n’en subsisterait pas moins. Ce qu’on vient de faire, il faudra de toute nécessité le défaire ; les franchises et l’indépendance locales qu’on poursuit, seront le salut de tout l’empire. L’empereur a cette chance qu’aucune persécution n’a entamé la popularité de sa couronne chez les peuples même, qui en furent l’objet. Il semble qu’un peu de la philosophie résignée du moujik, accusant le tsar d’ignorer les abus dont il souffre, ait passé les frontières moscovites. Même en Pologne, ce sentiment existe ; la haine et le mépris s’arrêtent aux marches du trône. En vérité, il faudrait peu de chose pour faire d’Helsingfors, de Riga, de Varsovie, des foyers d’ardent loyalisme ; le souverain n’y puiserait pas seulement des forces nouvelles pour tenir son sceptre, il y trouverait les moyens de gouvernement qui lui manquent. En rendant aux différentes portions de son empire leur vie propre, il réaliserait pour l’ensemble, ces conditions d’équilibre, d’élasticité et d’émulation hors desquelles, aucune prospérité n’est durable.

Car gouvernement et prospérité ne sont point séparables. Le mot du baron Louis : « Faites-moi de bonne politique et je vous ferai de bonnes finances » demeure éternellement vrai. La substitution d’une entreprise de progrès matériel — la mise en valeur de la Sibérie — à des luttes stériles d’influence religieuse ou militaire, ne saurait tenir lieu de réformes gouvernementales. L’autocratie Russe n’en est pas moins une impasse. L’homme qui fait des affaires a besoin d’être libre tout comme celui qui lance des idées ; le passeport et la police, la censure et la bureaucratie sont des entraves, dont ni l’un ni l’autre ne peuvent s’accommoder. Mais comment y échapper ? Nous venons de voir que la Russie elle-même n’en fournissait pas les moyens. Par bonheur, il y a des pays annexés moins robustes qu’elle, moins débordants de sève, mais infiniment plus souples, et d’autant plus aptes à guider son émancipation, qu’un tel avenir pour eux, ne serait que la suite logique du passé, la reprise de leurs traditions les plus chères.

L’heure est venue de reculer ; c’est la seule façon de sortir d’une impasse.


Séparateur

  1. Leroy Beaulieu : La Russie et l’empire des tsars.