Revue dramatique - 14 janvier 1859

Revue dramatique - 14 janvier 1859
Revue des Deux Mondes2e période, tome 19 (p. 508-511).


REVUE DRAMATIQUE


Deux tendances opposées se partagent en ce moment l’art dramatique : l’une est le dernier accent de la voix romantique, le suprême soupir de la métaphore qui s’éteint ; l’autre a pour but l’exacte reproduction de la réalité, et répond, dit-on, aux besoins nouveaux de l’esprit public. Deux pièces jouées récemment, Hélène Peyron et Cendrillon, paraissent représenter assez bien ce double mouvement. L’auteur de la première, M. Louis Bouilhet, traduit une inspiration réellement poétique par des réminiscences dont il n’a point su encore dégager une véritable personnalité. On lui a reproché avec raison l’abus des images et des métaphores, la tendance à transformer perpétuellement l’idée en un objet sensible, l’emploi de comparaisons vieillies, de procédés convenus, toutes choses dont l’effet est d’autant plus fâcheux qu’elles sont elles-mêmes le résultat de l’imitation. Ce défaut d’originalité avait déjà frappé la critique, lorsqu’il y a deux ans M. Bouilhet fit représenter à l’Odéon Madame de Montarcy. On avait applaudi de beaux vers, mais il avait bien fallu les saluer pour la plupart comme d’anciennes connaissances. Madame de Montarcy parut le fruit d’une trop récente éducation, et l’on convint d’attendre une seconde épreuve, où l’auteur donnerait sa propre mesure. Cette épreuve est venue, et les mêmes doutes subsistent. La nouvelle tentative de l’auteur de Melœnis est également impersonnelle. Hélène Peyron n’est pour le talent de M. Bouilhet ni un progrès ni une décadence ; c’est la même manière, transportée seulement dans un cadre moins heureux, car la comédie ne s’accommode guère du vers romantique. Au point de vue qu’il a lui-même choisi, M. Bouilhet serait donc l’un des derniers représentans de cette école qui crut remplacer par la poésie lyrique l’analyse régulière des sentimens et le développement logique des caractères. La nullité des personnages, l’absence presque complète de l’action, l’irrégularité du plan sont des défauts assez visibles dans Hélène Peyron. Pourtant, croyons-nous, M. Bouilhet avait tenté d’échapper cette fois, par le choix de son sujet, aux puissantes influences qui avaient dominé complètement son premier drame ; mais la constante préoccupation d’une certaine forme l’a ramené sur l’ecueil qu’il voulait éviter. Ce soin précieux d’un style factice lui a fait oublier et la composition dramatique et l’étude des caractères. Or le style n’est que l’enveloppe de l’idée ; il n’est rien sans elle. M. Bouilhet s’engage donc dans une mauvaise voie en transportant dans le style un spectacle que M. Victor Hugo introduisait dans les accessoires dramatiques ; il fait combattre pour l’heureux effet d’une période les mots qui la composent comme autant de partisans isolés. C’est là une erreur et un danger ; le beau dans le style obéit aux lois communes. Ce doit être un ensemble harmonique d’élémens simples.

S’il est puéril d’entreprendre une résurrection du drame romantique, est-il plus sage d’appliquer au théâtre les procédés de l’école qui s’intitule réaliste ? Le grand défaut de cette école est de sacrifier l’ensemble au détail, et de là résulte une cause d’impuissance non moins grave que le culte exagéré de la forme. Quel jugement porter, par exemple, sur M. Barrière, l’auteur des Faux Bonshommes et de Cendrillon, et le principal représentant de cet esprit nouveau qui affirme être avec nos besoins et nos habitudes dans un rapport plus direct et plus vrai que les productions romantiques ? M. Barrière possède d’incontestables dispositions dramatiques ; il sait présenter un fragment de scène, enlever un morceau de dialogue : il n’est pas encore parvenu à composer un ensemble véritable. Sans parler de nombreuses productions que réclame l’industrie théâtrale et non l’art dramatique, il a essayé, depuis le succès qui accueillit la trop fameuse pièce des Filles de Marbre, d’entrer dans une voie particulière d’observation comique. Un travail rapide, soulagé encore par une constante collaboration, surtout une absence non moins constante d’action dans le drame, ne l’ont conduit qu’à exposer, sous prétexte de caractères et de types, des caricatures amusantes à première vue, mais dont la contemplation engendre une prompte fatigue, le tout saupoudré de saillies d’un goût douteux, échos trop fidèles des bons mots et des facéties qui alimentent journellement les conversations d’un peuple qui se dit, je ne sais trop pourquoi, le plus spirituel du globe. Toutes réserves faites d’ailleurs pour le style, M. Barrière n’a pas encore écrit de pièce véritablement composée. Cependant, malgré toutes ces imperfections, on pouvait attendre de son talent d’abord une scène, puis un acte, et puis, dans une limite de temps qu’on n’osait trop fixer, une pièce tout entière. La scène est venue, puis l’acte ; maintenant à quand la pièce ?

Il faut être juste : il y a mieux qu’un acte dans Cendrillon, il y a aussi un véritable caractère, et, chose curieuse, ce caractère, ce n’est pas ce que l’on attendait, ce n’est pas l’idéal enfin trouvé des caricatures que nous connaissions : c’est l’analyse délicate d’un cœur sensible et défiant, analyse qui appartenait au roman, dont la forme dans la comédie de M. Barrière n’est pas irréprochable, mais dont l’expression est poursuivie avec précision et logique. M. Barrière a su éviter un écueil contre lequel l’ont probablement porté d’abord la nature de son esprit et cet amour du contraste qu’on a la faiblesse de prendre pour du comique. N’y avait-il pas là en effet une de ces antithèses toutes trouvées, une antithèse même qui remonte par-delà le déluge, puisque le vertueux Abel et le méchant Caïn nous en offrent un si lamentable exemple ? Nous en avons été quittes pour la peur. Marie de Fontenay, la Cendrillon de M. Barrière, ne peut se plaindre d’aucun mauvais traitement, d’aucune injustice matérielle. Blanche, l’enfant gâtée, l’aime comme une bonne sœur. Sa mère ne lui refuse pas ses caresses ; mais comme Marie est timide et repliée sur elle-même, comme Blanche est plus vive et plus expansive, les caresses de Mme de Fontenay ont rencontré celle-ci plus souvent que celle-là, et peu à peu l’habitude en est venue, de sorte que, grâce peut-être aux hésitations de Marie, une certaine préférence est aujourd’hui sensible : l’habitude n’est-elle pas tout pour le cœur ? Certes ce sont des riens, ce sont des nuances, mais précisément c’est aux nuances que se prennent les véritables caractères, et c’est là qu’il faut les saisir. Si Moe de Fontenay calculait ses préférences, peut-être Marie souffrirait-elle moins, car la jalousie qu’elle éprouve pourrait se soulager dans un sentiment d’animosité ; mais la mère n’a pas conscience de ces involontaires blessures, qui causent par cela même dans le cœur de sa fille aînée de plus grands ravages : loi physiologique à laquelle obéit la marche du drame. Marie n’a donc pas entièrement raison ; elle est aigrie, elle est réellement malade, et c’est là encore une juste observation de ce caractère. Je ne dirai rien de l’action et de la fable, qui offrent les défauts habituels à l’auteur. Ici comme ailleurs, il procède dans ses trois premiers actes, par épisodes isolés, par scènes prétendues caractéristiques, qui servent bien, à l’action, mais que M. Barrière n’a pas su rendre indispensables, car elles pourraient être retranchées et remplacées par d’autres : le choix d’une robe, un bouquet dédaigné, un danger couru dans une promenade à cheval, toutes choses où se montrent les préférences de Mme de Fontenay, le plus souvent trop accusées ; toutes choses qui seraient véritablement significatives et intéressantes, si elles étaient les fils nécessaires de la trame qui se dénouera au dernier acte. C’est la vie ! nous dira-t-on, c’est la réalité ! Soit, mais ce n’est pas la vérité, ce n’est pas l’harmonie, ce n’est pas l’art. Ce sont les élémens d’une œuvre, mais ce n’est pas l’œuvre, et le public n’est pas tenu de la composer avec les élémens qu’on lui présente. On dit que chez M. Barrière cette manière est un parti-pris : nous ne saurions l’accepter en aucune façon ; nous ne saurions admettre davantage que M. Barrière invente, car si nous accordons que les élémens d’une œuvre doivent être puisés dans la réalité, inventer, ce n’est plus alors que composer, et dans ces trois premiers actes il n’y a pas trace de composition. En outre, de ces scènes et de ces épisodes M. Barrière tire tout ce qu’il peut ; il les épuise, et il finit par en dénaturer le sens, grâce à l’espèce de distillation à laquelle il les soumet : ainsi traitée, la réalité même se volatilise et devient je ne sais quelle matière fluide, mille fois moins dense que le marivaudage, et incapable d’agir sur notre esprit, à plus forte raison d’y laisser une empreinte.

Quant au cinquième acte, il est bien conduit, et l’auteur s’y élève à des effets vraiment dramatiques. On aimerait à l’accepter comme le symptôme d’une transformation dans la manière de l’écrivain. Cette tentative, justifiée par le succès, doit dès aujourd’hui éclairer M. Barrière, non-seulement sur les procédés véritables d’un art qu’il est si facile de travestir en métier, mais encore sur les bases plus solides qui doivent porter les combinaisons artificielles de la scène. Ce cinquième acte, que ne coupe aucun épisode inutile, que n’égaie aucune marionnette, que ne hérisse aucune facétie, qui pour tout dire arrive correctement à l’unité, lui prouvera, nous l’espérons, que l’action dramatique repose sur le développement progressif des sentimens, l’opposition raisonnée des caractères et la nécessité démontrée des péripéties : trois élémens que réunit l’idée générale de composition.

En résumé, si la vérité dramatique n’est ni dans le système de M. Bouilhet, ni dans celui de M. Barrière, elle n’est pas davantage dans le juste milieu ou dans une impossible conciliation. C’est qu’à ces deux systèmes manque également l’indispensable élément de la composition : l’un croit y suppléer par la forme, l’autre s’imagine la trouver dans un ensemble d’épisodes dépourvus de tout lien. La comédie ne cherche ici, comme le drame, qu’à étonner l’esprit ; comme le drame, elle ne peut rencontrer dans cette voie que des succès éphémères. La vraie comédie au contraire ne vise nullement à étonner, elle n’a d’autre but que de justifier ce qu’elle expose, et comme les sujets qu’elle choisit ne doivent point sortir de l’évolution, commune, elle est obligée de se mouvoir dans les événemens qui nous sont familiers. L’inépuisable analyse de nos sentimens ordinaires, l’étude des intérêts et des passions, voilà le principal fondement des œuvres dramatiques. Une place inoccupée, des élémens nouveaux, attendent la jeune génération littéraire. Répondra-t-elle à cet appel ? Nous le croyons, et ce n’est là qu’une question de temps. Si nous recherchions cependant les causes qui retardent un essor intellectuel si désiré, si nécessaire, nous les trouverions surtout dans les dispositions d’un public chez qui l’on rencontre tant de dédain pour la pensée libre, tant d’indulgence pour des pauvretés de la pire espèce. Le succès de mode ou de scandale qu’ont obtenu durant l’année qui vient de s’écouler tant d’œuvres d’une vitalité factice accuse dans l’opinion des tendances mille fois plus regrettables que ne peuvent l’être le découragement de quelques écrivains et l’impuissance du plus grand nombre. Le public, il faut le dire, manque à ses droits comme à ses devoirs en acceptant aveuglément tout ce qu’on lui présente sous l’absurde prétexte de le divertir ou de le moraliser, sans compter que c’est l’effet contraire qui est le plus souvent obtenu. Il faut que les gens qui pensent sérieusement secouent le joug et se persuadent qu’une œuvre d’art ne doit avoir qu’un but, le vrai et le beau. Tant mieux si elle corrige ou si elle divertit, mais c’est là un résultat secondaire. Rien ne prouve mieux que l’état du théâtre actuel cette fâcheuse manie de flatter le goût du public. L’art dramatique s’éloigne des sphères où il trouvait autrefois sa plus haute expression, et tandis que le Théâtre-Français se contente d’essais ou de reprises médiocres, la critique est réduite souvent à chercher sur des scènes secondaires des productions dignes de son examen, telles que les comédies de M. Alexandre Dumas fils, de M. Augier et de M. Octave Feuillet. Le Roman d’un Jeune homme pauvre, Cendrillan, Hélène Peyron, sont des preuves de l’application constante de ces théâtres à faire des tentatives qui contiennent à divers degrés des élémens sérieux de succès. Le Théâtre-Français cependant garde à peine le respect de ce qui fait sa gloire. Il est inouï par exemple que les Caprices de Marianne, le chef-d’œuvre dramatique d’Alfred de Musset, servent de lever de rideau à je ne sais quels vaudevilles sans couplets. C’est ainsi que pour le passé se perdent les grandes traditions, que pour le présent le goût s’abâtardit, que pour l’avenir rien ne demeure des frivolités et des pastiches qui se jouent à la plus grande joie de quelques provinciaux ébahis. On se fait l’esclave du public, quand il est si facile de tout toi imposer, même les choses sérieuses. Efforçons-nous à restaurer le culte du beau : ce n’est pas seulement la tâche des écrivains, c’est encore la mission de ceux qui sont appelés à diriger la représentation de leurs œuvres.


EUGÈNE LATAYE.


L’Agriculture française, par M. Louis Gossin[1].cbr/> L’agriculture au coin du feu, par M. Victor Boric[2].


S’il est un fait aujourd’hui reconnu par quiconque porte intérêt au développement de l’agriculture en France, c’est que ses progrès futurs doivent

  1. i vol. in-4o, avec planches.
  2. 1 vol. in-18.