Revue des théâtres - 14 octobre 1850

Anonyme
Revue des théâtres - 14 octobre 1850
Revue des Deux Mondes, Nouvelle périodetome 8 (p. 383-384).

pour l’administration de l’Opéra, se trouvait à Paris, y chante le rôle de Fidès avec un succès qui a grand besoin de ménagemens. Mlle Alboni est une cantatrice di mezzo carattere, dont la voix flexible et la sensibilité tempérée ne peuvent résister long-temps aux luttes héroïques de la musique française. Déjà il est impossible de ne pas constater une certaine altération dans la fraîcheur et le tissu délicat de ce bel organe. M. Meyerbeer assistait l’autre soir à la reprise du Prophète. La présence de l’illustre compositeur a fait répandre le bruit qu’il était venu à Paris pour diriger les études d’une nouvelle et grande partition qu’il aurait en portefeuille. Cette nouvelle n’a aucune consistance. M. Meyerbeer est un artiste trop sérieux et trop profondément dévoué aux intérêts de l’art qui fait sa gloire, pour courir ainsi les aventures. Il prend son temps et son heure, et il ne livre sa pensée que lorsqu’il la croit digne du public qu’il respecte. Pour le moment, M. Meyerbeer est entièrement occupé à composer des chœurs pour les Euménides d’Eschyle, dont la traduction en langue allemande doit être représentée au théâtre royal de Berlin.

Si le théâtre de l’Opéra-Comique est une heureuse entreprise, c’est qu’on y travaille aussi à mériter les faveurs de la fortune. On a repris dernièrement l’Amant jaloux de Grétry, charmant ouvrage qui, pour être né en 1778, n’en est pas moins jeune et vrai. Un musicien de talent, M. Batton, a ravivé d’une main discrète certaines couleurs de l’instrumentation de Grétry que le temps avait un peu ternies. Quand il n’y aurait dans l’Amant jaloux que le trio des trois femmes : Ah ! que j’aime ce Français ! et l’adorable romance de ténor Pendant que tout sommeille, ce serait plus que suffisant pour mériter les honneurs d’une restauration. On répète à l’Opéra-Comique un ouvrage en trois actes de M. Halévy, qui sera probablement la grande machine de guerre avec laquelle l’administration affrontera la lutte qui se prépare. En effet, la lutte sera bruyante cet hiver.

Trois nouvelles sociétés musicales, satellites de la société des concerts du Conservatoire, viennent de se former, et se disposent à convier les amateurs aux grandes fêtes de la musique instrumentale. La société de Sainte-Cécile, sous la direction de M. Seghers, qui paraît la mieux constituée des trois, commencera ses séances le mois de novembre prochain. On se demande avec anxiété dans le monde politique ce que deviendra la France en l’an de grace 1852 ? Quel sera le dénoûment de ce drame mal conçu qu’on appelle la constitution ? Et chacun s’efforce d’indiquer le remède qui pourrait guérir la France du anal qui la ronge depuis le mois de février 1848. Nous sommes étonnés que, puisqu’il s’agit de redresser les membres éclopés d’une mauvaise comédie, on ne se soit pas adressé au plus grand médecin dramatique de notre pays, à M. Scribe. Que deviendrait la France dramatique, si M. Scribe venait à mourir ? La question vaut la peine d’être posée, car, à l’heure qu’il est, on répète M. Scribe au Théâtre-Français, à l’Opéra, à l’Opéra-Comique, au Gymnase !… hommes d’état, qui cherchez une solution à l’imbroglio républicain qu’on nous fait, adressez-vous donc à M. Scribe, qui a des recettes pour toutes sortes de pièces mal venues !



V. de Mars.